Mercenaires

Mercenaries never die, they only go to hell to regroup.

Le porte-container s’étalait sur deux cent cinquante mètres de long et un peu plus de trente de large. Une montagne de containers soigneusement rangés comme un Tetris gagnant dominait le pont et remplissait la cale. Le navire était parti de Shanghai via Los Angeles puis le canal de Panama direction la côte ouest africaine qu’il remontait en direction du Golfe du Niger. Les produits qu’il transportait allait de l’I-Phone dernier cri aux paires de baskets a bas prix made in China en passant par les robots-mixeurs, le prêt à porter des usines asiatiques, ou encore des bananes du Brésil, des carcasses de moutons congelés de Nouvelle Zélande, des jouets pour enfant fabriqués à Wuhan. L’équipage était composé de vingt-huit hommes. Douze philippins, huit pakistanais dont le capitaine Mustafa Khan, quatre népalais descendus de leurs montagnes pour aller se perdre en mer, un mexicain, et trois russes qui assistaient le capitaine au commandement. Autant dire du petit bois dans le langage des armateurs. Le long de la coursive, torse nu, un géant courait à petite foulée, sa peau rougie, luisante sous le soleil impitoyable du midi. Il portait un bob vert olive et un pantalon de treillis noir, des tennis au pied, sa masse musculaire tressautant à chaque pas. Du haut du pont arrière, trois ouvriers népalais l’observaient avec une curiosité mêlée d’amusement. Jamais il ne le serait venu l’idée de courir comme ça sans but et encore moins par cette température, en pleine mer.

  • Pourquoi il fait ça tu crois ?
  • Peut-être qu’il s’entraine pour une compétition

Tout en discutant ils échangeaient une cigarette.

  • Mais non, j’ai entendu dire qu’il veut perdre du poids, dit le troisième.
  • Pourquoi faire ?
  • Pour être plus beau, supposa l’autre en haussant les épaules.

Son voisin secoua la tête.

  • Ils sont bizarres ces blancs.

Le géant parcourait les deux cent cinquante mètres de longueur du navire, cinq tours, qu’il avalait non sans une certaine difficulté, mais c’était justement ce qu’il recherchait. Tous les midis, en sautant le déjeuner. Sur le pont avant, alors que le géant poussait vers la proue, deux hommes commentaient également son passage d’un ton désabusé.

  • Alors comme ça il veut aller botter le cul à Poutine ?
  • Tu le connais…. Et puis il est né à Kiev après tout.
  • Mouais…
  • C’est un projet remarque et Dyn Corp paye bien.
  • Très peu pour moi, la sécurisation ça me va très bien comme ça.

Un jeune homme athlétique apparu derrière eux par une écoutille qui portait un plateau remplit de deux assiettes pleines.

  • Oh encore des tortillas ! Putain mais il sait faire que ça ce foutu cuisinier !?
  • Qu’est-ce que tu veux il est mexicain.
  • Non il est cuisinier putain !

Devant les trois hommes, fixée sur un trépied, était posée une lourde mitrailleuse russe Kord à laquelle était fixée une boite de munitions calibre 12,7. Le navire appartenait à la CMA CGM, compagnie maritime française, leader du marché, il était donc dûment assuré mais contenu du passage par le Golfe du Niger et globalement la corne ouest de l’Afrique, AXA avait exigé que le bâtiment soit sous protection. Passé Dakar, le porte-container devait poursuivre sa route vers la France et le port du Havre, avant de terminer son voyage à Anvers. Où les containers seraient déchargés, vidés, remplis jusqu’à ce que le navire retourne sillonner le monde. Mais en attendant que ça arrive : trois galettes soigneusement roulées, remplies de morceaux de poulets marinés et accompagnées d’une sauce verte au piment. Le cuisinier était très fier de sa cuisine et particulièrement de ses sauces. Il avait appris le travail en autodidacte en regardant faire les autres depuis un poste de plongeur dans un restaurant à touriste de Tijuana. L’ennui c’est que son répertoire était d’autant limité qu’il adorait les galettes de maïs. Or justement le capitaine avait fait embarquer pour la réserve jusqu’à trente kilos de ces galettes.

  • Vous êtes dur chef, moi je trouve qu’ils sont vachement bons ses tortillas, je me souviens une fois à la frontière on en avait bouffé, putain c’était de l’iguane ! Dégueulasse !
  • Moi je dis qu’il faut foutre en l’air sa réserve, grogna l’autre sans l’écouter.

Avant d’attraper un tacos et de le balancer en direction de la mer. Mais la galette n’avait pas encore entamé son ascension qu’une mouette la saisissait au vol avant de s’éloigner avec un ricanement.

  • On peut faire ça cette nuit, proposa son voisin.
  • On va faire ça cette nuit putain ! Promis celui que le jeune homme appelait chef.
  • Le capitaine va pas être contant, fit remarquer le jeune homme qui se souvenait de leur embarquement au Panama.
  • Je l’emmerde, il a qu’à changer de cuistot, répondit le chef d’un ton décidé.

Ils étaient partis de France pour le Panama deux jours avant leur arrivée sur le bâtiment. Le temps que le chef trouve le moyen de participer à un combat clandestin entre des cogneurs locaux et des Marines stationnés sur place. Pratique mise en place par les Marines eux-mêmes et avec les paris desquels les combattants et leur encadrement se faisaient de belles sommes.  Quand il n’était pas au service de Centurion, la société militaire privée qui les employait, le chef écumait l’Europe, participer à des combats clandestins à poing nu. Et il était si réputé dans certain milieu qu’on l’avait surnommé « le Fléau » parce que quand il se déchainait plus rien ne l’arrêtait. Pourtant il arrivait qu’on trouve une cure à son genre de cataclysme. Au Royaume Uni ou aux Pays-Bas on pratiquait à la manière de la rue ou presque. Poing, tête, coude, genoux mais ni arm block, aucune prise et pas de coup de pied ou de tibia. Au Panama ils affectionnaient le combat libre version MMA, et ça tombait bien parce que le chef avait justement une licence dans ce domaine. Sauf qu’il n’était pas question pour de jeunes bœufs américains sous stéroïde de se faire battre par un putain de frenchy. Alors ils s’étaient arrangés avec un soigneur pour qu’il glisse du GHB dans sa bouteille d’eau. Bien entendu le combat avait été vite réglé et le Fléau avait reçu une correction rapide mais bien sentie. Mais c’était le lendemain que ça s’était réellement gâté. Quand le géant qui présentement courrait devant eux avait atterri à Panama City.

  • C’est quoi ces conneries ? Avait-il grondé en voyant la tête enflée de son ami.
  • La correction mon pote, j’ai rien compris, sourit ce dernier malgré les lèvres recousues et tuméfiées.
  • C’est impossible t’en n’as jamais perdu un !
  • Faut un début à tout, avait répondu le Fléau, fataliste.
  • Et puis c’est pas vrai, en Irak il s’est fait tauler.
  • En Irak y’a eu match nul, si les ricains étaient pas intervenu Frankenstein serait en train de compter ses os.
  • Tu parles ! Il avait le dessus ! Dis-lui toi Francis !
  • Il a pas tort j’avais le dessous et il était en train de me désosser.
  • Connerie avait répété le géant et que les autres surnommaient Moscou.

La nature soupçonneuse, il était allé faire sa petite enquête. A savoir secouer tous ceux qui s’étaient approché de son pote avec assez de force et de détermination pour qu’ils en pissent tous sur eux. Puis finalement quand ils avaient appris la supercherie ils avaient débarqué tous les quatre dans un des bars attitrés des Marines en ville.

  • Va y avoir de la bagarre si vous vous faites prendre, insista le jeune homme. A bord c’est pas bon.
  • Tu nous emmerdes petit, soupira Francis.
  • T’inquiètes on prendra Moscou avec nous, le rassura son voisin. Les raids alimentaires ça le connait.
  • Ah, ah, ah ouais, tu te souviens à Falloujah Gaston ?
  • Eh, eh, eh ouais, la gueule que les ricains ont fait quand ils ont su !
  • Qu’est-ce qui s’est passé à Falloujah ?
  • On avait pas été payé depuis un mois, en mission et on commençait a vraiment crever la dalle vu qu’on avait plus de ration et que la ligne de ravitaillement était coupée par les Mouloud, expliqua Gaston.
  • Là-dessus Taras Boulba, notre homme à tout faire, et que seul notre ami Gaston ci-présent arrivait à piger, nous dégote un PX en plein désert pour les troupes aéroportée.
  • Grand luxe le machin tu vois, réservé à la Coalition. Mais en gros si t’avais un uniforme ricain tu passais.
  • Et vu qu’il y a que Moscou qui taille ricain, on l’a envoyé.
  • Et alors ?
  • Alors il est revenu avec un frigo plein sur le dos.
  • Non !?
  • Comme je te le dis.
  • Mais comment il a fait ?
  • Oh facile, il a rempli le frigo comme tu remplis ton caddie et il est sorti.
  • Mais personne ne lui a rien dit ?
  • Qui va emmerder un lieutenant-colonel des Forces Spéciales de deux mètres ?

Le jeune homme ne comprit pas immédiatement, puis réalisant la supercherie demanda où il avait récupéré grade et uniforme.

  • Ah à Bagdad le PX y’avait de tout, expliqua Gaston.

Soudain le talkie-walkie à la hanche de l’ex sergent-chef Francis Lebreton se mis à siffler. Il le porta à sa bouche.

  • Ouais ?

C’était le poste de pilotage, l’un des hommes de quart qui venait d’apercevoir plusieurs embarcations légères au loin. Lebreton porta ses jumelles à son regard et se tourna vers le large.

  • Zoulou à dix heures, gronda-t-il.

L’imitant, Gaston, lui-même caporal dans une autre vie, leva ses jumelles à son tour.

  • C’est peut-être des pêcheurs…
  • Ca vaudrait mieux pour eux, répondit Lebreton en tirant la culasse de la mitrailleuse en arrière.

Derrière lui le jeune homme enfila le casque d’acier qu’il portait à sa hanche. Le navire avançait lentement mais bientôt ils aperçurent les pêcheurs dans leurs embarcations qui jetaient les filets. A l’exception du plus proche qui regardait vers le porte-container et semblait attendre quelque chose, un fichu rouge sang sur la tête.

  • Hey salut ! Lança le jeune homme à l’adresse de ce dernier qui lui répondit aussi tôt, froidement, par un doigt d’honneur.
  • On dirait que tu t’es fait un nouveau copain Nicolas, ricana Lebreton.
  • Sale con !
  • Qu’est-ce que tu veux môme pour eux on est juste des putains de pollueurs qui fait fuir le poisson.
  • Ah commence pas Gaston !
  • C’est vrai putain, dis pas le contraire !
  • Ah ouais et qu’est-ce qu’on y peut si leur pays est tout niqué !?
  • Cent ans de colonisation britannique tu crois que ça aidé ?
  • Ah ça y est on sort le prof d’histoire ! Eh gros le Nigéria c’est quand qu’ils ont obtenu leur indépendance déjà ?
  • 1960 et alors ? T’as jamais entendu parler de la néo colonisation ?  
  • Ah, la, la toujours les mêmes excuses ! Et la corruption c’est la néo colonisation peut-être ?
  • Evidemment ! Si Total et les autres payaient la rente pétrolière à ceux qui sont sur site, y’aurait pas tous ces problèmes ! Tu sais combien il y a de raffineries sauvages sur la côte ? Et tous les ans il y a des accidents !

Le jeune homme sous son casque, le plateau à ses pieds, écoutaient leurs arguments avec une curiosité mêlé de surprise. On parlait peu politique, voir pas du tout, dans l’armée. Il avait été formé dans les parachutistes, passé au privé il y avait à peine une année ce n’était que sa troisième mission depuis qu’il avait intégré Centurion, et il avait encore tout le formatage de l’armée dans le crâne et les os.

  • Ah tu m’emmerdes ! Râla Lebreton en se levant. Petit tu prends le quart, et garde l’œil, c’est des sauvages par ici.
  • Sauvage toi-même, ronchonna Gaston.

En bas Moscou repassait pour la troisième fois.

  • Eh Moscou c’est quand que t’arrêtes de faire le hamster !? Lança Lebreton

Ce à quoi l’autre lui répondit par un doigt d’honneur sans lâcher sa course.

  • Ah putain de russkov, bon je grimpe voir le pitaine, expliqua-t-il avant de disparaitre par l’écoutille.
  • Il est remonté le chef hein, dit le jeune quand il fut parti.
  • C’est toujours la même avec lui, c’est l’Afrique qui lui fait ça.
  • Pourquoi ? Il est raciste ?
  • Hein ? Non il s’en fout de ça c’est juste qu’il y a de mauvais souvenirs, ça date de quand il était dans la légion.
  • Il a été où ?
  • Mali, Centre Afrique, Rwanda.
  • Ah ouais ! Ça devait être chaud !
  • Y m’a raconté un peu, en Centre-Afrique, des cannibales plein les rues… Rwanda tu sais…
  • Putain !
  • Bah ouais, y’a de ça aussi sur le continent. Le problème c’est y’a pas que ça, des cinglés avec des machettes mais lui il voit plus que ça.

Ainsi allait la vie au quotidien sur le navire pour les quatre hommes de Centurion. Entre ennui, discussions oiseuses et exercice. Un régime éminemment militaire pour qui avait été consigné à la caserne. Parce que bien entendu l’ex sergent-chef lui-même s’exerçait tous les jours, au même titre que les deux autres, et si le premier ne courait pas, jamais, c’était juste par détestation du jogging. Sa course terminée, Victor Rochenko alias Moscou prenait généralement une douche puis dormait une heure avant d’aller prendre son tour à la vigie. Cette fois-là, sur ordre de Lebreton, il s’arma, Glock 17 et AK 105, plus un casque et un gilet pare-balle de cinq kilos. On était au large d’une zone à risque et la vue récente d’embarcations avait éveillé la méfiance du français.

  • Comment ça se passe capitaine ?
  • C’est pas bon, Il a un vraquier en difficulté dans le Détroit Gibraltar, ça bouchonne jusqu’ici, il y a trop de bateaux dans le secteur, on va être obligé de ralentir la manœuvre.
  • Shit it’s not the time !.
  • I know, dit gravement le capitaine en échangeant un regard avec le contractant.
  • Alright when do you think we’ll be out of this mess ?
  • Pas avant demain soir sans doute, au pire si ça s’arrange pas dans trois jours.
  • Mais on peut pas rester trois jours collé ici quand même !
  • Je vais essayer de m’éloigner le plus possible de la côte, c’est le mieux que je puisse faire.

Lebreton regarda en direction de la côte l’œil sombre. Oui, il avait des mauvais souvenirs en Afrique, au Rwanda, en Centre-Afrique… mais surtout il n’avait aucune envie de se coltiner avec les pirates du golfe quand bien même il était payé pour ça. Après toutes les galères dans lesquels l’avaient entrainé Centurion cette mission lui avait semblé plus paisible, presque des vacances, comparé. Ça serait sa dernière aussi. Son contrat expirait en mars de cette année et il ne comptait pas le renouveler. Il avait eu sa dose de guerre, de mutilation, de pertes, de violence. Même les combats de rue il raccrocherait bientôt. Et la raison de ce changement, qu’il avait jusqu’ici tût même à ses meilleurs amis, s’appelait Camille, était blonde comme l’Hélène de Troie et il en était fou comme Paris. Et puis le père de Camille possédait plusieurs affaires sur des établissements de nuit et il aurait tout à fait besoin de son genre de compétence. Bref il allait raccrocher des gants comme disait les sportifs et les voyous et il espérait rentrer en douceur au pays. Il sortit du poste de pilotage et grimpa en direction de la vigie. Moscou était déjà là qui surveillait l’horizon derrière ses lunettes télémétriques comme une tour antiaérienne.

  • On va rester là trois jours max, t’en penses quoi ?
  • Der’mo !
  • Je te le fais pas dire.
  • Ce soir on dort pas.
  • Ni demain soir, confirma Lebreton. D’ailleurs à ce propos tu voudrais pas faire un truc avec Gaston et moi ?
  • Quel truc ?
  • T’en penses quoi de la bouffe à bord ?
  • Ras le bol.
  • On est d’accord…

Moscou échangea un regard avec son ami.

  • Tu veux faire ça quand ?
  • Cette nuit ?
  • Pendant qu’ils pioncent.
  • Evidemment.
  • J’en suis.

Le français sourit.

  • Je savais que je pouvais compter sur toi.

La journée se passa sans incident, les ouvriers du navire vaquaient à leurs occupations, certain dormaient dans un hamac entre deux containers, d’autres étaient aux machines, à surveiller un bazar quasi automatisé. Le chat de bord, un greffier grassouillet et princier qui répondait au nom de Bob, surnom donné par Moscou. En réalité l’animal avait profité de l’escale à Panama pour s’incruster à bord. Et si c’était la mascotte des hommes d’équipage, c’était Gaston qui avait hérité de son cœur. Il était installé sur son sac à fusil pendant que Gaston nettoyait son arme de précision, Hécate II à côté du canon, était installé un smartphone allumé sur caméra. A l’écran une enfant babillait.

  • Et Bob y va bien ?
  • Y roupille sur mon sac.
  • Tu rentres quand ?
  • En fin de semaine normalement.
  • Et tu restes ?
  • Bah ouais, je te l’ai promis !

La gamine gloussa. Gaston le tombeur de ses dames, amoureux des femmes et réciproquement n’avait pas seulement une belle gueule burinée, il avait un cœur gros comme ça. Et ce cœur qui au fil du temps avait servi bien des causes désespérées, s’était découvert un nouvel horizon : Noor, une petite fille cachée qu’il avait eu d’une irakienne, aujourd’hui en France avec sa famille. On frappa à la porte, Gaston dit d’entrer, c’était le nouveau de la bande.

  • Qu’est-ce que tu veux ?
  • Il y a le chef qui vous demande.
  • Dis-lui que j’arrive.

Là-haut, Moscou observait le balais des navires manœuvrer autour du golfe. C’était inspirant comme tout ce qui avait pour lui l’air du grand large. Il avait toujours adoré voyager et pour ça l’armée l’avait beaucoup trimballé. D’un bout à l’autre de la Russie pour commencer puis au-delà quand il était rentré dans le privé. Et quoi de mieux qu’un petit séjour en mer avec des potes pour se dégager les poumons et se décrasser le ciboulot. Il allait lui falloir ça pour rentrer au pays. Rien de tel qu’une mission de « vacances » pour se remettre d’aplomb avant que les choses sérieuses commencent. Il avait perdu trop de temps à Londres, à picoler, s’amuser et surtout s’ennuyer. Il avait grossi. L’occasion de se reprendre en main était trop belle. A bâbord du navire on apercevait les pêcheurs rassemblés autour de leurs filets. La pêche n’était pas bonne, comme d’habitude et James Odona, son fichu rouge sur la tête, rentra chez lui ce jour-là plus frustré et furieux que d’habitude. A peine une douzaine de dorades dans son sac. Son village était situé à quelques centaines de mètres de la côte, sous les baobabs et les caoutchoucs bleus. Un rutilant 4×4 Toyota rouge pétard était garé à la lisière de l’entrée du village. Plus loin des gamins jouaient au foot au milieu des poules. Un jeune homme en tricot de peau jaunâtre décati par le soleil et le temps, accouru.

  • Boss ! Boss ! Faut que vous veniez y’a des nouvelles !
  • Qu’est-ce qui se passe ? Grincha James.
  • Y’a un bateau dans le nord qui bouche !
  • De quoi ?
  • Venez ! Insista le jeune homme.

Odona suivi le garçon jusqu’à une cabane en taule dans laquelle se tenait quatre hommes armés devant une télévision 16/9ème sur laquelle était diffusé les images d’un navire, mastodonte coincé à la manœuvre au large du caillou de Gibraltar. Les images étaient estampillées CNN.

  • C’est pour ça qui sont tous là ! Dit le jeune homme.
  • Qu’est-ce qu’on fait boss ? Demanda un des hommes.
  • On attaque ce soir, prévenez les autres.

La demi-lune dans le ciel était déjà haute quand Gaston, Moscou et Lebreton se glissèrent dans la coursive en direction de la réserve. Bob, qui avait compris que quelque chose se tramait, suivait, la queue en chandelle. La porte était fermée par un verrou et un cadenas à code. Mais alors que le mexicain était occupé ailleurs, Gaston lui avait piqué les clefs. Les deux sacs de galettes, quinze kilos chacun, étaient entassés dans le fond, sous les étagères à produit sec. Ils firent vite, Moscou attrapant un sac sur chaque épaule ils ressortirent en gloussant comme des gosses. Quand une écoutille s’ouvrit devant eux et qu’un des officiers de quart russe apparu avec sa gueule des mauvais jours.

  • Hey what’s happening here !?
  • Le chef veut qu’on balance les sacs, parait qu’y a des vers, improvisa Moscou en russe.
  • Pourquoi il vous demande ça à vous ?
  • Il a peur de contaminer l’équipage, ils préfèrent que ça soit nous.

L’officier de quart les examina les uns après les autres, qui affichaient le bon Dieu sans confession puis il dit en anglais.

  • Ouvrez moi ces sacs !
  • Pas question ils sont contaminés, insista Moscou toujours en russe.
  • Stop the bullshit, open the bag it’s an order !
  • Bon on fait quoi ? Demanda Gaston en français.
  • Il commence à nous casser les couilles ton copain, grogna Lebreton.
  • Ouais mais je peux quand même pas lui mettre une droite.
  • On pourrait foncer dans le tas, suggéra Gaston.
  • C’est une idée, répondit l’ex sergent-chef. T’es près Moscou ?
  • Scout toujours ! Brailla ce dernier en retour avant de balancer son sac dans l’estomac du gars et de le bousculer pour courir vers le pont, suivi de ses deux copains hilares.

Ils surgirent dans l’air marin, repoussés par le vent du large, une peine pour parvenir jusqu’au bastingage et larguer les sacs vite fait. Quand apparurent derrière eux, le russe avec un pistolet, et trois ouvriers philippins armés de clés à molette.

  • Eh doucement les gars c’est que des galettes, dit Gaston en levant les mains et en souriant.
  • Bande de voleurs ! Aboya le russe dans sa langue. On va vous apprendre nous à jeter les provisions de bord !

Ils se tenaient à l’arrière du porte-container. A l’avant, des silhouettes grimpaient sur les flancs du bateau, se hissant à la force des bras alors que le croissant dans le ciel s’ennuageait. Soudain le walkietalkie de Lebreton cracha.

  • Qu’est-ce qu’il y a petit, répondit ce dernier alors que les philippins et le russe les encerclaient.
  • Chef comment ça se passe ?
  • Bin disons que c’est pas le moment gamin.
  • Tu crois qu’il va arrêter de t’appeler chef quand ? Glissa Gaston se préparant déjà à la bagarre.
  • Quand il aura de nouveaux les cheveux longs, marmonna son copain.
  • Un pépin chef ? Demanda la voix de Nicolas dans l’appareil.

Il ne prit même pas la peine de répondre.

  • Bon les mecs, calmez-vous, c’est rien, on voulait juste changer de menu.
  • C’est pas à vous de décider ! Main en l’air ! Allé ouste, on va voir le capitaine !
  • Oh la, la grommela Moscou avant d’arracher vivement l’arme des mains du russe et de la balancer loin derrière son épaule.

Nicolas, derrière sa mitrailleuse lourde parlait toujours au walkietalkie, inquiet de ne pas recevoir de réponse.

  • Chef !? Chef !? Est-ce que tout va bien ? Che….

Le couteau ressorti de sa gorge, une fois, deux fois, avant que son cadavre ne s’effondre doucement sur l’arme. Le pirate repoussa le corps et braqua le canon vers le poste de pilotage tout en allumant le spot sur le côté. Puis il arma et appuya sur la détente presque aussi tôt. La salve rugit du canon avec une flamme longue et large, brisant les vitres de la cabine et déchirant le toit, puis le centre de commandement. Un des russes fut tué, le tableau de bord se mis à cracher des gerbes d’étincelles et partir en copeau.

  • Putain qu’est-ce qui se passe !? S’écria Lebreton.
  • You ! Don’t move ! Aboya quelqu’un au-dessus d’eux.

Un type d’une vingtaine d’année avec une Kalachnikov juché sur un des containers qui les tenait en joue. Gaston et les deux autres échangèrent un regard et déjà d’autres pirates débarquaient de partout, armés, coutelas, AK47, AR15, RPG, machettes…une petite armée.

Le chef de chantier du porte-container venait d’avoir une fille quand ce dernier fut achevé. Naturellement il le baptisa du nom de celle-ci et même, quand elle eut six ans, lui offrit une application sur son ordinateur pour qu’elle puisse suivre la progression du porte-container à travers le monde. Mais en ce jour le point rouge qui symbolisait l’Isabel vibrionnait quelque part au large des côtes nigérianes. La petite fille se demanda pourquoi, elle alla voir son père et lui posa la question.

  • Peut-être une avarie, expliqua le père sans plus s’émouvoir.

Ailleurs en revanche, dans les Bermudes, le vice-directeur d’un fonds de pension australo-américain venait de recevoir un coup de fil inquiétant de ses bureaux de Londres, l’Isabel ne répondait plus. Si le navire appartenait à une compagnie française, la marchandise et son fret était garanti par ce fonds de pension qui gérait à dire vrai des centaines d’autres navire, mais dans la terrible concurrence auquel se livrait marchands et financiers, un seul retard pouvait générer des millions de dollars de perte et dans le contexte du krach boursier et de l’inflation galopante, ce retard ci n’était pas à prendre à la légère. Aussi pendant que les uns tentaient de contacter le navire, le vice-directeur ouvrait son ordinateur portable et observait la carte en temps réel des frets de sa compagnie à travers le monde. L’Isabel se trouvait donc au large du Nigéria et ça lui fit des maux d’estomac. Ils avaient déjà fait les frais du piratage, trois fois cette année, en Mer de Chine, dans le golfe d’Aden, en Guinée, ça avait couté cher à sa compagnie, il n’avait pas envie que ça recommence, mais peut-être que ce n‘était qu’une avarie. Il appela son assistant à Londres et se renseigna sur le navire. De quand datait la dernière inspection ? Est-ce que l’équipage avait déjà effectué sa rotation, qui assurait pour les français, est-ce que le bâtiment était protégé ? Etc…

  • Centurion monsieur, c’est une compagnie française.
  • Jamais entendu parler. Faites des recherches.

Après quoi il appela directement la CMA CGM, est-ce qu’ils avaient des nouvelles de son navire, mais rien depuis bientôt six heures. Il ouvrit une fenêtre sur son ordinateur et se brancha sur CNN. Le vraquier en difficulté en face de Gibraltar tentait toujours de se dégager du détroit, et c’était en train de provoquer un embouteillage maritime mondial. Ca non plus ça n’allait pas aider aux affaires, comme si toutes les planètes s’alignaient contre le capitalisme dans une même année. La guerre en Ukraine, le dévissage de la Silicone Valley Bank, l’inflation, et maintenant ça. Alors non il n’était pas près pour des pirates. Pourtant à minuit heure locale, il recevait un nouveau coup de fil de son assistant à Londres. Un gang qui se faisait appeler les Diables du Golfe venait de contacter les français, l’Isabel était officiellement sous leur contrôle, ils réclamaient dix millions de dollars.  Le vice-directeur fit ses bagages dans la foulée, les vacances étaient terminées. La réunion extraordinaire se tint le lendemain au sommet d’une des tours de la City, en visioconférence avec l’Australie et New York.  N’étaient présent que des membres du staff exécutif, la réunion placée sous le sceau de la confidentialité la plus absolue.

  • Qu’est-ce qu’on a sur eux ? Demanda le CEO depuis le siège new-yorkais.

L’un des participants ouvrit le dossier qu’il avait avec lui.

  • Les Diables du Golfe, constitué aux alentours du début des années 2000, actuellement dirigés par James « Demon » Odona, trente cinq ans, père de famille, trois enfants, deux épouses. L’organisation serait proche de Boko Haram.
  • Des terroristes ? S’exclama le CEO derrière son écran.
  • C’est une rumeur.
  • Est-ce qu’on a déjà tenté de négocier avec eux par le passé ? Dit le vice-président.
  • Pas à ma connaissance mais nous avons quelques contacts à Lagos, ils pourraient peut-être intervenir.
  • Nous ne négocions pas avec les terroristes, coupa l’américain.

On échangea des regards entendu, tout le monde connaissait les positions républicaines du CEO  et sur le sujet elles n’avaient pas variés depuis Ronald Reagan.

  • Monsieur si je puis me permettre, commença un des exécutifs
  • Nous ne négocions pas avec les terroristes, un point c’est tout, déclara à nouveau le directeur.
  • En ce cas que préconisons nous ?
  • A hauteur à combien est assurée la cargaison ?

Un exécutif se plongea dans un de ses tableaux Excel

  • Actuellement une journée complète d’arrêt nous coûte un million jour.
  • Et si nous abandonnions marchandise et personnel combien ça nous couterait ?

Nouveau regard entendu autour de la table.

  • Une publicité déplorable et plusieurs dizaines de millions de dédommagements pour le personnel et leur famille, sans compter nos clients, déclara le chef du bureau exécutif.
  • En ce cas nous devons intervenir, décida le CEO, il faut contacter Willis.
  • Willis est cher.
  • Moins cher que ce que va nous coûter cette affaire si nous n’agissons pas.
  • Très bien, comme vous voulez, dit l’un des exécutifs en appuyant sur l’écran de son portable, envoyer un SMS à sa secrétaire au sujet du fameux Willis.

La secrétaire en question, une jeune immigrée espagnole du nom de Melinda décrocha à son tour son téléphone et passa deux coups de fil, un en ville, un autre en Afrique du Sud, dans la région du Cap. Deux coups de fil d’égal importance. Le premier s’adressait à une de ses amies, l’autre au bureau de Mike Willis. L’amie en question était également secrétaire dans une importante entreprise financière, tandis que Mike Willis était un ancien officier britannique du Spécial Air Service, installé en Afrique où il dirigeait une société militaire privée. La plupart de son encadrement était composé d’ancien d’Executive Outcome, connu pour avoir fait cesser la guerre au Sierra Léone dans les années 90. Les cheveux longs et blonds retenus par un catogan, bronzé, athlétique, Willis ne faisait pas ses cinquante ans. Il ressemblait à dire vrai à un moniteur de surf en treillis de combat. Quand il reçut le coup de fil il était sur le pas de tir derrière sa propriété et était en train de diriger une séance d’entrainement.

  • Je vous écoute, oui, oui, très bien, parfait, je vais constituer une équipe.

La secrétaire N° 2, l’amie de Mélinda, entra dans le bureau de son patron et déposa une note devant lui. Qu’il prit, lu, tout en téléphonant lui-même. La réunion de Londres se termina rapidement considérant l’urgence de la situation. Mais tout le monde n’était pas d’accord avec les décisions du CEO et le refus de négocier. Le vice-président notamment.

  • Contactez les français, demandez leur ce qu’ils comptent faire, dit-il à son assistant.

En France, la nouvelle avait également fait l’objet d’une réunion de crise. Réunion à laquelle participait Philippe de La Salle, président directeur de Centurion.

  • Voici tout ce que nous savons pour le moment, déclara celui-ci à une assistance préoccupée. L’Isabel a été pris d’assaut par un nombre indéterminé d’individus se faisant appeler les Diables du Golfe. Mais d’après nos renseignement les Diables du Golfe seraient un des principaux groupes armés sur cette partie de la côte, comptant un maximum de trois cent hommes, dirigé par James « Demon » Odona. Nous savons également qu’il y a eu deux tués et six blessés durant l’attaque. Maintenant les pirates nous ont envoyés une vidéo, regardons là je vous prie.

Le film avait été fait en plein jour, par une matinée grisâtre. On y voyait ce qui restait du poste de commandement, puis des pirates disposés à différents endroits du bateau. L’équipage au complet avait été rassemblé dans la soute au milieu des containers, vingt-trois hommes en comptant ceux de Centurion, tous ensemble sous la garde de quatre hommes lourdement armés. La vidéo terminée de La Salle continua ses présentations.

  • Messieurs, trois options s’offre à nous, négocier, faire intervenir l’état et nos forces armées, ou compter sur celles de mon groupe.

A dire vrai de La Salle ne représentait pas un groupe mais une simple SARL au siège social à Jersey mais il aimait bien se payer de mots.

  • La marchandise et sa livraison a été garantie par KRB Group, si nous voulons intervenir il nous faudra leur accord, expliqua un des cadres d’Axa.
  • Et si nous acceptons de négocier ?
  • Alors j’ai un nom, Ravaillac, Antoine Ravaillac, il connait l’Afrique, il a de nombreux contact là-bas, dit un autre.

De La Salle leva des yeux contrariés sur son vis-à-vis. Il connaissait l’ancien officier du 13ème RDP dont lui-même était issu, il ne l’avait jamais apprécié. Ni dans le civil, ni quand ils servaient tous les deux. Et puis c’était ses hommes qui étaient là-bas à risquer leur vie, alors il comptait bien activer ses propres contacts et ce avant que Ravaillac ait mit son nez dedans. Puis la compagnie de fret reçu un coup de fil du ministère de l’intérieur français lui ordonnant de ne rien faire, qu’une intervention militaire était déjà envisagée. Ainsi en l’espace de vingt-quatre heures, deux opérations de sauvetage se préparaient pendant qu’au même moment divers acteurs passaient des coups de fil et proposaient des rendez-vous urgents où déjà des valises de billets se préparaient à passer de mains en mains. Commission, rétrocommission, rançon renégociée, pot-de-vin. La nouvelle de la prise d’otage ne fut pas rendu publique, et toutes les caméras étaient tournée sur le vraquier pendant que les experts médiatiques tentaient de rassurer le public sur la catastrophe en route à la bourse. Puis le navire à Gibraltar fini par être secouru et dès lors l’actualité reprit son cours normal. Entre temps trois jours s’étaient passés et à bord on commençait déjà trouver le temps long.

  • Alors ?
  • Alors c’est terminé, le fret va reprendre normalement, répondit l’homme devant l’écran de télé géant tout l’éteignant à l’aide de sa télécommande.
  • Tu veux vraiment qu’on agisse ?
  • Nous avons des échéances, et je ne veux que les médias s’intéressent à ce bateau.
  • Je préviens Claudio en ce cas.

L’homme traversa le patio de l’hacienda avant de pénétrer dans un bureau rococo et de s’emparer d’un smartphone. Le message, cryptés, passa par Telegram faisant vibrer un autre smartphone en Calabre. Il disait en substance : intervenir d’urgence pour Isabelle. Le dénommé Claudio, qui travaillait pour le compte d’une famille de la N’dranghetta expédia à son tour un message également crypté à son contact à Nice qui lui-même grogna une insulte en russe quand il lu ce que lui demandaient ses partenaires en affaire.

  • Kolia, dit l’homme à son chauffeur et garde du corps, appelle Berlin dit à John le Boucher que je veux lui parler.

Dix minutes plus tard John Chukwu, un homme d’une soixantaine d’année, large d’épaule, le crâne lisse et vêtu d’un couteux costume sur mesure violet, reposa son cigare et son verre de scotch et pris le téléphone qu’on lui tendait.

  • Vous m’excusez ma chère, les affaires, sourit-il à la jeune femme face à lui.

Cette dernière lui rendit son sourire avant de se lever, immédiatement accueilli par un des assistants de Chukwu.

  • Andreï veut me parler en personne ? Dis-lui que je prends le premier avion bien entendu.

En fait de premier avion, Chukwu alias le Boucher, chef incontesté des Black Axes, mafia nigériane implantée en Europe, possédait son propre jet privé qui en trois heures le conduisit à l’aéroport de Nice où l’attendait un barbu de taille moyenne et large d’épaule, Kolia. Après quoi ce dernier le conduisit à son maitre.

  • Nous avons un problème, expliqua Andreï Kazatchisky tout en buvant son thé par petite lampée. Ses yeux bleu porcelaine fixant avec intensité son interlocuteur. Il y a un bateau coincé au large de ton pays. L’Isabel. Des bandits se sont emparés du navire, ils se font appeler les Diables du Golfe. Tu as déjà entendu parler d’eux ?
  • Non mais mes amis peut-être.
  • Ces gens ne m’ont pas l’air très honorables ou raisonnables, il faudrait agir vite, et récupérer de la marchandise sur place.
  • Beaucoup ?
  • Quatre tonnes. Nous ne voulons pas prendre le risque qu’une intervention des autorités mette en danger l’expédition.
  • Ecoute j’ai quelqu’un là-bas, c’est un spécialiste, il va régler ça.

Et ainsi, pendant que le monde des affaires et de la politique s’empressait de son côté, un homme allongé sur un canapé en cuir blanc répondait à son tour au téléphone. On lui avait donné un surnom, Skolombo, Sorcier, parce qu’on disait qu’il pratiquait la magie noire. Qu’avant de tuer ses victimes physiquement il les torturait spirituellement. Il écouta ses instructions sans un mot et raccrocha, il savait ce qui lui restait à faire. Ravaillac lui n’était pas à proprement parler sorcier ou magicien mais certaine de ses relations avaient heure de croire le contraire. Il avait déjà aidé à la libération d’otages français au Mali, en Syrie, au Niger, il aurait pu même en faire une spécialité si créer sa propre entreprise ne l’avait jamais intéressé. Au lieu de ça il préférait travailler seul et en contact direct avec ses interlocuteurs, raison pour laquelle il débarqua à Lagos en milieu de semaine et retrouva une de ses relations sur place dans un pub.

  • Ca va être compliqué.
  • Pourquoi ?
  • Les gens de la côte, ce sont des sauvages, ils ne respectent pas nos accords et se fiche de nos alliances.
  • Ecoute, arrange-toi quand même, je ferais avec.
  • Tu travailles pour qui ?
  • Pas notre gouvernement si c’est ça la question.
  • Un américain a débarqué en ville, lui aussi il veut négocier. Il n’est pas venu seul.
  • Qui l’a mandaté ?
  • Je ne sais pas mais je peux me renseigner.
  • Oui fait ça, je serais au Hilton, chambre 406.

A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche, depuis quatre jours. A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche, sans rien dans le ventre, ni eau, ni nourriture. Quatre jours. Deux philippins tombèrent dans les vapes, leurs géôliers les en sortirent à coup de trique. Et maintenant ils étaient en train de crever lentement, les os brisés, les plaies béantes. A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche. Et les pieds gargantuesques de Moscou qui touchaient ceux de Gaston. Il tapotait discrètement de la plante des pieds, ti-tap, ti-tap, morse plantaire.

  • J’en ai marre mec.
  • J’ai la dalle.
  • J’ai soif.
  • Moi aussi.

Quatre jours d’impuissance sous la garde de gamins à peine majeur et de leurs AK usagés. Et de temps en temps Démon qui descendait dans la calle leur faire un discours.

  • Vous n’êtes rien ! De La merde ! Vous croyez que j’en ai quelque chose à foutre de vous ? Vous ne valez rien, votre compagnie s’en fout de vous, ce qu’ils veulent c’est le bateau et la marchandise, alors je peux vous tuer quand je veux. Qui veux mourir aujourd’hui !?

Mais Démon se contentait d’hurler et repartait en les menaçant des pires tortures si jamais ils essayaient quoique ce soit. Et puis quelqu’un osa. Crachant son bâillon le quatrième jour à force de la mâchonner comme un chien de combat.

  • Si tu nous donnais au moins à boire on pourrait pas tous crever en même temps. Ça va t’avancer à quoi d’avoir vingt sept cadavres à balancer à la mer ?

Et évidement c’était Francis. Gaston leva les yeux au ciel, Moscou sourit sous son bâillon, Démon se retourna et s’approcha du coupable.

  • Dis moi sale blanc tu sais combien de temps mes aïeux attendaient pour boire quand on les emmenait comme esclave pour les plantations de tes ancêtres ?
  • J’ai pas de plantation.
  • DES SEMAINES !
  • Tu sites un chiffre au hasard ou t’en sais rien ?

Démon le considéra quelques secondes, incrédule, avant d’éclater de rire, sitôt imité par ses hommes.

  • Tu veux que je te coupe une oreille ? Ou mieux, la langue sale blanc insolent ?
  • A quoi ça te servirait ? Question bénéfice risque c’est pas bézef.
  • Risque ?
  • Viendez si tu l’oses, l’essayer c’est l’adopter, ricana Lebreton.

Démon n’était pas un psychopathe et même un garçon intelligent, malin assez pour garder la main sur sa bande depuis cinq ans. D’abord simple soldat à caporal, sergent puis bras droit du chef avant sa mort tragique. Tué par les militaires. Toutefois assez vicieux pour assoir son autorité sur plusieurs centaines de jeunes assassins. Camés jusqu’aux yeux pour certain, et ce en dépit de ses ordres strict à ce sujet.

  • Tenez-le ! Ordonna-t-il dans sa langue.

Deux hommes se jetèrent sur le mercenaire l’un lui tenant la tête en arrière par les cheveux, l’autre lui tordant les bras, un pied sur son mollet alors que s’approchait le couteau,. L’erreur qu’il ne faut pas faire. Il décroisa les doigts, saisi le poignet qui l’attirait en arrière, et tira de toute ses forces. Il y eu un craquement, le type poussa un cri, le temps d’en profiter pour faire basculer l’autre par-dessus son épaule. Démon évita le corps qu’on projetait sur lui et se jeta sur le français. Renversant Lebreton ankylosé jusqu’aux hanches. Odona lui planta son genou sur la gorge, s’apprêtant à lui tailler un bout de viande quand un de ses lieutenants pénétra dans la cale.

  • Boss, y’a un appel de Lagos, c’est important, venez.

Démon arrêta son geste.

  • Tu as de la chance on dirait aujourd’hui…. Donnez-leur de l’eau !
  • Mais boss… dit un des gardes.
  • C’est un ordre !

Laissant un Lebreton étourdi, il suivi son subalterne sur le pont avant. Un autre de ses lieutenants tenait un smartphone et à la tête qu’il faisait il était terrorisé.

  • Qu’est-ce qui se passe !? Qu’est-ce que t’as !? S’écria Démon surpris, ce lieutenant là n’avait pas réputation de craindre grand-chose.

Mais deux pas de plus et la peur s’insinuaient à son tour dans sa colonne vertébrale, comme un serpent de glace. A l’écran un homme masqué en costume. Masque traditionnel fabriqué de bois, de fer, d’os, de plume de vautour et d’un rang de cauris jaunâtres qui ne laissait paraitre que le bas de la mâchoire de son propriétaire. Pour le reste il portait un sobre costume noir sur une chemise noire. En fond sonore, probablement sorti d’une bande son d’un film nigérian, les tambours de la sorcellerie. L’homme masqué ne dit rien et il comprit qu’on leur diffusait une vidéo en direct quand le mot « warning » en rouge se mit à clignoter sur l’écran. Puis la phrase suivante alors que le caméraman dézoomait ; « this is just the beginning ». Plan moyen, le sorcier avait la main équipée de griffes d’acier. Quatre griffes retenues par un bracelet de cuir. A genoux devant lui se tient un adolescent qu’il empoigna. Odona reconnu aussi tôt son fils ainé qui faisait des études à la capital. D’un coup le sorcier planta les griffes dans le visage du jeune homme et tira lentement. Les hurlements aigus de la victime envahirent le pont. La peau du front vint en lambeau, dévoilant une partie de l’occiput. James Odona avait les yeux vitreux de douleur et de terreur, et de rage. Il se mit à son tour à hurler alors que le supplice à l’écran continuait. Puis à pleurer à grosses gouttes et quand enfin, après avoir détruit le visage de sa descendance, il s’attaqué à sa gorge, Odona se mit à insulter et menacer le sorcier.

  • Mes gris-gris sont plus puissants, mon sorcier est plus puissant que toi, je vais te trouver fils de pute ! Et je vais manger ton cœur !

Le sang gicla sur la caméra d’un seul jet bouillonnant, la communication se termina aussi tôt.

Celui qu’on surnommait Skolombo ou aussi Mille Morts s’appelait en réalité Ali Yusuf et faisait profession de tueur à gage depuis une quinzaine d’années. Il avait commencé poussé par la nécessité et avait très rapidement démontré de talents certains dans ce domaine. Maintenant de savoir qui de la poule et de l’œuf l’avait amené à la magie noire, il n’aurait su complètement le dire. Son père était issu d’une longue lignée de sorcier, et sa mère avait soi-disant des ancêtres pygmées. Ces êtres qui dans le centre de l’Afrique passaient pour magique. Mais c’était surtout le pouvoir que ça lui procurait sur ses victimes qui l’avait attiré. Autant que ses propres superstitions au sujet des nombreux crimes dont il s’était rendu coupable. Sortant une poupée de tissu des plis d’un sac en cuir, il prit un lambeau de peau du visage du fils d’Odona et en couvrit la tête en le maintenant avec une épingle à tête rouge. Puis il le marqua avec la flaque de sang et d’urine au pied de sa victime, tout en marmonnant des incantations dans une langue secrète sous-dialecte d’Igbo. L’âme tourmentée du fils maudirait celle du père dans ses rêves devenu cauchemar et ainsi il deviendrait un Sans Sommeil. Le caméraman qui l’avait assisté portait lui-même un masque. Il rangea son appareil, sortit un poignard de chasse de sous sa veste et entreprit de décapiter la dépouille. La tête serait ensuite traitée pour être réduite et irait rejoindre l’autel des Morts. Il n’était pas le seul à pratiquer la sorcellerie dans le monde interlope qui était le sien. La pratique était couramment utilisé pour obliger les filles à se prostituer en Europe. Mais si on lui avait demandé son avis, il aurait renvoyé par le mépris ces jeteurs de sort là, leur juju ne s’appuyait que sur des superstitions, le sien marchait réellement. Mais la vie est un cycle et ce que l’on fait aux autres vous revient tôt ou tard dans la figure. Il le pensait du moins et redoutait le moment où à son tour il passerait de vie à trépas.

  • Bonjour ma sœur.
  • Bonjour Ali.
  • Comment vont les enfants aujourd’hui ?
  • Bien, la petite Ada est sortie d’affaire et Michael a eu son diplôme de conduite.
  • Oh bien ! Et vous-même comment allez-vous ?
  • A merveille grâce à Dieu.
  • Tenez c’est pour l’orphelinat, ajouta-t-il en lui offrant une enveloppe épaisse comme un dictionnaire.

Elle ouvrit l’enveloppe, des billets usagés en liasses, trois millions de nairas. La somme hebdomadaire.

  • Tu donnes trop et toi ?
  • Ai-je l’air d’un homme dans le besoin ?

La sœur sourit.

  • Tu es un ange tombé du ciel.

La définition même de Satan dans la cosmogonie chrétienne, l’Ange Déchu. Il perdu son propre sourire. Il n’aimait pas penser à son travail quand il était ici. Mais ne fit aucun commentaire.

  • Allons voir les enfants, lui proposa-t-elle.

Ravaillac se leva avec une gueule de bois magistrale. La veille il avait passé la soirée avec un de ses contacts locaux. Ce dernier lui avait fait faire faire la tournée des coins où les gros voyous du pays aimaient se faire voir. Chercher qui parmi ces messieurs et parfois ces dames avait un contact privilégié avec les Diables. Finalement il avait trouvé ce qu’ils cherchaient dans une boite de nuit baptisée l’Apollo. Après avoir éclusé bières sur bières et sniffer du brown-brown. Le gars en question se faisait appeler Marcus Downtown et travaillait dans le trafic d’armes et de drogues. Métamphétamine et cocaïne, beaucoup de succès sur le front nord contre ou pour Boko Haram. C’était la chaleur qui l’avait réveillé. Le large pan de soleil qui peignait son lit d’une lumière crue. Nu comme un vers il tira les stores, mit ses lunettes noires, et alla sous la douche. Contre cinq millions de nairas, le gars lui avait promit qu’il prendrait contact. Il n’avait plus qu’à patienter. Quand il sorti de la douche, il s’aperçu que la porte d’entrée était entre-ouverte et remarqua immédiatement la disparition de son téléphone portable sur la table du salon. Il sorti en trombe de l’appartement, le temps d’apercevoir le voleur qui s’enfuyait. Toujours nu, il parti à sa poursuite. Le type poussa la porte de secours et s’engouffra dans les escaliers. Sautant quatre par quatre les marches, il s’engouffra à l’étage suivant, courant jusqu’aux ascenseurs et disparaissant à l’intérieur alors qu’il déboulait au milieu des touristes américains.

  • Where is the little fuck !? Hurla-t-il.

Effrayés, les autres lui désignèrent les ascenseurs. Sans se démoraliser Ravaillac reparti à la poursuite du voleur. Une minute plus tard il traversait un hall encombré avant de surgir dans la rue, apercevant son voleur qui détalait vers le parc en face de l’hôtel. Nu ou pas, il ne lâcherait d’autant pas l’affaire que ce téléphone était son principal outil de travail ici. Et puis la chance se présenta au hasard d’un cocotier que quelques singes avaient prit d’assaut. Des noix étaient par terre. Il en saisi une et de toute ses forces visa le dos du voleur. La noix le percuta juste derrière le crâne. Il roula par terre, et tenta de se relever presque immédiatement, groggy. Mais à ce stade le français l’avait déjà rattrapé. Il se jeta sur lui et le frappa une première fois à la mâchoire avant de déchirer ses poches et de récupérer son appareil. Pile au même moment où des policiers sautaient de leur voiture pour aller à sa rencontre. Il essaya bien de s’expliquer, qu’il était sous la douche quand c’était arrivé, ils l’arrêtèrent pour outrage et exhibition avant de relâcher le voleur et de lui confisquer son téléphone. Le monde à l’envers. Vingt-quatre heures plus tard, après avoir fait des pieds et des mains pour obtenir un avocat, il était relâché contre une caution de deux cent milles nairas, quatre cent euros. Mais quand il retourna à l’hôtel ce fut pour s’apercevoir de la disparition de son ordinateur. Il s’était fait avoir comme un bleu. Et ainsi pendant que le français était mis sur la touche, d’autres prenaient contact avec ses propres contacts, et les valises de billets se mirent à valser de mains en mains.  La valse des intermédiaires qui finalement pris fin quand les nouveaux amis des américains prirent enfin contact avec le bateau. Le vice-directeur du groupe australo-américain était satisfait, ses hommes avaient bien fait leur travail, et tout aurait dû normalement se passer, contre une rançon de dix millions de dollars, si entre temps James Odona n’avait pas croisé la route d’un certain sorcier.

  • On a trop attendu ! C’est vingt millions ! Vous avez deux jours ! Si jamais on n’a pas notre argent dans deux jours, je tuerais un otage tous les jours jusqu’à ce que nous ayons l’argent !

L’option Willis reçut dès lors le feu vert.

Pendant qu’à Paris on se tâtait toujours sur l’opportunité politique d’une opération armée, que Ravaillac essayait de retrouver son dernier contact, et que James Odana faisait des cauchemars dans son hamac, Pendant que des valises d’argent liquide passaient de mains en mains, le sort des otages s’était vaguement amélioré. Un peu d’eau et du riz pour tenir. Ca leur avait redonné des forces, et pour ce qui s’agit des mercenaires, de la suite dans les idées. Pendant que Lebreton cherchait discrètement du regard comment atteindre le garde le plus proche sans se faire trouer, Gaston et Moscou en faisaient de même tout en communiquant discrètement.

  • Je prends celui de droite.
  • Il est plus près de moi, prends l’autre.
  • T’es moins rapide que moi, laisse-le-moi.

Moscou soupira, sa taille, son poids, l’encombrait trop souvent et Gaston avait raison, comparé à lui c’était un cobra. Mais était-ce une raison de ne pas tenter son truc à lui ?

  • Hey droug faut que je chie ! Lança le géant à l’adresse d’un des gardes.
  • Chie sur toi, rétorqua ce dernier.
  • Hein ? Va te faire foutre ! Je suis propre moi, commença Moscou en se dépliant lentement, attirant immédiatement l’attention des six hommes qui les gardaient.
  • Reste assis ! Bouge pas !
  • J’ai envie de chier je te dis !
  • Assis ! Ou t’aura plus jamais envie d’chier ! Hurla le pirate en épaulant son AR15

Les autres s’étaient rapprochés, tous prêt à faire feu sur le géant. Et puis soudain l’un d’eux eu la brillante idée de sortir une machette. De la brandir et d’attaquer Lebreton.

  • Sale blanc on va vous apprendre !

Lebreton se saisi du bras armé, le cassa en deux, fit valser son adversaire par-dessus son épaule avant de se jeter sur le premier garde à sa portée. Alors tout se passa très vite. Balayette de Gaston qui fit tomber le pirate et son AK47, Moscou qui déviait le canon de l’AR15 avant de repousser violement son propriétaire du torse et lui arracher l’arme. En deux minutes trois gardes étaient maitrisés et les trois autres tenaient en joue les contractants qui leur rendaient la pareille. Mexican Stand Off, comme disait les cinéastes, suspension d’incrédulité, répondaient les spectateurs. Personne dans l’instant ne veut tirer mais tout le monde a le doigt sur la queue de détente. Les regards se croisèrent, l’un avait clairement peur de mourir et ça se lisait, un autre avait la mort dans la bouche et l’œil, le troisième attendait comme un chasseur. Lebreton abattu le second donnant le signal du massacre. Chacun trois balles, deux dans le sternum une dans le crâne. Une méthode inventée au Mozambique par un mercenaire rhodésien. Efficace mais pas sans conséquence. En quelque minutes toute la meute était sur place, Démon Odona en tête, gris comme la mort et machette à la main. Mais les coupables avaient disparus dans les soutes immenses du navire avec le capitaine et quelques hommes d’équipages. Fou de rage, de chagrin et des cauchemars encore plein la tête, Odona réduisit en pièce un des népalais sous le regard horrifié de tous les autres.

  • OU SONT-ILS !? Hurla Démon.
  • J… je… je …. Vous… ju…jure… pa… patr.. j’sais pas ! Couina un philippin dans un anglais malhabile.

Et vlan ! Sa tête qui sautait. Mais entre temps il avait lancé ses hommes à leur recherche, alors quand des coups de feu éclatèrent dans le niveau du dessous, la bande su où chercher. Et elle le savait d’autant qu’elle s’était procuré les plans du bateau à bord. Là étaient entreposés des pièces auto en provenance du Japon. Un groupe se lança à leur poursuite.

  • Je les veux vivants ! Aboya Odona alors qu’ils s’engouffraient par les escaliers vers l’étage inférieur.

Ils ne furent bientôt plus que huit encerclant les otages, bardés d’armes et de munitions. Certain torse nu, d’autres avec des gilets de combat, tous portant le fichu rouge du clan. Puis il sorti de l’ombre et se saisi d’Odona par derrière, une machette sur sa gorge.

  • Tu voulais me voir ?

Lebreton, était resté en arrière à l’insu de presque tout le monde, attendant son moment et espérant que personne ne repère sa présence dans la grue qui les dominait tous. Feutré comme un chat, entrainé par des années à faire la guerre il s’était insinué au plus près de l’ennemi sans que l’autre ne sente même sa présence. Est-ce qu’il aurait pu intervenir avant qu’il ne massacre le népalais ? Il avait convenu avec Gaston d’un temps d’action, il s’y était tenu. Serrant les dents et détournant les yeux en essayant d’ignorer les hurlements.

  • Lâchez vos armes et y garde sa tête.
  • Lâche-le ou on les tue ! Hurla un des hommes en retournant son fusil d’assaut vers les otages.
  • Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Ils ont pas voulu nous suivre tant pis pour leur gueule.
  • Boss qu’est-ce qu’on fait ?
  • TUEZ-LE ! TUEZ-LE ! hurla l’intéressé à son tour

Mais plus facile à dire qu’à faire quand son chef bien aimé se trouvait dans la ligne de tir. Finalement ils cédèrent tous les sept, sept gamin désemparés qu’on désarma sans difficulté et sous les insultes de Démon.

  • Mais ferme un peu ta gueule, gronda le français en lui collant une droite derrière l’oreille.

Démon plia sous le coup.

  • Appelle les autres maintenant.
  • Va te faire foutre.

Cette fois pas de quartier, coup de pied derrière le genou, coup de poing à la mâchoire, coup de poing dans le côtes. L’autre s’effondre essouffler, effrayé par la force qui vient de le frapper.

  • Depuis quand je te demande ton avis ?

Trois heures plus tard le navire était libéré par l’équipage sous le commandement des mercenaires français, et les pirates mis sous clef. La nouvelle parvint simultanément à Paris, Londres et New York sous le couvert discret du secret des affaires. Mais Mike Willis et son équipe étaient déjà en route et n’avait aucunement envie de se faire voler la vedette par une bande de bras cassés de français. Aussi débarquèrent-ils de nuit par voie de zodiac, comme si le navire n’avaient pas déjà été libéré. Une attaque commando dans les règles de l’art. Qui vit la mort de deux autres philippins qu’on prit dans l’obscurité pour des pirates. Croyant que ceux-ci avaient reçu du renfort, Moscou et Lebreton ripostèrent, s’engagea alors une courte fusillade entre l’équipage et le commando. Jusqu’à ce que Gaston mette tout le monde d’accord derrière son fusil de précision. Reconnaissant la chevelure du légendaire mercenaire sous la lune.

  • Mike ? Mike Wills ?

Il attrapa son walkietalkie et lança son appel.

  • Arrêtez de tirer bordel, ils sont des nôtres !
  • De quoi !? Jappa l’ancien sergent-chef en retour.
  • C’est Willis, Mike ! On se connait !

Quelques minutes plus tard tout était rentré dans l’ordre même on comptait deux morts supplémentaires et six blessés. On était en train de les conduire dans le réfectoire, l’infirmerie déjà remplie des plus atteints. Le capitaine Khan s’approcha de Lebreton regardant son cuistot sur un brancard de fortune.

  • On va manquer de soin
  • Vous inquiétez pas, ils ont dû venir avec ce qu’il fallait. Dites moi plutôt si on peut repartir.
  • On a regardé, faudra sans doute une dizaine de jours avant que le poste de commandement soit opérationnel.
  • Alors il faudra probablement évacué, que la compagnie d’assurance se démerde.
  • Non, je refuse d’abandonner l’Isabel !
  • Comme vous voulez mais moi et mes hommes on va se tirer avec tous les blessés qu’on pourra.
  • Ca me convient.

Sur le pont avant, alors que le jour se levait, rose et rouge comme une confusion sur un visage d’enfant, Gaston et Willis se tombaient dans les bras.

  • Angelini !
  • Mike !
  • Tu veux me dire ce que vous foutez là ?
  • Bah on protège le navire.
  • C’est réussi on dirait, rigola le mercenaire britannique.
  • Oh ça va, ils nous on eu par surprise et un de hommes est mort.
  • Désolé de l’apprendre. On l’enterrera avec les honneurs.

La masse de Moscou projeta une ombre sur Willis.

  • Avec vos conneries on a trop de blessés, vous comptiez nous évacuer comment ?
  • Par bateau, une navette à un mile au large, on va les contacter. Caporal ! Lança Willis à l’adresse d’un de ses hommes…. Tout juste avant que son front ne se soulève en silence et qu’une gerbe de sang et de matière grise gicle sur le russe.

Skolombo, l’assassin sorcier avait reçu des ordres depuis Berlin. Une équipe des forces spéciales nigériane devait aller récupérer la marchandise, le sorcier ferait parti de l’équipage et commanderait l’opération. L’hélicoptère surgit à contrejour, mitraillant aussitôt le pont. Gaston et Moscou s’égayèrent comme des souris devant un millier de chats tandis qu’une partie de l’équipe de Willis était décimé sur place. Puis surgit un autre hélico devant le pont ,arrière et mitrailla à son tour sur tout ceux qui se trouvaient là. Les balles de 20 millimètres et de 7,62 OTAN, traversaient l’acier des containers, et du bateau, ravageaient trois malheureux en route vers l’infirmerie et deux autres hommes à Willis. De la fumée commença à monter des soutes où une traçante avait déclaré un incendie mineur. Skolombo avait reçu des ordres, des ordres qu’il aurait préféré ignorer mais après tout c’était son métier. Et à moins d’y renoncer et de renoncer par la même au luxe et à l’argent que ça lui procurait, il devait obéir à ses employeurs. Et ses ordres se résumaient en trois mots : tuez-les tous. Après la fusillade, des cordes furent jetées dans le vide, des hommes cagoulés s’y glissant pour atterrir sur les deux ponts et d’investir le navire. Des individus entrainés par les forces spéciales britanniques, affutés, efficaces et sans morale. Khan et Lebreton étaient toujours dans le réfectoire quand surgirent deux cagoules à chaque coin de la pièce qui firent feu aussi tôt. Khan s’en prit trois dans l’abdomen et une dans la poitrine, Lebreton roula sur le sol tout en tirant à l’aveugle. Prit une balle dans le gras de l’épaule et une autre dans le pied avant de tuer une des assaillants. Précipitamment il se glissa sur un lit de fortune, une table, alors que d’autres s’approchaient en abattant systématiquement les blessés. Il vit des rangers à portée de tir, les fusilla avant de se soulever, renverser le gars blessés sur la table et de tirer une longue rafale transversale avant de s’enfuir en boitant. Sur le pont avant Moscou avait déjà étranglé deux hommes entre deux containers, mais ils étaient trop nombreux. Et il allait falloir trouver une autre solution. Un léger rébus, jusqu’à ce que sa troisième victime soit porteuse de grenades à fragmentation. Gaston courait, poursuivi par les tueurs, et il pensait à sa fille. Il courait à travers les coursives, les projectiles ricochant autour de lui avec des gerbes d’étincelles et des bruits sinistres de frelons d’acier furieux. Et pour la première fois de sa vie il était terrorisé. Il s’était pourtant battu au Kurdistan, en Iraq, en Afghanistan, en Bosnie, en Birmanie, spécialisation tireur d’élite, mais jusqu’ici tout ce qu’il avait eu à perdre c’était la vie. Or quand on est le soldat des grandes causes, ce n’est pas grand-chose comparé à la dites cause. Aujourd’hui il y avait Noor et sa mère.  Aujourd’hui il s’était trouvé sa cause à lui. Et aujourd’hui il avait tout à perdre. Puis il sauta par une écoutille qu’il referma précipitamment bloquant la poignée. Mais quand il se retourna ce fut pour tomber nez à nez avec un des commandos qui le tenait en joue. Gaston lâcha son arme et leva les bras en bredouillant :

  • Tire pas mec j’ai une femme et une fille !

L’autre l’abattu froidement, deux balles dans le crâne. Le massacre se termina alors que l’aube s’était complètement levé. On aligna les cadavres sur le pont pour les filmer, trente-huit corps en comptant les deux mercenaires et les pirates prisonniers, excepté Odona qui avait disparu. On recherchait déjà les autres.  Pensif, debout devant eux, Skolombo ordonna qu’on charge au plus vite la marchandise. Quatre tonnes de cocaïne.

  • Qu’est-ce qu’on fait des cadavres monsieur ?
  • Jetez les à l’eau.

Quand retentit une violente déflagration. Lorsqu’un ancien spetsnaz rencontre en brellages de grenade, il y a des conséquences. Un trou dans la coque en l’occurrence, au niveau deux, juste au-dessus de la ligne de flottaison, et assez grand pour laisser passer un homme aux dimensions gargantuesques. Pas tout à fait un point névralgique mais en l’état le navire resterait là et la marchandise avec jusqu’à ceux de la côte le pillent entièrement. Le pilote de l’hélicoptère toujours en stationnaire, aperçu une silhouette massive qui plongeait droit dans l’eau, il actionna aussi tôt ses mitrailleuses rotatives Gatling. Les projectiles fendirent la surface de l’océan à l’endroit où il avait plongé, bouillonnant comme des piranhas des profondeurs salés. Coupantes, qui ondoyaient, maléfices, autour de lui. L’une d’elle le percuta à la tête sans s’enfoncer dans le crâne. Comme de prendre une porte en pleine figure alors qu’on essaye de garder son souffle. Il ouvrit la bouche de surprise et avala une pleine goulée d’eau de mer qui l’aurait noyé si dans un élan il avait retrouvé la surface, le temps de respirer une grande goulée d’air, et de replonger. Sur le navire l’évacuation de la cocaïne continuait pendant que le sorcier interrogeait ses cauris et qu’un groupe de cagoulés cherchaient toujours les survivants. Lebreton s’était évacué par une voie d’aération après avoir tué une cagoule et prit son attirail. Il saignait, trainait littéralement sa patte, avait un mal de chien et des difficultés pour lever le bras gauche. Mais merde il en avait vu d’autres non ? Il pensait à la détonation qu’il avait entendu, espérait que c’était Moscou et Gaston, se demandait où ils avaient frappé. Et tout en y réfléchissant, il rampait dans la crasse d’une autre voie d’aération, une souris lui courant sur le dos. Il pensait à Camille, celle qu’il aimait, et se disait que c’était bien mal parti pour leur histoire. Il se disait qu’il allait probablement mourir et qu’il ne savait même pas pourquoi. Pourquoi les forces spéciales nigériane leur avaient tiré dessus alors qu’ils avaient annoncé clairement par internet qu’ils s’étaient libéré. Et qui c’était ce type avec eux, un grand noir en costume sombre qui ne portait pas de cagoule, et qu’il avait aperçu au cours de la fusillade. Merde c’était censé être des vacances. La preuve même au Panama ils s’étaient marrés. Et ça tournait Die Hard dans un bateau grand comme un pays. Il parvint jusqu’à une grille d’aération qu’il fit sauter avant de se glisser tant bien que mal par cette issue là et d’atterrir sur un pied. Il se trouvait au premier niveau directement sous le pont avant. Derrière des containers et des caisses en bois. Entre deux parois orange il apercevait les nigérians qui se passaient des sacs de jutes de mains en mains et immédiatement il compris.

  • Bande de fils de pute ! Gronda-t-il entre ses dents.

Il allait mourir dans ce bateau pour de la came. Pour que des petits connards d’occidentaux s’en mettent plein les narines et quelques gros voyous plein les fouilles. Combien il y avait à bord ? A en juger sur la file indienne et la dimension des sacs, leur évacuation leur prendrait encore quelques heures. Il rampa jusqu’à une écoutille et s’y faufila. Installé sur une passerelle, Il découpa un nouveau pan de sa chemise et entreprit de découper sa chaussure trouée. La balle avait traversé le pied, une chance, brisant plusieurs os, une malchance. Il parvint à déloger son pied de la chaussure avant de le bander assez serré pour maintenir l’agencement des os. Puis il enleva la seconde chaussure et quitta la passerelle pour s’enfiler par une coursive, son fusil d’assaut en position de combat. Il avançait prudemment, couvrant chacun de ses angles avant de surprendre un type accroupis devant un cadavre.

  • Mains sur la tête, tout doucement, souffla-t-il en anglais.

Le type obéit.

  • Maintenant retourne toi.

Il reconnu immédiatement le chef des pirates. James « Démon » Odona avait perdu de sa superbe. Les yeux creusés, les lèvres sèches et craquelées, les joues piqués de barbe naissante avec dans la pupille un mélange de résignation et de peur.

  • On dirait bien que toi et moi on s’est fait doubler hein, dit le français avant d’apercevoir le visage du cadavre derrière le pirate. Gaston ! Oh non ! Pas toi mon pote ! Pas toi !

Il poussa le pirate de son chemin et pleura comme un enfant en prenant le corps sans vie de Gaston dans ses bras..

  • Pas toi, non pas toi, répéta-t-il avant de faire silence, se redresser et dévisager le pirate comme s’il allait le tuer.
  • I didn’t do it ! He was already dead when…
  • I know shut up.

Il lui donna son fusil et prit celui de Gaston après l’avoir vérifié et embarqué les munitions. Les tueurs ne s’intéressaient pas à leur arsenal et maintenant il comprenait pourquoi.

  • Qu’est-ce que vous voulez faire ? Demanda Odona toujours apeuré.
  • Rentrer chez moi, mais avant j’ai un compte à régler. Suis-moi.
  • On va où ?
  • Aux cuisines.
  • Vous avez faim ?
  • C’est pas la bouffe qui m’intéresse, allé viens…

Il allait passer l’écoutille quand il entendit l’autre claquer des dents.

  • Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce t’as ? Tu vas pas me dire que t’as peur de mourir quand même !
  • Il est là vous savez.
  • Qui ça ?
  • Le sorcier, celui qui a tué mon fils.

Lebreton fronça les sourcils. Il connaissait trop bien le continent pour ignorer l’importance qu’on donnait à la magie, surtout au Nigéria et au Bénin.

  • Comment tu le sais ?
  • Je sens sa présence.

Et il savait qu’il disait vrai. Lui avec sa bonne tête de bourrin ne l’aurait sans doute pas senti, les occidentaux ont souvent besoin, et de plus en plus, d’images pour se faire une idée. Alors il pensa à la sienne, le type sans cagoule et se dit que ça devait être lui qu’il sentait, ou avait vu, peu importe le point de vue finalement.

  • Bon, okay, un problème à la fois tu veux, on s’occupe d’abord de ce putain de bateau, et ensuite je me chargerais de lui, deal ?
  • Euh…
  • Allé viens, avec moi il peut rien te faire, dit-il en l’empoignant par le bras.

Mais parvenir aux cuisines était une autre paire de manche quand une équipe avait été spécialement dédiée au nettoyage. Une équipe qui s’en revenait du trou dans la coque en pariant entre eux les chances du géant de s’en être sorti. Et les paris n’étaient pas à son avantage. Ils s’étaient divisés en deux groupes, l’autre partie de l’équipe étaient en train de visiter l’entrepont où était hélas situé les cuisines.

  • Comment ça se passe de votre côté ?
  • RAS, si l’hélico l’a pas eu il mourra sur la plage.
  • Bien reçu.

La cagoule apparu en dessous eux, visible par une bouche d’aération, assez large pour passer le bras. Il laissa tomber le nœud coulant en Nylon sur ses épaules et remonta le tout d’un coup sec. Le type se débattu mais ils étaient quatre bras à le maintenir, et finalement il se donna lui-même le coup de grâce en s’agitant comme un forcené. Lebreton entendit le craquement caractéristique des vertèbres qui cèdent. Ils relâchèrent doucement le corps et s’enfilèrent jusqu’à la prochaine évacuation d’air. Celle-ci donnait dans le quartier des officiers et ils n’aperçurent personne dans cette pièce. Odona déboulonna le panneau et les deux hommes sortirent de leurs boyaux, gras de crasse. Quand ils entendirent des pas.

  • Un homme à terre, je répète un homme à terre.

Puis ils aperçurent le canon d’une arme automatique pointer dans la pièce. Les deux hommes se baissèrent précipitamment. La cagoule entra à pas de chat, balayant la pièce de son arme, couvrant chaque angle. Puis un autre, juste derrière. Odona allait les fusiller mais Lebreton lui fit signe que non. On allait faire ça en silence. Il passa la main sous son teeshirt et fit apparaitre un couteau push dagger.

  • Chut, répéta-t-il.

Le premier passait entre les tables pendant que l’autre contournait la pièce. Odona compris ce qui lui restait à faire, et il y avait justement une boite à couvert sur une desserte, pleine de couteau à viande. Accroupis, il en attrapa un et suivi le second du regard, prêt à bondir. Soudain le premier s’arrêta, comme s’il sentait quelque chose. Le français pouvait apercevoir ses rangers à quelques centimètres de lui. Alors d’un coup sec il frappa au niveau du tendon du pied, tranchant dans le vif, de sorte que soudain plus rien ne le retenait au sol, son pied se dérobant sous lui. Il tomba en se cognant la tête contre la table. Le mercenaire en profita pour le poignarder au cou, au cœur, dans le sternum alors qu’au même instant, James « Démon » Odona sautait sur son adversaire avec toute l’énergie de son désespoir, le piquant à la gorge avant de la lui trancher d’un coup sec. Le sang lui gicla au visage tant le coup avait été vif. Pas de bruit, à peine les dernières râles du premier. Ils se firent signe pouce en l’air et ramassèrent les armes de leurs adversaires.

  • Oh bingo ! Fit Lebreton en découvrant une grenade sur sa victime.

Puis ils filèrent vers les cuisines, l’un en boitant, l’autre en ouvrant le chemin. Personne sur leur route, Lebreton les conduisit jusqu’à la réserve et trouva rapidement son bonheur sous la forme de produit ménager. Il savait mélanger quoi avec quoi pour obtenir un explosif de moyenne portée, mais avec une grenade et quelques unes de leurs munitions, bien posés ça ferait un autre trou dans la coque foi de légionnaire ! Odona le regardait faire avec un mélange de défiance et de trouille. Elle lui retombait dessus maintenant qu’ils étaient un peu tranquilles. Une trouille insidieuse, qui lui paralysait la colonne vertébrale comme un serpent froid. Il essayait de ne pas penser à ce monstre qui était sur le bateau. Celui dont il sentait l’odeur d’ici, et ça puait. Ça puait l’ordure, le malsain, la magie noire, les tombes. L’ancien légionnaire travaillait vite. Démonter la grenade, et dessertir quelques cartouches à la pointe du push dagger, vider la poudre, le semtex, mélanger les produits, savon, soude, ces choses là. Enfiler le tout dans deux bouteilles d’alcool à 90°, attendre quelques secondes et surtout ne pas secouer à tort et à travers.

  • Bon, t’en prends une j’en prends une, mais calmos hein, on va au troisième niveau, dit Lebreton quand une voix derrière lui claqua en anglais pidgin :
  • Qu’est-ce que tu fais là toi !? Qu’est-ce que tu fabriques !?

Odona n’était pas visible de là où il était mais la terreur le paralysait maintenant. Lebreton l’entendit qui haletait comme un animal blessé.

  • Tout va bien mon gars, je suis juste le cuisinier, expliqua le français sans se retourner.
  • Mains en l’air ! Ordonna la cagoule en s’approchant.

Francis « le Fléau » Lebreton avait gagné sa réputation de cogneur invaincu ou presque sur deux atouts majeurs : la puissance de ses coups, et sa rapidité. Tout en se redressant sur sa jambe valide, il pivota sur lui-même et le poignarda entre les côtes, dans le cœur pour l’achever d’un coup à la tempe. L’autre avait les yeux encore écarquillés de surprise quand il tomba.

  • Viens, faut pas qu’on traine.

Quand une rafale éclata. Trois balles, Lebreton qui retombait, Odona toujours paralysé. Lebreton qui réplique d’une main, faisant feu au hasard. Si une seule balle touche ces bouteilles ils sont morts, c’est pas l’idée.

  • DEMON BORDEL !!

Odona fit une grimace bizarre avant de répliquer à son tour à feu nourri. Leur adversaire était seul, le seul survivant de cette partie de l’équipe. Ils avaient trouvé les cadavres déjà alerté les autres et le chef de l’opération. Les coups de feu arrêtèrent momentanément le travail. Exaspéré Skolombo attrapa son walkietalkie :

  • Continuez je m’en charge !

Pendant que les autres obéissait la fusillade continuait. Le second groupe était déjà en train de courir vers l’entrepont quand une violente explosion secoua le sommet du bâtiment. A nouveau le travail s’interrompu, à nouveau le chef du commando leur ordonna de continuer sans s’occuper du reste. L’entrepont avait été dévasté, les murs cramés ou pulvérisés, les meubles volatilisés et tout le reste avec, un cyclone.

  • On va les retrouver, assura le chef d’équipe.

Le sorcier ne répondit rien, il attendit qu’ils soient partis pour interroger ses cauris. Après quoi il sorti une courte machette de sous sa veste et parti à la chasse.

  • Je suis désolé, dit Odona.
  • C’est pas grave, on avait plus le choix de toute façon.

Ils s’étaient engouffrés par une trappe juste à temps. Une trappe par laquelle passaient les ordures de cuisine. Dégueulasse, gras, huileux, puant le poisson mort, pour atterrir violement dans un container espagnol à demi plein. Des os de poulets, et des arêtes de poisson dans une mélasse ignoble et jusqu’aux yeux. Mais la dernière bouteille était sauve. Ils se trouvaient maintenant sous le pont avant, ils s’extirpèrent du container tant bien que mal, s’aidant mutuellement avant de s’enfoncer dans les dédales de l’Isabel. Lebreton savait où frapper parce qu’il avait en tête le schéma du navire, appris par cœur à dire vrai par habitude de reconnaitre son environnement. Troisième niveau, juste en dessous de la ligne de flottaison. Mais dans le lot ils devraient y aller sans leurs armes, perdues dans la poubelle, et aucune envie de plonger voir. Cependant parcourir deux cent mètres avec un pied en compote et un gars plus guère vaillant, poursuivis par cinq types entrainés et au pas de course, c’était loin d’être gagné. Réviser ses plans à la baisse pour autant ? C’était mal connaitre la détermination de l’ancien sergent-chef. Les cagoulés avaient vite compris où chercher. Une seule issue possible après tout. Ils surgirent à leur niveau en deux groupes, deux à leur gauche, trois à leur droite, avançant rapidement et silencieusement. Lebreton regarda son compagnon. Il pissait la misère par les yeux. Alors il s’appuya comme il put sur son pied blessé, sorti son couteau, et alla tuer. L’encagoulé ne le vit pas plus venir que les autres. Poignarder trois fois à la jugulaire, et puis il retourna l’arme vers l’autre qui fit feu. Comment il ne s’en prit aucune ?  Pas la moindre idée, le ciel protège les fous sans doute. Il le rafala sans remord. Instantanément les autres fondaient dans sa direction. Il se déplaça, boita, avait envie de hurler, et apparu au dernier moment dans la ligne de mire d’une cagoule qui n’eut pas non plus le temps de faire feu. Lebreton pensait à son pote, déterminé comme une épée et rien ne le ferait déroger. Sauf peut-être la balle qu’il se prit au-dessus du sein droit, lui traversa un poumon et se logea dans son omoplate. Il tomba raide, paralysé, plus de souffle, il vit la silhouette qui accourait pour l’achever. Il fit feu en même temps que lui, tirant une rafale de suppression à hauteur de la taille. Le découpant quasiment en deux. Avant de retomber comme un sac. Le troisième tueur n’eut pas l’occasion de s’approcher, abattu par Démon avec le pistolet laissé sur le cadavre d’un des hommes. IL accouru.

  • Ca va ?
  • Euh…
  • Je peux t’aider ?
  • Euh…
  • Tu veux qu’on fasse quoi ?
  • Dis donc, c’est juste pour savoir, t’as fini avec les questions à la con, ou bien ? Ca y est le sac est vide t’as touché le fond ?
  • – Quel sac ?
  • Laisse tomber…

Il toussa et cracha du sang. Le pirate était gris.

  • Tout est fichu.
  • Ca sera foutu quand on sera mort, maintenant aide moi à me relever.

Il boitait, respirait avec peine, mais merde qu’ils crèvent tous en enfer ! Parvenu à une centaine de mètres, il avisa une voie d’évacuation d’eau et regarda au travers espérant trouver en bas ce qu’il cherchait. Il ne pouvait pas descendre plus bas, trop d’effort et il doutait même de s’en sortir, mais tant pis.

  • Il arrive.
  • Hein de quoi ?
  • Il est là.
  • De qui tu…

Mais James « Démon » Odona était déjà en route pour son assassinat.

  • Eh où tu vas !?

James « Démon » Odona obéissait à son maitre sous le regard incrédule du français. Alors, instinctivement ce dernier attrapa le fusil d’assaut qu’avait laissé son compagnon derrière lui et le suivi cahincaha. L’éclopé et le possédé. Skolombo attendait entre deux containers, sur la plateforme d’élévation. Il attendait ses proies, Il avait entendu les coups de feu, deviné qui était mort, ça l’indifférait. Dans ces moments-là, quand il rentrait dans le monde froid de la mort et de l’enfer. Quand il tuait, pour les orphelins se disait-il pour se rassurer, tout l’indifférait. Les odeurs, les sons était autant de sensations que son cerveau traitait en routine. Odona fut le premier à apparaitre, et donc le premier à mourir. Sautant comme un chat derrière lui. Avant de siffler quelques mots magiques dans sa langue. James Odona ne se retourna pas, paralysé. James Odona resta là sans explication jusqu’à ce qu’il l’ouvre comme un lapin sous les yeux médusés et horrifiés du français. Mais blessé ou pas, tant pis pour lui. Lebreton fit feu six fois sur le sorcier qui se contenta de s’approcher sans broncher. Un poignard dans une main un cœur humain dans l’autre.

  • La putain de ta mère.

Costume avec couche de kevlar, popularisé depuis qu’Hollywood avait lancé le délire, le nec plus ultra chez les connards de Dubaï pour leurs gardes du corps chéri. Même si contre du gros calibre ça ne servait à rien.  Ça devait être ça, parce qu’il ne croyait pas au fantôme et au sorcier. Il visa la tête. Ou cru l’avoir fait parce que la seconde suivante, il s’était évaporé.

  • Oh et puis merde.

Lebreton visa la bouteille laissée près de l’évacuation et tira sa dernière cartouche.

L’explosion retentit jusque sur la côte. Pourtant sourd d’une oreille Moscou se tourna vers le large et sourit, il était certain que Gaston et Francis faisaient des leurs. Il saignait de l’oreille droite. Il marcha, la vue qui se dédoublait un peu, suivant la ligne des arbres jusqu’à sentir une épaisse odeur de pétrole. Il s’accroupis et s’approcha à tapinois. Une raffinerie clandestine et des pirates armés qui transvasaient le pétrole à la main, leur pétoire dans le dos. Là-bas le navire était en train de pencher dangereusement.et des containers grinçaient vers la chute. Certain pirate s’étaient arrêtés de travailler pour observer le spectacle. Les hélicoptères étaient sur le départ, qu’est-ce qui s’était passé et pourquoi une autre explosion retentissait ?

  • Eh toi ! Qu’est-ce tu fous là !? Gueula le pirate parti pissé et qui le surpris alors qu’il s’approchait d’un puits.
  • Fais pas le con mon gars ou nous tous on va être dans la merde.

Le gigantisme du personnage n’avait même pas heurté la conscience du pirate de quinze ans qui le braquait avec son M16 usagé. Le nez et le cerveau rechargé au brown-brown rien ne lui faisait peur puisqu’il il se foutait de tout.

  • Retourne toi connard ! Retourne toi !

Le connard tenait une grenade à la main, l’index sur la goupille.

  • Tu vois ce que je veux dire ?
  • Chef ! Chef ! Beugla alors le gamin.

Le chef radina avec une demi-douzaine de ses hommes. Le gamin tenait toujours en joue le morceau.

  • Je suis russe, je me suis échappé du bateau, ils ont tué tout le monde là-bas, j’ai besoin d’aide…. Alors, ami ou ennemi ?

Les canons et les lance-roquettes avaient sonné le tocsin toute la nuit pendant que les nettoyeurs de l’infanterie nettoyaient les ruines de la ville. Au matin, la vallée n’était plus qu’un champ de ruine peuplée de cadavres dont l’odeur nauséabonde couvrait le paysage comme une malédiction. Il faisait beau, désespérément beau, obscènement beau mais le général de brigade était satisfait. Leur stratégie avait fait reculer les russes de l’ouest de leur position. Desserrant l’étau de leur emprise. Il se rendait au mess des officiers, discutant avec des camarades américains quand il aperçut au loin un attroupement. Des nouvelles recrues qui étaient passé par la Moldavie. AU milieu d’eux, un géant grand comme une tour, un bandana kaki autour du crâne.

  • Victor ? Lança le général de brigade.

Moscou tourna tête dans sa direction. Il avait perdu du poids mais le bonhomme était encore là.

  • Andrichka !?
  • Qu’est-ce que tu fais là !? Je te croyais passé au privé.
  • Pas quand ces enculés s’en prenne à notre patrie Andrichka.

Le général de brigade se tourna vers un sous-officier.

  • Qu’est-ce que vos attendez pour donner une arme à cet homme-là !?

Elle attendait assise devant un grand crème, à la terrasse d’un café parisien. Une fille aux cheveux court et dorés comme le blé mûr. Elle avait des yeux bleu azur, légèrement bridés, un visage symétrique sans être agressif. Il se dégageait quelque chose d’aristocratique et de félin chez elle. Mais aussi de considérablement cool. Cool comme un après-midi californien, cool comme un printemps à Paris dans l’imaginaire des touristes. Elle avait dans les quarante ans naissant, de légères rides d’amertume au coin de ses lèvres minces et roses, et des soleils autour de ses yeux observateurs.  Elle lisait, absorbée par la lecture du Baron Perché, d’Italo Calvino. Portée par la belle lettre comme cette histoire universelle de rébellion. C’était lui qui lui en avait parlé la première fois, la surprenant à nouveau par le champ de sa culture, et son goût des belles choses. Ça cadrait si peu avec le reste de ses activités. Elle reposa le livre, le serveur en passant en profita pour lui demander si elle désirait quelque chose.

  • Non ça ira merci, dit-elle.
  • Vous êtes parisienne ? Se lança le serveur.
  • Non, je suis en vacances ici.
  • Ah, première fois à Paris ?
  • Non mon gros, grogna une voix derrière lui. Et la place est prise ajouta-t-il avant que le serveur ne jette un œil au bonhomme derrière lui.

Un mètre quatre-vingt, large d’épaule, adossé à une canne, un sac à dos sur une épaule.

  • Euh… vous êtes ensemble ?
  • J’en ai peur, sourit le nouveau venu en soutenant son regard.
  • Euh… vous désirez boire quelque chose ?
  • Non juste être tous les deux.
  • Ah, bien, bien, excusez-moi, dit le serveur en se carapatant.

Elle lui sourit des anges dans les yeux.

  • Mon sauveur.
  • Amen…toi.

Elle se leva et se jeta à son cou. Ils s’embrassèrent longuement. Le monde pouvait bien s’arrêter de tourner puisqu’ils étaient enfin ensemble.

  • Alors ? Demanda-t-elle tandis qu’ils s’éloignaient bras dessus bras dessous.
  • Ça s’est bien passé.
  • Il t’a donné la part des autres ?

Francis secoua le sac qu’il avait sur l’épaule, cent mille euros à l’intérieur. Le tout irait à la veuve de Gaston et surtout sa fille. Moscou était célibataire et le jeunot également.

  • Il n’a pas fait d’histoire ?
  • Je ne lui en ai pas laissé l’occasion.

Loi de la mer oblige, quand le bateau avait commencé à sombrer, d’autres navires vinrent à son secours. On découvrit son corps nu, brûlé au troisième degré, quelques os brisés par le souffle de l’explosion, respirant à peine, et troué de toute part. Comment il survécu en dépit de ses blessures tient d’une constitution solide et beaucoup du miracle. Il fut rapidement évacué par la France avant d’être brièvement mis au secret au Val de Grâce où il fut interrogé par les gars de la DCRI. L’affaire, jamais rendue publique se régla dans les coulisses. Et une fois rétabli ou quasi, vu qu’il ne marcherait plus jamais sans boiter, un bout de poumon en moins, l’épiderme greffé, il avait réclamé ses émoluments et ceux de ses camarades à Centurion. De La Salle aux abonnés absent, impossible de lui faire signer quoi que ce soit, soi-disant à l’étranger. Alors il débarqua dans les locaux.

  • Ah mon cher ami vous voilà enfin !
  • Ca fait quinze jours que je veux vous parler.
  • Oui, oui j’étais à l’étranger.
  • Vos employés se font massacrer et vous vous faites du tourisme ?
  • Euh non mais euh….
  • Je veux notre solde. Celle de Gaston, de Moscou, du gamin et la mienne.
  • Oui bien entendu, je vous ferais votre chèque dès que j’aurais le rapport d’expertise.
  • – Quelle expertise ?
  • Et bien celles des assurances, ils veulent savoir exactement ce qui s’est passé vous comprenez… d’ailleurs à ce propos mademoiselle, dit-il à la secrétaire qui avait introduit Lebreton. Prenez note je vous prie…

Il enveloppa la fille par les épaules et la poussa gentiment dehors avant qu’elle ait ouvert son calepin.

  • Allé, faut sortir maintenant.

Après quoi il referma la porte derrière elle, la verrouilla et ravagea le bureau à coup de canne. Il lui raconta alors qu’ils traversaient le jardin du Luxembourg. Elle se marra.

  • Je t’aime.
  • Je t’aime.

Le monde d’après

Un panache de fumée s’élevait encore de l’Elysée à demi calcinée dans l’aube laiteuse et évanescente d’un Paris qui se réveillait avec la gueule de bois.  Le pavé arraché était jonché de cadavres, des impacts de balles sur les murs haussmanniens, des barricades déglinguées, des secouristes de rue occupés à soigner les blessés qui gémissaient en écho dans les rues de la capitale, le monde d’après. Macron et sa femme étaient en fuite, on cherchait toujours Edouard Philippe. Dans la cour de Matignon, une longue file de prisonniers attendaient d’être tondu, Jean-Michel Apathie, Yves Calvi, Patrick Cohen, Michel Cymes, Roselyne Bachelot, Pascal Praud, Eric Zemmour… Le gars derrière la tondeuse était un ancien coiffeur-tatoueur branché dark rock et bondage japonais, il s’éclatait à leur faire des coupes improbables. Dans un coin Sibeth N’Diaye pleurait en tripotant la fraise rose qui lui avait taillé et qui flottait sur son crâne comme une enseigne, les gardiens, des flics passés du côté des insurgés, rigolaient bien. Sarkozy, Buzyn, Veran et Hollande n’avaient pas eu ce privilège. Ils attendaient tous ensemble à l’exception de Sarkozy, entassés dans une des cellules insalubres de la Santé, gardés par des voyous des quartiers armés jusqu’aux dents. L’ancien président et sa chanteuse de femme patientaient tous les deux à Roissy sous bonne garde, un vol qui devait bientôt les expulser du pays avec quelques-uns de leurs amis. Dans un coin un écran télé relatait les évènements de la journée dans le monde. La guerre civile qui avait également éclaté à New York et à Washington D.C et fait plusieurs dizaine de milliers de morts qui venaient s’ajouter à ceux de la pandémie qui avait précédé les événements. Poursuivi dans les rues de la capitale par une horde de féministe à la tête de laquelle se trouvait Melinda, Trump avait fini par être lynché et pendu par les couilles à un réverbère avec la totalité du staff de Fox News. La même chose ou presque était arrivé aux sièges de CNEWS et BFMTV, ravagés par les flammes, le personnel des journalistes diversement poursuivis dans les rues et mis en pièce.

  • Tu vois Carlitta on s’en sort plutôt bien, glissa l’ancien président à sa femme alors que la caméra filmait Ruth El Krieff courant dans les rues poursuivie par une horde de Gilets Jaunes à la veste éclaboussée de sang séché.
  • Vous deux, par ici, ordonna un grand costaud en s’approchant, un Famas en bandoulière, une veste camouflage volée sur le dos. Il portait un masque FFP2 avec dessiné dessus un crâne et deux tibias. Le couple obéit aussi tôt. Ils tiraient deux grosses valises Gucci avec eux, on les chargea à bord d’un jet privé.
  • Bonjour Monsieur le Président, fit le steward avec un sourire avenant.

C’était la première fois qu’on lui donnait du président depuis qu’on l’avait tiré de son sommeil l’avant-veille, il ne put s’empêcher de sourire.

  • Oh bonjour, où nous conduisez-vous ?
  • Je suis désolé Monsieur le Président je ne peux pas vous le dire.
  • Oh allons, nous sommes entre nous et à qui voulez-vous que je le raconte ? Insista Sarkozy en prenant son ton enjôleur de montreur de foire.
  • On avance et on ferme sa gueule ! Beugla le grand costaud derrière eux.

Le couple obéit et pénétra à l’intérieur, aussi tôt accueilli par la voix mélodieuse et mondaine d’Arielle Dombasle.

  • Bonjour chers amis !
  • Arielle !? tu es là ? Et toi aussi Bernard-Henri mais c’est merveilleux !

Bernard-Henri Levy releva son front haut et grave de penseur concerné du livre qu’il tenait entre ses mains. Il avait les cheveux tondus en une triple crête bleu blanc rouge. Ils lui avaient fait ça juste avant de prendre la direction de l’aéroport. Carla failli éclater de rire.

  • Comme c’est drôle non !? Fit Arielle avec son sourire parfait de vieille Barbie.
  • Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de drôle ! S’emporta le philosophe de salon.
  • Oh allons prenez les choses du bon côté, nous raserons tout ça à Marrakech !
  • A Marrakech ? Nous allons à Marrakech ? S’enquit Sarkozy.
  • Et bien où pourraient-ils nous envoyer d’autres ?
  • Bin je ne sais pas, dans un coin moins sympa…
  • Allumons la télévision nous verrons ce qui se dit sur nous, proposa le philosophe tout à fait certain que son enlèvement et sa tonte avait fait la une des magazines en continue.

Sauf qu’il n’y avait plus de chaine en continue, il y avait un canal unique avec Cyrill Hanouna en slip léopard au milieu d’un bain de boue avec de chaque côté du bain, Sibeth N’Diaye et sa fraise et Marlène Schiappas à qui le savant et facétieux coiffeur avait taillé un petit gilet jaune fluo sur l’arrière du crâne en guise de chevelure. Tout le reste avait été coupé ras. Les deux femmes portaient des bikinis rouges qui faisaient rebondir leurs formes replètes. Autour du bac de boue se tenait une foule hurlante derrière des grillages, ça huait, ça rigolait, ça faisait des commentaires salaces, la foule quoi, bête, avinée, et accessoirement heureuse. On avait renversé cette république de pourri, on allait tout reconstruire, tout, mais en attendant les divertissements avec les commentaires d’Hanouna en fond sonore. Obligé de s’égosiller et de trouver ça marrant. Il avait l’habitude mais là c’était des amies qu’on humiliait ainsi que lui et ça n’avait plus le même goût que lorsqu’il recouvrait ses animateurs de chocolat ou en remplissait le slip de nouilles.

  • Allez mais petites poulettes soyez pas darka comme ça, c’est marrant non ?

Une giclée de boue vola vers son visage.

  • Et celle-là tu la trouves marrante !? Hurla Sibeth
  • Eh mais oh l’autre il a rien fait ! Protesta Marlène.
  • Oh toi ta gueule ! On n’en serait pas là si vous m’aviez tous écouté !
  • Quoi ? T’écouter toi !? Mais t’as jamais dit que des conneries ma pauvre fille ! T’es même pas foutu de mettre un masque ! Railla l’ancienne Secrétaire d’Etat.

S’en fut trop pour l’ex porte-parole. Même ses enfants s’étaient moqué d’elle après cette dernière sortie, ça et toute la toile, des millions de personnes qui aujourd’hui la regardaient avec sa coupe ridicule foncer dans Marlène Schiappas.

  • Aaaah enfin ! S’anima l’animateur avec un sourire forcé.
  • Dix dollars sur la grosse Schiappas.
  • Tenu

Dans un des salons dévastés de l’Elysée, le gouvernement provisoire regardait la télé. Il y avait Momo d’Aubervilliers, l’avocat Gilet Jaune François Boulot, Madame Lucette, montée de la Drôme avec son mari, le colonel de gendarmerie Michaud, Abdel et Kader, Boris, maitre-chien et son fidèle berger malinois Patrick, le penseur Frank Lepage, et surtout il y avait Machin. C’était Machin qui avait appelé à l’émeute généralisé, Machin qui sur les réseaux sociaux s’était attaqué au gouvernement, une punch line par minute reprise par tous les médias comme le bon sens populaire. Machin que personne n’avait jamais vu jusqu’à ce qu’il se laisse inviter par Jean-Jacques Bourdin dans son émission hebdomadaire. Bourdin en fut pour ses frais, à peine l’interview avait commencé que des intermittents du spectacle déboulaient sur le plateau et le prenaient en otage à la pointe de leurs fusils. Les armes avaient été fournies par un escadron de gendarmerie à demi décimé par le covid-19. Depuis la pandémie s’était ralentie, on n’avait pas encore trouvé de vaccin mais tout le monde était à la chloroquine. Machin avait voulu inviter Raoult, interviewé l’ex ministre de la Santé mais l’éminent professeur avait ronchonné qu’il n’avait pas de temps pour ces bêtises.

  • Ooooh ! S’exclama Machin alors que Shiappas venait de faire basculer N’Diaye dans la boue d’une savante prise de judo.
  • Dis donc elle assure la grosse.
  • Je t’avais dit elle a la niaque.

La grosse fraise plongea dans la boue et se releva comme un drapeau en berne gluante de boue rouge.

  • Je vais te niquer salope ! Hurla-t-elle avant de se jeter sur Schiappas qui la prit de plein fouet.

Les deux femmes roulèrent dans la gadoue sous les gueulantes joyeuses de la foule. Un sein s’échappa, un coup de poing parti, un autre, N’Diaye prit le dessus, mordant à pleine dent l’oreille de sa partenaire qui finalement la repoussa des deux pieds. N’Diaye cracha du sang et un bout de lobe. Les deux femmes étaient essoufflées, elles se jaugeaient attendant que la première tente quelque chose quand soudain deux tronçonneuses tombèrent au milieu de l’arène. . Un silence de mort enveloppa la foule, on passait aux choses sérieuse cette fois.

  • C’est quoi ces conneries ? Gronda Machin
  • C’est une idée des fonctionnaires qui travaillaient pour elles, expliqua l’avocat laconique.

Les moteurs des tronçonneuses étaient en train de démarrer quand Bernard-Henri ordonna qu’on coupe l’image.

  • Oh mais pourquoi !? Protesta Carla Bruni-Sarkozy. Ca commençait à devenir si drôle !
  • Si ce genre de spectacle vous amuse ma chère, je vous suggère les jeux du cirque ! Rétorqua Bernard-Henri Levy en retournant à sa lecture.
  • Oh allons BH même vous disiez que c’était deux parvenues, intervint Dombasle.
  • Ce n’est pas une raison pour accepter ce genre de chose !
  • Ah tient on décolle, fit remarquer Sarkozy.
  • Je me demande vraiment où ils nous emmènent, fit Carla en ouvrant distraitement une de ses valises pour sortir une splendide robe en mousseline verte de chez Dior. Tu crois que j’aurais encore l’occasion de la mettre ?
  • Ca m’étonnerait, grommela Sarkozy en se renfonçant dans son siège.
  • Allons Nicolas ne vous laissez pas aller aux mauvaises vibes, nous sommes en vie non !
  • Oui mais pour combien de temps !? glapit l’ancien président.

La triple crête du philosophe se redressa alors que le steward rentrait dans l’allée, poussant devant lui un chariot. Il y avait de tout, du champagne, du foie gras, du caviar, des œufs coqs tièdes saupoudrés de truffe.

  • Oh mais c’est fabuleux ! S’exclama Carla en se précipitant sur le champagne.
  • Attends !

Elle se retourna.

  • Bah quoi ?
  • Qui vous a demandé de nous servir ça ? Grogna Sarkozy.
  • Mais qu’est-ce qui te prends chéri ?
  • Machin monsieur le président.
  • Machin ? Et si c’était empoisonné ?
  • Oh allons Nicolas et ils nous feraient prendre l’avion exprès pour ça ?

L’argument se tenait mais Sarkozy se méfiait quand même.

  • Laisse le goûter d’abord ! Dit-il en désignant le steward du doigt.
  • Moi monsieur le Président ? Mais je n’ai pas le droit !
  • Alors nous n’y toucherons pas ! Menaça l’ex président

Le steward était ennuyé, il avait des ordres et ces ordres aussi curieux pouvaient-ils lui sembler c’était de leur servir cette collation.

  • Je vais voir avec mon chef de cabine

Quelques secondes plus tard il revenait avec une accorte jeune femme cintrée dans une tenue d’hôtesse qui minauda un sourire à faire grincer des dents les deux botoxées.

  • Un problème monsieur le Président ? Demanda-t-elle.

Sarkozy retrouva aussi tôt son ton d’enjôleur de foire, son épaule droite tressautant sous l’impeccable de l’alpaga.

  • Pourquoi on nous sert ça ?
  • C’est un cadeau d’adieu monsieur le Président. De la part de Machin en espérant, je cite, ne jamais revoir vos sales gueules.
  • Trop aimable, se crispa Sarkozy.
  • Tu vois chéri il espère ! Ca veut bien dire ce que ça veut dire !
  • Voulez-vous que nous trinquions tous ensemble ? Proposa la cheffe de cabine. Je serais tout à fait honoré d’être votre gouteur si vous le désirez.
  • Oh euh… mais non….
  • Allez, mais, si, bien sûr approuva Arielle Dombasle en s’approchant du chariot. Champagne for all and let’s be happy. Soyons joyeux ! Come on Nicolas…
  • Bon, bon….

La cheffe leur servit chacun une flute préalablement glacée, sortie d’un petit congélateur.

  • A quoi buvons nous ? Demanda la jeune femme.
  • Mais à la vie bien sûr ! S’écria Arielle, to life !

Ils trinquèrent à ça, à la vie, Carla se fendit même d’un petit lechaïm  avec BHL pour faire plus stylé. Et tant pis si elle n’était pas juive. A la vie donc. Après quoi ils dévalisèrent le chariot de ses victuailles sans remord.

  • Finalement il est plutôt sympa ce Machin, fit Arielle entre deux bouchées de caviar.
  • Sympa ? S’insurgea BHL Dois-je vous rappeler ce qu’ils ont fait subir à nos amis et à nous-même ?
  • Drahi, Bolloré, Niels, Lagardère, Dassault, Arnault, à Fresnes ! Rappela Sarkozy qui avait vu les images à la télé comme tout le monde.
  • Jacques et Jack lynchés ! S’insurgea BHL.
  • Alain Minc pareil !
  • Oui, oui, bon, bon, mais nous, nous sommes en vie non !?
  • Oh mais attendez, qu’est-ce que c’est que ça ? Demanda soudain Carla qui venait de découvrir un nouveau compartiment dans le chariot. Elle l’ouvrit et tomba sur une boite en argent. Mais qu’est-ce que c’est ?

La boite était pleine d’une poudre blanche et de pétards bien roulés

  • Vous ne croyez tout de même pas que c’est….
  • Bah voilà autre chose ! S’exclama Sarkozy.

Arielle Dombasle et son mari s’approchèrent l’œil brillant.

  • Et si c’était empoisonné ? Insista à nouveau Sarkozy.
  • Oh Nico tu nous embête avec tes histoires de poison, dit Carla en se mettant de la poudre blanche sur les gencives. Ouh c’est de la bonne !

Quelque part dans Paris Sibeth N’Diaye et Marlène Schiappas croisaient le fer, lame de tronçonneuse contre lame, des gerbes d’étincelles illuminant le bain de boue. Sibeth avait le dessous, le ventre entaillé. Quand Machin et le gouvernement provisoire tout entier entra.

  • Non mais ça va pas bande de connard ! Vous croyez qu’il y a pas assez eu de morts ! Arrêtez moi ça tout de suite !
  • C’est pas toi qui commande ! d’abord t’es même pas un vrai Gilet Jaune, protesta quelqu’un dans la foule.
  • J’en ai rien à branler de ton gilet jaune ! C’est pas avec des gilets qu’on va reconstruire ce pays c’est tous ensembles !
  • Tous ensembles ? Nous ont veut pas d’elles ! Qu’elles crèvent elles nous ont assez fait chier ! Protesta un autre, médecin urgentiste de son état.
  • Mais vous aviez piscine à la distribution de cerveau ou quoi ? Je veux pas d’elles non plus mais moi je veux pas les voir par petits bouts à quoi ça va nous servir !?
  • De toute façon pour ce qu’elles servaient avant remarque, fit Frank Lepage dans son coin.
  • Bin justement on n’a qu’à les mettre au turbin.
  • Oui mais quoi ?
  • On trouvera bien.

Dans l’avion l’ambiance s’était considérablement réchauffée depuis la découverte de la drogue. Carla avait sorti la guitare et chantonnait de sa voix aphone en partageant un joint avec Arielle, Nicolas et Bernard-Henri devisaient en s’essuyant le nez de la coke qu’ils venaient de priser avec ces dames.

  • Je dois reconnaitre que ce Machin est de la race des Rebatet et des Doriot, un dangereux réactionnaire mais il sait vivre.
  • J’avoue. Tu crois qu’Emmanuel va s’en sortir ?
  • Il est parti se réfugier en Allemagne comme De Gaulle en 68, chez son ami Cohn Bendit, il espère faire le même coup que le Général.
  • Retourner l’opinion en sa faveur et revenir ?
  • J’en ai peur.
  • Mais s’il revient il se fera lyncher !
  • J’en ai peur aussi mais tu sais comment est Brigitte une indécrottable optimiste, et puis ils sont parti avec une partie du staff des communicants qui conseillaient l’Elysée…
  • Les mêmes qui lui ont conseillé de poursuivre la réforme hospitalière après le déconfinement ?

La triple crête s’agita gravement.

  • Oui les mêmes…
  • Des génies…
  • Et c’est pourtant pas faute de lui parler mais il ne m’écoutait pas comme toi…
  • Et puis est arrivé Machin.
  • Balthus de Malepasse tu veux dire ?
  • C’est son vrai nom ?
  • D’après Médiapart oui, Plenel espérait que révéler ses origines nobles réduirait son influence mais venant d’un SDF forcément….
  • Un SDF avec une grande gueule qui a suffisamment fait de petits boulots et connu de galère pour pouvoir parler au nom de tous.
  • Un petit fasciste tu veux dire. Un petit fasciste qui ne tardera pas à dégager quand leur révolution dévorera ses enfants, toutes les révolutions le font.
  • Oui mais où serons-nous d’ici là ?
  • Ne t’inquiètes pas Nicolas, je connais très bien le roi du Maroc.
  • Mais moi aussi je connais très bien Mohamed VI mais qui te dis qu’on va au Maroc ?

Le philosophe montra le chariot.

  • Et bien ça ! Il nous envoie en exil c’est évident sinon nous serions à la Santé ou à Fresnes…. Surtout toi Nicolas si je puis me permettre.

L’épaule tressauta sous la veste en alpaga.

  • Qu’est-ce que ça veut dire ça, surtout moi ?
  • Bah quand même tu n’es pas blanc bleu tu as quelques affaires sur le dos…
  • Des racontars et des coups montés ! Se défendit l’ancien président.
  • Oh allons Nicolas, nous ne sommes plus devant les caméras !
  • Oui bon ça va pourquoi t’en n’as pas des affaires toi peut-être !? Et Botul ?

Le philosophe ne répondit rien, agitant ses trois crêtes comme s’il avait encore ses belles boucles de penseur.

  • Qu’est-ce qui se passe boys vous vous disputez ? Demanda Arielle alors que Carla, défoncée, accumulait les fausses notes.
  • Mais non, mais non, je rappelais juste à BH que nous avions tous les deux quelques casseroles aux fesses.
  • Oh la, la mais quel importance ! Tout ça ne compte plus maintenant ! Seule la postérité est juge Nicolas.
  • C’est pas de toi ça.
  • Non c’est de moi, confirma BHL.
  • La postérité tu parles ! Railla Carla qui en plus d’être défoncée était saoule. C’est des conneries de péteux de salon !
  • Carla ma chère vous devenez vulgaire, dit BHL avec hauteur.
  • Et alors ça te défrise le cul ? Tu t’es vu avec tes crêtes ? Elle où ta postérité là ? Celle de Bozo le clown ?
  • Carla ça suffit ! Intervint son mari.
  • Bah quoi, j’ai pas raison peut-être ?
  • Non et je ne te permets pas de te moquer de Bernard-Henri ce qui lui est arrivé est horrible !
  • Oh la, la une pauvre coupe de cheveux, ça repousse les cheveux !
  • Pas des implants à quatre mille euros le cheveu ! Explosa soudain le philosophe.
  • Quatre mille euros ! Mais vous êtes allé où ? S’exclama Carla en arrêtant de gratter sur sa guitare des mélodies sans queue ni tête.
  • Chez moi au Mexique, précisa Arielle.
  • Bin mon con !
  • J’y pense, dit BHL avec l’œil du soupçon pourquoi ça t’es pas arrivé à toi Nicolas ?
  • Arrivé quoi ?

Le philosophe par intérim montra sa coupe de punk à chien d’un geste mou et suffisant. Le visage de l’ex-président se décomposa.

  • Oh… euh eh bien je ne sais pas….
  • Mais si y sait ! Intervint Carla agacée, j’ai sucé.
  • Tu as quoi ? S’exclama Dombasle.
  • J’ai su…
  • Carla ça suffit ! Et maintenant arrête avec ce champagne.

Il attrapa la bouteille qu’elle buvait au goulot et la replaça dans le seau d’autorité.

  • Nico t’es pas grand mais question faux cul et chieur t’es un géant ! rétorqua-t-elle avant d’expliquer aux autres : J’ai sucé nos gardiens l’un après l’autre, huit bites !
  • Et ça lui évité le coiffeur !? S’exclama Dombasle.
  • Bah j’suce bien !
  • Si j’avais su….
  • Oh regardez la mer ! Fit soudain le philosophe en carton en regardant par le hublot.

Ils se précipitèrent tous les trois pour aller regarder.

  • C’est laquelle ? La Manche ou la Méditerranée vous croyez ? Demanda Sarkozy
  • Difficile à dire à cette distance, fit remarquer BHL.
  • Vous croyez qu’on peut voir des migrants se noyer d’ici ? gloussa Carla
  • Carla tu n’es pas drôle ! Tança son mari.
  • Oh la, la, et toi tu manques d’humour !
  • Il a raison, vos blagues sont de mauvais goût, jugea BHL. C’est un véritable drame humain vous savez.

Elle haussa les épaules.

  • Comment si tu en avais eu jamais quoi que ce soit à foutre.
  • Oh Carla, BH a toujours été très concerné par…. Commença par protester la femme du penseur.
  • Son petit nombril on sait.

Et sur ce elle s’accorda une nouvelle ligne.

  • Ah putain je pète la forme moi ! Vous voulez que je vous interprète quoi ? Demanda-t-elle en reprenant sa guitare.
  • Oh tu connais « Time are changing » de Bob Dylan ? Demanda Dombasle
  • Bien sûr !

Elle commença à jouer, chantant de sa voix aphone, bientôt reprise en chœur par sa consœur tandis que les deux hommes contemplaient les vagues qui défilaient sous les ailes de l’avion.

  • Tu crois qu’on sera bien accueilli où qu’on aille ?
  • Bien entendu, il n’y a pas de raison, je te rappelle que nous comptons encore dans le monde.
  • Tu crois ?

Sarkozy avait l’air d’en douter.

  • Bien sûr, assura avec confiance l’intellectuel au front haut. D’ailleurs je compte bien faire un appel dès que nous serons en territoire ami.
  • Un appel ?
  • Eh bien oui à la contre révolution ! A renverser ce Machin et ses acolytes, nous comptons encore de nombreux partisans là-bas tu sais.
  • Comme De Gaulle en Juin 40 ? Ironisa Sarkozy.

Mais l’ironie échappa complètement au philosophe.

  • C’est un bon exemple, accorda-t-il mais je préfère le J’accuse de Zola, car il est temps que nous dénoncions cette chienlit qui s’est emparé de la France.
  • Je te rappel que tu as déjà essayé, combien d’articles tu as écrit contre Machin et ses copains, quatre, six ?
  • Sept, reconnu piteusement le philosophe de salon mais cette fois ce sera différent, assura-t-il. Je connais mieux mon sujet et ce Machin sera beaucoup trop occupé dans les mois à venir pour me railler en publique.
  • Mouais, grommela l’ancien président pas convaincu.

Derrière le deux épouses massacraient allègrement la chanson de Bob Dylan, drogue aidant elles chantaient assez fort pour casser les oreilles à tout le monde, le philosophe arrêta de philosopher pour les apostropher.

  • Serait-il possible que vous mettiez en pause cinq minutes mesdames ?
  • Oh mais quel mauvais coucheur vous faites aujourd’hui, rétorqua sa femme avec un grand sourire froid.

Ce genre de sourire qu’elle lui faisait quand lui-même prenait trop de drogue dans l’intimité de son bureau, persuadé qu’il était que ça influençait son génie, ou quand il cherchait à la trousser sous l’influence de ces mêmes drogues. Mais cette fois il ne se laissa pas faire.

  • Ma chère de nous quatre je crois bien que je suis celui qui a le plus de raison d’être de mauvaise humeur, ne pensez-vous pas ?

Carla Bruni-Sarkozy leva les yeux au ciel.

  • Ca y est il recommence avec ses cheveux !
  • Carla….
  • Bah quoi c’est vrai il nous saoule à la fin !

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, d’un coup BHL fut debout et se précipitait sur elle, lui arrachait sa guitare des mains et fracassait par terre avec une ardeur que sa femme ne lui avait pas connu souvent.

  • MAIS IL EST DINGUE CE CON ! LA GUITARE QUE M’A OFFERTE MICK ! Hurla Carla s’emparant de la bouteille de champagne pour frapper le philosophe.

Heureusement son mari se jeta sur elle juste à temps, la bouteille vola pour exploser entre les sièges, éclaboussant tout le monde de champagne.

  • LÂCHE-MOI CONNARD ! JE VAIS LE BUTER !
  • Carla calme toi !

Il lui avait enserré les bras, appuyant de toutes ses forces, elle se débattait la bave aux lèvres, les yeux hors de la tête. Le philosophe avait prudemment reculé vers la cabine de pilotage, sa femme dans l’autre sens vers les toilettes. Derrière la porte de la cabine le steward voulu aller voir, sa cheffe lui fit signe de ne pas bouger.

  • On a reçu des ordres, on n’intervient pas quoi qu’il arrive.
  • Même s’ils cassent tout ?
  • Même s’ils cassent tout.

BHL avait levé les poings, prêt à en découdre.

  • Lâches-là Nicolas cette putain ne me fait pas peur.
  • Eh oh tu parles meilleur de ma femme le punk à chien !

Il lâcha sa femme qui partit comme un dard empoignant les couilles du philosophe avant qu’il n’ait esquissé une droite, il hurla alors qu’elle les serrait de toutes ses forces quand Arielle Dombasle s’en mêla en poussant un rugissement de lionne.

  • SALOPE LACHE BERNARD !

Elle se jeta sur sa proie toute griffe dehors, les deux roulèrent par terre, se labourant mutuellement le botox, Sarkozy tenta d’arracher Dombasle de la mêlé, provoquant aussi tôt l’hydre de BHL qui lui tomba dessus à bras raccourci. La bagarre dura jusqu’à ce que les écrans s’allument d’eux même, montrant des images d’eux en train de se battre.

  • Mais c’est nous ! S’exclama soudain Carla, l’œil poché et le visage lacéré.

Soudain la face édenté de Machin apparu en surimpression, souriant, l’écharpe présidentiel autour de la tête comme un turban, la grande croix de la Légion d’Honneur au-dessus de l’œil tel un Jack Sparrow de prestige.

  • Salut les riens, les incapables, les séditieux, les haineux, ici le patron qui vous cause mais je vous rassure je ne serais pas le patron longtemps. Pas pour moi ces trucs là. On va quand même pas répéter les mêmes erreurs que ces cons n’est-ce pas. Ca fait déjà quatre siècles qu’ils nous enculent et quarante ans qu’on leur a donné les clefs du garde-manger. Ya basta comme on dit dans le sud. Les bourgeois vont trimer maintenant et à nous les dividendes. En attendant on traduira en justice ceux qui doivent l’être et pas question de peine de mort ou de découpage en rondelle, les conneries c’est terminé. Le Référendum d’Initiative Populaire sera mis en place dans les prochaines semaines pour vous permettre de voter pour vos représentants et vos lois et d’abolir une bonne fois pour toute cette foutue Vème République. Maintenant je m’adresse aux quatre tocards dans l’avion. Comme vous venez de le comprendre votre petite fête et tout le reste la France entière vient de la regarder. A ce propos merci pour les huit queues on a bien rigolé ici. Vous vous demandez sans doute pourquoi on vous relâche comme ça avec le buffet et tout, c’est une bonne question mais avant de vous dire pourquoi j’aimerais vous dire ce qu’on pense de vous, ce que JE pense de vous. Vous n’êtes pas important mais vous avez des ambitions de piranhas, vous nous avez volé, abusé, insulté et par-dessus le marché vous êtes responsables de centaine de morts et je ne parle pas que de la Libye bande d’enfoirés. Je pense notamment à mon pote Saïd condamné à une peine planché, quatre piges dont il s’est jamais remis, il s’est suicidé deux ans après sa sortie. Et c’est toi fils de pute de Sarkozy qui a mis en place ce système, toi qui nous a enculés sur le Traité de Lisbonne, hein Paul Bismuth, l’ami de Kadhafi…Et toi le philosophopouet de mes deux, bavard de salon, narcissique connard qui nous a chié sa pensée pendant des années, à poser en costard de ville en zone de guerre, Hemingway de pacotille, Malraux de ruelle mal famée, on va te ramener à ta vie de raté sous amphétamine. Ras de terre tu vas voir. La coupe c’était que le début. Quand à vous les radasses botoxées je vous parle même pas, je vous ignore, vous avez voulu être la reine du bal des salopes ? Vous allez être servit. Direction le turbin l’aphone et c’est pas huit bites cette fois, tu vas avoir les lèvres gercées ma poule, c’est moi qui te le dis. Bref il est grand temps que je vous annonce où on vous envoie en vacance. Désolé le punk à chien pour ton appel du 18 Juin ça va pas être possible… dans environs trente-cinq minutes vous serez au large des côtes libyenne où vous attend un comité d’accueil du cru.

Il sourit largement et avança la tête vers l’objectif :

  • Bon voyage…

Et l’image se coupa net.

Les trois aveugles marchaient à la queue leu leu. On leur avait arraché les globes oculaires, ils portaient des bandages sanglant sur les cavités de leurs yeux perdus. En tête se trouvait Christophe Castaner, le préfet Lallemand suivait, Nuñez terminait la marche. Ils passèrent devant un réverbère auquel était suspendu un cadavre. Les cheveux taillés avec science, en pompons comme les caniches, on aurait presque dit une Pompadour avec le visage violet, on l’avait pendu avec sa célèbre écharpe rouge. Castaner tenait une canne télescopique qu’il faisait aller et venir maladroitement devant lui, le manque d’habitude. Il heurta la porte du supermarché. Un grand noir avec un pull marqué sécurité en travers sa vaste poitrine s’approcha avec trois sacs de course. Il les fourra dans leurs mains.

  • Tenez c’est pour vous sac à merde maintenant caltez.  
  • Euh mais on vous… vous… doit combien ? Bégaya Didier Lallemand
  • Rien, en ce moment c’est gratuit pour les handicapés et les SDF, vous êtes les deux, alors…
  • Oh euh mer… merci… en… en… ce cas.
  • Dégagez !

Dans le supermarché une caissière bavardait avec sa voisine de rangée. Bavardait avec les clients, minaudait, en faisait des tonnes. Un tract électoral à la place du sourire. Soudain sa cheffe se pointa tout juste derrière elle, l’œil sévère sur l’écran de la caisse.

  • Madame Schiappas vous n’êtes pas là pour raconter votre vie. Veuillez cesser de jacasser je vous prie.

L’ex Secrétaire d’Etat fit le dos rond dans sa blouse rose.

  • Oui madame, oui.

Et ainsi alla la vie dans la nouvelle république française, comme promis Machin quitta le sommet de l’état pour aller vivre à la campagne, ceux qui devaient être jugé le furent et cette fois dûment enfermés, le Ministère de l’Economie, auto géré, fit la chasse au gros fraudeur et récupéra des milliards on finança avec les services publiques, l’agriculture, on nationalisa les entreprises du CAC 40, On quitta l’Europe et on s’organisa en communes, et bien entendu, puisqu’on était en France on s’engueula beaucoup, chacun y allant de sa revendication.. Y eu-t-il d’autres morts ? Certes, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs n’est-ce pas. L’exemple français, son exception fut à nouveau cité à l’honneur, dans le nouvelle Amérique, à Hong Kong et Beyrouth, en Afrique et donna des ailes à d’autres peuples avec plus ou moins de succès. Le covid-19 avait abattu le projet néo libérale pour des décennies, la révolte des français fini de l’achever.

Un autre jour de septembre…

Elle avait les pommettes scandinaves, un long cou qui dégageait le dessin de sa mâchoire symétrique, les yeux bleus et les cheveux blonds doré retenue par un minuscule chignon ridicule. Elle portait une chemise assortie à ses yeux, les mains dans les poches de son jean, sur l’instant il pensa à un mannequin, mais les mannequins sont en représentation perpétuelle et celle-là était à la fois excédée et impériale. Examinant la vitrine de l’hôtel et les objets qui s’y trouvaient avec l’œil du connaisseur. Et instantanément, sans même lui adresser un regard l’embrasa. C’était comme un soleil de Californie qui descendait sur lui, les années soixante dorée comme on se les imaginait dans notre nostalgie moderne, le temps de l’insouciance, de l’innocence cool avec un joint d’herbe au bec et la plage pour le surf. C’était un incendie de douceur, de calme, de générosité naturelle, sans question, ni limite, une personne qu’il savait du plus profond de lui-même, qu’il aimait tout autant et pourtant, il le savait également, elle appartenait à un autre. Cet autre qui l’avait énervé, cet autre qui semblait la retenir comme une éternelle fidélité, comme si elle était prise par des obligations de femme. Alors qu’elle respirait la liberté et quelque chose d’infiniment cool. Il n’y avait pas de mot plus approprié pour la définir, elle exsudait le cool. La femme de sa vie.

A cette époque-là il était réceptionniste dans un petit hôtel bourgeois du XIVème arrondissement, et il détestait son job. Le sentiment d’être au rabais, petit employé sans envergure au service d’une clientèle qui ne s’intéressait à rien sauf à elle-même, et puis il était assis, on le regardait de haut, la princesse comme les autres. Elle lui répéta son nom trois fois en anglais s’agaçant qu’il ne comprenne pas, c’était simple pourtant ! Mais non, son cerveau illuminé refusait de fonctionner correctement, embrasé par un amour plus grand que lui, brûlé au quatrième degré, foutu, mort, séché, il gribouilla n’importe quoi pour donner le change, pourvu qu’elle ne s’en aille pas. Il retrouva vaguement son sang-froid, assez pour lui donner la clé de sa chambre préférée et se plongea dans l’étude pointilleuse de son cahier de réservation. Il était fou amoureux. Il leva la tête et vit le propriétaire de la princesse. Il était grand, avec un air tout à fait satisfait et insouciant de touriste né, légèrement en surpoids comme un bon anglais, l’air gentil, il devait l’être. Ils disparurent de son champ, il avait l’âme cramée.

Il avait déjà vécu un coup de foudre une fois pour une sublime métisse qu’il avait du reste magnifiquement raté, paralysé par le trac. Mais cette fois c’était différent, cette fois c’était chimique, quelque chose d’inexplicable et d’annihilant, quelque chose dont on ne se relevait pas. Pourtant bon Dieu ce n’était pas spécialement son type les mannequins filiformes avec un visage tellement parfait qu’il vous restait imprimé dans le crâne comme une eau forte bleue. Pourtant il avait été dix fois amoureux, amoureux de l’amour qu’il était, cette maladie de femme. Et il en avait conscience mais là il n’avait plus conscience de rien, il était emporté par une vague dont il n’avait même pas été foutu d’écrire correctement le nom, un tsunami comme une panthère bleu ciel. Un printemps, un été, un alléluia jappé à la lune. Et comment on gère ce genre de situation quand on est désarmé par avance. La séduction ? Il n’y avait plus de séduction, de jeu ni de je pour lui désormais qu’il était à genou. C’est à peine s’il pouvait encore s’occuper de son travail, et de lui-même. D’ailleurs de lui-même il avait le sentiment qu’il ne restait pas grand-chose, diminué par sa condition de SDF. Car il ne suffisait pas qu’il soit un grouillot chez les bourgeois, celui qu’on regardait naturellement de haut, il vivait à l’hôtel au mois. Tout s’était enchainé d’un coup, sa dépression, sa séparation, la perte de son boulot et au bout de ça ils avaient découvert qu’il était atteint d’un mal psychique, la bipolarité. Il était déjà parti en live plus d’une fois depuis, des crises maniaques qui lui faisait faire n’importe quoi jusqu’à ce qu’on l’arrête, le plus souvent avec des menottes puis la chambre d’isolement attaché comme une bête. De la souffrance, il avait encaissé beaucoup de souffrance sans presque broncher, se reconstruisant à chaque fois mais aujourd’hui il se sentait invisible, petit et d’autant depuis qu’il l’avait rencontré. Il brûlait de l’intérieur totalement diminué et absolument certain qu’il n’avait rien à lui offrir alors qu’il aurait voulu lui voué le monde en échange de son amour. Mais c’était impossible, qu’est-ce qu’il pouvait bien donner à cette impératrice ? Des kebabs à cinq euros ? Ses neuf mètres carrés meublés qu’il louait une fortune, sa honte de ne plus être l’homme qu’il avait été, le sémillant cadre à belle gueule qui les faisait chavirer toutes sans le vouloir, le mari fidèle à un cul froid…. Sa honte de n’être que ce petit réceptionniste invisible qui mettait des vestes grises et des chemises blanches pour cacher la misère. Oui voilà, il se sentait invisible partout et il brûlait en dedans comme une lampe à pétrole dans le vent. La fièvre.

C’était une fille enjouée, elle avait l’air d’être heureuse d’être à Paris, elle n’arrêtait pas d’entrer et de sortir, sans son mec, et chaque fois qu’elle lui tendait sa clef l’assassinait de son sourire. Et lui, verrouillé de l’intérieur, se retenant de lui hurler son amour en torrent de mots qu’il n’avait même pas sur la langue, incapable de lui rendre son sourire, reprenait la clef sans même un merci, limite mal élevé. Mais elle ne se démoralisait pas et les deux jours durant où il la vit aller et venir, elle continua de lui sourire, bienveillante, essayant visiblement de sympathiser. Il pensa aller lui voler une culotte pour la lui ramener sur terre, il désespérait de s’en détacher et toujours pas de sourire en retour, renfrogné dans son amour qui gueulait dans sa poitrine. Instinctivement il la savait donc, savait qu’ils ne resteraient que le week-end et qu’il ne lui restait qu’une toute petite chance pour lui déclarer une bonne fois sa flamme, et tant pis si c’était en vain, ça débordait, il allait en crever s’il ne faisait pas quelque chose pour se débarrasser de cette brûlure. Alors un soir, au coin de sa table de misère, dans son gourbis de sous les toits, il lui écrivit un message. « At the moment I saw you I knew I was doom. Love at first sight and at the same time I knew you were not free. But if there is any chance please tell me. Sorry if I didn’t answer your smile but each smile of you was a spell on me. The receptionist. » Non il ne pouvait pas signer elle le dévorait trop et il ne savait même pas son nom. Si elle lui prenait aussi ça, qu’est-ce qui lui resterait ? Non juste l’employé à qui t’as mis le feu sans le voir, désolé chérie t’es trop. Il profita de son dernier soir de travail pour lui donner le message en faisant passer ça pour une communication téléphonique.

  • You’ve got un message.

Elle portait un pull rose sur un teeshirt blanc, ses cheveux relâchés et cette fois elle ne souriait plus, elle avait compris la leçon, elle le regarda même l’air de dire que c’était louche, elle n’avait pas tort. Il l’observa furtivement sortir dans le hall pour lire le message, elle porta la main à sa bouche de surprise avant de foncer tête baissée sans qu’il puisse deviner si c’était l’émotion ou la gêne. Les deux sans doute. Pourquoi ne lui courut-il pas après ? Pour la même raison que son sourire restait paralysé, la même raison qu’il n’avait pas signé de son nom, il se préservait du mieux qu’il pouvait. Il s’était libéré d’un poids, advienne que pourra, au moins elle ne lui avait ni rit au nez, ni fait un scandale. Il ne pensait même pas vraiment avoir de réponse, une reine ne s’abaissait pas pour les gueux, qu’elle le veuille ou pas. Il avait même peur de cette réponse, qu’elle le regarde froidement par exemple, ou lui jette un petit sourire de pitié c’était pour cette raison qu’il avait attendu son dernier jour de travail, pour ne pas la revoir, il n’avait pas le courage, pas tout de suite.

  • Tiens une cliente a laissé ça pour toi.
  • Une blonde ?
  • Oui.

Un disque.

  • Elle n’a rien dit ?
  • Non juste que c’était pour le gars blond, et vu qu’il y a que toi… C’est quoi ?
  • Une réponse.
  • Une réponse ?
  • Laisse tomber.

Il n’avait pas envie de se confier à son collègue et ami. Celui qui lui avait trouvé ce boulot du reste. Il savait ce qu’il en dirait, ce que dirait tout le monde à sa place, pourquoi il ne lui avait pas demandé son numéro, pourquoi il ne lui avait pas couru après, toutes ces conneries qu’on se dit parce que dans les films c’est ce qui se passe. Mais maintenant il savait que la vie n’avait rien d’un film. On ne se sortait pas de la rue parce qu’on avait trouvé une gâche, on ne devenait pas célèbre parce qu’on savait écrire, on ne gagnait pas le cœur d’une femme avec un minuscule message à la con. Un disque ? Pourquoi un disque ? Il lut les titres, ça ne lui disait rien, il chercha un message caché dans des paroles qu’il ne parvenait pas à comprendre alors qu’il parlait couramment anglais. Mais son esprit était toujours brûlé et il ne vivait et ne vécut trois semaines durant que pour son retour. En écoutant ce fichu disque. Puis un jour, au bout de ces trois semaines il décida que c’était terminé, elle ne reviendrait pas et cette musique le tuait à petit feu, direction son sac de voyage, sa maison, comme les escargots. Il tint six mois, se pensant guérit, relativisant à l’aune de sa vie de misère, il le réécouta. Il pleura comme une fontaine dès les premières notes. La tête à l’envers, laissant courir la musique, le cœur battant d’un amour infini et coupant, un hachoir qui lui tailladait l’intérieur de la poitrine, un massacre de chagrin. Il en failli jeter le disque mais c’était impossible, elle l’avait ensorcelé.

Et ainsi de suite, peu importe les mois qui le séparait de son écoute, peu importe qu’un des morceaux était un tube qu’on entendait à l’envie dans les galeries marchandes, peu importe cette répétition en boucle, ce cercle vicieux, il pleurait invariablement, il avait raté la femme de sa vie et la seule chose qu’il avait d’elle c’était cette musique dont au fond il se fichait. Ca ne lui parlait pas, ce n’était pas sa musique intérieure à lui quand il pensait à elle. Quand il pensait à elle c’était plutôt du côté de Kurt Cobain, son énergie qu’il fallait regarder, un désespoir rugissant. Et puis la providence et une énième crise maniaque le conduisit à déménager pour loger chez une parente. Ce n’était pas beaucoup mieux que de vivre seul sous les toits, il devait cette fois composer avec les maniaqueries et les mesquineries de son hôte, certaine personne sont comme ça, elle vous talonne alors que vous êtes tout en bas. Et cette parente le talonnait, de ses remarques désobligeantes, de son égoïsme petit bourgeois, de sa bêtise finalement bien commune du petit propriétaire qui le voyait comme un intrus dont elle était en somme l’obligée, et rien de plus. Le boulet qu’on se trainait parce que la famille quand même… ça se fait pas. Mais en réalité elle n’en n’avait rien à faire, et elle détestait tout ce qu’il représentait. Dans cette ambiance méphitique il s’arrangeait pour vivre la nuit, à écrire pour lui, des histoires, parfois juste des bouts, une scène, ou regarder la télé, les chaines porno à la bonne heure et sinon des films traditionnels qu’il avait déjà vu ou non. Ainsi deux ans passèrent depuis leur rencontre, deux ans qu’il n’avait pas écouté son disque, deux ans et il avait presque oublié la douleur, le temps est assassin parait-il. Il avait cette fois ramené ses caisses qui logeaient dans la cave de cette parente. Tout ce qui lui restait de sa vie d’avant, des livres, énormément de livres, une chaine hifi couteuse, des pléthores de disques, un sac de photos, deux meubles et des bibelots. C’est ainsi qu’en fouillant au hasard il retrouva ce disque, pourquoi pas l’écouter ? Ca faisait deux ans non ? Son cœur ne battait plus comme un fou, il l’avait presque oublié même. Il le glissa dans le lecteur de l’ordinateur et se mit à écrire, il oublia vite quoi. Soudain, exactement comme avant, il fut submergé par les larmes, son souvenir mordant lui déchirant l’âme à nouveau. Et il ne cessait de se répéter qu’il avait raté celle de sa vie comme si de telle chose ne pouvait sortir ailleurs que d’un conte à l’eau de rose, une mauvaise romance, comme si sur sept milliards d’individus une seule et unique vous était réservé. Et ça avait beau être absurde, même pour lui, il ne pouvait s’empêcher de chialer. Jusqu’à ce que les larmes se transforment en colère et qu’il perde la raison. Il allait la retrouver, coûte que coûte. Il allait partir à Londres et il allait la retrouver, il s’inscrit sur Facebook pour la revoir, et tant pis si tout d’elle était flou, il n’avait plus la forme de son visage, même pas son nom, sa mémoire obscurcie par l’amour qui à nouveau l’embrasait involontairement. Un amour de feu, un amour qui lui fit entendre des voix et les prendre pour vrai. Il dialoguait en français avec elle, il chantait avec elle, West Side Story feet Love Actually. Un amour fou, littéralement. Et pour la première fois depuis longtemps, crise maniaque oblige, il était heureux.

  • I am an anarchist, I am an antichrist, don’t know what I want but I know what I’m killing I want to DESTROY !!!

Matez-le dans les rues de Londres faisant des kilomètres avec son blouson de cuir et ses bottes de la Wehrmacht à bout ferrée. Matez-le vivant son fantasme, la tête pleine de mots pendant qu’il se moquait d’une affiche. L’affiche lui répondait, l’ex Johnny Rotten pour une pub pour le lait. Johnny se marrait, ses sourires lui étaient réservés, comme de vieux copains. Son esprit avait commencé à vaciller totalement quand il avait découvert sa chambre, celle d’un hôtel au mois comme un autre dans un quartier populaire de Londres, loin très loin de ce fantasme qui le poursuivait depuis son départ de France. Quand la solitude lui avait sauté à la gueule alors qu’il buvait une bière sur son lit misérable, que les dialogues qu’il s’inventait depuis qu’il était parti n’avaient plus suffit à alimenter son fantasme. Il avait mal aux pieds à force de marcher et il marchait partout dans une ville bien plus grande que Paris.

  • Pourquoi tu te mets pas pieds nus mec, on s’en fout ! lui dit Johnny en rigolant.

Oui on s’en fout de tout, on ne la pas trouvé, on ne la trouvera jamais, mais qui sait la chance sourit parfois aux fous non ? Il abandonna ses bottes et aussi son portefeuille. Il allait rester à Londres pour le restant de ses jours, refaire sa vie, et peut-être, qui sait, il la retrouverait et aurait plein de beaux enfants blonds. Dans ces cas-là, quand son esprit partait trop loin, un fil de lucidité le gardait suffisamment à la surface pour faire n’importe quoi. Lui il pissa devant un commissariat et fut finalement arrêté. Après ce fut la danse habituelle, il résista aux flics pour rigoler, se fit copieusement engueuler par l’un d’eux, ce qui le calma puis fut hospitalisé. Rien à voir avec ce qu’il avait connu dans les hôpitaux français. Le personnel était doux et en civil, la salle télé colorée et l’ambiance presque familiale. Et aucune chambre d’isolement, contention et autre objet de torture pour malade psychique. Il prit juste son médicament comme on lui dit, se plia sans heurt capté par la gentillesse du personnel et dormit du mieux qu’il put jusqu’au lendemain. Mais le lendemain, alors qu’il avait recouvré sa lucidité pour un moment, pas question d’être à nouveau hospitalisé et encore moins ici, même si ici c’était mieux qu’ailleurs, d’ailleurs il n’était pas fou ou alors seulement d’un amour brûlant qui le renvoyait à sa seule solitude. Et ce n’était pas de la folie que d’aimer ou bien alors complètement et pour tous. Alors il s’évada, les hôpitaux sous n’importe quelle latitude semblait-il étaient des passoires. Il marcha comme une brute à demi endormi par le neuroleptique qu’il avait été obligé de prendre au petit-déjeuner et retourna à son hôtel. On avait loué sa chambre, son téléphone avait été volé, il supplia le type de le laisser dormir une heure, le type prit pitié et lui laissa son lit de camp derrière la réception. Il dormit jusqu’au milieu de la matinée, le type lui prêta des savates et il s’en alla jusqu’à la gare. C’est là qu’elle quitta sa tête, qu’il cessa de se parler à lui-même en essayant de se faire croire qu’il communiquait avec elle. Là qu’il se raisonna et recouvra de lui-même ses esprits. Et ça fit un grand chagrin de devoir se l’admettre. A nouveau un échec, à nouveau la cruauté de l’existence se rappelait à son bon souvenir. Il ne la reverrait jamais et puis voilà, mange ça mon ami.

La vie est une curieuse farceuse. Au lieu de la retrouver Facebook lui proposa de retrouver ce qu’il prenait pour un ami et qui le ramena à ses frais d’Angleterre. Puis il y rencontra une fille, dont il tomba finalement amoureux et déménagea de chez cette parente pour aller vivre avec cette fille. Mais ça ne marcha pas. Leur aventure était essentiellement sexuelle et passé cette étape il ne restait plus grand-chose. Quant à l’ami il s’avéra ne pas en être un et il retourna à sa solitude sans plus penser à elle. Le disque ? Il en avait fait une copie, perdu depuis longtemps l’original et sommes d’avoir été amoureux avait peut-être effacé ce qu’il avait ressenti si violement durant un bref instant dans son existence. Ou bien le temps lui avait appris à relativiser. Après tout c’était quoi comme réponse qu’un disque, un pourboire au mieux d’une fille embarrassée par quelque chose qui ne la concernait pas. Il n’avait pas écouté les paroles et s’en fichait, et puis il retomba amoureux, comme une maladie et ainsi de suite jusqu’à ce que la bipolarité le rattrape à nouveau. Il n’avait pas accepté son mal, alors il s’imposait à lui tous les deux ans, jusqu’au jour où il l’admit mais pas assez vite pour ne pas se retrouver à nouveau en institution. L’hôpital avait changé entre temps, du mouroir pour dingue qu’il avait connu vingt ans durant, avec ses infirmiers à demi aussi paumés que leurs patients, on était passé à une unité de soins avec chambre individuelle et personnel compétent. Une sorte de confort qui lui permis de recouvrer rapidement ses esprits et accessoirement, au hasard d’une écoute, une énième, de comprendre enfin ce que ce disque contenait. Cette fameuse réponse qu’il attendait, cette fameuse réponse qu’il espérait était là depuis toutes ses années sans qu’il n’en retienne la substantifique moelle. Je t’aime mais j’ai peur de t’aimer, je t’aime mais je ne veux pas te pleurer, je t’aime et c’est notre dernier adieu car sans doute ne te connaissais-je pas. Bien sûr c’était les paroles d’un autre, mais elle n’avait pas choisi cette musique par hasard, faute d’une longue lettre que sa position lui interdisait, faute sans doute de savoir quoi dire correctement elle avait choisi cette longue et musicale lettre d’amour. Et maintenant qu’il comprenait ce qu’il écoutait, allant cette fois sur internet chercher les mots exacts, il fut saisi par l’exactitude de cette réponse, comment elle lui parlait en réalité parfaitement, le connaissait en secret. Ce fut un choc tel qu’il failli faire une dépression à l’intérieur même de l’hôpital. Mais au lieu de ça il garda ça bien au fond de lui et quand il sorti enfin, pleura. Comme il avait toujours pleuré à l’écoute de ce disque mais cette fois il savait. Cette fois son esprit enfin dénoué lui livra même le nom de cette fille, Kay. Alors il marcha pour évacuer son chagrin et lui écrivit dix lettres d’amour, en anglais ou en français, et peu à peu apprivoisa sa tristesse. Elle l’avait aimé et c’est tout ce qui comptait. Elle avait été touchée par son mot et c’est tout ce qu’il y avait à comprendre. Et surtout elle parlait la même langue intérieure que lui comme il l’avait su au premier instant. Ils auraient peut-être vécu une passion et tant pis si les passions ne durent pas, cet amour-là était en acier. Cet amour-là défiait le temps et même ses propres amours, et il ne l’oublierait jamais. D’autant pas qu’il se rappelait maintenant son visage avec précision, qu’il ressentait son apparition comme la première fois mais qu’au lieu de lui faire mordre la poussière, elle l’élevait. Elle était sa rose des sables éternelle, son jardin secret, son soutien dans les pires épreuves, et chaque fois qu’il écoutait la musique, il était avec elle, le cœur presque battant. Parfois il se demandait si en écoutant ce disque elle aussi pensait à lui. Si elle se souvenait de ce message treize ans plus tard, si elle avait eu des enfants ou si la vie l’avait totalement éloigné de la jeune femme qu’elle avait été. Il ne savait pas son âge, ne l’avait jamais su mais elle devait avoir plus de trente ans aujourd’hui. Comment voyait-elle les choses désormais ? Est-ce qu’elle pensait au mal qu’elle avait fait et au complet ratage que cette rencontre jamais concrétisé avait engendré ? Sans doute pas. Mais il repensait à cette vieille maitresse qu’il avait retrouvée par Facebook et qu’il avait connu adolescent. Elle se rappelait de lui, avait eu des regrets de ne pas être allé plus loin avec lui, alors peut-être que Kay aussi. En tout cas c’était rassurant de se le dire, de s’imaginer que cette musique l’avait également ensorcelé elle, et qu’elle ne se détacherait jamais de son souvenir. Au fond de lui, simplement, un homme l’attendait, avec son visage transformé par l’âge et les coups durs, un homme qui l’aimerait toujours et tant pis si d’autres amoureuses passaient. Kay était son âme sœur et il l’avait su au premier coup d’œil. Il l’avait su et il lui avait dit. Comme un serment entre eux deux dont cette musique, ce disque était le sceau.

J’aimerais vous raconter qu’ils se retrouvèrent finalement, que le sceau fut brisé et qu’ils vécurent enfin ce qui les avait retenus toutes ces années. J’aimerais vous raconter qu’ils s’aimèrent comme il le désirait depuis si longtemps et qu’ils passèrent l’époque des mots doux, des mots brûlants, que ses cicatrices guérirent enfin et qu’ils vécurent leurs derniers jours ensemble, mais la vie n’est pas comme ça, nous le savons tous et lui plus que les autres sans doute. Il avait vécu assez de virage à cent quatre-vingt degrés pour ignorer que l’existence vous conduisait là où vous deviez aller pas là où vous aviez envie de vous rendre. Oh bien entendu il ne cessait pas de croire à son roman intime pour autant, l’espérance est le seul mal qui resta au fond de la boite de Pandore après tout mais il ne s’était jamais réellement fait d’illusion non plus. Il vivait avec et finalement plutôt sainement, comme un tatouage à l’intérieur, quelque chose d’invisible sauf pour lui. Il n’en n’avait jamais parlé à ses amoureuses, en parlait peu de toute manière, à quoi bon ? Les gens ne comprenaient rien. Ou bien était-ce trop pour eux, tant d’amour insatisfait, il n’en savait rien et s’en foutait, les gens allaient trop au cinéma de toute façon.