Mercenaries never die, they only go to hell to regroup.
Le porte-container s’étalait sur deux cent cinquante mètres de long et un peu plus de trente de large. Une montagne de containers soigneusement rangés comme un Tetris gagnant dominait le pont et remplissait la cale. Le navire était parti de Shanghai via Los Angeles puis le canal de Panama direction la côte ouest africaine qu’il remontait en direction du Golfe du Niger. Les produits qu’il transportait allait de l’I-Phone dernier cri aux paires de baskets a bas prix made in China en passant par les robots-mixeurs, le prêt à porter des usines asiatiques, ou encore des bananes du Brésil, des carcasses de moutons congelés de Nouvelle Zélande, des jouets pour enfant fabriqués à Wuhan. L’équipage était composé de vingt-huit hommes. Douze philippins, huit pakistanais dont le capitaine Mustafa Khan, quatre népalais descendus de leurs montagnes pour aller se perdre en mer, un mexicain, et trois russes qui assistaient le capitaine au commandement. Autant dire du petit bois dans le langage des armateurs. Le long de la coursive, torse nu, un géant courait à petite foulée, sa peau rougie, luisante sous le soleil impitoyable du midi. Il portait un bob vert olive et un pantalon de treillis noir, des tennis au pied, sa masse musculaire tressautant à chaque pas. Du haut du pont arrière, trois ouvriers népalais l’observaient avec une curiosité mêlée d’amusement. Jamais il ne le serait venu l’idée de courir comme ça sans but et encore moins par cette température, en pleine mer.
- Pourquoi il fait ça tu crois ?
- Peut-être qu’il s’entraine pour une compétition
Tout en discutant ils échangeaient une cigarette.
- Mais non, j’ai entendu dire qu’il veut perdre du poids, dit le troisième.
- Pourquoi faire ?
- Pour être plus beau, supposa l’autre en haussant les épaules.
Son voisin secoua la tête.
- Ils sont bizarres ces blancs.
Le géant parcourait les deux cent cinquante mètres de longueur du navire, cinq tours, qu’il avalait non sans une certaine difficulté, mais c’était justement ce qu’il recherchait. Tous les midis, en sautant le déjeuner. Sur le pont avant, alors que le géant poussait vers la proue, deux hommes commentaient également son passage d’un ton désabusé.
- Alors comme ça il veut aller botter le cul à Poutine ?
- Tu le connais…. Et puis il est né à Kiev après tout.
- Mouais…
- C’est un projet remarque et Dyn Corp paye bien.
- Très peu pour moi, la sécurisation ça me va très bien comme ça.
Un jeune homme athlétique apparu derrière eux par une écoutille qui portait un plateau remplit de deux assiettes pleines.
- Oh encore des tortillas ! Putain mais il sait faire que ça ce foutu cuisinier !?
- Qu’est-ce que tu veux il est mexicain.
- Non il est cuisinier putain !
Devant les trois hommes, fixée sur un trépied, était posée une lourde mitrailleuse russe Kord à laquelle était fixée une boite de munitions calibre 12,7. Le navire appartenait à la CMA CGM, compagnie maritime française, leader du marché, il était donc dûment assuré mais contenu du passage par le Golfe du Niger et globalement la corne ouest de l’Afrique, AXA avait exigé que le bâtiment soit sous protection. Passé Dakar, le porte-container devait poursuivre sa route vers la France et le port du Havre, avant de terminer son voyage à Anvers. Où les containers seraient déchargés, vidés, remplis jusqu’à ce que le navire retourne sillonner le monde. Mais en attendant que ça arrive : trois galettes soigneusement roulées, remplies de morceaux de poulets marinés et accompagnées d’une sauce verte au piment. Le cuisinier était très fier de sa cuisine et particulièrement de ses sauces. Il avait appris le travail en autodidacte en regardant faire les autres depuis un poste de plongeur dans un restaurant à touriste de Tijuana. L’ennui c’est que son répertoire était d’autant limité qu’il adorait les galettes de maïs. Or justement le capitaine avait fait embarquer pour la réserve jusqu’à trente kilos de ces galettes.
- Vous êtes dur chef, moi je trouve qu’ils sont vachement bons ses tortillas, je me souviens une fois à la frontière on en avait bouffé, putain c’était de l’iguane ! Dégueulasse !
- Moi je dis qu’il faut foutre en l’air sa réserve, grogna l’autre sans l’écouter.
Avant d’attraper un tacos et de le balancer en direction de la mer. Mais la galette n’avait pas encore entamé son ascension qu’une mouette la saisissait au vol avant de s’éloigner avec un ricanement.
- On peut faire ça cette nuit, proposa son voisin.
- On va faire ça cette nuit putain ! Promis celui que le jeune homme appelait chef.
- Le capitaine va pas être contant, fit remarquer le jeune homme qui se souvenait de leur embarquement au Panama.
- Je l’emmerde, il a qu’à changer de cuistot, répondit le chef d’un ton décidé.
Ils étaient partis de France pour le Panama deux jours avant leur arrivée sur le bâtiment. Le temps que le chef trouve le moyen de participer à un combat clandestin entre des cogneurs locaux et des Marines stationnés sur place. Pratique mise en place par les Marines eux-mêmes et avec les paris desquels les combattants et leur encadrement se faisaient de belles sommes. Quand il n’était pas au service de Centurion, la société militaire privée qui les employait, le chef écumait l’Europe, participer à des combats clandestins à poing nu. Et il était si réputé dans certain milieu qu’on l’avait surnommé « le Fléau » parce que quand il se déchainait plus rien ne l’arrêtait. Pourtant il arrivait qu’on trouve une cure à son genre de cataclysme. Au Royaume Uni ou aux Pays-Bas on pratiquait à la manière de la rue ou presque. Poing, tête, coude, genoux mais ni arm block, aucune prise et pas de coup de pied ou de tibia. Au Panama ils affectionnaient le combat libre version MMA, et ça tombait bien parce que le chef avait justement une licence dans ce domaine. Sauf qu’il n’était pas question pour de jeunes bœufs américains sous stéroïde de se faire battre par un putain de frenchy. Alors ils s’étaient arrangés avec un soigneur pour qu’il glisse du GHB dans sa bouteille d’eau. Bien entendu le combat avait été vite réglé et le Fléau avait reçu une correction rapide mais bien sentie. Mais c’était le lendemain que ça s’était réellement gâté. Quand le géant qui présentement courrait devant eux avait atterri à Panama City.
- C’est quoi ces conneries ? Avait-il grondé en voyant la tête enflée de son ami.
- La correction mon pote, j’ai rien compris, sourit ce dernier malgré les lèvres recousues et tuméfiées.
- C’est impossible t’en n’as jamais perdu un !
- Faut un début à tout, avait répondu le Fléau, fataliste.
- Et puis c’est pas vrai, en Irak il s’est fait tauler.
- En Irak y’a eu match nul, si les ricains étaient pas intervenu Frankenstein serait en train de compter ses os.
- Tu parles ! Il avait le dessus ! Dis-lui toi Francis !
- Il a pas tort j’avais le dessous et il était en train de me désosser.
- Connerie avait répété le géant et que les autres surnommaient Moscou.
La nature soupçonneuse, il était allé faire sa petite enquête. A savoir secouer tous ceux qui s’étaient approché de son pote avec assez de force et de détermination pour qu’ils en pissent tous sur eux. Puis finalement quand ils avaient appris la supercherie ils avaient débarqué tous les quatre dans un des bars attitrés des Marines en ville.
- Va y avoir de la bagarre si vous vous faites prendre, insista le jeune homme. A bord c’est pas bon.
- Tu nous emmerdes petit, soupira Francis.
- T’inquiètes on prendra Moscou avec nous, le rassura son voisin. Les raids alimentaires ça le connait.
- Ah, ah, ah ouais, tu te souviens à Falloujah Gaston ?
- Eh, eh, eh ouais, la gueule que les ricains ont fait quand ils ont su !
- Qu’est-ce qui s’est passé à Falloujah ?
- On avait pas été payé depuis un mois, en mission et on commençait a vraiment crever la dalle vu qu’on avait plus de ration et que la ligne de ravitaillement était coupée par les Mouloud, expliqua Gaston.
- Là-dessus Taras Boulba, notre homme à tout faire, et que seul notre ami Gaston ci-présent arrivait à piger, nous dégote un PX en plein désert pour les troupes aéroportée.
- Grand luxe le machin tu vois, réservé à la Coalition. Mais en gros si t’avais un uniforme ricain tu passais.
- Et vu qu’il y a que Moscou qui taille ricain, on l’a envoyé.
- Et alors ?
- Alors il est revenu avec un frigo plein sur le dos.
- Non !?
- Comme je te le dis.
- Mais comment il a fait ?
- Oh facile, il a rempli le frigo comme tu remplis ton caddie et il est sorti.
- Mais personne ne lui a rien dit ?
- Qui va emmerder un lieutenant-colonel des Forces Spéciales de deux mètres ?
Le jeune homme ne comprit pas immédiatement, puis réalisant la supercherie demanda où il avait récupéré grade et uniforme.
- Ah à Bagdad le PX y’avait de tout, expliqua Gaston.
Soudain le talkie-walkie à la hanche de l’ex sergent-chef Francis Lebreton se mis à siffler. Il le porta à sa bouche.
- Ouais ?
C’était le poste de pilotage, l’un des hommes de quart qui venait d’apercevoir plusieurs embarcations légères au loin. Lebreton porta ses jumelles à son regard et se tourna vers le large.
- Zoulou à dix heures, gronda-t-il.
L’imitant, Gaston, lui-même caporal dans une autre vie, leva ses jumelles à son tour.
- C’est peut-être des pêcheurs…
- Ca vaudrait mieux pour eux, répondit Lebreton en tirant la culasse de la mitrailleuse en arrière.
Derrière lui le jeune homme enfila le casque d’acier qu’il portait à sa hanche. Le navire avançait lentement mais bientôt ils aperçurent les pêcheurs dans leurs embarcations qui jetaient les filets. A l’exception du plus proche qui regardait vers le porte-container et semblait attendre quelque chose, un fichu rouge sang sur la tête.
- Hey salut ! Lança le jeune homme à l’adresse de ce dernier qui lui répondit aussi tôt, froidement, par un doigt d’honneur.
- On dirait que tu t’es fait un nouveau copain Nicolas, ricana Lebreton.
- Sale con !
- Qu’est-ce que tu veux môme pour eux on est juste des putains de pollueurs qui fait fuir le poisson.
- Ah commence pas Gaston !
- C’est vrai putain, dis pas le contraire !
- Ah ouais et qu’est-ce qu’on y peut si leur pays est tout niqué !?
- Cent ans de colonisation britannique tu crois que ça aidé ?
- Ah ça y est on sort le prof d’histoire ! Eh gros le Nigéria c’est quand qu’ils ont obtenu leur indépendance déjà ?
- 1960 et alors ? T’as jamais entendu parler de la néo colonisation ?
- Ah, la, la toujours les mêmes excuses ! Et la corruption c’est la néo colonisation peut-être ?
- Evidemment ! Si Total et les autres payaient la rente pétrolière à ceux qui sont sur site, y’aurait pas tous ces problèmes ! Tu sais combien il y a de raffineries sauvages sur la côte ? Et tous les ans il y a des accidents !
Le jeune homme sous son casque, le plateau à ses pieds, écoutaient leurs arguments avec une curiosité mêlé de surprise. On parlait peu politique, voir pas du tout, dans l’armée. Il avait été formé dans les parachutistes, passé au privé il y avait à peine une année ce n’était que sa troisième mission depuis qu’il avait intégré Centurion, et il avait encore tout le formatage de l’armée dans le crâne et les os.
- Ah tu m’emmerdes ! Râla Lebreton en se levant. Petit tu prends le quart, et garde l’œil, c’est des sauvages par ici.
- Sauvage toi-même, ronchonna Gaston.
En bas Moscou repassait pour la troisième fois.
- Eh Moscou c’est quand que t’arrêtes de faire le hamster !? Lança Lebreton
Ce à quoi l’autre lui répondit par un doigt d’honneur sans lâcher sa course.
- Ah putain de russkov, bon je grimpe voir le pitaine, expliqua-t-il avant de disparaitre par l’écoutille.
- Il est remonté le chef hein, dit le jeune quand il fut parti.
- C’est toujours la même avec lui, c’est l’Afrique qui lui fait ça.
- Pourquoi ? Il est raciste ?
- Hein ? Non il s’en fout de ça c’est juste qu’il y a de mauvais souvenirs, ça date de quand il était dans la légion.
- Il a été où ?
- Mali, Centre Afrique, Rwanda.
- Ah ouais ! Ça devait être chaud !
- Y m’a raconté un peu, en Centre-Afrique, des cannibales plein les rues… Rwanda tu sais…
- Putain !
- Bah ouais, y’a de ça aussi sur le continent. Le problème c’est y’a pas que ça, des cinglés avec des machettes mais lui il voit plus que ça.
Ainsi allait la vie au quotidien sur le navire pour les quatre hommes de Centurion. Entre ennui, discussions oiseuses et exercice. Un régime éminemment militaire pour qui avait été consigné à la caserne. Parce que bien entendu l’ex sergent-chef lui-même s’exerçait tous les jours, au même titre que les deux autres, et si le premier ne courait pas, jamais, c’était juste par détestation du jogging. Sa course terminée, Victor Rochenko alias Moscou prenait généralement une douche puis dormait une heure avant d’aller prendre son tour à la vigie. Cette fois-là, sur ordre de Lebreton, il s’arma, Glock 17 et AK 105, plus un casque et un gilet pare-balle de cinq kilos. On était au large d’une zone à risque et la vue récente d’embarcations avait éveillé la méfiance du français.
- Comment ça se passe capitaine ?
- C’est pas bon, Il a un vraquier en difficulté dans le Détroit Gibraltar, ça bouchonne jusqu’ici, il y a trop de bateaux dans le secteur, on va être obligé de ralentir la manœuvre.
- Shit it’s not the time !.
- I know, dit gravement le capitaine en échangeant un regard avec le contractant.
- Alright when do you think we’ll be out of this mess ?
- Pas avant demain soir sans doute, au pire si ça s’arrange pas dans trois jours.
- Mais on peut pas rester trois jours collé ici quand même !
- Je vais essayer de m’éloigner le plus possible de la côte, c’est le mieux que je puisse faire.
Lebreton regarda en direction de la côte l’œil sombre. Oui, il avait des mauvais souvenirs en Afrique, au Rwanda, en Centre-Afrique… mais surtout il n’avait aucune envie de se coltiner avec les pirates du golfe quand bien même il était payé pour ça. Après toutes les galères dans lesquels l’avaient entrainé Centurion cette mission lui avait semblé plus paisible, presque des vacances, comparé. Ça serait sa dernière aussi. Son contrat expirait en mars de cette année et il ne comptait pas le renouveler. Il avait eu sa dose de guerre, de mutilation, de pertes, de violence. Même les combats de rue il raccrocherait bientôt. Et la raison de ce changement, qu’il avait jusqu’ici tût même à ses meilleurs amis, s’appelait Camille, était blonde comme l’Hélène de Troie et il en était fou comme Paris. Et puis le père de Camille possédait plusieurs affaires sur des établissements de nuit et il aurait tout à fait besoin de son genre de compétence. Bref il allait raccrocher des gants comme disait les sportifs et les voyous et il espérait rentrer en douceur au pays. Il sortit du poste de pilotage et grimpa en direction de la vigie. Moscou était déjà là qui surveillait l’horizon derrière ses lunettes télémétriques comme une tour antiaérienne.
- On va rester là trois jours max, t’en penses quoi ?
- Der’mo !
- Je te le fais pas dire.
- Ce soir on dort pas.
- Ni demain soir, confirma Lebreton. D’ailleurs à ce propos tu voudrais pas faire un truc avec Gaston et moi ?
- Quel truc ?
- T’en penses quoi de la bouffe à bord ?
- Ras le bol.
- On est d’accord…
Moscou échangea un regard avec son ami.
- Tu veux faire ça quand ?
- Cette nuit ?
- Pendant qu’ils pioncent.
- Evidemment.
- J’en suis.
Le français sourit.
- Je savais que je pouvais compter sur toi.
La journée se passa sans incident, les ouvriers du navire vaquaient à leurs occupations, certain dormaient dans un hamac entre deux containers, d’autres étaient aux machines, à surveiller un bazar quasi automatisé. Le chat de bord, un greffier grassouillet et princier qui répondait au nom de Bob, surnom donné par Moscou. En réalité l’animal avait profité de l’escale à Panama pour s’incruster à bord. Et si c’était la mascotte des hommes d’équipage, c’était Gaston qui avait hérité de son cœur. Il était installé sur son sac à fusil pendant que Gaston nettoyait son arme de précision, Hécate II à côté du canon, était installé un smartphone allumé sur caméra. A l’écran une enfant babillait.
- Et Bob y va bien ?
- Y roupille sur mon sac.
- Tu rentres quand ?
- En fin de semaine normalement.
- Et tu restes ?
- Bah ouais, je te l’ai promis !
La gamine gloussa. Gaston le tombeur de ses dames, amoureux des femmes et réciproquement n’avait pas seulement une belle gueule burinée, il avait un cœur gros comme ça. Et ce cœur qui au fil du temps avait servi bien des causes désespérées, s’était découvert un nouvel horizon : Noor, une petite fille cachée qu’il avait eu d’une irakienne, aujourd’hui en France avec sa famille. On frappa à la porte, Gaston dit d’entrer, c’était le nouveau de la bande.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Il y a le chef qui vous demande.
- Dis-lui que j’arrive.
Là-haut, Moscou observait le balais des navires manœuvrer autour du golfe. C’était inspirant comme tout ce qui avait pour lui l’air du grand large. Il avait toujours adoré voyager et pour ça l’armée l’avait beaucoup trimballé. D’un bout à l’autre de la Russie pour commencer puis au-delà quand il était rentré dans le privé. Et quoi de mieux qu’un petit séjour en mer avec des potes pour se dégager les poumons et se décrasser le ciboulot. Il allait lui falloir ça pour rentrer au pays. Rien de tel qu’une mission de « vacances » pour se remettre d’aplomb avant que les choses sérieuses commencent. Il avait perdu trop de temps à Londres, à picoler, s’amuser et surtout s’ennuyer. Il avait grossi. L’occasion de se reprendre en main était trop belle. A bâbord du navire on apercevait les pêcheurs rassemblés autour de leurs filets. La pêche n’était pas bonne, comme d’habitude et James Odona, son fichu rouge sur la tête, rentra chez lui ce jour-là plus frustré et furieux que d’habitude. A peine une douzaine de dorades dans son sac. Son village était situé à quelques centaines de mètres de la côte, sous les baobabs et les caoutchoucs bleus. Un rutilant 4×4 Toyota rouge pétard était garé à la lisière de l’entrée du village. Plus loin des gamins jouaient au foot au milieu des poules. Un jeune homme en tricot de peau jaunâtre décati par le soleil et le temps, accouru.
- Boss ! Boss ! Faut que vous veniez y’a des nouvelles !
- Qu’est-ce qui se passe ? Grincha James.
- Y’a un bateau dans le nord qui bouche !
- De quoi ?
- Venez ! Insista le jeune homme.
Odona suivi le garçon jusqu’à une cabane en taule dans laquelle se tenait quatre hommes armés devant une télévision 16/9ème sur laquelle était diffusé les images d’un navire, mastodonte coincé à la manœuvre au large du caillou de Gibraltar. Les images étaient estampillées CNN.
- C’est pour ça qui sont tous là ! Dit le jeune homme.
- Qu’est-ce qu’on fait boss ? Demanda un des hommes.
- On attaque ce soir, prévenez les autres.
La demi-lune dans le ciel était déjà haute quand Gaston, Moscou et Lebreton se glissèrent dans la coursive en direction de la réserve. Bob, qui avait compris que quelque chose se tramait, suivait, la queue en chandelle. La porte était fermée par un verrou et un cadenas à code. Mais alors que le mexicain était occupé ailleurs, Gaston lui avait piqué les clefs. Les deux sacs de galettes, quinze kilos chacun, étaient entassés dans le fond, sous les étagères à produit sec. Ils firent vite, Moscou attrapant un sac sur chaque épaule ils ressortirent en gloussant comme des gosses. Quand une écoutille s’ouvrit devant eux et qu’un des officiers de quart russe apparu avec sa gueule des mauvais jours.
- Hey what’s happening here !?
- Le chef veut qu’on balance les sacs, parait qu’y a des vers, improvisa Moscou en russe.
- Pourquoi il vous demande ça à vous ?
- Il a peur de contaminer l’équipage, ils préfèrent que ça soit nous.
L’officier de quart les examina les uns après les autres, qui affichaient le bon Dieu sans confession puis il dit en anglais.
- Ouvrez moi ces sacs !
- Pas question ils sont contaminés, insista Moscou toujours en russe.
- Stop the bullshit, open the bag it’s an order !
- Bon on fait quoi ? Demanda Gaston en français.
- Il commence à nous casser les couilles ton copain, grogna Lebreton.
- Ouais mais je peux quand même pas lui mettre une droite.
- On pourrait foncer dans le tas, suggéra Gaston.
- C’est une idée, répondit l’ex sergent-chef. T’es près Moscou ?
- Scout toujours ! Brailla ce dernier en retour avant de balancer son sac dans l’estomac du gars et de le bousculer pour courir vers le pont, suivi de ses deux copains hilares.
Ils surgirent dans l’air marin, repoussés par le vent du large, une peine pour parvenir jusqu’au bastingage et larguer les sacs vite fait. Quand apparurent derrière eux, le russe avec un pistolet, et trois ouvriers philippins armés de clés à molette.
- Eh doucement les gars c’est que des galettes, dit Gaston en levant les mains et en souriant.
- Bande de voleurs ! Aboya le russe dans sa langue. On va vous apprendre nous à jeter les provisions de bord !
Ils se tenaient à l’arrière du porte-container. A l’avant, des silhouettes grimpaient sur les flancs du bateau, se hissant à la force des bras alors que le croissant dans le ciel s’ennuageait. Soudain le walkietalkie de Lebreton cracha.
- Qu’est-ce qu’il y a petit, répondit ce dernier alors que les philippins et le russe les encerclaient.
- Chef comment ça se passe ?
- Bin disons que c’est pas le moment gamin.
- Tu crois qu’il va arrêter de t’appeler chef quand ? Glissa Gaston se préparant déjà à la bagarre.
- Quand il aura de nouveaux les cheveux longs, marmonna son copain.
- Un pépin chef ? Demanda la voix de Nicolas dans l’appareil.
Il ne prit même pas la peine de répondre.
- Bon les mecs, calmez-vous, c’est rien, on voulait juste changer de menu.
- C’est pas à vous de décider ! Main en l’air ! Allé ouste, on va voir le capitaine !
- Oh la, la grommela Moscou avant d’arracher vivement l’arme des mains du russe et de la balancer loin derrière son épaule.
Nicolas, derrière sa mitrailleuse lourde parlait toujours au walkietalkie, inquiet de ne pas recevoir de réponse.
- Chef !? Chef !? Est-ce que tout va bien ? Che….
Le couteau ressorti de sa gorge, une fois, deux fois, avant que son cadavre ne s’effondre doucement sur l’arme. Le pirate repoussa le corps et braqua le canon vers le poste de pilotage tout en allumant le spot sur le côté. Puis il arma et appuya sur la détente presque aussi tôt. La salve rugit du canon avec une flamme longue et large, brisant les vitres de la cabine et déchirant le toit, puis le centre de commandement. Un des russes fut tué, le tableau de bord se mis à cracher des gerbes d’étincelles et partir en copeau.
- Putain qu’est-ce qui se passe !? S’écria Lebreton.
- You ! Don’t move ! Aboya quelqu’un au-dessus d’eux.
Un type d’une vingtaine d’année avec une Kalachnikov juché sur un des containers qui les tenait en joue. Gaston et les deux autres échangèrent un regard et déjà d’autres pirates débarquaient de partout, armés, coutelas, AK47, AR15, RPG, machettes…une petite armée.
Le chef de chantier du porte-container venait d’avoir une fille quand ce dernier fut achevé. Naturellement il le baptisa du nom de celle-ci et même, quand elle eut six ans, lui offrit une application sur son ordinateur pour qu’elle puisse suivre la progression du porte-container à travers le monde. Mais en ce jour le point rouge qui symbolisait l’Isabel vibrionnait quelque part au large des côtes nigérianes. La petite fille se demanda pourquoi, elle alla voir son père et lui posa la question.
- Peut-être une avarie, expliqua le père sans plus s’émouvoir.
Ailleurs en revanche, dans les Bermudes, le vice-directeur d’un fonds de pension australo-américain venait de recevoir un coup de fil inquiétant de ses bureaux de Londres, l’Isabel ne répondait plus. Si le navire appartenait à une compagnie française, la marchandise et son fret était garanti par ce fonds de pension qui gérait à dire vrai des centaines d’autres navire, mais dans la terrible concurrence auquel se livrait marchands et financiers, un seul retard pouvait générer des millions de dollars de perte et dans le contexte du krach boursier et de l’inflation galopante, ce retard ci n’était pas à prendre à la légère. Aussi pendant que les uns tentaient de contacter le navire, le vice-directeur ouvrait son ordinateur portable et observait la carte en temps réel des frets de sa compagnie à travers le monde. L’Isabel se trouvait donc au large du Nigéria et ça lui fit des maux d’estomac. Ils avaient déjà fait les frais du piratage, trois fois cette année, en Mer de Chine, dans le golfe d’Aden, en Guinée, ça avait couté cher à sa compagnie, il n’avait pas envie que ça recommence, mais peut-être que ce n‘était qu’une avarie. Il appela son assistant à Londres et se renseigna sur le navire. De quand datait la dernière inspection ? Est-ce que l’équipage avait déjà effectué sa rotation, qui assurait pour les français, est-ce que le bâtiment était protégé ? Etc…
- Centurion monsieur, c’est une compagnie française.
- Jamais entendu parler. Faites des recherches.
Après quoi il appela directement la CMA CGM, est-ce qu’ils avaient des nouvelles de son navire, mais rien depuis bientôt six heures. Il ouvrit une fenêtre sur son ordinateur et se brancha sur CNN. Le vraquier en difficulté en face de Gibraltar tentait toujours de se dégager du détroit, et c’était en train de provoquer un embouteillage maritime mondial. Ca non plus ça n’allait pas aider aux affaires, comme si toutes les planètes s’alignaient contre le capitalisme dans une même année. La guerre en Ukraine, le dévissage de la Silicone Valley Bank, l’inflation, et maintenant ça. Alors non il n’était pas près pour des pirates. Pourtant à minuit heure locale, il recevait un nouveau coup de fil de son assistant à Londres. Un gang qui se faisait appeler les Diables du Golfe venait de contacter les français, l’Isabel était officiellement sous leur contrôle, ils réclamaient dix millions de dollars. Le vice-directeur fit ses bagages dans la foulée, les vacances étaient terminées. La réunion extraordinaire se tint le lendemain au sommet d’une des tours de la City, en visioconférence avec l’Australie et New York. N’étaient présent que des membres du staff exécutif, la réunion placée sous le sceau de la confidentialité la plus absolue.
- Qu’est-ce qu’on a sur eux ? Demanda le CEO depuis le siège new-yorkais.
L’un des participants ouvrit le dossier qu’il avait avec lui.
- Les Diables du Golfe, constitué aux alentours du début des années 2000, actuellement dirigés par James « Demon » Odona, trente cinq ans, père de famille, trois enfants, deux épouses. L’organisation serait proche de Boko Haram.
- Des terroristes ? S’exclama le CEO derrière son écran.
- C’est une rumeur.
- Est-ce qu’on a déjà tenté de négocier avec eux par le passé ? Dit le vice-président.
- Pas à ma connaissance mais nous avons quelques contacts à Lagos, ils pourraient peut-être intervenir.
- Nous ne négocions pas avec les terroristes, coupa l’américain.
On échangea des regards entendu, tout le monde connaissait les positions républicaines du CEO et sur le sujet elles n’avaient pas variés depuis Ronald Reagan.
- Monsieur si je puis me permettre, commença un des exécutifs
- Nous ne négocions pas avec les terroristes, un point c’est tout, déclara à nouveau le directeur.
- En ce cas que préconisons nous ?
- A hauteur à combien est assurée la cargaison ?
Un exécutif se plongea dans un de ses tableaux Excel
- Actuellement une journée complète d’arrêt nous coûte un million jour.
- Et si nous abandonnions marchandise et personnel combien ça nous couterait ?
Nouveau regard entendu autour de la table.
- Une publicité déplorable et plusieurs dizaines de millions de dédommagements pour le personnel et leur famille, sans compter nos clients, déclara le chef du bureau exécutif.
- En ce cas nous devons intervenir, décida le CEO, il faut contacter Willis.
- Willis est cher.
- Moins cher que ce que va nous coûter cette affaire si nous n’agissons pas.
- Très bien, comme vous voulez, dit l’un des exécutifs en appuyant sur l’écran de son portable, envoyer un SMS à sa secrétaire au sujet du fameux Willis.
La secrétaire en question, une jeune immigrée espagnole du nom de Melinda décrocha à son tour son téléphone et passa deux coups de fil, un en ville, un autre en Afrique du Sud, dans la région du Cap. Deux coups de fil d’égal importance. Le premier s’adressait à une de ses amies, l’autre au bureau de Mike Willis. L’amie en question était également secrétaire dans une importante entreprise financière, tandis que Mike Willis était un ancien officier britannique du Spécial Air Service, installé en Afrique où il dirigeait une société militaire privée. La plupart de son encadrement était composé d’ancien d’Executive Outcome, connu pour avoir fait cesser la guerre au Sierra Léone dans les années 90. Les cheveux longs et blonds retenus par un catogan, bronzé, athlétique, Willis ne faisait pas ses cinquante ans. Il ressemblait à dire vrai à un moniteur de surf en treillis de combat. Quand il reçut le coup de fil il était sur le pas de tir derrière sa propriété et était en train de diriger une séance d’entrainement.
- Je vous écoute, oui, oui, très bien, parfait, je vais constituer une équipe.
La secrétaire N° 2, l’amie de Mélinda, entra dans le bureau de son patron et déposa une note devant lui. Qu’il prit, lu, tout en téléphonant lui-même. La réunion de Londres se termina rapidement considérant l’urgence de la situation. Mais tout le monde n’était pas d’accord avec les décisions du CEO et le refus de négocier. Le vice-président notamment.
- Contactez les français, demandez leur ce qu’ils comptent faire, dit-il à son assistant.
En France, la nouvelle avait également fait l’objet d’une réunion de crise. Réunion à laquelle participait Philippe de La Salle, président directeur de Centurion.
- Voici tout ce que nous savons pour le moment, déclara celui-ci à une assistance préoccupée. L’Isabel a été pris d’assaut par un nombre indéterminé d’individus se faisant appeler les Diables du Golfe. Mais d’après nos renseignement les Diables du Golfe seraient un des principaux groupes armés sur cette partie de la côte, comptant un maximum de trois cent hommes, dirigé par James « Demon » Odona. Nous savons également qu’il y a eu deux tués et six blessés durant l’attaque. Maintenant les pirates nous ont envoyés une vidéo, regardons là je vous prie.
Le film avait été fait en plein jour, par une matinée grisâtre. On y voyait ce qui restait du poste de commandement, puis des pirates disposés à différents endroits du bateau. L’équipage au complet avait été rassemblé dans la soute au milieu des containers, vingt-trois hommes en comptant ceux de Centurion, tous ensemble sous la garde de quatre hommes lourdement armés. La vidéo terminée de La Salle continua ses présentations.
- Messieurs, trois options s’offre à nous, négocier, faire intervenir l’état et nos forces armées, ou compter sur celles de mon groupe.
A dire vrai de La Salle ne représentait pas un groupe mais une simple SARL au siège social à Jersey mais il aimait bien se payer de mots.
- La marchandise et sa livraison a été garantie par KRB Group, si nous voulons intervenir il nous faudra leur accord, expliqua un des cadres d’Axa.
- Et si nous acceptons de négocier ?
- Alors j’ai un nom, Ravaillac, Antoine Ravaillac, il connait l’Afrique, il a de nombreux contact là-bas, dit un autre.
De La Salle leva des yeux contrariés sur son vis-à-vis. Il connaissait l’ancien officier du 13ème RDP dont lui-même était issu, il ne l’avait jamais apprécié. Ni dans le civil, ni quand ils servaient tous les deux. Et puis c’était ses hommes qui étaient là-bas à risquer leur vie, alors il comptait bien activer ses propres contacts et ce avant que Ravaillac ait mit son nez dedans. Puis la compagnie de fret reçu un coup de fil du ministère de l’intérieur français lui ordonnant de ne rien faire, qu’une intervention militaire était déjà envisagée. Ainsi en l’espace de vingt-quatre heures, deux opérations de sauvetage se préparaient pendant qu’au même moment divers acteurs passaient des coups de fil et proposaient des rendez-vous urgents où déjà des valises de billets se préparaient à passer de mains en mains. Commission, rétrocommission, rançon renégociée, pot-de-vin. La nouvelle de la prise d’otage ne fut pas rendu publique, et toutes les caméras étaient tournée sur le vraquier pendant que les experts médiatiques tentaient de rassurer le public sur la catastrophe en route à la bourse. Puis le navire à Gibraltar fini par être secouru et dès lors l’actualité reprit son cours normal. Entre temps trois jours s’étaient passés et à bord on commençait déjà trouver le temps long.
- Alors ?
- Alors c’est terminé, le fret va reprendre normalement, répondit l’homme devant l’écran de télé géant tout l’éteignant à l’aide de sa télécommande.
- Tu veux vraiment qu’on agisse ?
- Nous avons des échéances, et je ne veux que les médias s’intéressent à ce bateau.
- Je préviens Claudio en ce cas.
L’homme traversa le patio de l’hacienda avant de pénétrer dans un bureau rococo et de s’emparer d’un smartphone. Le message, cryptés, passa par Telegram faisant vibrer un autre smartphone en Calabre. Il disait en substance : intervenir d’urgence pour Isabelle. Le dénommé Claudio, qui travaillait pour le compte d’une famille de la N’dranghetta expédia à son tour un message également crypté à son contact à Nice qui lui-même grogna une insulte en russe quand il lu ce que lui demandaient ses partenaires en affaire.
- Kolia, dit l’homme à son chauffeur et garde du corps, appelle Berlin dit à John le Boucher que je veux lui parler.
Dix minutes plus tard John Chukwu, un homme d’une soixantaine d’année, large d’épaule, le crâne lisse et vêtu d’un couteux costume sur mesure violet, reposa son cigare et son verre de scotch et pris le téléphone qu’on lui tendait.
- Vous m’excusez ma chère, les affaires, sourit-il à la jeune femme face à lui.
Cette dernière lui rendit son sourire avant de se lever, immédiatement accueilli par un des assistants de Chukwu.
- Andreï veut me parler en personne ? Dis-lui que je prends le premier avion bien entendu.
En fait de premier avion, Chukwu alias le Boucher, chef incontesté des Black Axes, mafia nigériane implantée en Europe, possédait son propre jet privé qui en trois heures le conduisit à l’aéroport de Nice où l’attendait un barbu de taille moyenne et large d’épaule, Kolia. Après quoi ce dernier le conduisit à son maitre.
- Nous avons un problème, expliqua Andreï Kazatchisky tout en buvant son thé par petite lampée. Ses yeux bleu porcelaine fixant avec intensité son interlocuteur. Il y a un bateau coincé au large de ton pays. L’Isabel. Des bandits se sont emparés du navire, ils se font appeler les Diables du Golfe. Tu as déjà entendu parler d’eux ?
- Non mais mes amis peut-être.
- Ces gens ne m’ont pas l’air très honorables ou raisonnables, il faudrait agir vite, et récupérer de la marchandise sur place.
- Beaucoup ?
- Quatre tonnes. Nous ne voulons pas prendre le risque qu’une intervention des autorités mette en danger l’expédition.
- Ecoute j’ai quelqu’un là-bas, c’est un spécialiste, il va régler ça.
Et ainsi, pendant que le monde des affaires et de la politique s’empressait de son côté, un homme allongé sur un canapé en cuir blanc répondait à son tour au téléphone. On lui avait donné un surnom, Skolombo, Sorcier, parce qu’on disait qu’il pratiquait la magie noire. Qu’avant de tuer ses victimes physiquement il les torturait spirituellement. Il écouta ses instructions sans un mot et raccrocha, il savait ce qui lui restait à faire. Ravaillac lui n’était pas à proprement parler sorcier ou magicien mais certaine de ses relations avaient heure de croire le contraire. Il avait déjà aidé à la libération d’otages français au Mali, en Syrie, au Niger, il aurait pu même en faire une spécialité si créer sa propre entreprise ne l’avait jamais intéressé. Au lieu de ça il préférait travailler seul et en contact direct avec ses interlocuteurs, raison pour laquelle il débarqua à Lagos en milieu de semaine et retrouva une de ses relations sur place dans un pub.
- Ca va être compliqué.
- Pourquoi ?
- Les gens de la côte, ce sont des sauvages, ils ne respectent pas nos accords et se fiche de nos alliances.
- Ecoute, arrange-toi quand même, je ferais avec.
- Tu travailles pour qui ?
- Pas notre gouvernement si c’est ça la question.
- Un américain a débarqué en ville, lui aussi il veut négocier. Il n’est pas venu seul.
- Qui l’a mandaté ?
- Je ne sais pas mais je peux me renseigner.
- Oui fait ça, je serais au Hilton, chambre 406.
A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche, depuis quatre jours. A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche, sans rien dans le ventre, ni eau, ni nourriture. Quatre jours. Deux philippins tombèrent dans les vapes, leurs géôliers les en sortirent à coup de trique. Et maintenant ils étaient en train de crever lentement, les os brisés, les plaies béantes. A genoux, les mains sur la tête, doigts croisés, pieds croisés, tête baissée, un bâillon sur la bouche. Et les pieds gargantuesques de Moscou qui touchaient ceux de Gaston. Il tapotait discrètement de la plante des pieds, ti-tap, ti-tap, morse plantaire.
- J’en ai marre mec.
- J’ai la dalle.
- J’ai soif.
- Moi aussi.
Quatre jours d’impuissance sous la garde de gamins à peine majeur et de leurs AK usagés. Et de temps en temps Démon qui descendait dans la calle leur faire un discours.
- Vous n’êtes rien ! De La merde ! Vous croyez que j’en ai quelque chose à foutre de vous ? Vous ne valez rien, votre compagnie s’en fout de vous, ce qu’ils veulent c’est le bateau et la marchandise, alors je peux vous tuer quand je veux. Qui veux mourir aujourd’hui !?
Mais Démon se contentait d’hurler et repartait en les menaçant des pires tortures si jamais ils essayaient quoique ce soit. Et puis quelqu’un osa. Crachant son bâillon le quatrième jour à force de la mâchonner comme un chien de combat.
- Si tu nous donnais au moins à boire on pourrait pas tous crever en même temps. Ça va t’avancer à quoi d’avoir vingt sept cadavres à balancer à la mer ?
Et évidement c’était Francis. Gaston leva les yeux au ciel, Moscou sourit sous son bâillon, Démon se retourna et s’approcha du coupable.
- Dis moi sale blanc tu sais combien de temps mes aïeux attendaient pour boire quand on les emmenait comme esclave pour les plantations de tes ancêtres ?
- J’ai pas de plantation.
- DES SEMAINES !
- Tu sites un chiffre au hasard ou t’en sais rien ?
Démon le considéra quelques secondes, incrédule, avant d’éclater de rire, sitôt imité par ses hommes.
- Tu veux que je te coupe une oreille ? Ou mieux, la langue sale blanc insolent ?
- A quoi ça te servirait ? Question bénéfice risque c’est pas bézef.
- Risque ?
- Viendez si tu l’oses, l’essayer c’est l’adopter, ricana Lebreton.
Démon n’était pas un psychopathe et même un garçon intelligent, malin assez pour garder la main sur sa bande depuis cinq ans. D’abord simple soldat à caporal, sergent puis bras droit du chef avant sa mort tragique. Tué par les militaires. Toutefois assez vicieux pour assoir son autorité sur plusieurs centaines de jeunes assassins. Camés jusqu’aux yeux pour certain, et ce en dépit de ses ordres strict à ce sujet.
- Tenez-le ! Ordonna-t-il dans sa langue.
Deux hommes se jetèrent sur le mercenaire l’un lui tenant la tête en arrière par les cheveux, l’autre lui tordant les bras, un pied sur son mollet alors que s’approchait le couteau,. L’erreur qu’il ne faut pas faire. Il décroisa les doigts, saisi le poignet qui l’attirait en arrière, et tira de toute ses forces. Il y eu un craquement, le type poussa un cri, le temps d’en profiter pour faire basculer l’autre par-dessus son épaule. Démon évita le corps qu’on projetait sur lui et se jeta sur le français. Renversant Lebreton ankylosé jusqu’aux hanches. Odona lui planta son genou sur la gorge, s’apprêtant à lui tailler un bout de viande quand un de ses lieutenants pénétra dans la cale.
- Boss, y’a un appel de Lagos, c’est important, venez.
Démon arrêta son geste.
- Tu as de la chance on dirait aujourd’hui…. Donnez-leur de l’eau !
- Mais boss… dit un des gardes.
- C’est un ordre !
Laissant un Lebreton étourdi, il suivi son subalterne sur le pont avant. Un autre de ses lieutenants tenait un smartphone et à la tête qu’il faisait il était terrorisé.
- Qu’est-ce qui se passe !? Qu’est-ce que t’as !? S’écria Démon surpris, ce lieutenant là n’avait pas réputation de craindre grand-chose.
Mais deux pas de plus et la peur s’insinuaient à son tour dans sa colonne vertébrale, comme un serpent de glace. A l’écran un homme masqué en costume. Masque traditionnel fabriqué de bois, de fer, d’os, de plume de vautour et d’un rang de cauris jaunâtres qui ne laissait paraitre que le bas de la mâchoire de son propriétaire. Pour le reste il portait un sobre costume noir sur une chemise noire. En fond sonore, probablement sorti d’une bande son d’un film nigérian, les tambours de la sorcellerie. L’homme masqué ne dit rien et il comprit qu’on leur diffusait une vidéo en direct quand le mot « warning » en rouge se mit à clignoter sur l’écran. Puis la phrase suivante alors que le caméraman dézoomait ; « this is just the beginning ». Plan moyen, le sorcier avait la main équipée de griffes d’acier. Quatre griffes retenues par un bracelet de cuir. A genoux devant lui se tient un adolescent qu’il empoigna. Odona reconnu aussi tôt son fils ainé qui faisait des études à la capital. D’un coup le sorcier planta les griffes dans le visage du jeune homme et tira lentement. Les hurlements aigus de la victime envahirent le pont. La peau du front vint en lambeau, dévoilant une partie de l’occiput. James Odona avait les yeux vitreux de douleur et de terreur, et de rage. Il se mit à son tour à hurler alors que le supplice à l’écran continuait. Puis à pleurer à grosses gouttes et quand enfin, après avoir détruit le visage de sa descendance, il s’attaqué à sa gorge, Odona se mit à insulter et menacer le sorcier.
- Mes gris-gris sont plus puissants, mon sorcier est plus puissant que toi, je vais te trouver fils de pute ! Et je vais manger ton cœur !
Le sang gicla sur la caméra d’un seul jet bouillonnant, la communication se termina aussi tôt.
Celui qu’on surnommait Skolombo ou aussi Mille Morts s’appelait en réalité Ali Yusuf et faisait profession de tueur à gage depuis une quinzaine d’années. Il avait commencé poussé par la nécessité et avait très rapidement démontré de talents certains dans ce domaine. Maintenant de savoir qui de la poule et de l’œuf l’avait amené à la magie noire, il n’aurait su complètement le dire. Son père était issu d’une longue lignée de sorcier, et sa mère avait soi-disant des ancêtres pygmées. Ces êtres qui dans le centre de l’Afrique passaient pour magique. Mais c’était surtout le pouvoir que ça lui procurait sur ses victimes qui l’avait attiré. Autant que ses propres superstitions au sujet des nombreux crimes dont il s’était rendu coupable. Sortant une poupée de tissu des plis d’un sac en cuir, il prit un lambeau de peau du visage du fils d’Odona et en couvrit la tête en le maintenant avec une épingle à tête rouge. Puis il le marqua avec la flaque de sang et d’urine au pied de sa victime, tout en marmonnant des incantations dans une langue secrète sous-dialecte d’Igbo. L’âme tourmentée du fils maudirait celle du père dans ses rêves devenu cauchemar et ainsi il deviendrait un Sans Sommeil. Le caméraman qui l’avait assisté portait lui-même un masque. Il rangea son appareil, sortit un poignard de chasse de sous sa veste et entreprit de décapiter la dépouille. La tête serait ensuite traitée pour être réduite et irait rejoindre l’autel des Morts. Il n’était pas le seul à pratiquer la sorcellerie dans le monde interlope qui était le sien. La pratique était couramment utilisé pour obliger les filles à se prostituer en Europe. Mais si on lui avait demandé son avis, il aurait renvoyé par le mépris ces jeteurs de sort là, leur juju ne s’appuyait que sur des superstitions, le sien marchait réellement. Mais la vie est un cycle et ce que l’on fait aux autres vous revient tôt ou tard dans la figure. Il le pensait du moins et redoutait le moment où à son tour il passerait de vie à trépas.
- Bonjour ma sœur.
- Bonjour Ali.
- Comment vont les enfants aujourd’hui ?
- Bien, la petite Ada est sortie d’affaire et Michael a eu son diplôme de conduite.
- Oh bien ! Et vous-même comment allez-vous ?
- A merveille grâce à Dieu.
- Tenez c’est pour l’orphelinat, ajouta-t-il en lui offrant une enveloppe épaisse comme un dictionnaire.
Elle ouvrit l’enveloppe, des billets usagés en liasses, trois millions de nairas. La somme hebdomadaire.
- Tu donnes trop et toi ?
- Ai-je l’air d’un homme dans le besoin ?
La sœur sourit.
- Tu es un ange tombé du ciel.
La définition même de Satan dans la cosmogonie chrétienne, l’Ange Déchu. Il perdu son propre sourire. Il n’aimait pas penser à son travail quand il était ici. Mais ne fit aucun commentaire.
- Allons voir les enfants, lui proposa-t-elle.
Ravaillac se leva avec une gueule de bois magistrale. La veille il avait passé la soirée avec un de ses contacts locaux. Ce dernier lui avait fait faire faire la tournée des coins où les gros voyous du pays aimaient se faire voir. Chercher qui parmi ces messieurs et parfois ces dames avait un contact privilégié avec les Diables. Finalement il avait trouvé ce qu’ils cherchaient dans une boite de nuit baptisée l’Apollo. Après avoir éclusé bières sur bières et sniffer du brown-brown. Le gars en question se faisait appeler Marcus Downtown et travaillait dans le trafic d’armes et de drogues. Métamphétamine et cocaïne, beaucoup de succès sur le front nord contre ou pour Boko Haram. C’était la chaleur qui l’avait réveillé. Le large pan de soleil qui peignait son lit d’une lumière crue. Nu comme un vers il tira les stores, mit ses lunettes noires, et alla sous la douche. Contre cinq millions de nairas, le gars lui avait promit qu’il prendrait contact. Il n’avait plus qu’à patienter. Quand il sorti de la douche, il s’aperçu que la porte d’entrée était entre-ouverte et remarqua immédiatement la disparition de son téléphone portable sur la table du salon. Il sorti en trombe de l’appartement, le temps d’apercevoir le voleur qui s’enfuyait. Toujours nu, il parti à sa poursuite. Le type poussa la porte de secours et s’engouffra dans les escaliers. Sautant quatre par quatre les marches, il s’engouffra à l’étage suivant, courant jusqu’aux ascenseurs et disparaissant à l’intérieur alors qu’il déboulait au milieu des touristes américains.
- Where is the little fuck !? Hurla-t-il.
Effrayés, les autres lui désignèrent les ascenseurs. Sans se démoraliser Ravaillac reparti à la poursuite du voleur. Une minute plus tard il traversait un hall encombré avant de surgir dans la rue, apercevant son voleur qui détalait vers le parc en face de l’hôtel. Nu ou pas, il ne lâcherait d’autant pas l’affaire que ce téléphone était son principal outil de travail ici. Et puis la chance se présenta au hasard d’un cocotier que quelques singes avaient prit d’assaut. Des noix étaient par terre. Il en saisi une et de toute ses forces visa le dos du voleur. La noix le percuta juste derrière le crâne. Il roula par terre, et tenta de se relever presque immédiatement, groggy. Mais à ce stade le français l’avait déjà rattrapé. Il se jeta sur lui et le frappa une première fois à la mâchoire avant de déchirer ses poches et de récupérer son appareil. Pile au même moment où des policiers sautaient de leur voiture pour aller à sa rencontre. Il essaya bien de s’expliquer, qu’il était sous la douche quand c’était arrivé, ils l’arrêtèrent pour outrage et exhibition avant de relâcher le voleur et de lui confisquer son téléphone. Le monde à l’envers. Vingt-quatre heures plus tard, après avoir fait des pieds et des mains pour obtenir un avocat, il était relâché contre une caution de deux cent milles nairas, quatre cent euros. Mais quand il retourna à l’hôtel ce fut pour s’apercevoir de la disparition de son ordinateur. Il s’était fait avoir comme un bleu. Et ainsi pendant que le français était mis sur la touche, d’autres prenaient contact avec ses propres contacts, et les valises de billets se mirent à valser de mains en mains. La valse des intermédiaires qui finalement pris fin quand les nouveaux amis des américains prirent enfin contact avec le bateau. Le vice-directeur du groupe australo-américain était satisfait, ses hommes avaient bien fait leur travail, et tout aurait dû normalement se passer, contre une rançon de dix millions de dollars, si entre temps James Odona n’avait pas croisé la route d’un certain sorcier.
- On a trop attendu ! C’est vingt millions ! Vous avez deux jours ! Si jamais on n’a pas notre argent dans deux jours, je tuerais un otage tous les jours jusqu’à ce que nous ayons l’argent !
L’option Willis reçut dès lors le feu vert.
Pendant qu’à Paris on se tâtait toujours sur l’opportunité politique d’une opération armée, que Ravaillac essayait de retrouver son dernier contact, et que James Odana faisait des cauchemars dans son hamac, Pendant que des valises d’argent liquide passaient de mains en mains, le sort des otages s’était vaguement amélioré. Un peu d’eau et du riz pour tenir. Ca leur avait redonné des forces, et pour ce qui s’agit des mercenaires, de la suite dans les idées. Pendant que Lebreton cherchait discrètement du regard comment atteindre le garde le plus proche sans se faire trouer, Gaston et Moscou en faisaient de même tout en communiquant discrètement.
- Je prends celui de droite.
- Il est plus près de moi, prends l’autre.
- T’es moins rapide que moi, laisse-le-moi.
Moscou soupira, sa taille, son poids, l’encombrait trop souvent et Gaston avait raison, comparé à lui c’était un cobra. Mais était-ce une raison de ne pas tenter son truc à lui ?
- Hey droug faut que je chie ! Lança le géant à l’adresse d’un des gardes.
- Chie sur toi, rétorqua ce dernier.
- Hein ? Va te faire foutre ! Je suis propre moi, commença Moscou en se dépliant lentement, attirant immédiatement l’attention des six hommes qui les gardaient.
- Reste assis ! Bouge pas !
- J’ai envie de chier je te dis !
- Assis ! Ou t’aura plus jamais envie d’chier ! Hurla le pirate en épaulant son AR15
Les autres s’étaient rapprochés, tous prêt à faire feu sur le géant. Et puis soudain l’un d’eux eu la brillante idée de sortir une machette. De la brandir et d’attaquer Lebreton.
- Sale blanc on va vous apprendre !
Lebreton se saisi du bras armé, le cassa en deux, fit valser son adversaire par-dessus son épaule avant de se jeter sur le premier garde à sa portée. Alors tout se passa très vite. Balayette de Gaston qui fit tomber le pirate et son AK47, Moscou qui déviait le canon de l’AR15 avant de repousser violement son propriétaire du torse et lui arracher l’arme. En deux minutes trois gardes étaient maitrisés et les trois autres tenaient en joue les contractants qui leur rendaient la pareille. Mexican Stand Off, comme disait les cinéastes, suspension d’incrédulité, répondaient les spectateurs. Personne dans l’instant ne veut tirer mais tout le monde a le doigt sur la queue de détente. Les regards se croisèrent, l’un avait clairement peur de mourir et ça se lisait, un autre avait la mort dans la bouche et l’œil, le troisième attendait comme un chasseur. Lebreton abattu le second donnant le signal du massacre. Chacun trois balles, deux dans le sternum une dans le crâne. Une méthode inventée au Mozambique par un mercenaire rhodésien. Efficace mais pas sans conséquence. En quelque minutes toute la meute était sur place, Démon Odona en tête, gris comme la mort et machette à la main. Mais les coupables avaient disparus dans les soutes immenses du navire avec le capitaine et quelques hommes d’équipages. Fou de rage, de chagrin et des cauchemars encore plein la tête, Odona réduisit en pièce un des népalais sous le regard horrifié de tous les autres.
- OU SONT-ILS !? Hurla Démon.
- J… je… je …. Vous… ju…jure… pa… patr.. j’sais pas ! Couina un philippin dans un anglais malhabile.
Et vlan ! Sa tête qui sautait. Mais entre temps il avait lancé ses hommes à leur recherche, alors quand des coups de feu éclatèrent dans le niveau du dessous, la bande su où chercher. Et elle le savait d’autant qu’elle s’était procuré les plans du bateau à bord. Là étaient entreposés des pièces auto en provenance du Japon. Un groupe se lança à leur poursuite.
- Je les veux vivants ! Aboya Odona alors qu’ils s’engouffraient par les escaliers vers l’étage inférieur.
Ils ne furent bientôt plus que huit encerclant les otages, bardés d’armes et de munitions. Certain torse nu, d’autres avec des gilets de combat, tous portant le fichu rouge du clan. Puis il sorti de l’ombre et se saisi d’Odona par derrière, une machette sur sa gorge.
- Tu voulais me voir ?
Lebreton, était resté en arrière à l’insu de presque tout le monde, attendant son moment et espérant que personne ne repère sa présence dans la grue qui les dominait tous. Feutré comme un chat, entrainé par des années à faire la guerre il s’était insinué au plus près de l’ennemi sans que l’autre ne sente même sa présence. Est-ce qu’il aurait pu intervenir avant qu’il ne massacre le népalais ? Il avait convenu avec Gaston d’un temps d’action, il s’y était tenu. Serrant les dents et détournant les yeux en essayant d’ignorer les hurlements.
- Lâchez vos armes et y garde sa tête.
- Lâche-le ou on les tue ! Hurla un des hommes en retournant son fusil d’assaut vers les otages.
- Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Ils ont pas voulu nous suivre tant pis pour leur gueule.
- Boss qu’est-ce qu’on fait ?
- TUEZ-LE ! TUEZ-LE ! hurla l’intéressé à son tour
Mais plus facile à dire qu’à faire quand son chef bien aimé se trouvait dans la ligne de tir. Finalement ils cédèrent tous les sept, sept gamin désemparés qu’on désarma sans difficulté et sous les insultes de Démon.
- Mais ferme un peu ta gueule, gronda le français en lui collant une droite derrière l’oreille.
Démon plia sous le coup.
- Appelle les autres maintenant.
- Va te faire foutre.
Cette fois pas de quartier, coup de pied derrière le genou, coup de poing à la mâchoire, coup de poing dans le côtes. L’autre s’effondre essouffler, effrayé par la force qui vient de le frapper.
- Depuis quand je te demande ton avis ?
Trois heures plus tard le navire était libéré par l’équipage sous le commandement des mercenaires français, et les pirates mis sous clef. La nouvelle parvint simultanément à Paris, Londres et New York sous le couvert discret du secret des affaires. Mais Mike Willis et son équipe étaient déjà en route et n’avait aucunement envie de se faire voler la vedette par une bande de bras cassés de français. Aussi débarquèrent-ils de nuit par voie de zodiac, comme si le navire n’avaient pas déjà été libéré. Une attaque commando dans les règles de l’art. Qui vit la mort de deux autres philippins qu’on prit dans l’obscurité pour des pirates. Croyant que ceux-ci avaient reçu du renfort, Moscou et Lebreton ripostèrent, s’engagea alors une courte fusillade entre l’équipage et le commando. Jusqu’à ce que Gaston mette tout le monde d’accord derrière son fusil de précision. Reconnaissant la chevelure du légendaire mercenaire sous la lune.
- Mike ? Mike Wills ?
Il attrapa son walkietalkie et lança son appel.
- Arrêtez de tirer bordel, ils sont des nôtres !
- De quoi !? Jappa l’ancien sergent-chef en retour.
- C’est Willis, Mike ! On se connait !
Quelques minutes plus tard tout était rentré dans l’ordre même on comptait deux morts supplémentaires et six blessés. On était en train de les conduire dans le réfectoire, l’infirmerie déjà remplie des plus atteints. Le capitaine Khan s’approcha de Lebreton regardant son cuistot sur un brancard de fortune.
- On va manquer de soin
- Vous inquiétez pas, ils ont dû venir avec ce qu’il fallait. Dites moi plutôt si on peut repartir.
- On a regardé, faudra sans doute une dizaine de jours avant que le poste de commandement soit opérationnel.
- Alors il faudra probablement évacué, que la compagnie d’assurance se démerde.
- Non, je refuse d’abandonner l’Isabel !
- Comme vous voulez mais moi et mes hommes on va se tirer avec tous les blessés qu’on pourra.
- Ca me convient.
Sur le pont avant, alors que le jour se levait, rose et rouge comme une confusion sur un visage d’enfant, Gaston et Willis se tombaient dans les bras.
- Angelini !
- Mike !
- Tu veux me dire ce que vous foutez là ?
- Bah on protège le navire.
- C’est réussi on dirait, rigola le mercenaire britannique.
- Oh ça va, ils nous on eu par surprise et un de hommes est mort.
- Désolé de l’apprendre. On l’enterrera avec les honneurs.
La masse de Moscou projeta une ombre sur Willis.
- Avec vos conneries on a trop de blessés, vous comptiez nous évacuer comment ?
- Par bateau, une navette à un mile au large, on va les contacter. Caporal ! Lança Willis à l’adresse d’un de ses hommes…. Tout juste avant que son front ne se soulève en silence et qu’une gerbe de sang et de matière grise gicle sur le russe.
Skolombo, l’assassin sorcier avait reçu des ordres depuis Berlin. Une équipe des forces spéciales nigériane devait aller récupérer la marchandise, le sorcier ferait parti de l’équipage et commanderait l’opération. L’hélicoptère surgit à contrejour, mitraillant aussitôt le pont. Gaston et Moscou s’égayèrent comme des souris devant un millier de chats tandis qu’une partie de l’équipe de Willis était décimé sur place. Puis surgit un autre hélico devant le pont ,arrière et mitrailla à son tour sur tout ceux qui se trouvaient là. Les balles de 20 millimètres et de 7,62 OTAN, traversaient l’acier des containers, et du bateau, ravageaient trois malheureux en route vers l’infirmerie et deux autres hommes à Willis. De la fumée commença à monter des soutes où une traçante avait déclaré un incendie mineur. Skolombo avait reçu des ordres, des ordres qu’il aurait préféré ignorer mais après tout c’était son métier. Et à moins d’y renoncer et de renoncer par la même au luxe et à l’argent que ça lui procurait, il devait obéir à ses employeurs. Et ses ordres se résumaient en trois mots : tuez-les tous. Après la fusillade, des cordes furent jetées dans le vide, des hommes cagoulés s’y glissant pour atterrir sur les deux ponts et d’investir le navire. Des individus entrainés par les forces spéciales britanniques, affutés, efficaces et sans morale. Khan et Lebreton étaient toujours dans le réfectoire quand surgirent deux cagoules à chaque coin de la pièce qui firent feu aussi tôt. Khan s’en prit trois dans l’abdomen et une dans la poitrine, Lebreton roula sur le sol tout en tirant à l’aveugle. Prit une balle dans le gras de l’épaule et une autre dans le pied avant de tuer une des assaillants. Précipitamment il se glissa sur un lit de fortune, une table, alors que d’autres s’approchaient en abattant systématiquement les blessés. Il vit des rangers à portée de tir, les fusilla avant de se soulever, renverser le gars blessés sur la table et de tirer une longue rafale transversale avant de s’enfuir en boitant. Sur le pont avant Moscou avait déjà étranglé deux hommes entre deux containers, mais ils étaient trop nombreux. Et il allait falloir trouver une autre solution. Un léger rébus, jusqu’à ce que sa troisième victime soit porteuse de grenades à fragmentation. Gaston courait, poursuivi par les tueurs, et il pensait à sa fille. Il courait à travers les coursives, les projectiles ricochant autour de lui avec des gerbes d’étincelles et des bruits sinistres de frelons d’acier furieux. Et pour la première fois de sa vie il était terrorisé. Il s’était pourtant battu au Kurdistan, en Iraq, en Afghanistan, en Bosnie, en Birmanie, spécialisation tireur d’élite, mais jusqu’ici tout ce qu’il avait eu à perdre c’était la vie. Or quand on est le soldat des grandes causes, ce n’est pas grand-chose comparé à la dites cause. Aujourd’hui il y avait Noor et sa mère. Aujourd’hui il s’était trouvé sa cause à lui. Et aujourd’hui il avait tout à perdre. Puis il sauta par une écoutille qu’il referma précipitamment bloquant la poignée. Mais quand il se retourna ce fut pour tomber nez à nez avec un des commandos qui le tenait en joue. Gaston lâcha son arme et leva les bras en bredouillant :
- Tire pas mec j’ai une femme et une fille !
L’autre l’abattu froidement, deux balles dans le crâne. Le massacre se termina alors que l’aube s’était complètement levé. On aligna les cadavres sur le pont pour les filmer, trente-huit corps en comptant les deux mercenaires et les pirates prisonniers, excepté Odona qui avait disparu. On recherchait déjà les autres. Pensif, debout devant eux, Skolombo ordonna qu’on charge au plus vite la marchandise. Quatre tonnes de cocaïne.
- Qu’est-ce qu’on fait des cadavres monsieur ?
- Jetez les à l’eau.
Quand retentit une violente déflagration. Lorsqu’un ancien spetsnaz rencontre en brellages de grenade, il y a des conséquences. Un trou dans la coque en l’occurrence, au niveau deux, juste au-dessus de la ligne de flottaison, et assez grand pour laisser passer un homme aux dimensions gargantuesques. Pas tout à fait un point névralgique mais en l’état le navire resterait là et la marchandise avec jusqu’à ceux de la côte le pillent entièrement. Le pilote de l’hélicoptère toujours en stationnaire, aperçu une silhouette massive qui plongeait droit dans l’eau, il actionna aussi tôt ses mitrailleuses rotatives Gatling. Les projectiles fendirent la surface de l’océan à l’endroit où il avait plongé, bouillonnant comme des piranhas des profondeurs salés. Coupantes, qui ondoyaient, maléfices, autour de lui. L’une d’elle le percuta à la tête sans s’enfoncer dans le crâne. Comme de prendre une porte en pleine figure alors qu’on essaye de garder son souffle. Il ouvrit la bouche de surprise et avala une pleine goulée d’eau de mer qui l’aurait noyé si dans un élan il avait retrouvé la surface, le temps de respirer une grande goulée d’air, et de replonger. Sur le navire l’évacuation de la cocaïne continuait pendant que le sorcier interrogeait ses cauris et qu’un groupe de cagoulés cherchaient toujours les survivants. Lebreton s’était évacué par une voie d’aération après avoir tué une cagoule et prit son attirail. Il saignait, trainait littéralement sa patte, avait un mal de chien et des difficultés pour lever le bras gauche. Mais merde il en avait vu d’autres non ? Il pensait à la détonation qu’il avait entendu, espérait que c’était Moscou et Gaston, se demandait où ils avaient frappé. Et tout en y réfléchissant, il rampait dans la crasse d’une autre voie d’aération, une souris lui courant sur le dos. Il pensait à Camille, celle qu’il aimait, et se disait que c’était bien mal parti pour leur histoire. Il se disait qu’il allait probablement mourir et qu’il ne savait même pas pourquoi. Pourquoi les forces spéciales nigériane leur avaient tiré dessus alors qu’ils avaient annoncé clairement par internet qu’ils s’étaient libéré. Et qui c’était ce type avec eux, un grand noir en costume sombre qui ne portait pas de cagoule, et qu’il avait aperçu au cours de la fusillade. Merde c’était censé être des vacances. La preuve même au Panama ils s’étaient marrés. Et ça tournait Die Hard dans un bateau grand comme un pays. Il parvint jusqu’à une grille d’aération qu’il fit sauter avant de se glisser tant bien que mal par cette issue là et d’atterrir sur un pied. Il se trouvait au premier niveau directement sous le pont avant. Derrière des containers et des caisses en bois. Entre deux parois orange il apercevait les nigérians qui se passaient des sacs de jutes de mains en mains et immédiatement il compris.
- Bande de fils de pute ! Gronda-t-il entre ses dents.
Il allait mourir dans ce bateau pour de la came. Pour que des petits connards d’occidentaux s’en mettent plein les narines et quelques gros voyous plein les fouilles. Combien il y avait à bord ? A en juger sur la file indienne et la dimension des sacs, leur évacuation leur prendrait encore quelques heures. Il rampa jusqu’à une écoutille et s’y faufila. Installé sur une passerelle, Il découpa un nouveau pan de sa chemise et entreprit de découper sa chaussure trouée. La balle avait traversé le pied, une chance, brisant plusieurs os, une malchance. Il parvint à déloger son pied de la chaussure avant de le bander assez serré pour maintenir l’agencement des os. Puis il enleva la seconde chaussure et quitta la passerelle pour s’enfiler par une coursive, son fusil d’assaut en position de combat. Il avançait prudemment, couvrant chacun de ses angles avant de surprendre un type accroupis devant un cadavre.
- Mains sur la tête, tout doucement, souffla-t-il en anglais.
Le type obéit.
- Maintenant retourne toi.
Il reconnu immédiatement le chef des pirates. James « Démon » Odona avait perdu de sa superbe. Les yeux creusés, les lèvres sèches et craquelées, les joues piqués de barbe naissante avec dans la pupille un mélange de résignation et de peur.
- On dirait bien que toi et moi on s’est fait doubler hein, dit le français avant d’apercevoir le visage du cadavre derrière le pirate. Gaston ! Oh non ! Pas toi mon pote ! Pas toi !
Il poussa le pirate de son chemin et pleura comme un enfant en prenant le corps sans vie de Gaston dans ses bras..
- Pas toi, non pas toi, répéta-t-il avant de faire silence, se redresser et dévisager le pirate comme s’il allait le tuer.
- I didn’t do it ! He was already dead when…
- I know shut up.
Il lui donna son fusil et prit celui de Gaston après l’avoir vérifié et embarqué les munitions. Les tueurs ne s’intéressaient pas à leur arsenal et maintenant il comprenait pourquoi.
- Qu’est-ce que vous voulez faire ? Demanda Odona toujours apeuré.
- Rentrer chez moi, mais avant j’ai un compte à régler. Suis-moi.
- On va où ?
- Aux cuisines.
- Vous avez faim ?
- C’est pas la bouffe qui m’intéresse, allé viens…
Il allait passer l’écoutille quand il entendit l’autre claquer des dents.
- Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce t’as ? Tu vas pas me dire que t’as peur de mourir quand même !
- Il est là vous savez.
- Qui ça ?
- Le sorcier, celui qui a tué mon fils.
Lebreton fronça les sourcils. Il connaissait trop bien le continent pour ignorer l’importance qu’on donnait à la magie, surtout au Nigéria et au Bénin.
- Comment tu le sais ?
- Je sens sa présence.
Et il savait qu’il disait vrai. Lui avec sa bonne tête de bourrin ne l’aurait sans doute pas senti, les occidentaux ont souvent besoin, et de plus en plus, d’images pour se faire une idée. Alors il pensa à la sienne, le type sans cagoule et se dit que ça devait être lui qu’il sentait, ou avait vu, peu importe le point de vue finalement.
- Bon, okay, un problème à la fois tu veux, on s’occupe d’abord de ce putain de bateau, et ensuite je me chargerais de lui, deal ?
- Euh…
- Allé viens, avec moi il peut rien te faire, dit-il en l’empoignant par le bras.
Mais parvenir aux cuisines était une autre paire de manche quand une équipe avait été spécialement dédiée au nettoyage. Une équipe qui s’en revenait du trou dans la coque en pariant entre eux les chances du géant de s’en être sorti. Et les paris n’étaient pas à son avantage. Ils s’étaient divisés en deux groupes, l’autre partie de l’équipe étaient en train de visiter l’entrepont où était hélas situé les cuisines.
- Comment ça se passe de votre côté ?
- RAS, si l’hélico l’a pas eu il mourra sur la plage.
- Bien reçu.
La cagoule apparu en dessous eux, visible par une bouche d’aération, assez large pour passer le bras. Il laissa tomber le nœud coulant en Nylon sur ses épaules et remonta le tout d’un coup sec. Le type se débattu mais ils étaient quatre bras à le maintenir, et finalement il se donna lui-même le coup de grâce en s’agitant comme un forcené. Lebreton entendit le craquement caractéristique des vertèbres qui cèdent. Ils relâchèrent doucement le corps et s’enfilèrent jusqu’à la prochaine évacuation d’air. Celle-ci donnait dans le quartier des officiers et ils n’aperçurent personne dans cette pièce. Odona déboulonna le panneau et les deux hommes sortirent de leurs boyaux, gras de crasse. Quand ils entendirent des pas.
- Un homme à terre, je répète un homme à terre.
Puis ils aperçurent le canon d’une arme automatique pointer dans la pièce. Les deux hommes se baissèrent précipitamment. La cagoule entra à pas de chat, balayant la pièce de son arme, couvrant chaque angle. Puis un autre, juste derrière. Odona allait les fusiller mais Lebreton lui fit signe que non. On allait faire ça en silence. Il passa la main sous son teeshirt et fit apparaitre un couteau push dagger.
- Chut, répéta-t-il.
Le premier passait entre les tables pendant que l’autre contournait la pièce. Odona compris ce qui lui restait à faire, et il y avait justement une boite à couvert sur une desserte, pleine de couteau à viande. Accroupis, il en attrapa un et suivi le second du regard, prêt à bondir. Soudain le premier s’arrêta, comme s’il sentait quelque chose. Le français pouvait apercevoir ses rangers à quelques centimètres de lui. Alors d’un coup sec il frappa au niveau du tendon du pied, tranchant dans le vif, de sorte que soudain plus rien ne le retenait au sol, son pied se dérobant sous lui. Il tomba en se cognant la tête contre la table. Le mercenaire en profita pour le poignarder au cou, au cœur, dans le sternum alors qu’au même instant, James « Démon » Odona sautait sur son adversaire avec toute l’énergie de son désespoir, le piquant à la gorge avant de la lui trancher d’un coup sec. Le sang lui gicla au visage tant le coup avait été vif. Pas de bruit, à peine les dernières râles du premier. Ils se firent signe pouce en l’air et ramassèrent les armes de leurs adversaires.
- Oh bingo ! Fit Lebreton en découvrant une grenade sur sa victime.
Puis ils filèrent vers les cuisines, l’un en boitant, l’autre en ouvrant le chemin. Personne sur leur route, Lebreton les conduisit jusqu’à la réserve et trouva rapidement son bonheur sous la forme de produit ménager. Il savait mélanger quoi avec quoi pour obtenir un explosif de moyenne portée, mais avec une grenade et quelques unes de leurs munitions, bien posés ça ferait un autre trou dans la coque foi de légionnaire ! Odona le regardait faire avec un mélange de défiance et de trouille. Elle lui retombait dessus maintenant qu’ils étaient un peu tranquilles. Une trouille insidieuse, qui lui paralysait la colonne vertébrale comme un serpent froid. Il essayait de ne pas penser à ce monstre qui était sur le bateau. Celui dont il sentait l’odeur d’ici, et ça puait. Ça puait l’ordure, le malsain, la magie noire, les tombes. L’ancien légionnaire travaillait vite. Démonter la grenade, et dessertir quelques cartouches à la pointe du push dagger, vider la poudre, le semtex, mélanger les produits, savon, soude, ces choses là. Enfiler le tout dans deux bouteilles d’alcool à 90°, attendre quelques secondes et surtout ne pas secouer à tort et à travers.
- Bon, t’en prends une j’en prends une, mais calmos hein, on va au troisième niveau, dit Lebreton quand une voix derrière lui claqua en anglais pidgin :
- Qu’est-ce que tu fais là toi !? Qu’est-ce que tu fabriques !?
Odona n’était pas visible de là où il était mais la terreur le paralysait maintenant. Lebreton l’entendit qui haletait comme un animal blessé.
- Tout va bien mon gars, je suis juste le cuisinier, expliqua le français sans se retourner.
- Mains en l’air ! Ordonna la cagoule en s’approchant.
Francis « le Fléau » Lebreton avait gagné sa réputation de cogneur invaincu ou presque sur deux atouts majeurs : la puissance de ses coups, et sa rapidité. Tout en se redressant sur sa jambe valide, il pivota sur lui-même et le poignarda entre les côtes, dans le cœur pour l’achever d’un coup à la tempe. L’autre avait les yeux encore écarquillés de surprise quand il tomba.
- Viens, faut pas qu’on traine.
Quand une rafale éclata. Trois balles, Lebreton qui retombait, Odona toujours paralysé. Lebreton qui réplique d’une main, faisant feu au hasard. Si une seule balle touche ces bouteilles ils sont morts, c’est pas l’idée.
- DEMON BORDEL !!
Odona fit une grimace bizarre avant de répliquer à son tour à feu nourri. Leur adversaire était seul, le seul survivant de cette partie de l’équipe. Ils avaient trouvé les cadavres déjà alerté les autres et le chef de l’opération. Les coups de feu arrêtèrent momentanément le travail. Exaspéré Skolombo attrapa son walkietalkie :
- Continuez je m’en charge !
Pendant que les autres obéissait la fusillade continuait. Le second groupe était déjà en train de courir vers l’entrepont quand une violente explosion secoua le sommet du bâtiment. A nouveau le travail s’interrompu, à nouveau le chef du commando leur ordonna de continuer sans s’occuper du reste. L’entrepont avait été dévasté, les murs cramés ou pulvérisés, les meubles volatilisés et tout le reste avec, un cyclone.
- On va les retrouver, assura le chef d’équipe.
Le sorcier ne répondit rien, il attendit qu’ils soient partis pour interroger ses cauris. Après quoi il sorti une courte machette de sous sa veste et parti à la chasse.
- Je suis désolé, dit Odona.
- C’est pas grave, on avait plus le choix de toute façon.
Ils s’étaient engouffrés par une trappe juste à temps. Une trappe par laquelle passaient les ordures de cuisine. Dégueulasse, gras, huileux, puant le poisson mort, pour atterrir violement dans un container espagnol à demi plein. Des os de poulets, et des arêtes de poisson dans une mélasse ignoble et jusqu’aux yeux. Mais la dernière bouteille était sauve. Ils se trouvaient maintenant sous le pont avant, ils s’extirpèrent du container tant bien que mal, s’aidant mutuellement avant de s’enfoncer dans les dédales de l’Isabel. Lebreton savait où frapper parce qu’il avait en tête le schéma du navire, appris par cœur à dire vrai par habitude de reconnaitre son environnement. Troisième niveau, juste en dessous de la ligne de flottaison. Mais dans le lot ils devraient y aller sans leurs armes, perdues dans la poubelle, et aucune envie de plonger voir. Cependant parcourir deux cent mètres avec un pied en compote et un gars plus guère vaillant, poursuivis par cinq types entrainés et au pas de course, c’était loin d’être gagné. Réviser ses plans à la baisse pour autant ? C’était mal connaitre la détermination de l’ancien sergent-chef. Les cagoulés avaient vite compris où chercher. Une seule issue possible après tout. Ils surgirent à leur niveau en deux groupes, deux à leur gauche, trois à leur droite, avançant rapidement et silencieusement. Lebreton regarda son compagnon. Il pissait la misère par les yeux. Alors il s’appuya comme il put sur son pied blessé, sorti son couteau, et alla tuer. L’encagoulé ne le vit pas plus venir que les autres. Poignarder trois fois à la jugulaire, et puis il retourna l’arme vers l’autre qui fit feu. Comment il ne s’en prit aucune ? Pas la moindre idée, le ciel protège les fous sans doute. Il le rafala sans remord. Instantanément les autres fondaient dans sa direction. Il se déplaça, boita, avait envie de hurler, et apparu au dernier moment dans la ligne de mire d’une cagoule qui n’eut pas non plus le temps de faire feu. Lebreton pensait à son pote, déterminé comme une épée et rien ne le ferait déroger. Sauf peut-être la balle qu’il se prit au-dessus du sein droit, lui traversa un poumon et se logea dans son omoplate. Il tomba raide, paralysé, plus de souffle, il vit la silhouette qui accourait pour l’achever. Il fit feu en même temps que lui, tirant une rafale de suppression à hauteur de la taille. Le découpant quasiment en deux. Avant de retomber comme un sac. Le troisième tueur n’eut pas l’occasion de s’approcher, abattu par Démon avec le pistolet laissé sur le cadavre d’un des hommes. IL accouru.
- Ca va ?
- Euh…
- Je peux t’aider ?
- Euh…
- Tu veux qu’on fasse quoi ?
- Dis donc, c’est juste pour savoir, t’as fini avec les questions à la con, ou bien ? Ca y est le sac est vide t’as touché le fond ?
- – Quel sac ?
- Laisse tomber…
Il toussa et cracha du sang. Le pirate était gris.
- Tout est fichu.
- Ca sera foutu quand on sera mort, maintenant aide moi à me relever.
Il boitait, respirait avec peine, mais merde qu’ils crèvent tous en enfer ! Parvenu à une centaine de mètres, il avisa une voie d’évacuation d’eau et regarda au travers espérant trouver en bas ce qu’il cherchait. Il ne pouvait pas descendre plus bas, trop d’effort et il doutait même de s’en sortir, mais tant pis.
- Il arrive.
- Hein de quoi ?
- Il est là.
- De qui tu…
Mais James « Démon » Odona était déjà en route pour son assassinat.
- Eh où tu vas !?
James « Démon » Odona obéissait à son maitre sous le regard incrédule du français. Alors, instinctivement ce dernier attrapa le fusil d’assaut qu’avait laissé son compagnon derrière lui et le suivi cahincaha. L’éclopé et le possédé. Skolombo attendait entre deux containers, sur la plateforme d’élévation. Il attendait ses proies, Il avait entendu les coups de feu, deviné qui était mort, ça l’indifférait. Dans ces moments-là, quand il rentrait dans le monde froid de la mort et de l’enfer. Quand il tuait, pour les orphelins se disait-il pour se rassurer, tout l’indifférait. Les odeurs, les sons était autant de sensations que son cerveau traitait en routine. Odona fut le premier à apparaitre, et donc le premier à mourir. Sautant comme un chat derrière lui. Avant de siffler quelques mots magiques dans sa langue. James Odona ne se retourna pas, paralysé. James Odona resta là sans explication jusqu’à ce qu’il l’ouvre comme un lapin sous les yeux médusés et horrifiés du français. Mais blessé ou pas, tant pis pour lui. Lebreton fit feu six fois sur le sorcier qui se contenta de s’approcher sans broncher. Un poignard dans une main un cœur humain dans l’autre.
- La putain de ta mère.
Costume avec couche de kevlar, popularisé depuis qu’Hollywood avait lancé le délire, le nec plus ultra chez les connards de Dubaï pour leurs gardes du corps chéri. Même si contre du gros calibre ça ne servait à rien. Ça devait être ça, parce qu’il ne croyait pas au fantôme et au sorcier. Il visa la tête. Ou cru l’avoir fait parce que la seconde suivante, il s’était évaporé.
- Oh et puis merde.
Lebreton visa la bouteille laissée près de l’évacuation et tira sa dernière cartouche.
L’explosion retentit jusque sur la côte. Pourtant sourd d’une oreille Moscou se tourna vers le large et sourit, il était certain que Gaston et Francis faisaient des leurs. Il saignait de l’oreille droite. Il marcha, la vue qui se dédoublait un peu, suivant la ligne des arbres jusqu’à sentir une épaisse odeur de pétrole. Il s’accroupis et s’approcha à tapinois. Une raffinerie clandestine et des pirates armés qui transvasaient le pétrole à la main, leur pétoire dans le dos. Là-bas le navire était en train de pencher dangereusement.et des containers grinçaient vers la chute. Certain pirate s’étaient arrêtés de travailler pour observer le spectacle. Les hélicoptères étaient sur le départ, qu’est-ce qui s’était passé et pourquoi une autre explosion retentissait ?
- Eh toi ! Qu’est-ce tu fous là !? Gueula le pirate parti pissé et qui le surpris alors qu’il s’approchait d’un puits.
- Fais pas le con mon gars ou nous tous on va être dans la merde.
Le gigantisme du personnage n’avait même pas heurté la conscience du pirate de quinze ans qui le braquait avec son M16 usagé. Le nez et le cerveau rechargé au brown-brown rien ne lui faisait peur puisqu’il il se foutait de tout.
- Retourne toi connard ! Retourne toi !
Le connard tenait une grenade à la main, l’index sur la goupille.
- Tu vois ce que je veux dire ?
- Chef ! Chef ! Beugla alors le gamin.
Le chef radina avec une demi-douzaine de ses hommes. Le gamin tenait toujours en joue le morceau.
- Je suis russe, je me suis échappé du bateau, ils ont tué tout le monde là-bas, j’ai besoin d’aide…. Alors, ami ou ennemi ?
Les canons et les lance-roquettes avaient sonné le tocsin toute la nuit pendant que les nettoyeurs de l’infanterie nettoyaient les ruines de la ville. Au matin, la vallée n’était plus qu’un champ de ruine peuplée de cadavres dont l’odeur nauséabonde couvrait le paysage comme une malédiction. Il faisait beau, désespérément beau, obscènement beau mais le général de brigade était satisfait. Leur stratégie avait fait reculer les russes de l’ouest de leur position. Desserrant l’étau de leur emprise. Il se rendait au mess des officiers, discutant avec des camarades américains quand il aperçut au loin un attroupement. Des nouvelles recrues qui étaient passé par la Moldavie. AU milieu d’eux, un géant grand comme une tour, un bandana kaki autour du crâne.
- Victor ? Lança le général de brigade.
Moscou tourna tête dans sa direction. Il avait perdu du poids mais le bonhomme était encore là.
- Andrichka !?
- Qu’est-ce que tu fais là !? Je te croyais passé au privé.
- Pas quand ces enculés s’en prenne à notre patrie Andrichka.
Le général de brigade se tourna vers un sous-officier.
- Qu’est-ce que vos attendez pour donner une arme à cet homme-là !?
Elle attendait assise devant un grand crème, à la terrasse d’un café parisien. Une fille aux cheveux court et dorés comme le blé mûr. Elle avait des yeux bleu azur, légèrement bridés, un visage symétrique sans être agressif. Il se dégageait quelque chose d’aristocratique et de félin chez elle. Mais aussi de considérablement cool. Cool comme un après-midi californien, cool comme un printemps à Paris dans l’imaginaire des touristes. Elle avait dans les quarante ans naissant, de légères rides d’amertume au coin de ses lèvres minces et roses, et des soleils autour de ses yeux observateurs. Elle lisait, absorbée par la lecture du Baron Perché, d’Italo Calvino. Portée par la belle lettre comme cette histoire universelle de rébellion. C’était lui qui lui en avait parlé la première fois, la surprenant à nouveau par le champ de sa culture, et son goût des belles choses. Ça cadrait si peu avec le reste de ses activités. Elle reposa le livre, le serveur en passant en profita pour lui demander si elle désirait quelque chose.
- Non ça ira merci, dit-elle.
- Vous êtes parisienne ? Se lança le serveur.
- Non, je suis en vacances ici.
- Ah, première fois à Paris ?
- Non mon gros, grogna une voix derrière lui. Et la place est prise ajouta-t-il avant que le serveur ne jette un œil au bonhomme derrière lui.
Un mètre quatre-vingt, large d’épaule, adossé à une canne, un sac à dos sur une épaule.
- Euh… vous êtes ensemble ?
- J’en ai peur, sourit le nouveau venu en soutenant son regard.
- Euh… vous désirez boire quelque chose ?
- Non juste être tous les deux.
- Ah, bien, bien, excusez-moi, dit le serveur en se carapatant.
Elle lui sourit des anges dans les yeux.
- Mon sauveur.
- Amen…toi.
Elle se leva et se jeta à son cou. Ils s’embrassèrent longuement. Le monde pouvait bien s’arrêter de tourner puisqu’ils étaient enfin ensemble.
- Alors ? Demanda-t-elle tandis qu’ils s’éloignaient bras dessus bras dessous.
- Ça s’est bien passé.
- Il t’a donné la part des autres ?
Francis secoua le sac qu’il avait sur l’épaule, cent mille euros à l’intérieur. Le tout irait à la veuve de Gaston et surtout sa fille. Moscou était célibataire et le jeunot également.
- Il n’a pas fait d’histoire ?
- Je ne lui en ai pas laissé l’occasion.
Loi de la mer oblige, quand le bateau avait commencé à sombrer, d’autres navires vinrent à son secours. On découvrit son corps nu, brûlé au troisième degré, quelques os brisés par le souffle de l’explosion, respirant à peine, et troué de toute part. Comment il survécu en dépit de ses blessures tient d’une constitution solide et beaucoup du miracle. Il fut rapidement évacué par la France avant d’être brièvement mis au secret au Val de Grâce où il fut interrogé par les gars de la DCRI. L’affaire, jamais rendue publique se régla dans les coulisses. Et une fois rétabli ou quasi, vu qu’il ne marcherait plus jamais sans boiter, un bout de poumon en moins, l’épiderme greffé, il avait réclamé ses émoluments et ceux de ses camarades à Centurion. De La Salle aux abonnés absent, impossible de lui faire signer quoi que ce soit, soi-disant à l’étranger. Alors il débarqua dans les locaux.
- Ah mon cher ami vous voilà enfin !
- Ca fait quinze jours que je veux vous parler.
- Oui, oui j’étais à l’étranger.
- Vos employés se font massacrer et vous vous faites du tourisme ?
- Euh non mais euh….
- Je veux notre solde. Celle de Gaston, de Moscou, du gamin et la mienne.
- Oui bien entendu, je vous ferais votre chèque dès que j’aurais le rapport d’expertise.
- – Quelle expertise ?
- Et bien celles des assurances, ils veulent savoir exactement ce qui s’est passé vous comprenez… d’ailleurs à ce propos mademoiselle, dit-il à la secrétaire qui avait introduit Lebreton. Prenez note je vous prie…
Il enveloppa la fille par les épaules et la poussa gentiment dehors avant qu’elle ait ouvert son calepin.
- Allé, faut sortir maintenant.
Après quoi il referma la porte derrière elle, la verrouilla et ravagea le bureau à coup de canne. Il lui raconta alors qu’ils traversaient le jardin du Luxembourg. Elle se marra.
- Je t’aime.
- Je t’aime.
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