Un autre monde

Nous vivons tous dans un système de croyance qui façonne notre manière d’envisager le monde, les psys comme les patients. Pour les psys notamment une bouffée délirante se base elle-même sur les croyances d’un individu qui les interprétera au fil de son délire. Et ce n’est pas complètement faux. Plus on s’enfonce dans le délire, plus l’esprit, avec violence, s’accrochera à cette ou ces interprétations au point d’échafauder tout une thématique à laquelle il devient impossible d’échapper. Notamment impossible parce que accepter qu’on est en réalité en train de délirer reviendrait à admettre qu’on est bien malade et non pas doté de super pouvoirs ignorés du genre humain. Pourtant cela semble tellement vrai sur le moment que passé la crise on veut continuer d’y croire et d’interroger les faits et les prises de position des médecins à l’endroit de la dites bouffée. On notera d’ailleurs à ce sujet que très peu de psys ont fait l’expérience dans leur chair de ces bouffées délirantes, ce qui leur donne donc le droit d‘en parler… à notre place. Il me semble pourtant que c’est autrement plus complexe que ça.

De mon expérience j’ai pu constater qu’une bouffée délirante répond à une phase maniaque qui elle-même intervient comme un choc traumatique auquel la bouffée délirante apporte une réponse aussi folle soit-elle. Par exemple on se sent terriblement seul, on ajoute à ça un toxique comme l’alcool ou le cannabis, et on obtient un cocktail explosif qui conduira le malade sur une thématique donnée qui, selon les psys, correspondra à une ou plusieurs croyances du malade. C’est là où le bât blesse parce qu’en ce qui me concerne l’expérience que j’ai de ma première phase maniaque, en 2000, ne colle pas à cette définition, en mes croyances. Mais partiellement en ce que je savais depuis l’enfance. Ne me demandez pas de résoudre ce mystère mais depuis que je suis enfant je savais que ma vie allait basculer à 36 ans. Enfant je pensais que ma vie allait démarrer à cette époque, que je deviendrais riche et célèbre et que tout ce que je trouvais alors banal chez moi allait se révéler extraordinaire. Ce qui, omit le côté riche et célèbre, n’est pas complètement faux paradoxalement. Cela a révélé cette particularité qui est mienne et que les médecins appellent peut-être à tort une maladie. Je dis peut-être parce que dans la mesure où une « particularité » vous empêche de fonctionner correctement et de façon chronique, on peut raisonnablement appeler cela un mal. Mais à tort parce que la bipolarité, et les bouffées délirantes révèlent en réalité des qualités et des bienfaits mal contrôlés qui ailleurs, sous des cieux où les croyances sont différentes, et une fois maîtrisé passeraient pour des miracles à respecter, mieux des miracles intégrés au fonctionnement de la société même, et ici je pense notamment au chamanisme dans son sens large.

Pour expliquer cette déclaration, je précise que je n’ai jamais rencontré de chaman de ma vie, que je me méfie avec mon prosaïsme d’occidentale de la fascination qu’ils exercent sur la médiocrité marchande des mêmes occidentaux (un autre paradoxe, j’avoue) moi y compris. Et que jusqu’à l’âge de trente-six ans je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était que de voir, entendre, sentir ce qu’était un « autre monde », ou alors pas complètement consciemment, j’y reviendrais. Je n’ai jamais pris de drogue hallucinogène, je me suis toujours méfié de mon esprit à ce sujet, trop peur de vouloir rester de l’autre côté et de finir comme un Sid Barret du pauvre, scotché dans mon délire, définitivement enfermé dedans. Par contre j’ai essayé tout sorte de drogue psychoactive notamment parce que le sujet m’a toujours intéressé mais également à titre purement expérimental. Je n’ai jamais plongé dedans pour la simple raison que je n’ai jamais abordé le sujet de la drogue autrement que d’une façon spirituelle. Une sorte d’aventure, peut-être la seule et unique qui restait à l’homme occidentale bloqué dans son matérialisme.

Un mystique athée, c’est comme ça que m’avait défini un jour une lectrice catholique ultra. Depuis que je suis enfant je suis attiré par le spirituel. J’ai suivi un cursus de petit protestant, on m’a envoyé chez les scouts où on m’a abreuvé de bible de Jean mais en réalité j’avais l’esprit ailleurs. A cause de la série Kung Fu j’étais fasciné par les moines Shaolin, pas seulement à cause de leurs prouesses martiales mais également par la dimension mystique que j’observais dans la série. Enfant, secrètement j’aurais voulu porter la robe safran et jouer du bâton. D’autant mieux, qu’enfant solitaire et sensible comme j’étais, je passais beaucoup de temps à sentir les choses plus qu’à les vivre, à être avec mon chat, le poursuivre dans les herbes, écouter ma mère en écoute latente, et vivre dans un monde imaginaire plein d’exploits, de bruit et de fureur. A 16 ans, dans le désert égyptien j’ai eu ma première expérience totalement mystique, c’était soudain comme si j’avais un œil sur Dieu lui-même, que d’un coup je comprenais toute la bienveillance de l’univers, et tout à fait physiquement j’ai ressenti comme une grande chaleur intérieure, j’ai vu la lumière, douce et intense comme un soleil, et accessoirement une petite lumière bleu électrique. Et non je n’avais pas fumé de cannabis. Mais oui soudain j’ai été heureux comme jamais, comme de tomber amoureux, j’avais la foi. La foi au sens chrétien, musulman, juif au sens large, ne m’en demandez pas la définition, ça ne s’explique pas, ça se ressent. Donc depuis l’enfance, pour résumer, je sentais qu’il y avait bien un « autre monde » c’était fin, palpable, j’étais en lien avec celui-ci et je ne me posais pas de question à ce propos c’était comme ça, naturel.

Puis j’ai vécu une série de chocs traumatiques divers et variés que je ne détaillerais pas ici qui ont petit à petit non seulement démoli cette mystique mais construit une cocotte minute qui a fini par exploser en 2000. Bref j’ai grandi et j’ai souffert. Je me suis éloigné du gamin que j’étais, je me suis oublié et comme nous tous dans ces cas-là j’ai morflé.  

De fait quand j’ai fait moi-même l’expérience de cet autre monde que je ressentais enfant, ça été un choc d’autant violent que je n’avais plus aucun outil pour m’en accommoder, fonctionner et réfléchir à ce que je voyais ou ressentais et je pense ici notamment à un incident très particulier qui m’est arrivé en 2000 au moment de ma bascule. J’étais en train de sombrer, pour une raison ou une autre j’étais plus ou moins dans une thématique arthurienne qui serait trop long ici d’expliquer en détail. Disons que ce soir-là, ma compagne et moi allions chez des amis, un couple qui venait de perdre un de leur enfant suite à un suicide. Je m’endormais dans la voiture en état normal et je me réveillais délirant, l’esprit flottant avec cette réflexion que je me faisais à moi-même que j’étais passé dans un autre monde. Nous voilà maintenant dans un ascenseur avec une des convives et je remarquais que ma compagne et cette fille portaient toutes les deux un bijou sur la narine droite, ma compagne une main de fatma dorée, la fille une spirale celtique en argent. Ma confiance se porta d’autant vers cette fille là que j’étais donc dans un début de crise maniaque avec des légendes arthuriennes dans la tête. Mais également plus psychologiquement parlant je n’aimais plus la femme avec laquelle j’étais et j’essayais de lui échapper. Je précise que j’avais fumé du cannabis alors, donc que mon esprit était en phase haute. C’est-à-dire que tout devient détail alors, on remarque tout, on interprète tout, on ne comprend rien. La soirée passa, un peu étrange vu l’ambiance funèbre qui résistait aux efforts des convives, j’avais l’impression bizarre de ne pas être avec ceux que je connaissais mais avec leurs esprits, comme s’ils avaient une sorte de double identité que me révélait mon troisième œil (thématique inclus dans mon délire arthurien, l’ouverture du fameux troisième œil) et soudain la seule fille qui me raccrochait à la réalité, celle avec le bijou en forme de spirale, la seule en qui j’avais réellement confiance ici, mon point d’ancrage me sorti : « t’as pas l’impression d’avoir basculé dans un autre monde ? »…. Et si seulement ça c’était arrêté à cette phrase… Mon front me chatouillait littéralement à l’emplacement du fameux troisième œil, sans doute sous l’effet du délire, de l’hallucination que j’étais en train de vivre quand soudain débarqua le dernier né de la famille, Jean-Baptiste, (et dont le frère aîné venait de mourir je rappel) dans les bras de sa mère, on se regarda, j’eu l’impression que ça chatouillait aussi sous son front et d’un coup il me montra du doigt et déclara : « c’est mon frère, c’est mon frère !! ». D’une vous comprendrez aisément le malaise qui suivi, de deux que mon esprit après ça n’ait eu plus aucun mal à prendre la tangeante..

Il faut faire un distingo, quand on ne l’a pas vécu, entre une hallucination et ce qu’on l’imagine. Ce qu’on imagine est une construction, une toile qu’on tisse soi-même soit pour expliquer le délire, soit pour y rester et ne pas regarder la réalité du mal en face. Une hallucination s’impose à nous, et s’impose d’autant si on ne l’a pas invité par une charge de toxique. Mais peut-être, et là on n’en revient aux chamanes, n’est-ce pas vraiment une hallucination mais un monde parallèle qu’on perçoit à cause de la phase haute que produit notre esprit en mode chaise électrique. Evidemment la prise de toxique, comme le cannabis en ce qui me concerne, ne fait qu’accroitre et accélérer cette perception. On observe un autre monde dont on ne sait rien, sur lequel on ne peut poser que des mots approximatifs, on y balbutie sans GPS et on s’y enfonce  Pourtant on reste capable physiquement, dans mon dernier délire par exemple, j’allais m’amuser avec mon couteau karambit dans le parc à côté de chez moi la nuit. Or combien de fois j’ai vu des vidéos et des photos d’amateur de karambit se blesser en manipulant cet engin alors qu’ils étaient non seulement lucides mais pratiquants émérites ce que je n’étais en aucun cas. Et on se sort miraculeusement de situation potentiellement dangereuse pour nous et parfois pour les autres, comme si la vie avait un amour particulier pour les dingues.

La psychiatrie évolue. En France, où on sait toujours mieux que tout le monde et où le domaine de la santé est livré en pâture à la bêtise marchande, elle évolue sans doute trop lentement et entravée par cette même bêtise. Cela étant comme j’ai pu le constater au cours de cette conférence à laquelle j’étais convié le 21 Mai et qui réunissait patients, et soignants autour de la maladie psychique en général et des soins, on commence à envisager les choses plus ou moins autrement, notamment sur la notion d’entendre des voix. Une expression qui me parait impropre ou insuffisante dans la mesure où elle sous-entend que ça passe par les oreilles alors que ça se passe dans le crâne. Mais c’est un autre sujet que j’aborderais peut-être une autre fois. Elle évolue ou veut évoluer sans toutes fois admettre encore qu’elle n’est pas seule à avoir des réponses non pas à la maladie, en occident Big Pharma sait parfaitement gérer son gros parc de malades psychiques, mais à ce que vivent et ressentent les patients durant leur crise. Elle ne s’en nourrit pas, elle traite généralement ça au rayon des « délires » au lieu d’accepter le plus difficile qu’il y a bien quelque chose qu’on voit, même si l’interprétation qu’en font eux même les chamanes tient également de la croyance, de la façon dont leur propre société envisage le monde. Et c’est d’autant dommageable que ce vide que la science dite moderne ne remplit pas fait souffrir ceux qu’elle prétend soigner.

Quoiqu’il en soit ma bipolarité m’a ouvert les yeux sur cet autre possible sans que je n’ais aucune certitude sur le sujet. Qu’il y a bien un monde invisible que les enfants et les mystiques ressentent sans s’y aventurer sauvagement. Tandis que les schizophrène ou les bipolaires y sont violés et retournés victimes autant d’un manque d’éducation sociale sur le sujet que de la société occidentale dans tout ce qu’elle a de strictement matérialiste. Et pour bien faire il faudrait autant faire de l’éducation du mal que de ses conséquences. Pour m’expliquer ce monde-là, suite à mes premières crises, j’ai écrit tout un roman de 547 pages, une satire que j’ai appelé Planck !. Planck comme le physicien, Planck comme un bruit blanc dans la tête quand celle-ci bascule pour ce fameux autre monde. Et croyez-moi c’est tout à fait rationnel que d’écrire un roman, construire une phrase, d’autant plus en français, cette langue de la logique cartésienne. Ce roman je ne l’ai jamais publié ni fait publier (les éditeurs que j’ai croisé jusqu’ici on eut le don de me saouler uniformément). Ce n’est que interprétation pas une explication et plus une interprétation sur ce qui m’est arrivé quand j’ai basculé qu’une interprétation de mes délires d’alors. Mais au final ma bipolarité, ma particularité, aura peut-être plus été un bien qu’un mal en ceci qu’au-delà du seul désagrément, avec tout ce que cela implique comme dégâts sociaux,  et hospitalisation absolument nécessaire, cela m’a ouvert l’esprit sur cet autre possible que je ressentais plus jeune et que j’ai observé à vif plus tard. Que notre monde n’est sans doute pas aussi lisse, verticale, uniforme que la société occidentale et la psychiatrie veut bien l’entendre. Qu’au fond je suis peut-être un jeune chaman sans le savoir et l’est toujours été sans l’admettre et surtout que je ne suis largement pas le seul dans ce cas. Que voulez-vous ma sensibilité n’est pas la vôtre et le plus fort spirituellement et psychiquement parlant n’est peut-être pas celui qu’on croit. Et au fond, je crois, vous ne savez pas ce vous ratez en étant « normaux ».

Autour de la bipolarité

Nota Bene : Le 21 mai je vais intervenir devant un collège de soignants pour parler de mon expérience de la maladie. Ma psy m’a conseillé d’écrire un texte, le voici.

Il y a deux choses que je peux retenir de mon expérience de cette maladie, son acceptation et le mode d’hospitalisation qui a considérablement évolué en vingt ans. Personnellement il m’a fallu treize ans pour reconnaître ma maladie, l’accepter mais pas forcément me soigner. Car si accepter sa maladie c’est faire un grand pas, il y a également des moments où on veut tout rejeter en bloc, revenir au point de départ à cette époque bénie où on était sain d’esprit. Et on rechute. Parce que quoi qu’il arrive elle est là et jusqu’à preuve du contraire c’est pour toujours. On peut lier, cette question du rejet violent et soudain, l’expliquer, par la question de l’âge, la crise de la quarantaine par exemple, ou dans mon cas de la cinquantaine, qui va d’autant se faire ressentir que vingt ans auparavant à l’époque de mes trente ans rugissants j’étais sain d’esprit justement. Bref la nostalgie n’est pas forcément bonne camarade. Mais il peut y avoir toute sorte de raison pour une rechute, tout ce qui a fort potentiel émotionnel pour le sujet, et encore ça dépend de quel type de bipolaire on retient, et surtout qui est réellement la personne au-delà de sa simple maladie. Moi par exemple je suis un indécrottable romantique, si je tombe amoureux je peux m’emballer et perdre le contrôle très vite, j’en ai eu l’exemple en 2013, d’autant que j’avais cessé alors tout médicament depuis au moins six mois. Ajoutez à ça la consommation de cannabis et une vie sociale désertique vous obtenez un cocktail tout à fait explosif. L’acceptation de la maladie retient d’une part d’une certaine connaissance de soi. Il faut s’examiner l’âme si j’ose dire et j’ai de la chance parce que c’est un exercice que je fais depuis l’enfance. Mais ça ne suffit d’autant pas que le point de départ est un choc d’une violence inégalée. Un choc d’autant violent que l’hospitalisation elle-même était violente. Et ici on aborde le sujet du soin. Le soin comme facteur d’acceptation de la part du patient.

C’est assez simple en fait, plus il sera violent, moins le patient sera traité dans de bonnes condition, moins il acceptera facilement sa maladie. Il assimilera son hospitalisation à de la détention, d’autant qu’on utilise le même terme de « permission » dans les deux cas, disputera son autorité aux personnels soignants ou, dans mon cas, jouera le jeu de l’administration pour sortir plus vite et faire une rechute magistrale un mois plus tard. La prise en charge est d’autant primordiale qu’on n’a pas la même sensibilité aux choses à sa première ou à sa troisième hospitalisation. J’en ai neuf derrière moi, je peux parler d’expérience… A la première on est plongé dans un autre monde qui sera plus ou moins anxiogène en fonction autant des malades que du comportement des soignants, que de l’environnement en lui-même. Un hôpital délabré, des chambres pour deux ou trois, c’est assez sauvage quand on sait qu’on est enfermé là à double tour depuis les années 60. Si on ajoute des pathologies diverses et diversement expressives, l’ennui absolu, le temps qui ne passe pas mais interminablement, le manque complet d’activité. La première hospitalisation devient un enfer ou le mal c’est l’autre et pas ce truc en soi qui nous a conduits là. A la seconde ou à la troisième on connait le système, on l’accepte plus ou moins mais la maladie ne passe toujours pas ou au forceps parce qu’on vous le répète, qu’il y a le rituel des médocs, que vous le savez mais vous n’avez pas envie de savoir. Mon expérience en milieu hospitalier a été, je dois le dire, désastreuse jusqu’à la dernière en date. Parce que la dernière en date avait tout d’une unité de soin et pas d’un zoo pour malades difficiles. Que les infirmiers et les infirmières étaient professionnel et pas gardien de parc. On n’a pas abandonné cet absurde rituel du pyjama pour les nouveaux arrivants, ni la torture de la chambre de contention, parce qu’il n’y a pas d’autres mots n’en déplaise.

Et à ce sujet justement j’aimerais faire une parenthèse. Je n’ai jamais eu besoin d’être attaché, même quand j’étais agité. Les flics m’ont attaché en garde à vue, je continuais de bouger et de soliloquer, l’hôpital a fait la même chose, m’entraver et me laisser là à me pisser dessus. Non seulement c’est inutile, on est toujours agité tant physiquement que mentalement, mais en plus ça fait mal. C’est humiliant et ça fait mal. C’est pas ça du soin. Même agité il vaut mieux une chambre de repos, surtout agité devrais-je dire. Parce que du repos c’est exactement ce dont on a besoin, et de douceur aussi, parce qu’une crise c’est violent à plus d’un titre. J’en reviens donc à cette violence qui retarde l’acceptation de la maladie et vous pouvez parfaitement l’inclure comme un facteur dès l’admission. Plus elle sera violente plus il y a des chances que le patient soit se rebelle, soit se sente totalement écrasé, et écrasé ça n’aide certainement pas à se soigner.

Parenthèse refermée, il y autre chose de préjudiciable avec l’hospitalisation c’est la perte de la notion du temps. On sort pas ou très peu et personne n’a les moyens d’organiser une sortie collective à la mer (par exemple) le monde est organisé en tranche horaire et non plus en jours, l’heure des médicaments qui précède celle de la collation, puis rien sinon la télévision en rang d’ognon. Absolument rien sauf si on a de la chance d’avoir une chambre individuelle, son ordinateur, voir de se faire des copains, comme moi la dernière fois, mais ça été la seule. Reste que l’on fini non seulement par perdre la notion du temps mais avec elle la mémoire. Et c’est un véritable exercice certaine fois de retrouver la mémoire à la sortie d’une hospitalisation. Se souvenir à quelle date on a fait telle chose, d’autant quand on en a neuf au compteur comme moi. Tout devient flou, relatif, on ne retient plus rien jusqu’à ce qu’on recouvre la liberté. La plus traumatisante perte de mémoire que j’ai vécu ça été à ma sortie en 2013, je ne savais plus écrire. J’ai été obligé de me rééduquer cela m’a pris quelques jours. Enfin il y a la relation au psychiatre en lui-même et sa capacité à communiquer avec son patient. En ce qui me concerne à part depuis que je suis à Lyon, ça n’a jamais été fort le cas. Que ce soit les psychologues, psychiatres, psychanalystes que j’ai pu croiser en vingt ans, on ne peut pas dire que la communication soit leur fort. Ca ne coute rien d’expliquer à un patient ce qu’est une bouffée délirante, à savoir ce qu’il vient de traverser pour la première fois de sa vie. Ca ne coute rien et ça fait avancer. Ca ne coute rien d’écouter son patient quand il vous parle de sa libido et/ou des effets indésirables de tel médicament sur celle-ci. Ca ne coute rien de l’écouter tout court et ça fait avancer tout le monde.

Il faut bien comprendre que lorsque l’on bascule dans la maladie, à quelque étape on en soi à vrai dire, on tombe dans un autre monde. Un monde obligatoirement médical comme un fil à la patte, fait de gens parfois plus malades que nous, fait parfois de camaraderie aussi heureusement mais quoi qu’il arrive marqué par un déséquilibre anodin au quotidien et pourtant redoutable. Parce que la bipolarité est séduisante en soi. On est plus sensible aux choses, plus empathique, on a de l’instinct à revendre, toute ces choses qui en cas de montée de crise deviennent des armes dangereuses pour faire absolument n’importe quoi au fil du délire. Les miens ont été mystiques, puis de mystique je suis passé à mystique post moderne, puis ils se sont orientés vers mes fantasmes d’enfants, en phase haute, très haute, pour ce que j’en sais c’est comme un trip à l’acide sans le plaisir. La bipolarité est séduisante également juste avant de monter dans les tours, quand on commence à avoir l’esprit à tout, le débit de parole accéléré, l’attitude volontaire, conquérante, séduisante, et qu’on finit par s’énerver, par exemple, quand quelque chose ne va pas. A ce moment-là on ne croit pas seulement être capable de suivre trois conversations en même temps, on le fait.  Et on est même capable d’en restituer la substance, parce que pendant ce très court laps de temps, selon nos inclinaisons on est superman dans notre domaine. Et je souligne, on l’est vraiment. Si on est dans les affaires on en fait et avec assez de succès, si on est versé dans les maths on va se compliquer l’algèbre, etc, et ça marche assez pour qu’on finisse par croire réellement ce que nous dit notre cerveau, et plus on y croit, plus on s’épuise à y croire. C’est de l’interprétation sur un bref instant alors que les fils se touchent si vous voulez. Et qui n’a pas envie d’être superman ? Qui, quand on est malade, et précisément parce qu’on l’est n’a pas envie d’être autre chose, que sournoisement rattaché à des médicaments et des blouses blanches ? C’est toujours plus séduisant de se dire qu’on est bien Jésus ou le 4ème prophète de la 2nd prophétie qu’un pauvre con atteint d’une maladie à la con que personne ne peut soigner. Non, vous trouvez pas ?

Il était une fois le Royaume de Frounch (Légende du XXIe siècle)

Frounch, le pays où le ridicule ne tue plus; hélas

Tagrawla Ineqqiqi

Le Royaume de Frounch était petit comme une grenouille, mais son bon roi n’avait de cesse de parcourir le monde pour en vanter la grandeur. C’était une vieille tradition frounchienne : il n’avait gagné que les guerres menées contre des populations désarmées, perdu toutes les autres quand il n’était pas aidé de ses voisins, mais le Royaume de Frounch se percevait lui-même tel un magnifique bœuf de trait bien nourri. Les autres contrées n’en prenaient pas ombrage : elles laissaient le bon roi vitupérer en agitant les bras tout en riant sous cape : après tout, les occasions de s’amuser ne sont pas si nombreuses en ce bas monde. En fait, si le Royaume de Frounch s’imaginait puissant, c’est surtout qu’il était un des rares à posséder une arme monstrueuse capable de détruire l’ensemble de la planète, et c’était son seul point réel de grandeur, si l’on veut bien admettre que la…

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