Mad détective, film concept.

Des films avec des profiler géniaux les américains, du roman au cinéma en passant par la télévision, nous en produisent des brouettes, et toujours la même eau (Millenium, Profiler) un profiler a des visions, il poursuit un assassin génial, et avec ses visions, tadaa, le super profiler va coincer le méchant. Bon, mais quoiqu’il arrive, le profiler est à peu près sain d’esprit, du moins assez pour avoir une conversation normale avec ses collègues. L’ex inspecteur Bun (Lau Ching Wan) n’est pas dans cette catégorie. Il est tellement à fond dans ses enquêtes qu’il finit par péter un câble, et se retrouver avec une fausse oreille (je vous laisse découvrir pourquoi, le climat du film pose assez bien les choses et définit immédiatement le degré de folie). Mis à la retraite jusqu’à ce que son ancien élève, l’inspecteur Ho (Andy On) face à une enquête difficile, le sorte de celle-i.

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Bun prétend voir les démons des gens (démon, personnalité, on comprend comme on le veut) assez pour mettre un coup de boule à une femme parce qu’il voit autre chose. Sa méthode d’enquête c’est de se mettre en condition, il mange ce que son suspect mange, il s’enterre vivant, il se fait jeter dans les escaliers, bref c’est un médium plus qu’un flic classique et comme souvent avec ce genre de médium il est en effet passablement frappé. Et à mesure du film, à mesure où Ho va découvrir à quel point il vit sur une autre planète, il se mettra à douter et nous avec. Bun ne vit-il pas totalement dans un monde imaginaire, puisque celle qui prend pour un démon est en réalité bien sa femme, cette femme qui l’a quitté quand il a définitivement vacillé. Ou bien est-ce nous, spectateurs et ses collègues qui sommes incapables de voir ce qu’il voit avec son cerveau droit (comme il le recommande à son collègue « utilise ton cerveau droit, pas le gauche ») à savoir les multiples personnalités qui composent un criminel, par ailleurs flic lui-même (ça on le sait dès le début). Cette question restera posée jusqu’à son superbe final qui nous ramène aux grandes heures du cinéma, où dans une scène de miroirs éclatés Bun ira jusqu’à se remettre en question, en question le bien fondé de ce qu’il est lui-même, pas tant un fou qu’un type qui n’est ni mieux ni moins bien que tous les aveugles qui l’entourent et en tirera un genre de conclusion douloureuse. Car Bun est avant tout un type en souffrance, un homme génial et bizarre abandonné de tous et qui crève de solitude (toutes les scènes avec sa « femme » et sa femme sont assez parlantes là-dessus et on imagine bien la vie qu’il devait avoir avant de sombrer dans la dépression) mais aussi un teigneux qui ne lâche jamais, en dépit de tout, et ira jusqu’à se coller une indigestion pour entrer dans la peau de son suspect habité par 7 personnalités dont un goinfre.

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Film ultra conceptuel, Mad Détective, de Jhonnie To est non seulement une belle illustration sur la folie et ses apparences, un polard tout à fait digne de ce nom avec une enquête rendue d’autant complexe qu’on joue en permanence sur les identités (où ici l’identité d’un flic est définie par son arme à feu) mais également sur les faux semblants permanents où toutes les lignes de séparation entre la raison et la déraison, l’honnêteté, l’intégrité, la corruption et le crime sont constamment repoussées, déformées, laissées parfois à l’appréciation du spectateur et des protagonistes sans vraiment trouver de limite, puisque jusqu’à la fin, tous les fils qu’aura dénoué Bun seront à nouveau emmêlés par son disciple dans une sorte de puzzle fou où l’inspecteur Ho semble lui-même se perdre. Mais au delà de ça, Mad Détective dépeint aussi un métier de flic pas très excitant, complexe, fragilisé et par la violence et par la bureaucratie, où tous les flics sont finalement de petits bonhommes, des victimes comme les autres. Enfin c’est un assez sacré boulot de réal et d’acteur, qui arrive à faire passer parfaitement le fait d’avoir six types et une femme pour personnaliser un seul individu, et présente constamment des angles de point de vue différents au point de brouiller les cartes dans notre esprit. Lau Ching Wan est simplement bluffant dans son rôle de furieux lunaire, littéralement possédé par son enquête tandis qu’Andy On compose un homme à la fois volontaire et effacé, un type qui passe de l’admiration au doute et révèle finalement la personnalité d’un gamin effrayé que les choses dépassent.

Si vous ne l’avez pas vu et n’avez pas peur des expériences relativement étranges où tous les codes policiers sont joyeusement bousculés  je vous le recommande vivement.

Kilomètre zéro- Sauvetage

Saut en haute altitude, casque, masque, silence. Les corps qui se contrôlent et dansent avec les couches d’air, les parachutes qui se déploient comme des drapeaux à l’unisson. Silence. Ils sont quatre, même la nature ne les a pas remarqués, atterrissent comme des fleurs sur un bouquet de roseaux. Des ombres. Ils se débarrassent de leurs casques, masques, et enfilent leurs chapeaux de brousse. Ils se déplacent en harmonie avec leur biotope, en rythme et en quinconce. Rien ne les distingue du reste du monde, invisibles.

–          Raven to Crow over… Raven to Crow over…

Une heure de marche avant le lever du soleil, un kilomètre de jungle jusqu’à l’objectif, 40 kilos de munitions et d’armes.

–          Crow to Raven copy.

Là-haut dans le ciel on entendait le vrombissement électronique d’un drone. Donnée transmise en direct sur le pad du sniper, cible en mouvement distinguée dans un carré de pixels blancs.

Equipe A, équipe B, infiltration, extraction. Objectif, libération d’un otage. Ils n’étaient que quatre mais ils étaient légions, organisés, mandatés, payés par le gouvernement des Etats Unis. Joint Special Operation Command. Worlwide mon ami ! Comme disait le chef d’équipe Hawk, un américain sous contrat Dyn Corp depuis 10 ans.

–          Comment est le temps ?

–          Le temps est clair, plusieurs mouvements détectés dans la région depuis 0600, nos bateaux serons sur site dans 0300.

–          Bien reçu.

Hawk se lève et se tourne vers l’homme de tête, le sniper.

–          Alors ?

–          Quatre cibles droit devant

–          On les dégage.

Un kilomètre de jungle d’abord. L’otage était une mexicaine de trente deux ans travaillant pour la CIA et enlevée par les narcos vingt-quatre heures et trente-quatre minutes auparavant. Le JOSC regroupant toutes sortes d’unités d’élite pour ce genre d’opération, une équipe de chez Dyn Corp avait été désignée deux heures après son enlèvement, et briefée dans la soirée. Des mercenaires payés par le Pentagone.

–          L’agent Sanchez travaillait sur le cas de Felipe Rothstein, citoyen vénézuélien et chef du Cartel del Norte. Rothstein fait passer une partie de sa came par le Mali et la Guinée, ce qui en fait un possible associé d’Al Qaïda dans la région du Sahara.

Donc un ennemi désigné de l’Amérique et de la CIA, mais c’était un peu la même chose.

La jungle est bleue et mouillée. Les treillis pèsent, la peau est humide de transpiration. Ils connaissent, ils sont les meilleurs, des forêts Afghanes au désert irakien en passant par le Mexique, les favélas de Sao Paulo, ou la Thaïlande, le JOSC est partout, et s’il n’y est pas eux y ont été un jour. Hawk l’ex para, Brandon, SAS, Smithers, le sniper ex SEAL, et Murakami l’ancien du Bope. Le camp est à environ 400 mètres derrière un bras de fleuve. Un garde couvre un ponton, visage tatoué, HKMP5, pur jus trafiquante. Un peu plus loin, à dix heures ils aperçoivent l’entrée et un autre garde, le visage jaune, barbu, un AK47 en bandoulière. Quelque part derrière, dans une des cabanes on pouvait entendre une femme gémir de douleur.

 

La première fois qu’il l’avait violée elle avait essayé de lui parler, lui avait soutiré son prénom, engagé une espèce de dialogue en espérant qu’il n’introduirait pas cette bouteille dans son anus, ni qu’il ferait venir les gardes pour la violer à leur tour. Peine perdue. Puis il l’avait encore battue avant de l’électrocuter sur un lit sans matelas. Ça avait été le pire. Pire que la bouteille et de l’entendre se casser, pire que le sperme et le sang dans la bouche, pire même que le tournevis dont il s’était servi pour lui gratter les tibias. Elle avait vomi, pleuré, vomi encore sans plus rien pouvoir arracher à ses entrailles, le courant lui traversant le corps comme un immense clou incandescent, jusqu’à ce qu’elle sente l’odeur de ses cheveux brûlés, tout son corps cabré et tétanisé par le jus. Maintenant elle est assise, pantelante, elle supplie, les mains verrouillées sur une table, il actionne une perceuse, s’approche de ses doigts. Il s’appelle Jon, c’est tout ce qu’elle sait de lui et il aime son travail.

Le hurlement déchire la jungle, les spécialistes se regardent, il est temps de conclure.

–          Raven à Crow nous entrons en action

–          Vous entrez en action bien reçu.

Brandon et Murakami passent devant et se glissent dans l’eau comme des crocodiles à l’affut. Le premier garde ne sent même pas la balle lui exploser le crâne. Son corps part à la renverse comme un arbre, tombant en souplesse sur les mains que lui tend l’ex du Bope et qui l’accompagne sous la surface. Le fusil du sniper se cabre à nouveau, second garde. Une balle dans la poitrine, le cœur qui éclate. Brandon avance sur indication, on déblaye le chemin devant eux. Un garde grimpe dans un mirador, il a vingt ans à tout casser, il ne sortira plus du mirador, il s’effondre, sa gourde tombe.

–          Attends chef, en voilà un autre, indique Hawk alors que l’autre est déjà dans la visée du sniper.

Le temps d’un soupir. Brandon et le brésilien au nom japonais coupent le grillage qui marquent le camp. Ils ne sont pas seuls. Le drone au-dessus de leur tête leur indique tous les mouvements ennemis sur un rayon de 25 kilomètres. Sans compter la couverture assurée par le sniper et Hawk. Ils se faufilent vers les baraquements, pénètrent à l’intérieur. Ça sent le bois humide et la transpiration, le sang et la peur. Soudain une rafale de gros calibre éclate. Les balles traversent les murs de placo, les deux spécialistes ont de la chance, ils tombent accroupis et répliquent dans la direction des tirs. Deux types surgissent de l’arrière du baraquement et sont fauchés par le sniper. Un autre arrive en approche, sa tête éclate sous l’impulsion d’une balle de 7,62 mm Otan. A l’intérieur c’est la confusion. Le tireur invisible hurle des insultes tout en rafalant les murs à l’aveugle. Murakami finit par le repérer et lui glisser une rafale en entrant dans la pièce où il se cache.

–          All clear ! aboie-t-il tout en continuant à progresser. Ils pénètrent dans la pièce principale, Jon se jette sur Brandon avec sa perceuse allumée, la mèche manque de lui rentrer dans la tempe. Brandon repousse son adversaire, le coince avec son bras, et de l’autre main sort le 9 mm qu’il a la ceinture. BLAM !

–          Clear ! All clear ! Objective secure !

La victime est couchée sur son lit électrique, les mains et les pieds troués, le visage tuméfié, l’entrejambe en sang. Brandon est écœuré, il se penche sur elle et lui pose quelques questions, des questions personnelles et faciles. Le nom de jeune fille de sa mère, son lieu de naissance, elle répond. Malgré tout ce qu’on lui a fait subir elle répond, elle est consciente et comprend plus ou moins qui sont ces types au visage barbouillé de vert et de noir.

–          Chef, faut se bouger, deux véhicules en approche rapide, sortez par la porte arrière et prenez le véhicule sur votre droite.

Une heure plus tôt, 20 kilomètres en amont du fleuve, deux bateaux à fond plat ont été débarqués avec une équipe au complet de mercenaires du JOSC. Uniquement des contrats Dyn Corp et Academi, du jetable si nécessaire. Les bateaux et leur équipage sont déposés au milieu du fleuve avec tous leurs hommes, les mitrailleuses lourdes et les Gatling mis en position de combat, on balance un nouveau drone. C’est un modèle léger en cellulose, il suffit de le lancer comme on lancerait un avion en papier, on le dirige avec un pad. Il s’envole en vrombissant comme un coléoptère contrarié et commence à transmettre. Deux véhicules en approche, plus trois autres à l’opposé. Brandon soulève la victime entre ses épaules et ils sortent au petit trot. C’est le brésilien qui conduit. Sitôt qu’ils ont démarré, Hawk et le sniper lèvent le camp et prennent en courant la direction du premier point d’extraction prévu.  Tout ça a été vu auparavant à la base à l’aide des cartes mais surtout des données transmises par le premier drone. La machine de guerre est huilée à l’huile fine. Leur souffle aussi est fin, ils courent avec science, ils maitrisent leurs muscles, leur cœur, chaque goulée d’air qu’ils aspirent, pendant qu’ailleurs c’est déjà l’enfer, ce footing les rends plus aiguisés encore. Ailleurs, ils ont grimpé à bord d’un pick-up, la victime avec le brésilien, à l’avant, Brandon sur le plateau qui les couvre. Deux poursuivants, le claquement caractéristique des AK47, la route cabossée, le hurlement des moteurs à travers la jungle, le M4 de Brandon qui crépite, la poussière mêlée d’humidité, 35%, la chaleur, le stress, la peur, et soudain la mort qui surgit. Il a pris comme point de référence le milieu du pare-brise et a laissé faire le recul. Quatre projectiles au total et un seul en pleine tête. L’homme à côté du chauffeur s’affaisse, l’AK tombe à ses pieds, le chauffeur prend peur, il donne un coup de volant, sort de la route et remonte tant bien que mal alors que le second véhicule le dépasse. Impossible de s’arrêter, Murakami en informe Hawk, point d’extraction primaire dépassé, direction le point deux. La course à travers la jungle continue, ils bifurquent vers la route qu’on aperçoit faisant un virage enroulé derrière les arbres, le pick-up les a dépassés en trombe, toujours poursuivi par les claquements d’un autre AK. Dans leur oreillette l’équipe B leur annonce de nouvelles troupes, signalées par le drone N°2. C’est presque leur quotidien, en tout cas c’est leur métier, alors ils courent en espérant que le second point sera le bon. Mais si ce n’est pas le cas, ils courront encore. Ils coupent à travers la forêt, ils ont mémorisé leurs parcours, et au pire, par radio et grâce aux robots du ciel on leur indiquera s’ils se trompent. Mais ils ne sont pas de ceux qui font ce genre d’erreur. Ils maintiennent la peur à distance, elle les talonne, ils sont formés à la laisser les aiguiller sans les envahir. Quelque soit leur formation, d’où qu’ils viennent, ils ont été fabriqués dans les meilleures écoles de l’élite militaire, à eux seuls ils valent plusieurs millions de dollars d’investissement, jetables mais coûteux. Dans le pick-up l’otage est à peine consciente de ce qui se passe. Elle sent le chaos sous ses fesses et dans son dos, espère qu’ils vont s’en sortir mais n’y croit guère. Tout son corps hurle de douleur, elle est partagée entre l’envie de se laisser mourir et celle de s’accrocher. Elle se sent souillée et vide. Elle préférait qu’on l’achève.

Point d’extraction N°2 en vue, Hawk et le sniper ont remonté vers la route, un 4×4 foncent derrière le pick-up, Hawk sort un tube lance-roquette LAW de son paquetage, l’épaule, et tire. La roquette traverse l’air dans un souffle, crachant une trainée blanche derrière elle, elle percute de plein fouet le 4×4 qui s’envole sous l’impact et retombe en flamme, pulvérisé. Le pick-up freine en catastrophe, ils sautent à bord et reprennent la route. Cinq minutes plus tard un nouveau convoi surgit d’un chemin de terre et continue la poursuite. Seulement cette fois ce n’est plus un AK, c’est trois, plus un M16, un HKMP5 et un Bushmaster. C’est un pick-up, un 4×4 et une camionnette bourrés de types armés. Hawk tire par rafale de trois tout en beuglant dans le micro qu’il a glissé dans son col.

–          Raven à Crow, Raven à Crow.

–          Ici Crow à vous.

–          Point d’extraction secondaire abandonné, nous dirigeons vers point tertiaire, l’objectif est vivant mais ne peut se déplacer seul, sommes poursuivis par trois VE lourdement armés, attendez-vous à une extraction chaudasse.

–          Bien reçu Raven, seront sur point tertiaire dans 15 minutes.

Là-bas les bateaux à fond plat viraient déjà de bord traçant le sillon d’un arc argenté dans le fleuve plomb. La fusillade sur la route claquait dans toute la jungle, cette fois ils avaient également affaire à de meilleurs pilotes qui savaient zigzaguer sur une route de terre. Les tirs étaient plus hasardeux car les tireurs n’étaient pas très bons en revanche, mais faire mouche devenait plus compliqué pour les hommes du JOSC. Un phare explosé, le moteur défoncé, Brandon essayait d’immobiliser le 1er véhicule tandis que Hawk et Smyther répliquaient à l’ennemi. Ils n’écoutent plus le sifflement des balles, ni le bruit qu’elles font en s’écrasant sur le plateau du pick-up, en perforant le métal. Ils ne s’opposent pas à cette mort potentielle qui maille leur espace vital et peu en une fraction les arracher du jeu. Ou pire, les handicaper à vie. Ils sont des athlètes de la guerre, ils sont chez eux ici, sur cet engin. Calmes comme s’ils nageaient ou embrassaient leurs enfants. Chaque opération est unique, parfois ça se passe bien, parfois il y a de la casse, c’est leur boulot, ils en sont fiers, et en plus ils sont magnifiquement payés pour ça. Mieux que dans toutes les armées où ils ont opéré. Mais ce n’est pas la motivation première de ces hommes. On ne prend pas autant de risque, on ne rassemble pas autant d’abnégation ni de courage pour l’argent seulement. On le prend pour une cause, une cause qu’ils pensaient juste. Le monde était ordre et chaos, il fallait vivre avec, ils avaient choisi de se plonger dans le chaos pour l’empêcher de détruire leurs familles, leurs amis et en tout ce qu’ils croyaient. Ils étaient le dernier rempart contre la sauvagerie des hommes, ceux qui se rendaient où personne n’allait pour sauver des vies, défendre une certaine idée du monde. Le JOSC et Dyn Corp n’étaient ici qu’intermédiaires dans la poursuite de cette cause qui les occupait parfois depuis l’enfance. Hawk était d’une famille de militaires, son grand-père avait reçu la Silver Star à titre posthume pour s’être sacrifié afin de sauver son peloton, et son père avait fait deux tours au Vietnam avant d’y perdre un bras. Murakami avait grandi dans une favéla avant de rejoindre le Bope, cette cause était marquée dans sa chair. Il avait vu la barbarie s’emparer de sa sœur, son frère, son père avait été tué par un petit dealer. Il avait transformé sa rage en une forme épurée et supérieure de conscience du monde, en avait accepté le chaos comme l’ordre. Smythe était lui aussi d’une famille de militaires. Brandon aurait pu faire de hautes études, avec son QI exceptionnel mais l’école des commandos lui avait semblé un aboutissement plus ambitieux. C’était sans doute pour ça qu’ils avaient tous réussi leur formation, leur conviction intime du sacrifice nécessaire qu’il fallait faire pour défendre ce qu’on estimait juste, beau, vrai comme un bon poème.

Un homme meurt derrière, il tombe à la renverse et passe sous les roues du 4×4, les armes chantent. Point d’extraction N°3.

–          WATER ! WATER !

Murakami plonge directement dans le fleuve, Brandon sort le colis par le pare-brise, l’équipe B est là, les Gatling en marche et leur bruit terrifiant de tronçonneuse. Un feu de l’enfer, un torrent d’acer brûlant qui transforme tout, le 4×4 est pulvérisé, le pick-up derrière lui éclate, les hommes sautent de la camionnette terrorisés. Les Gatlings sont soutenus par des mitrailleuses lourdes de calibre 20 mm qui arrosent à hauteur d’homme, les traçantes flamboient, personne ne peut se lever ou il mourra. Murakami et les autres montent à bord, les navires démarrent sans cesser le tir, et puis c’est le décollage à 65 nœuds à l’heure. L’hélicoptère les récupère 4 kilomètres en amont. Trois agents de la CIA les attendent de la récupérer, on la conduit immédiatement à l’hôpital.

 

Elle a mal et encore peur, mais elle est heureuse par intermittence, elle est libre, ici les gens sont doux, on lui pose des questions gentiment, on la soigne sans la heurter, sous l’œil vigilant de deux agents. Elle a l’impression de les connaître, ils la regardent à travers la vitre de sa chambre. Ils portent ces costumes sombres qu’affectionnent les directeurs de la Compagnie. Puis soudain ça lui revient, comme si leurs traits redevenaient nets. Celui de droite est son chef direct, celui de gauche le directeur des opérations spéciales, qu’elle n’a rencontré personnellement qu’une fois. Son chef lui fait un petit signe de la main, elle essaye de sourire et agite faiblement les doigts. La morphine a beau faire elle a encore mal partout et surtout à l’intérieur d’elle-même. Un mal contre lequel la médecine ne peut rien. Quelque part dans sa tête flotte comme une envie de mourir.

–          On pourra la débriefer quand ?

–          On ne la débriefera pas, je ne vais pas prendre ce risque.

–          Vous avez peur qu’elle ait craqué ?

–          C’est bien pour ça que nous sommes allés la chercher non ? Elle sait trop de choses sur nous et nos opérations de 2001. Si elle a parlé elle parlera pendant le débriefe.

–          Vous proposez quoi ?

–          On va appliquer l’article 1180.

–          Un agent double ? pas bête…

Le lendemain un homme et une femme entrent dans la chambre et lui expliquent qu’on va la ramener chez elle. Pour son bien et pour le voyage on propose de la sédater, elle accepte, d’ailleurs elle n’a plus qu’une seule envie, dormir.

 

Il fait noir, trou noir. Les yeux ouverts mais pas la moindre lumière. Contact froid du béton sous ses fesses, sous ses mains, elle frissonne. Elle sent aussi le tissu sur elle. Elle porte un genre de combinaison. Elle ne comprend pas, elle n’est pas chez elle, alors où est-elle ? Ils vont la débriefer ici ? Pourquoi cette mise en scène. Soudain la lumière s’allume, une douche de lumière, 1000 volt stridents d’un blanc acide qui se déversent sur sa tête avant que la musique n’entre en jeux. Rammstein, à fond, comme si elle y était.

–          INSANITY IS ONLY A NARROW BRIDGE THE BANKS ARE REASON AND DESIRE I’M AFTER YOU THE SUNLIGHT CONFUSE THE MIND…

Bienvenue à Guantanamo.

Disruption dithyrambique

Dithyrambique, c’est comme gargantuesque, c’est pas un mot qu’on place facilement dans une conversation. Ça pose sa phrase, ça lui fait comme un genre de décor roubignole avec un gros panneau attention c’est la farce. Ça claque mou en somme. On a plus envie de mots comme phacochère, anacoluthe, ou myrtille. Mais ça non plus c‘est pas facile à placer dans une conversation, sauf si on cause recette, figure de style et animal sauvage dans une même discussion. Ce qui est, on en conviendra, assez rare.  J’ai jamais vu débouler de girafes dans l’échange de politesse entre un architecte tu vois quoi et une libraire post moderne,  tatouée Manga. Pas plus que le verbe ne s’invite à la table de Martine et Gérard, dans la tiède langueur alcoolique d’un mariage banlieusard. Le mot est souvent faible dans les bouches, l’orateur bourdonne et l’image fixe. L’oreille se distrait. On n’a pas la répartie cinéma, le débit orienté grande manœuvre, on bubulle des approximations de phrase, on tâte, on n’écrit pas, on cause. On synergise avec l’autre, on lui dit tu vois quoi, et on ne le dira plus jamais, plutôt se crever la langue. Puis il y a les codes, l’argot, le parlé frais, ca se porte. Ça s’emprunte pas. Tu fais toc à rouler du verlan quand t’affiches Jean-Pierre de l’auto-école, surtout en présence. Ça rebondit sur le lascar, ses yeux c’est des mollards et t’as le mot qui te pends aux lèvres comme une bite de smiley. Et bon faut voir quoi, la causerie rue c’est un tempo, une cadence, ça se débite pas, ça se savoure. Ça se place. C’est pas le mot pour le mot oualla cousin je te jure, il y a une danse et ça s’apprend en écoutant. Et les gens écoutent peu en général. Mais quoi foutre, on y est pas, c’est l’avantage du silence, avant qu’on le graphite, il ne répond pas. Il vous ignore même, ou il fait semblant. On laisse aller, on entasse, on bricole, on est maître. Les farceurs nous dispensent de leur fadeur, les femmes ne nous étourdissent plus, au cul d’un mur, on fabrique. Trop sait quoi, mais c’est pas la question, le propos, le sujet. Ici là immédiatement les mots sont sujet, verbe, complément, ils s’entassent en petits fagots continus. Ils filent à travers le crâne, se cherchent un dictionnaire, un lexique et peut-être qu’il n’y en a aucun. Faisons l’expérience du cumule. Ananas présomptueux d’amphigouri malsain, favoris vertébral d’un sémaphore allongé, mollement, dans les renoncules sauvages. Epice opiacé de mer du sud entassé et qui rime comme une merde en barbotteuse. Expérience lettrale, inspection intra anale d’un académisme mou du lecteur ordonné. De conversation privée il est anchois sur une tartine de beurre suédois. Impotent il gloupille dans le cadavre exquis d’improbables fabuleuses en hypothèses elliptiques. Songe et référence, ignorant le bougre la page ici, là, l’astronomie de la pinte qu’ils ne sauraient retrouver derrière le chemin de traverse qui de toute manière n’y est déjà même plus. A bord d’une caravelle année 70, mot magique d’argent inoxydable, Clinton Barnes est préoccupé. L’insatisfait et le furtif s’effilochent d’un nom, un début d’histoire, ils voient l’engin, argent dramatique dans le ciel faïence. Sentent-ils la poussée de cohérence, l’impalpable flamme, le manteau lexical, la saveur monotone des automnes sur la plage. Mais en tout cas ils aimeraient bien. C’est pas qu’on ne se sent pas volontaire que ce n’est pas le propos de l’opéra fariboleux qui picote dans le crâne. La chimie. 9.

Par exemple que vient faire ce neuf ? Enfant d’une faute frappe sur un clavier éclaboussé de tabac, il roupille sa vengeance d’être né sans avoir été voulu. Il s’enracine, se vipère, vitupère, récupère un siège dans l‘arrière-boutique des songes chocolats et te demande, bon alors pourquoi neuf ? Eh bé pourquoi pas ? Neuf chèvres qui cavalcadent dans le minéral, neuf nefs chapitrées de nerfs bleu aquatique, neuf bourgeons farcis de cristaux gluants qui charment le ciel et poussent au fond. Le filament blanc des racines suçant la moelle rouge et argileuse du plateau. Neuf, vieux, débris de souvenirs craquelés sur une feuille de papier jaunie. Frêle embarcation de mes trains de banlieue, époustouflance accidentelle et erratique de nuées oiseuses et éparses. La forme d’un pied, d’un pas qui se décide dans la boue. Le son du cuir qui se tend sur la peau. BRAAAAGLH !

 

M’tadbu, était fermier. Son père avant lui avait été fermier, ainsi que son grand-père, son arrière-grand-père et son arrière-arrière-grand-père avant lui, jusqu’au premier M’tabdbu qui lui avait été plus probablement chasseur-cueilleur. Il possédait deux vaches, trois chèvres et un mouton. Le mouton ne l’intéressait pas beaucoup, il le trouvait naïf. Les vaches guère plus d’ailleurs. Connues du paysage, figures de chocolat osseux qui toisaient le monde de leurs yeux violets, grouillants de mouches attardées, presque un emblème national pour les romains. Mais les romains ne les avaient, pour une raison ou une autre, pas encore atteintes.

 

Clapoticlapota, cric crac dans le pas de la boue, du cosmos, sur la pierre, osmose. Molles odeurs de sueurs dans un canapé jaune citron, Clinton Barnes rumine son alcool. Le Congo, le passé, il rumine depuis des années, des siècles. Et il rumine, tandis que Jozy, avec un z gribouille des signes cabalistiques de ses doigts difformes métamphétaminiques, critsalmeth, tout tu vois glauque et étincelant comme un ballon-balle, de champagne. Les doigts bruns font comme des serpents d’argent, graffitis siècle, temps anciens, sorciers, associations d’idée…bad trip, alors il raconte encore comment ils ont éliminé l’autre coco là-bas au Congo. Jozy pense aux machettes, elle a de drôles d’idées dans la tête. Mais pas encore. Pour le moment ils gisent dans le ciel, au-dessus de la canopée, au pays des rêves, qui n’est pas en bas mais en haut ma chère Alice, et vis versa. On redescend au pays des mythes post moderne et on se calme. Je fais ce que je veux c’est mon texte. Ne me sépare de la volonté de l’aboutir que l’angoisse du travail inachevé, l’avis du lecteur je m’en branle. Et c’est bien d’un travail que voilà avant et tout plutôt qu’un art bordel ! Un taf, Du taf. De celui vrai, de celui qui laisse des doigts calleux, le cerveau rodé, structuré, le verbe agile, le mot soyeux. Et nique sa mère la pause…j’ai le sens de l’orthographe créatif, mais pas seulement, il faut savoir exploiter ses défauts parfois. Tu crois que t’es le seul à poser le texte ou quoi ? Tu te crois vraiment embarqué tout seul dans cette sale affaire hein, con de lecteur qui veut pas faire d’effort. Mais c‘est horrible, il se raconte ! Pendant que moi je planais ! Hé descend gros, tu vas apprendre à lire d’abord. Tiens par exemple moi je suis amoureux en ce moment, ça t’en bouche un coin hein ?

 

Il y avait Ava, Ada et Wafa. Mais on les confondait parfois. Ada était la plus vieille, qui toisait le monde du haut de son mètre zéro trois et braillait d’autorité que ça allait bien comme ça l’écho bordel. Ava l’entredeuse, noire et blanc comme un damier, toujours à avoir l’air de sous-peser le pour du contre. Enfin il y avait Wafa, dont M’Tadbu était amoureux Que les scabreux fasse demi-tour avec mon pied au cul, c’était un amour platonique mais tout entier et sincère dont seul une bête affaire de génome empêchait la concrétisation. Et surtout c’était un amour réciproque. Wafa aimait autant M’Tadbu qu’’il l’aimait. Il y avait quelque chose d’à la fois sauvage et magnétique qui les attirait l’un vers l’autre. Il suffisait qu’il la regarde pour qu’elle sente la puissance de ses mains sur elle. Il était à la fois son guide et son firmament, cette cristallisation obscure qu’on se fabrique au fil des déceptions sur le monde et qui brille comme un diamant secret sur son cœur. Il lui avait cambriolé. Il était tout ce que n’était pas le monde, il était gentil, calme, compréhensif, et surtout il n’était pas comme ce con de mouton, naïf. Il était l’espoir d’un monde meilleur comme on l’incarne parfois dans l’œil de l’autre. Mais pour le fermier elle n’était pas un espoir, il savait que quand bien même il l’aimait comme une femme, elle n’en serait jamais une, et lui ne serait jamais son bouc, mais… mais quand elle se levait le matin et qu’il sentait l’odeur chaude du sommeil s’évaporer de sa peau, il y avait dans l’atmosphère comme un parfum de printemps. Mais quand il regardait la nacre rose de son ventre, son poil blanc luisant sous le soleil comme une gloire, la vie devenait de la poésie à la liqueur de chenille. Mais quand elle défiait le monde et l’équilibre sur la roche lisse des plateaux, il voyait le firmament, des enfants mi-homme mi-bouc, des faunes en somme, courir partout, et cette vision finissait de le plonger dans l’amertume d’un impossible rêve. Alors il sortait le tabac de sa tabatière et se fumait une pipe bien tassée. La pipe avait la saveur amère des songes creux et la chaleur rassurante d’un médicament contre l’âme fendue. Et puis BRAAAAAAAAAGHL.

 

Mais qu’est-ce donc ?

 

Lecteur chafouin lâche l’affaire, ce texte n’est pas pour toi, admets-le. Tu n’es pas assez mûr, tu n’as aucun temps à perdre et moi si, tu n’entends rien à l’inspiration et moi si. Tient par exemple si je te disais que j’écoute Jean Sébastien Bach, Jésus que ma joie demeure, aurais-tu seulement l’idée de l’écouter sur Youtube que tu n‘atteindrais pas mes firmaments. Abandonne lecteur chafouin, Clinton Barnes n’est toujours pas sorti de ses divagations, mais Jozy l’écoute avec goût et saveur. Et moi du Bob Marley derrière Jésus… ça manque quand même sérieux de drogue tout ça.

 

Aaah la drogue.

 

Dans le catimini de la jungle, au creux d’une vallée, elles étaient là qui suçaient le ciel et les étoiles et dispersaient leur vent bleu vers les confins duveteux. Les oiseaux n’y volaient plus de peur d’y mourir d’extase et de mots, les romains y seraient restés figés comme des automates en panne, les villageois s’étaient éloignés, il y a des mystères qu’on ne dévoile jamais, des rêves qu’on ne prend pas aux autres, mais les mots venaient parfois chanter le soir dans le crépis du monde. Les lucioles saphir maman de leurs extravagances végétales, dansotaient un tango sexuel et verbal dans l’air du soir, chaud et humide comme le calice d’une femelle en rut d’ébène sévère. Stéphane Mallarmé je t’emmerde. L’axiome sauvage d’une outrance occurrence dans la chair du corps du texte, gratuité du transport, Mallarmé je t’emmerde, acceptation libre de nos pensées intercroiseurs, âpreté du geste sans rien rétrocéder, création d’un espace diurne dans lequel soulever la jupe du temps, et y laisser l’impression d’un opium, sans l’ombre d’un dross, c’est ici ma chère Alice que le chemin décroise et se recroise pour tisser le corps entier de ton tapis de prière mon ami lecteur. Car vois-tu ici tu te fais expliquer la lecture autant que l’écriture, alors ferme ta gueule à ta conscience frustrée, le départ c’est pour bientôt.

 

Braaaaaghl disais-je donc. Oui parce que j’ai beau être naïf je n’en suis pas moins mouton, et les moutons ne font bêtement bééé comme dans les stupides livres en couleur des romains, mais BRAAAAAAGHL ! Ou un truc dans le genre. Braaaghl comme dans nom de dieu de bordel de merde.

 

Et puis après le mouton avait fait un saut périlleux. Arrière.

 

Les mots étaient arrivés par la voie lactée d’une petite clarté, un matin brun. En petit bout dans la bouche des voisins. Des mots comme pédoncule, pharisien, romain se roulèrent sur les langues et délivrèrent leurs messages rouquins. Des mots chatoyants comme volubile, qui fut le premier qui vint à l‘esprit de M’Tadbu quand son mouton fit un saut périlleux arrière. Volubile, il trouva son mouton soudain bien volubile, pour autant que ça ait du sens de trouver volubile un mouton d’un naturel plutôt taiseux, au fait d’un exercice de gymnastique tout à fait improbable pour un mouton. Plus tard le mouton témoigna.

BRAAAAAGHL !

 

Enfin, ça c’est lui qui le dit. Un mouton qui parle, même moi ça m’emmerde. Tu crois quoi putain de lecteur que j’ai envie de gnangnanter tout le temps, te faire un beau compte de faits… hein elle est pas mal celle-là, au lieu du conte de fée que t’attendais avec des mots aussi chatoyants que volubiles ? Hé bien justement tu veux savoir quoi, ça m’emmerde, oui je le dis haut et fort à cette phase précise du texte j’ai plus envie, je veux juste tourner la page et puis c’est tout, une autre page. J’écris une nouvelle gros, faut que ça aille vite, que ça te passe comme un fruit dans ta gorge, que ça te fasse gloups dans ta face, remarques-tu seulement où je t’emmène avec mon interface ? Ma capillicole volonté de terminer au lieu de te laisser là comme un couillon de bernique, ami lecteur de mes matins prodigieux. Bon, en gros le mouton bêle, fait un saut arrière, ça fait très cartoon, le mec se lève, l’a jamais vu ça le mec, un mouton gymnaste, alors il va voir et patatra rien. Wallou, whalla cousin je te jure sur le Coran de la Mecque, juste de l’herbe broutée. Alors il se penche et regarde l’herbe, et là il a un mot et pis une palanquée qui lui viennent dans la tête, c’est un bouquet c’est une touffe, c’est des gerbes d’étincelles verbales, de joutes maxillaires, de tricotis de mots indélicats dans la bouche délicate, c’est la belle ordonnance cuivrée de sa déclaration d’amour à sa chèvre, et il se dit que pourquoi pas tu vois le mec. Et là se bourre la pipe avec.

 

Respiration.

 

Le lecteur, instruit de quelques grammes supplémentaires, dans son âme étriquée, repose, l’ouvrage, ouf. L’écriteur, d’humeur rimeuse comme un pinçon de juillet, jubile sa petite farce tout en se roulant un ancêtre, histoire d’avoir du climat. La vapeur bleue monte vers le ciel, M’tadbu essaye de paner le rythme de son cœur qui bat comme un tambour à la danse, manque une cartouche de rose. Et c’est reparti…

Les mots montent dans mon esprit et s’entre-collent, je suis la plume et vous êtes ma page, un souvenir triste traverse mes mensonges éveillés comme une mésange endormie. Le samedi et plat et cafardeux tel un après-midi de divorce, il enchaîne, il est France, et tu travailles dans ton arabie. Mais de quoi qui cause ? Rien je soupire entre deux respirations, ça t’arrive jamais de soupirer toi, con de lecteur ? Et je repars, de plus belle, dans mes envolées fumantes d’un nuage de givre dans l’atmosphère ouatée de sa bouche, un hiver de septembre. Je divague, je digresse, je laisse aller comme une vague, un reflux, et je m’en vais, et je reviens… Clinton Barnes a fini sa bouteille et sa boîte de capotes. Elles trainent autour du lit défait comme des crachats jaune concentriques, dans l’une d’elles un mégot a fini écrasé, le filtre y fait comme une cartouche plantée dans un mollusque bâtard. Ça sent la transpiration et le whisky frelaté, Jozy joue avec les boucles de sa chatte en songeant à des envolées d’acier, au chaos des airs, à des sangles tranchées comme des jugulaires. Je descends, Clinton descend avec moi de son hydravion alcoolique. Il pose un pied par terre, il a mal à la bite, et l’estomac en feu à cause du whisky de sous-marque chinoise. Il attrape un mégot dans le cendrier et le rallume. Dans sa tête flamboie une nuit sous les tropiques, les cris étouffés d’un gars sanglé comme un cochon, un rêve qui se brise durablement, un voile épais et léopard tombe. M’tatdbu se met à penser, épicés épicentres volubiles et sans conséquences, charnels et impossibles soupirs, ciels éclaboussés de mille regards scintillants, firmament ô mon firmament ! hurle-t-il, avant de retomber sur ses fesses sans comprendre un traître mot de ce qu’il vient de vivre. Il est bouleversé. Possédé. Pris du dedans qui sent les mots cavaler partout comme des gosses dans une crèche sauvage.

 

Respirate, escucharmusicapor favor, ballade.

 

La déclaration gargouillait au fond de son destin comme une marmite de l’enfer planté dans ses tripes, se tapissait de tous ces nouveaux mots inconnus et demeurait en remugles rougeâtres, incandescents, indécents, assonances des incidences, des virgules, des respirations, des silences, intercalés entre l’émail des mots. Une cathédrale, il lui bâtissait une cathédrale. Une cathédrale pour une chèvre. Il y eu beaucoup plus.

 

Au début, au village, on ne remarqua rien ou pas grand-chose. Parfois il sortait de sa bouche un mot inconnu ou sophistiqué, voir les deux, mais comme il en sortait dans d’autres bouches depuis que cette mystérieuse plante avait poussé sur le plateau, crachant ses floraisons comme un rut cosmique, on ne s’alarma pas immédiatement. Jusqu’à ce qu’il se mette à parler une autre langue inconnue à ce jour sauf du Molo Ko Pio, du chef coutumier, le seul du village à avoir rencontré les romains.

Or il en est des croyances ici comme certaines chez ces romains, que parler une langue qu’on n’a jamais apprise est une diablerie. Surtout qu’à ce qu’en disait le chef, M’tadbu débitait n’importe quoi, des mots inventés comme faramineux ou septentrional. Bientôt on se mit à le regarder de travers, les enfants chargés de le suivre, l’espionnaient pour le compte des tantes et de sa femme quand il partait se réfugier sur le plateau. Car au fond de lui M’tadbu vivait un enfer intérieur, il ne trouvait pas les mots. Il manquait de musique, d’air, d’espace, ici au milieu de l’espace et du grand air, il étouffait. Un comble. Un dommage affreux.

 

Alors il lui dirait adieu. Voilà, ça serait ça sa déclaration, un adieu.

 

Laisse-moi tomber mon amour, oublie-moi, ce n’est pas bien ce qu’on fait là, à s’aimer de feu comme ça sans rien pouvoir. S’aimer de feu il a dit ? Oui, il a dit, il a dit. De feu, de foudre zé de lumière, s’aimer comme des fous et ne faire que chanter, toi dans ta langue, moi dans la mienne, chanter à n’en plus pouvoir, oublie-moi Wafaa, je ne suis pas pour toi et toi pour moi. Tu es trop, tu m’étouffes, tu me ploies, tu me charmes, tu m’éclates, et je sais même comment tu fais ça, t’es qu’une chèvre.

Une chèvre ? Sa chèvre ? Wafaa ? Oui, oui…. c’était un signe, il fallait les séparer, manger la chèvre, ou la donner au chien, on hésitait. Et en attendant… rien, on continua à l’observer pendant que Jozy montait lentement dans son avion. Un avion-cargo.

 

Il transportait des voitures japonaises en forme de rasoir électrique. Des voitures savantes, avec GPS et toute l’informatique possible. Chargée de la sécurité, elle les sanglait à l’aide de grosses sangles en nylon. Sur sa cuisse battait la gaine de sa machette. Jozy ? C’est quoi cette machette ? lui demanda la petite voix dans sa tête, mais Jozy n’écoutait pas sa petite voix, elle en avait. L’une d’elle s’appelait Clinton Barnes, un vieux client.

 

Proximité inouïe des préambules vulgaires, alarme, sirène, sponsor, du sort de ta mère. Funambule. Je t’aime, infiniment. Répétait le sauvage dans la brume de ses nuits. Sa femme n’en pouvait plus, les tantes caquetaient entre elles, mais les tantes caquetaient tout le temps, et il était heureux. Seul, mais heureux.

Un fou quoi.

Chez les romains on traite les fous au médicament, ici on les traitait au gourdin, enchaînés comme un animal quand le fermier montra de très nets signes d’agressivité envers les importuns qui l’importunaient. Ingala romain, de sorte qu’on comprenait très bien quoiqu’on en dise. GoroMabimdu ! Par la queue du diable vous allez me foutre la paix bande d’importuns dithyrambiques, de singes cons, d’enfants de salaud !

On l’enchaîna, le gourdina, on lui refit le portrait il prédit. Ça va vous tomber sur la gueule vous avez pas idée ! De quoi qui va nous tomber sur la gueule demanda le chef qui comprenait très bien le romain, le Japon brama M’tadbu.

 

Et le Japon chut.

 

Une tonne et demie de ferraille larguée par Jozy la dingue au-dessus de l’Afrique, comme ça pour le fun et la métamphétamine… ça y est le lecteur échu réalise où on l’emmène, même s’il ne sait pas où il va, il comprend d’où il vient et ça s’éclaire comme des lampions, la cohérence du propos dans le tricot des mots, vois-tu la syllabe qui t’attend au coin de la larme, l’alarme. La lame, Lalane, lalalaneuh !

Pardon, tout ça pour dire que le malheur n’est pas nécessaire à la création, contrairement à ce qu’imaginent les apprentis écrivains. Mais ça serait trop long à vous expliquer.

Pose.

 

Je mange, tu permets ?

 

Coléoptères éventrés de chamanismes jovial et cynique,  inopportune importance du sens dans la musique des sens, infortune à suivre pour l’esprit étriqué qu’on délaisse jamais en route car il se moque le bougre et ça bat avec le rythme, musical. Envois. Guitare. Dzoing.

 

Bon où j’en étais…

 

Ah oui, le gourdin, la voiture tout ça, et Jozy qui dansait n’importe comment avec sa machette découverte, avant de se laisser aspirer par le vide et de terminer dans l’atmosphère, dispersée par sa propre machette comme un hélicoptère fou.

Tu vois une image, lecteur con ? C’est déjà ça. Y’en a plein d’imagee dans mon album en couleur, je suis ta plume tu es ma page.

 

Stop.

 

Il pleuvait à torrent, et la nuit était tombée. Le Molo ko pio n’avait pas souffert. Mais tout le monde avait peur maintenant. M’tatdbu était recouvert de boue et de pluie, un gamin se leva. Il lui enleva ses chaînes, Celui-là n’avait peur que des fantômes. Il ne voulait pas que M’tatdbu jette un fantôme par ici. Ou que le Molo Ko pio… enfin bref il avait peur mais il avait sans discours ni attente, et enterrer les restes du chef selon la coutume….

 

Euh non en fait… ça se passe pas comme ça cousin au bled, même le prophète au village il y a les vieux qui doivent palabrer là. Alors pendant qu’ils palabraient pour savoir où et comment on devait enterrer le chef, M’tadbu alla libérer Wafaa et la traita désormais comme un animal soyeux à habiller de merveilleux. Comme il traita même son mouton, et ses vaches. Devenu autre, tout lui réussissait, il répara la voiture en observant son moteur intelligent. Remit de l’ordre dans ses affaires avec sa femme et ses tantes, et s’en alla avec pour seule compagne la fameuse chèvre. Biquette, comme l’appelle les romains. Et l’herbe, comme l’appellent aussi les romains qui n’y entendent décidément jamais rien. Car vois-tu cher ami peu importe dans quoi ton esprit veut bien s’incarner, t’inspirer, ça peut-être de l’herbe ou juste de la magie, une potion, un arbuste inconnu des cons, une chose bleue, va savoir. Et si ça se fume ci-devant, et bien c’est parce que c’est sensuel de fumer, c’est bon, c’est simple. Mais ça se mange aussi imagine, ça s’endurcit dans tes neurones ça se crispe, tu n‘es plus une étincelle tu es mille, un arc-en-ciel Emile, un arc-en-ciel. Un pain pour ton esprit, un espoir jamais vain. L’ivresse plus que le vin. Imagine.

 

Soyons pas chien pour la logique cartésienne, un con de nègre d’un pays sous-alimenté par des cons de nègres romanisés ne peut pas réparer avec ses doigts de pécore même pas répertorié, un diamant de technologie nippone. Pas plus qu’il ne peut se mettre à causer le romain, l’ingala ou le chinois berbère si ça lui chante. Pourtant il était bien devenu fou, pourtant il y avait bien des témoins, pourtant une voiture était bien tombée sur le village, et japonaise encore. Ah oui mais on va me dire, c’est de la fiction, dans la réalité même pas que c’est possible. Ahem… observe t-il les limites de la logique cartésienne dans le récit le lecteur chatoyant ? Le petit opuscule qu’il propose ici aux philosophes et aux malingres ? Aux bandits et aux misanthropes ? Aux assassins ? Observe-t-il le massacre, et pourquoi n’y concéderait-on pas après tout, se demander comment un nègre peut dépiauter un moteur plein de carte mémoire, redresser la carrosserie, ne savoir rien et comprendre tout empiriquement, pendant de longues semaines. Au village les vieux avaient décidé, on enterra le chef en grande pompe près d’un arbre désigné par le marabout. Le 1er fils du Molo ko pio devint chef à son tour et il prit son nom de chef au cours d’une cérémonie. Pendant ce temps les enfants allaient regarder M’tadbu bricoler dans son atelier. Il avait improvisé une forge pour les parties métalliques, pour ressouder il utilisait des baguettes de métal préalablement forgées à l’aide des débris arrachés de la carrosserie. Ce qu’il n’utilisait pas, il le reformulait en autre chose et transformait le produit. Les nègres font ça vous savez. Rien ne disparaît tout se transforme.

 

Un, deux, hop, hop.

 

Mais n’empêche, le robot japonais n’était plus très content d’avoir été ainsi tripotée dans son génie, et ils n’allèrent guère loin, d’ailleurs ils auraient voulu ils n’auraient pas pu. Une hyène était magistralement posée au milieu du chemin, ou une hyène, allez savoir avec ses animaux là. Bref une, et pis c’est tout ; magistrale.

 

La hyène fit caler la japonaise qui ne voulut plus redémarrer, et ricana. Ça ressemblait à un aboiement d’alcoolique, un truc sauvage lancé dans la nuit, à une chaîne. Le grand rire du diable. Le feu. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle-même n’en savait trop rien. Elle se souvenait être entrée dans une vallée pleine de buissons bleu, attirée par une puissante odeur de charogne et de foutre d’un oiseau cafard écrasé là comme un rubik’s cube de rubis et jaune. Elle en était sortie lettrée comme un dictionnaire, fleurie de milles idées, pleine d’une sacrée putain envie d’aller danser et de rire. Alors c’était pas une japonaise qui allait faire chier.

 

La japonaise, revenue à la vie n’avait pas cette idée en tête, dans ses neurones de plastique et d’or, elle ruminait sa vengeance d’avoir ainsi été balancée du ciel dans ce pays fabulé. Elle ne savait pas encore à quel point il était fabuleux. Elle causait binaire. Un zéro un zéro un, hein ?

Munition.

Recharge, M’tadbu sortit de la voiture, considéra la hyène un long instant, puis prit une pincée de son herbe charmée pour en bourrer sa pipe. Chamane.

 

Fins équilibres du verbe, le silence pour s’écouter les mots s’écouler en manteaux de vitupérences électriques, puis constater l’équilibre sans conteste, déteste, la peste dans ton texte Yann Moix.

 

Que viens donc faire cet importun ici ? dit M’tadbu à la hyène.

 

Vas t-en, Retro Sartana ! oui et pas Satan parce que Satan n’est pas un héros de western. Yann Moix non plus. Je rappe, ne comprends-tu pas l’indien ? Je glisse d’un disque à l’autre tout en racontant une histoire, je te mets une disquette comme disent les jeunes, toi le ô vieux lecteur des amphigouris maladives. Des poèmes en carton et de Jean d’Ormesson. Je brame, dans tous les sens du terme. Et le grand cerf te cannibalise le temps d’une chanson ludique. Tu fonce dans ta mémoire et tu n’y es déjà plus, tu goûtes le vide, l’absence.

 

Blanc.

 

Inspiration, expiration.

 

M’tadbu recracha une bouffée de sa pipe. Une volute s’éleva de dessous les braises, une autre de ses narines coléoptères bleu marine. Nobody know where inspiration comes from Alice, don’t guess, don’t try, and let it go.

Kiss.

 

Your love is my relief.

 

Stop.

Enchiffrement, mécanique bien huilé, des analyses mémoires, synapses bien ouvertes, sur analyse, et scan permanent, la machine se remet en route. Musicalité et décryptage, de je ne sais pas ce que tu fais ou tu écris au moment où tu l’écris, soignant, auto analyse. Mi private joke mi hommage, you got to stand up baby !Hindi Zhara, la belle vie qu’on peut se faire ma soeur…

 

Beautifull Tango…

 

Que celle de nos langues dans ta bouche mon ami lecteur que moi aussi j’imagine… secret words in spanish. Thankyou. Indien, chamane, marocain, shleuh, chanson, envois les longues mains qui ne me voit pas.

 

Le petit bonhomme dans ma cour coule comme un chardon sur la poésie à deux des paysans du bourg. Tu ne sais pas tu ne sais plus, tu nages dans la merde, dans le purin de tes propres incapacités, tu n’étonnes rien ni personne, tu détonnes sur tout et tous tu es un canon qui hurle, tu sens le soufre, tu crois et tu plies. Ce n’est pas une balade, c’est un fardeau, j’ai vraiment mal au dos, j’entends vraiment mes personnages, et je pense à tant d’autres choses pendant que tu sommeilles sous mes doigts con de lecteur. Qui fait l’autre ici de la chair du texte de la viande qui le lit.

Qui ensorcèle.

 

La pipe l’avait si bien enveloppé qu’il en avait oublié l’odeur de la hyène, et puis son rire de singe. Son rire soudain dans la nuit, son rire de pédophile alcoolique. Vieille solitude, cicatrice, comme des hommages au présent, écriture automatique, courage d’en dire, profite lecteur. Raccommodage. L’intempestif sauvage d’en savoir plus, extérieur mystérieux, simplicité du geste et complexité de la chimio intrasécoverbalistique, monastique, comme un insecticide dans l’interzone, tabac, liqueur de chenille et inout-inout. M’tadbu s’accroupit et contempla l’animal, elle frissonnait dans la nuit, l’œil glauque, la bouche rentrée pour le gloupil de mes songes fantastiques, elle ricanait bêtement. Complètement défoncée, cousin.

Bonjour mademoiselle la hyène, commença diligemment le fermier en s’accroupissant devant elle. Pensez-vous que c’est une bien bonne idée de vous poser là ? Le point d’interrogation, comme souvent, était agressif mais la hyène n’en tint pas compte. Dis-moi, nègre, crois-tu raisonnable de t’adresser de la sorte à un carnivore charognard qui pourrait te claper en deux coups de mâchoires ? Tu fais bien de souligner ce fait la hyène, répondit le fermier mais je ne suis pas une charogne, de plus, ajouta-t-il avec malice, les hyènes ne devisent pas et encore moins ainsi. Les nègres encore moins, fit remarquer la hyène avec autant de malice. Il semblerait donc que nous soyons atteints du même mal, comment cela s’est-il produit pour toi ? demanda le nègre.

Prout ! Je vais pas te décrire la suite, tu n’as qu’à l’imaginer en écoutant Karamacoma de Massive Attack.

 

Mais non ! C’est interdit de faire un texte comme ça, interactif ! Heureusement que c’est pas un livre tout entier ! T’imagine ? Non.

Anarchiste !

Va te faire foutre. Cher lecteur.

 

Nous repartons. Vois-tu, cher écriteur, il s’agit de terminer ses histoires, pas de les mettre en pointillés sous prétexte de faire genre, c’est un travail donc, et pas un loisir. Et ainsi fait hop, hop, la hyène et le fermier s’enfoncèrent dans les mots oubliés des frondaisons bleues d’arbustes déployés comme des missiles cubain vers un ciel étoilé. Ils y apprirent de nouveaux mots, une autre façon d’envisager les choses puisqu’après tout les mots ne servaient qu’à ça, La chèvre leur parla de son amour perdu, Ils décidèrent de l’appeler Gérard de temps à autre, la chèvre, vierge éternelle comme la neige du même nom, gloussait, elle était aux anges, M’tatdbu l’emmenait au ciel, rendue à son animalité, dispensée d’amour, elle jouissait comme une reine, rota, péta et se mit à parler dans cette nouvelle langue que les romains connaissaient si peu alors que c’était la leur. Enflure démoniaque qu’est l’amour n’est-ce pas que brailla la chèvre. Tu m’as dit adieu, bougre d’âne mais moi que pouvais-je répondre privée ainsi de parole. Alors adieu, oui mille fois adieu humain, impossible amant, promet-moi simplement de rester juste en toute chose et jamais me traiter en animal. M’tadbu promit, on alla voir la japonaise, lui faire respirer un peu de cette herbe, mais elle continuait sur sa lancée binaire. Un, zéro, hein, hein !? Hé ! teuh ! Vroom.

C’est facile de refaire démarrer une épave finalement. Le plus dur c’est où se rendre. Il n’avait pas encore fait chemin vers les romains, ni lu leur prose, ils ignoraient même que plus il s’éloignait de la vallée plus ils entraient dans celle pleine de larmes de leurs contemporains. Mais l’ouest leur semblait une bonne direction.

Sacerdoce velu, poids des responsabilités, plénitude incertaine émergeant des brumes du temps, descendre d’une vie de merde et sampler sur la glace des apparences pour pirouetter vers un autre univers, une autre page du restant de ta vie. Las Vegas Parano en fond sonore, mon chat sur les épaules, je prends mes personnages par la main et les relâche au milieu de nulle part, près d’une montagne branlante et fumante d’ordures posées là par les romains. M’tadbu prit une feuille de presse qui s’en échappait par petit copeaux effilés et lu une colonne, une seule. C’était effarant, cataclysmant, charognard, perdu et sans foi. Ça n’avait rien, aucune saveur, aucun sel et pire, ça semblait se féliciter de ses propres saillies. C’était ça le romain moderne ? La prose folâtre,  le bon mot, la périphrase enroulée, la métaphysique mutilée devant son beau miroir. D’un doigt convexe il se lèche l’écriteur, il sait lui ce qui est bon ; il aime les nègres.

M’tadbu était atterré. Il n’y avait pas que ça qui l’atterrait, il y avait le tas d’ordures qui flambait à ciel ouvert, il y avait la montagne rouge sur leur droite là, que les romains rongeaient à l’aide de camions géants, il y avait les vapeurs douteuses qui s’en élevait, il y avait les deux types rougeauds qui se pointaient avec des fusils et de grands gestes ouste. C’était la première fois qu’il voyait des romains, mais contrairement à un mythe répandu à Rome, rougeaud ou pas, il ne les prit pas pour des dieux, juste deux connards avec des kesketufous-là-con-de-nègre-c’est-privé. M’tadbu n’estima pas nécessaire de les gourmer avec une répartie en romain choisi, il monta à bord de son épave et repartit tandis que la hyène ricana d’une manière effrayante, laissant traîner son regard vers les deux imbéciles, façon « ah comme c’est dommage qu’on s’en aille mes poulets ». Comme une menace flottant au-dessus des têtes et qui ne les effleura pourtant pas, rien n’effleure un imbécile, sauf son propre parfum.

M’tadbu savait simplement ce qui lui restait à faire, et ce n’était pas de chasser le romain, ni même de faire remarquer à ces fusils ouste qu’ils avaient encore leur braguette ouverte sur la petite négresse, mais trouver un chemin. Un chemin polichinelle tout droit au cœur de la lettre, une route dans le songe des mots romains et y souffler le feu du génie bleu. Il se bourra une pipe et laissa les mots songer à sa place.

Il devait bien y avoir un moyen de redonner à ces romains un peu d’esprit, de lettres, que sais-je ! Il loucha du côté du sapin qui encombrait la voiture de son parfum. Mais c’est bien sûr !

 

Le sapin remplissait la voiture de mots, ils s’imprimaient sur les parois de son habitacle intime, une tapisserie, l’engin ronronnait, le binaire se lettrait à son tour, toute une fête. Voiture parlante, K2000 ? Que nenni, la voiture taiseuse, qui rumine une vengeance bilénaire, lettres ou pas il y avait bien quelqu’un qui allait devoir payer cette mésaventure si insultante à son âme de machine. La machine est un engin inventé par les nazis de la tête, elle pense nazi, et si tu me crois je ne vais pas te reprocher de ne pas pouvoir rentrer dans la peau de n’importe quoi avec un peu de poudre d’imagination. Tu vois là j’écoute les Dead Kennedy’s, ça n’a rien à voir mais ça détend. Et maintenant c’est ta fête.

Con de lecteur, imbécile heureux qui se promène l’œil insouciant, il y en a, inconscient, il y en a, veau par mille, ferme ça tout de suite, s’il te plaît lâche-moi. Barre-toi, oublie ce texte. Il est pour toi tu vois et toi tu continues à penser que je te parle intimement, que moi l’auteur n’utilise rien de plus que ce que ce qui lui passe par la tête pour lui écrire le mot, décrire son mal, et non les maux, ça, con de lecteur je te laisse le choix des écriteurs. Je m’en fous de tes maux imbécile, je raconte une histoire, par couche, un millefeuille, tu vois ? Tu suis ou pas. C’est ça écrire mon gars, et là je déconstruis, tu vois ? Je t’apprends à lire, ça y est le clou est rentré tu crois ? Bien, pose. Oui, toi, pose ce texte, attends un peu, digère.

 

Il en est des contes des choses charmantes qui souffrent pour autant toujours d’un minimum de cohérence pour le lecteur occidental. Les contes amérindiens se passent d’expliquer le corbeau attrapant le soleil, le Petit Poucet jette des cailloux derrière lui. Il s’impose ici une vision métissée, et je ne pouvais pas me passer d’un cheminement jusqu’à Rome. Comment M’tadbu parvint là-bas ? Eh bien il n’y parvint pas justement. Le pays était ravagé par la guerre depuis tant d’années, tant d’années ignorées de lui qu’il découvrit sur sa route des colonnes de réfugiés et des bandits. Les bandits se laissèrent séduire et achetés par la hyène qui parlait leur langage. Les réfugiés le conduisirent à un camp, et c’est là qu’il eu sa plus belle idée. Donner de l’herbe magique à ceux du camp plutôt qu’au romain. L’effet fut prodigieusement bavard, et volubile.

Ce qui est un pléonasme, nous vous le faisons remarquer, déclarèrent le chèvre et le fermier en chœur, mais, c’est pas grave. Vous êtes ici pour apprendre, pas pour dicter.

 

Mais tout acte a ses conséquences, des camps de réfugiés on fit pousser cette herbe, et elle migra quand il fut temps et possible de migrer avec des nègres affamés mais lettrés. Les nègres lettrés finirent avec les autres lettrés nègres, à la plonge, ou aux poubelles. L’herbe chemina par le clandestin chemin des arsouilleurs et y gravait ses racines. Le verbe s’enracinait dans les mauvaises têtes, les quartiers, des drogués, les bavards par essence, voyous ou pas. Des smalas à causer romain comme on ne l’avait plus entendu depuis des lustres. Rap, flow, smoothysample, ragga et ta sœur. Et il y avait des guns aussi et de la révolte, de la colère, de la haine, froide et légère. La plus tranchante. Rome sabrée au plus juste, ses écriteurs se mirent à leur tour frénétiquement à la drogue, et c’est là fut le drame, ils n’avaient toujours pas de talent. Plein de Beigbéder morts dans une orgie de caviar et de champagne très Noiret dans la Grande Bouffe, tu vois ?

Bref, des morts et des plus goncourisés parce que ça rime immédiatement avec courroucé et même avec ridiculisé.

 

Le nègre s’installa sur la chaise, la hyène et la chèvre à ses côtés. Jeta un rapide coup d’œil aux romains présents. Une bande d’enfants, d’enfants fascinés, des romains quoi. Il se racla la gorge.

 

–       Dithyrambique, c’est comme gargantuesque, c’est pas un mot qu’on place facilement dans une conversation. Ça pose sa phrase, ça lui fait comme un genre de décor roubignole avec un gros panneau attention c’est la farce. Ça claque mou en somme. On a plus envie de mots comme phacochère, anacoluthe, ou myrtille. Mais ça non plus c‘est pas facile à placer dans une conversation, sauf si on cause recette, figure de style et animal sauvage dans une même discussion. Ce qui est, on en conviendra, assez rare.  J’ai jamais vu débouler de girafes dans l’échange de politesse entre un architecte tu vois quoi et une libraire post moderne,  tatouée Manga…etc