Il était dans les environs de midi et le soleil vibrionnait au-dessus du paysage boisé du parc. Une chaleur de four régnait sur le jour, à peine compensée par l’air marin. Dans le réticule de visée se déplaçait une silhouette d’arbres en arbres. Plus loin sur la gauche une autre se glissait de la plage à couvert, avec ce qui semblait être une machette à la main. Barney avait du mal à y croire mais l’autre avait raison. Comment avait-il su ? Furtivement il se déplaça dans les herbes et retourna vers la villa.
- Combien ?
- Cinq ou six je dirais.
- Non ils sont beaucoup plus…
Cette fois pas de magie, il l’attendait dans la salle de contrôle, et sur les écrans un bateau déversait une petite armée. Une vingtaine d’hommes noirs diversement armés, et deux blancs avec eux.
- Qui est-ce monsieur Ira ?
Charlie était ligoté sur un des sièges, en montant, il avait vu les cadavres dans la salle à manger et il avait aussi mal qu’il avait la haine.
- J’en sais rien, les corses probablement…
- Les corses ?
- Longue histoire, mais vous n’êtes pas le seul à m’en vouloir, va falloir faire la queue mon vieux.
- Oui ? C’est ce que nous allons voir. Barney, vous restez ici.
Serrurier et l’avocat descendaient du bateau en treillis camouflage, M4 et AR15 à la main quand retentit un premier coup de feu. Les deux hommes échangèrent un regard intrigué, Serrurier couru vers la plage quand d’autres coups de feu retentirent, puis plus rien.
- Qu’est-ce qui se passe !? Qu’est-ce que vous foutez bande de cons !? C’est quoi que vous comprenez pas dans le mot surprise ? Gronda-t-il à l’adresse du massif bonhomme qui se tenait accroupis devant lui. Jumbo Walker, chef du gang des Crocodiles dans le quartier haïtien de Miami. Un colosse d’un mètre quatre vingt dix-huit pour cent dix kilos de bidoche taillée dans la fonte des pénitenciers de Floride et de la Nouvelle Orléans. Et recruté par ses soins par l’intermédiaire de ses contacts sur Port-au-Prince.
- Fuck ! ils nous attendaient ! Grommela en retour le colosse sans se retourner.
- Impossible !
Mais l’autre n’écoutait pas, il se leva à demi et couru vers un arbre avant de faire feu.
- Qu’est-ce qui se passe ? Demanda Emile en rejoignant la terre ferme.
- Je ne sais pas, je ne comprends pas, apparemment ils nous attendaient.
- Merde !
Walker aperçut une ombre au loin qui furetait, il ne savait pas si c’était un des siens ou l’un des leurs alors dans le doute il tira une rafale, mais l’ombre disparue. Il fit signe à ses hommes d’avancer. L’un d’eux se prit soudain une balle en pleine figure. Pas de coup de feu, un sniper ? Tout le monde était à couvert maintenant et scrutait le parc, ses alentours directs, vers la villa. Rien, pas une ombre, pas une trace de l’ennemi. Sur les écrans de contrôle de la villa, Charlie assistait au carnage surpris et inquiet. C’était les corses, il en avait la certitude, une chance peut-être de se sortir des griffes du Phénix et de sa séance de torture, mais pour le moment ça ne s’annonçait pas bien pour eux.
- Ecoute Barney, toi et moi on a peut-être une chance de s’en sortir si on uni nos forces… Ils tiennent ta famille ? j’ai assez d’argent pour envoyer une équipe maintenant les libérer.
- La ferme, répondit sèchement ce dernier, le nez rivé sur les écrans.
Serrurier et Emile avançaient lentement derrière les hommes. Quand soudain une rafale éclata. Une rafale sans discontinuer de quelques secondes. Le temps de tuer un homme et d’en blesser un autre, le temps de réaliser que quelqu’un avait coincé et actionné une arme à l’aide d’un morceau de bois et d’une grosse pierre. Celui qui découvrit la supercherie entendit un bruit au-dessus de lui. Instinctivement il leva son arme avant de se prendre une noix de coco en pleine figure, si violemment que celle-ci lui fit l’effet de rencontrer un parechoc à pleine vitesse, brisant la moitié des os de son visage. Il tomba à la renverse en même temps qu’on lui arrachait son fusil des mains, il ouvrit les yeux, voyant flou une silhouette disparaissant dans les fourrées. Jumbo Walker n’avait pas signer pour ça et il était en train de se demander s’il n’allait pas faire signe à ses hommes qu’on foutait le camp quand il entendit un hurlement sur sa droite. Il tira, les autres tirèrent, une rafale, deux, trois, dans la même direction. Pulvérisant la végétation avant que Walker ne hurle de cesser le feu. Mais à peine avait-il ordonné qu’un de ces hommes tombait à nouveau, une balle dans la tête. Pourtant cette fois le colosse avait vu d’où le coup était parti, un buisson bouger et il ne chercha pas midi à quatorze heures, il fourra la main dans sa poche et en ressorti avec une grenade MK II qu’il dégoupilla aussi sec et balança sur le buisson. Une détonation sèche, un éclair de lumière, rien de spectaculaire et un peu de fumée. Les hommes restèrent en position attendant le prochain coup mais tout ce qu’il se passa c’est un gémissement poussé dans l’ombre. Walker fit à ses hommes de s’approcher, plus qu’une douzaine bon Dieu ! Se dit Serrurier en s’approchant à son tour. Lord gisait par terre, de multiples plaies au torse et aux jambes, l’une d’elle si profonde et large qu’on apercevait ses côtes.
- Fuck ! This fucker is still alive ! S’étonna Walker en pointant son arme pour l’achever.
- Wait I want to interrogate him ! Intervint alors Emile avec son mauvais accent.
- What for ? He’s nearly dead !
- Do as he said, ordonna Serrurier.
Sur les écrans la bande progressait avec prudence. Barney était parti et Charlie louchait sur la trousse posée sur la console. Pieds et poings liés avec une corde, assis sur une chaise de bureau. A l’intérieur de la trousse, si seulement il parvenait à l’ouvrir il y avait un scalpel. Il donna un coup d’épaule sur la console, puis un autre plus fort, jusqu’à ce que la trousse roule à ses pieds. Deux hommes trainaient le blessé comme un morceau de bidoche sanguinolent quand un autre homme tomba alors qu’il était à deux pas de la villa. Pas de coup de feu à nouveau. Tout le monde s’immobilisa quand une rafale silencieuse déchiqueta un tronc et blessa le type derrière. Les coups de feu provenaient de la villa derrière la nappe de chaleur qui distordait l’atmosphère. Alors Serrurier ordonna un tir de barrage en réponse. Dix hommes qui font simultanément feu sur un bâtiment en béton. Les projectiles qui traversent les vitres, fendent les canapés, éclate les bibelots, les lampes dans le salon du bas, s’enfoncent dans le plafond de la chambre au-dessus, les murs, ravagent le lit. Deux minutes de feu puis plus rien. Pendant ce temps l’ex-mercenaire français prenait trois hommes avec lui et faisaient le tour de la villa. Charlie les vit sur un des écrans qui entraient, il se balançait sur sa chaise pour essayer de tomber à côté de la trousse. Sur un autre écran on pouvait voir Barney, blessé, qui se déplaçait dans la maison, son arme à la main. Charlie tomba soudain violemment sur son épaule. Quand Jumbo Walker défonça une porte-vitrée et abattu Barney avant qu’il n’ait réussi à lever son fusil d’assaut. Dix minutes plus tard on jetait la victime de la grenade sur le sol en marbre du grand salon et on prenait possession des lieux. Une villa de quatre mille mètres carrés, il faut un certain temps pour visiter toutes les pièces, sécuriser les lieux, sauf bien entendu si on entre dans la salle de contrôle et qu’on vérifie sur les écrans. Il y avait une chaise et un type par terre, et à ses cheveux blancs, c’était celui qu’on était venu chercher. L’un des deux hommes qui avaient découvert Charlie se pencha sur la console et appuya sur différent bouton avant d’actionner l’interphone.
- We got him, up stairs, second floor.
L’autre vérifiait le pouls de Charlie.
- He’s alive, indiqua-t-il avant que le bras de Charlie ne se détende, un scalpel dans son poing et qu’il n’enfonce celui-ci dans son oreille, défonce l’oreille interne et lui rentre dans le cervelet.
Charlie tourna soin poignet pour élargir le trou, quand l’autre s’aperçu de ce qui se passait à ses pieds.
- Motherfucker ! Il le braqua avec son pistolet-mitrailleur. DON’T MOVE ! DROP IT !
Bien obligé, Charlie lâcha le bistouri plein de sang et de cervelle dans lequel l’autre donna un coup de pied. Charlie avait réussi à se détacher les mains, la trousse ouverte à côté de lui, en ce cisaillant les poignets à force d’essais infructueux. Mais ses chevilles étaient encore ligotées. Le type sortit un couteau de sa poche et sectionna la corde.
- Get up !
Charlie se leva lentement, ankylosé. Son adversaire n’était pas un professionnel, juste un type arraché de son ghetto et dont la matinée avait été consacré à sa pipe à crack. Soudain Serrurier et les autres entendirent des coups de feu lointain, ça venait de là-haut, trois hommes partirent en courant tandis qu’Emile s’approchait d’un Lord à l’agonie.
- Il y en a d’autres que vous là-haut ?
Et pour être sûr d’être entendu il appuya du pied sur une de ses blessures à la jambe, enfonçant le morceau de shrapnel qui en dépassait. Lord poussa un grognement de douleur. Dans la salle de contrôle, le cracker et Charlie se battaient pour attraper le Tec 9 que le second avait réussi à envoyer valser sous la console mitraillée. Le toxicomane fou de rage tentait d’étrangler le vieux d’une main et de récupérer l’arme de l’autre. Charlie essaya de lui tordre le pouce, en vain, son autre main glissant sur la trousse ouverte. Il prit son élan et le frappa de toutes ses forces dans le foie. L’autre ouvrit grand la bouche à la recherche d’air, il lui fourra aussi sec une des ampoules de la trousse dans la bouche, le laissant s’étrangler avec. Le cracker parti à reculons en se tenant la gorge, essayant d’expulser ce qui lui coinçait le gosier. Charlie en profita pour le frapper dans la trachée, une fois, deux, jusqu’à ce qu’il devienne tout rouge, se mette à cracher du sang et des copeaux de verre, que de la mousse jaunâtre commence à poindre à la commissure de ses lèvres. Les yeux exorbités, suffoquant, il retomba en grognant une sorte de sifflement tordu. Et mourut au bout de quelques secondes d’une agonie douloureuse. Qu’est-ce qu’il lui avait fait avaler ? Il attrapa le Tec 9 et déguerpit. Quatre mille mètres carrés, on avait vite fait de se perdre quand on ne connaissait pas. Les trois hommes qui étaient montés à l’étage n’étaient pas d’accord sur la direction à suivre.
- C’est par là !
- Non c’est par là !
- Eh je suis allé là-bas, les escaliers c’est à droite, protesta le troisième quand une porte s’ouvrit à la volée.
Trois rafales, l’une après l’autre, trois morts, Charlie s’approcha des cadavres.
- Quand on sait pas on va pas.
- Eh les gars il se passe quoi ? Demanda Serrurier dans son émetteur-récepteur.
Pas de réponse.
- Je répète, il se passe quoi ?
- Il se passe que j’arrive et que je vais tous vous botter le cul, gronda Charlie dans le micro.
Serrurier regarda l’avocat.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- Il ne doit pas sortir vivant d’ici.
Lord se mit à pousser une espèce de rire tout en crachant du sang.
- On dirait que le vieux est plus coriace qu’on ne le pensait hein ?
- La ferme ! Fit Emile sans le regarder.
- Vous êtes marrant vous, il connait les lieux et il peut être n’importe où ! Moi je ne risque plus la vie de mes hommes.
- Vous ferez ce que je dis, on vous a payé.
Serrurier lui jeta un coup d’œil soucieux. Il savait que cet avocat avait le bras long et pas seulement au sein de sa famille mais merde leur petite armée avait été déboisée par ces deux assassins, ils n’étaient plus que neuf et il savait d’expérience que d’essayer de prendre d’assaut cette baraque sans savoir où ils allaient était aussi périlleux que peine perdue. Mais l’ancien mercenaire avait aussi une réputation à défendre, et une revanche à prendre. Il se tourna vers Walker.
- Va chercher la dynamite.
- Avec plaisir, ricana le colosse en faisant signe à ses hommes.
- Qu’est-ce que vous voulez faire ?
- On va les faire sauter, lui et monsieur je veux pas crever.
Charlie était aveugle, les écrans éteint par les balles et il ignorait combien il en restait. Lui non plus ne connaissait pas encore parfaitement la villa. Depuis quelques mois qu’il avait acheté il ne l’avait quasiment pas habité. Quand retenti la première déflagration, il était encore au second à chercher son chemin. Puis il y en une seconde, plus violente à faire trembler les murs. Qu’est-ce qui se passait, qu’est-ce qu’ils foutaient ? Trouvant un escalier en comblanchien, Charlie le dévala jusqu’à les apercevoir par une fenêtre. Sur la pelouse devant, à se servir dans des caisses en bois des bâtons de dynamite qu’ils balançaient sur la villa comme des sales gosses. Soudain deux bâtons scotchés entre eux, volèrent vers l’étage. Charlie sauta dans l’escalier alors que la pièce au-dessus de lui était soufflée. Poussé par le souffle, il roula sur les marches, perdant son arme avant d’atterrir sur le palier de l’entresol. L’escalier continuait vers le grand salon déjà ravagé par les explosions qui avaient effacé la façade en tas de gravats. Lord rampait, le dos ensanglanté, Charlie avait du mal à croire ce qu’il voyait mais cet enfoiré était encore en vie. Une détonation retentit sur sa droite, une charge balancée dans la pièce mitoyenne. Charlie aperçu le pistolet-mitrailleur plus loin dans la poussière, il trottina vers l’arme quand son pied heurta quelque chose de chaud et sphérique. Trois bâtons qui avaient roulé dans la pièce, sans réfléchir, sans même regarder la mèche, il jeta la dynamite dans l’autre sens de toutes ses forces. Jumbo Walker s’amusait bien, détruire à coup de bâtons de dynamite une maison de rupin ça lui plaisait bien. Et à ses hommes aussi, Tellement qu’ils ne virent pas le projectile surgir de la maison en fumant, au contraire de Serrurier. L’ancien mercenaire se jeta dans les fourrées alors que la dynamite tombait dans une des caisses encore pleines. Emile était retourné sur l’embarcation. Les choses ne se passait pas comme il l’aurait voulu, contrarié, en colère, il pensait à Bobo qui devait arriver demain et à ce qu’il lui raconterait quand retentit une énorme explosion, crachant un panache de fumée au-dessus des arbres. Serrurier apparu peu après, le visage noirci, les vêtements déchirés et maculés de terre.
- On se tire !
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Y se passe que j’ai plus personne, on se tire !
- Et les autres où sont les autres ?
- Partout dans les arbres, on se tire !
Charlie hasarda un œil au dehors, un énorme cratère encore fumant s’était formé au milieu du gazon. Après quoi il ramassa une arme et alla achever Lord. L’intéressé était assis par terre en train de retirer des morceaux de shrapnel de sa viande, comme il aurait ôté des épines de cactus. Presque indifférent à ce qu’il endurait. Puis il leva les yeux, conscient de la présence de Charlie qui braquait une arme vers lui.
- Et si je t’en colle une dans le crâne et que je te coupe la tête, tu meurs non ?
- Je suppose que oui, ça m’est jamais arrivé.
- Combien de temps il te faut pour être complètement remit de tes blessures ?
Lord regarda son corps martyrisé.
- Une semaine à peu près.
Charlie, incrédule, secoua la tête.
- Noémie, où elle est ?
- Je l’ignore, mais à l’heure qu’il est ils doivent l’avoir trouvé.
- Qu’est-ce qu’ils vont en faire ?
- Qui sait.
- Tu vas m’aider à la retrouver.
- Et pourquoi je ferais ça ?
- Parce que sinon je te coupe en morceau et je te laisse te vider de ton sang de ton vivant. Ça te va ?
Lord hocha la tête.
- On dirait que j’ai pas le choix hein…
- Mes iguanes, qu’est-ce que t’en a fait ?
Il lui dit, les iguanes allaient bien, il s’était contenté de les relâcher dans la nature. Charlie n’était pas contant mais c’était toujours mieux que de les savoir morts.
Chu Hei Choi, sirotait gentiment un café latté dans un Starbuck dans le centre de Miami, entouré de ses gardes du corps. Quatre jeunes hommes vigoureux, élégamment vêtus, costume et cravate noire, chemise blanche. Lord avait tenu à achever sa mission seul et il pouvait comprendre. Cette affaire de Birmingham c’était personnel et même intime. D’ailleurs la tempête au large des Bahamas l’avait dissuadé de le suivre même de loin. Il lisait vaguement un journal financier, distrait par la foule qui foulait l’établissement. Un mélange bigarré d’employés de bureau, de SDF, d’étudiants, de flics en uniforme et de touristes, de toutes les couleurs de peau, du monde entier. L’Amérique quoi, et plus ça allait plus le monde avait tendance à ressembler à cette nation de peuples indifférenciés. La Corée n’y échappait pas. Peut-être moins que les autres depuis cette maudite guerre qui n’était toujours pas achevée. Depuis que l’Oncle Sam avait installé ses bases, dispensé sa culture, ses mœurs, en Corée du Sud. Heureusement leur identité était encore forte, leur patriotisme pas feint, tout comme les japonais, les chinois… Mais la culture occidentale avait quelque chose de corrosif. Quelque chose d’éminemment séduisant finalement qui débordait de partout. Quelque chose qui poussait les japonaises et les chinois à se faire chirurgicalement arrondir les yeux, et grossir les seins, les négresses à se blanchir la peau. Le vieil homme le déplorait et craignait que tôt ou tard le monde soit uniforme à l’image de ce café où il aimait pourtant passer du temps. Et le paradoxe était peut-être là. Cette indifférenciation avait quelque chose de rassurant, d’infantilement rassurant. Comme quand on a quatre ans et qu’on revoit perpétuellement le même dessin animé. Le portable à ses côtés s’alluma, un des jeunes hommes s’en empara et répondit, avant de lui passer sans un mot.
- Bonjour mon ami, il faut que je vous voie rapidement, dit la voix de Lord à l’autre bout du fil.
- Tout va bien ?
- Oui mais j’ai des problèmes, je suis dehors, la camionnette noire, venez seul.
Il raccrocha avant que le coréen n’ait le temps de lui poser une question supplémentaire. Il donna un ordre à un de ces hommes qui parti comme une flèche pour revenir aussi vite et lui confirmer le van noir dehors. Le vieil homme avait une confiance totale au sujet du Phénix. C’était un homme d’honneur comme on en fabriquait dans le temps. Un de ceux dont le moule était cassé. Des individus d’une fidélité à toute épreuve. Il se leva et dit à ses hommes de l’attendre. A peine était-il monté dans le van qu’on lui enfonçait une aiguille dans la jugulaire et qu’il s’écroulait au pays de l’inconscience. Il se réveilla quelque temps plus tard, ligoté sur une chaise, Lord qui lui faisait face, lui-même attaché. Entre les deux Charlie qui le regardait d’un air soucieux.
- Mais comment…
Charlie sorti son portable et actionna une application.
- C’est votre copain qui m’a montré ce jouet, il s’en est servi pour se faire passer pour une de mes employés.
Il appuya sur une touche, le téléphone répéta la phrase mais avec la voix de Lord.
- Ça fait flipper hein ? Aaah la technologie de maintenant…
- Pourquoi vous ne l’avez pas tué ? Demanda le vieil homme en essayant d’ignorer Charlie.
- Oh il a essayé mais il se trouve que toi et tes copains n’êtes pas les seuls à vouloir ma peau. Et ça s’est pas passé comme tout le monde voulait… Mais tout ça t’intéresse plus tu vois. Parce que maintenant ce qui compte c’est ce que je vais te faire si tu ne me dis pas très vite où est Noémie.
- Qui ?
- Ma petite fille.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez.
Charlie sorti un couteau de sa poche et fit claquer la lame.
- Là d’où je viens on ne pratique pas beaucoup la torture mais quand un mec foutait la merde on avait une punition, le kneecaping. Une balle dans le genou. T’as de l’arthrose, je t’ais regardé marcher, t’as envie que je t’explore le genou ? Tu verras comme torture c’est rudimentaire mais efficace.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez, répéta le vieil homme bravement.
- Choi, je vous en supplie, dites-lui ce qu’il veut savoir, intervint Lord, cet homme est un sauvage.
- M…mais… je ne sais pas où ils l’ont emmené ! Ce sont les hommes de Si Woo qui s’en sont occupé !
- Si Woo ?
- Pak Si Woo, il dirige la Tortue Noire avec son frère Ju Won, expliqua Lord.
- Et où ils sont ceux-là ?
- A Séoul, répondit le vieillard.
- Pourquoi ils ont enlevé Noémie, elle n’a rien fait !?
- Vous avez tué deux des frères, leur vengeance ne peut pas s’arrêter à vous.
Charlie était atterré. Ils auraient massacré sa famille s’il en avait eu encore une.
- Qu’est-ce qu’ils vont en faire ?
- Quand ils seront assurés que vous êtes bien mort, ils la vendront.
- A qui ?
- Prostitution, banque d’organe, la meilleure offre emportera le marché.
- Le marché hein… et toi là-dedans t’es quoi pour eux ?
- Un associé, parfois ils écoutent mes conseils.
- Ils t’écouteraient si j’échangeais ta vie contre la sienne ?
- Ils vous veulent mort, c’est tout ce qui compte.
- Et si j’échangeais ma vie contre la sienne ? Demanda froidement Charlie.
- Peut-être, je ne sais pas.
- Bin on va être vite fixé. On va les appeler, t’expliques la situation et tu leur fais cette proposition, ma vie contre la sienne. T’as compris ?
- Euh… oui… oui.
- C’est quoi le numéro ?
L’aube venait tout juste de se lever. Bleu cendre et vert nocturne sur les collines autour du fleuve Kum, lui-même comme un ruban d’acier sinuant dans le paysage morne. Là-bas en contrebas se tenait un pont sur lequel était garé un véhicule américain à la carrosserie noire. Il sorti de la voiture et pour la première fois depuis des années, alluma une cigarette. Un dernier petit plaisir sans doute, une réminiscence de son passé, quand il trainait à Londonderry et qu’une cigarette allumée pouvait être un signal. Mais là aucun signal sinon peut-être celui qu’il était fatigué. Le décalage horaire, l’âge, les épreuves. Et le ras le bol de tout ça aussi. Charlie aspirait à une certaine paix aujourd’hui et depuis que la petite et sa mère étaient retournées dans sa vie, celle-ci avait disparue. Il en avait marre. Il jeta sa cigarette et fit signe à l’homme à côté de lui de le suivre. Un employé rien de plus, il n’était pas certain de se souvenir de son nom. Employé d’une société de service qui lui appartenait comme tant d’autres, il savait ce qu’il avait à faire, récupérer la petite et la remettre à des personnes de confiance. Une institution, il avait déjà tout programmé. Les deux hommes descendirent la colline jusqu’au pont. Il redoutait ce moment. Pas pour ce qui suivrait mais pour leurs adieux. Il avait besoin de courage et allait lui fendre le cœur. Trois types, lunettes noires et costume noir attendaient près de l’américaine. Il avait relâché le vieillard en guise de bonne foi, pas de raison qu’ils trahissent leurs paroles. L’un des gars ouvrit la portière et la gamine en sorti en courant. Elle allait bien, il lui avait refilé des vêtements neufs, elle lui sauta au cou en pleurant à chaudes larmes.
- Je veux pas que tu t’en ailles avec eux !
- Ca va aller choupette, ça va aller, n’oublie pas ce que je t’ais dit, il faut que tu vives ta vie.
- Non ! Non !
Charlie fit signe du regard au type de la prendre en charge. Il n’allait pas pouvoir en supporter beaucoup plus et il fallait la mettre rapidement en sécurité. Maintenant qu’il était là, qui disait que ces enfoirés n’allaient pas changer d’avis. Noémie cria, pleura, s’accrocha de toutes ses forces à ses bras, en vain. L’homme l’emporta avec lui dans les siens, et Charlie monta à bord de la voiture. A peine avait-il fait un pas à l’intérieur qu’on le piquait de force.
Mattéo avait réussi à atteindre la Côte d’Ivoire où il avait des amis. Il vivait dans une maison qu’on lui avait prêté par l’ami d’un ami, sortait peu, évitait les coins à blanc. Jean Orsenna n’avait pas dépassé la frontière avec l’Italie, arrêté au cours d’un contrôle routier mais bien entendu son audition ne donna rien, une tombe. On l’inculpa quand même dans l’affaire de l’évasion. Louis eut plus de chance, il passa la frontière avec l’Espagne et pendant quelque mois vécu paisiblement dans le sud. Mais l’argent commençant à manquer pour le flambeur qu’il était, il se mit en affaire avec des albanais pour faire passer cinq cent kilos de haschich en provenance de Casablanca. Malheureusement, préalablement d’accord sur le partage des bénéfices, l’un des albanais avec qui il était en affaire, réclama plus. Argumentant qu’ils avaient eut des problèmes avec les douanes et prit des risques, pendant qu’il se tournait les pouces. La discussion s’envenima, l’albanais en question se retrouva par terre, à l’agonie. Elle dura deux jours au terme desquels les autres lui déclarèrent la guerre. Car si les corses ont la vendetta, les albanais ont le kanun. Un droit coutumier, médiéval invitant notamment à la vengeance. Une tradition tellement ancrée que des familles entières sur des générations avaient été décimé à cause de la mort d’un lointain cousin par un autre. Prudemment Louis décida d’aller se réfugier en Italie où il avait autant d’amis que de relations. Des relations, hélas, et il le comprit trop tard, en affaire avec la mafia albanaise. Son corps martyrisé fut finalement retrouvé par la police napolitaine au large de la ville, flottant dans la Méditerrané, en plusieurs morceaux. Mattéo s’ennuyait quand même à Abidjan et comme tous ceux en cavale il avait besoin d’argent. Ses avoirs bloqués par la France et le Maroc l’obligèrent finalement à sortir de l’ombre et se lancer dans le trafic d’or. Un commerce qui s’arrêta quand il se rendit en Belgique négocier son or auprès d’un orfèvre véreux. Un orfèvre en dette avec la police française et qui n’hésita pas à le balancer pour ce trafic. Arrêté à Anvers, il fut déferré à Paris par fourgon spécial avant d’être envoyé au Maroc, répondre de ses crimes. Le capitaine Levy et sa brigade étaient relativement satisfaits. Tous ceux qui avaient semble-t-il participé à l’évasion étaient soit morts, soit en prison. Pourtant il y avait encore des éléments qui manquaient au puzzle. Pourquoi les corses avaient organisé cette opération ou pour le compte de qui. Et qui avait ordonné le transfert et sur quel élément objectif. Qui c’était facile, le juge Le Breuil, chargé de l’affaire Panthère Rose pour la France, pourquoi, sur quel élément objectif c’était moins clair. Le juge n’était pas très coopératif au sujet de ses sources. Ses relations avec le quai des orfèvres étaient tendues et depuis les années 90. Les flics décidèrent donc d’enquêter sur ses relations, ses contacts et finirent par tomber sur un certain Emile Makowsky. L’intéressé s’en revenait de ses mésaventures aux Bahamas quand la police décida de l’auditionner. Fatigué, déprimé et déçu l’avocat pris assez mal les questions qu’on lui posait ce qui, accessoirement, accentua les soupçons que la police portait sur lui. L’organisateur ? Peut-être pas, mais une des têtes pensantes qui avait habilement propagé la rumeur d’une évasion fictive au profit d’une autre bien réelle. L’avocat fut pourtant relâché faute de preuve mais mit sous surveillance téléphonique et filatures comprises.
- Bonjour Marie Prudence, comment allez-vous ?
- Bien et vous-même capitaine ?
- On fait aller Marie Prudence, on fait aller. J’ai appris que vous aviez vendu trois de vos casinos africains.
- Oui, trop de soucis.
- Oui et avec tous ces drames qui frappent votre famille…
- Oui aussi, soupira poliment la cheffe du clan Santonie.
- Et où en sont vos relations avec la Panthère Rose ?
- Avec qui ?
- Allons Marie Prudence nous savons vous et moi que le clan a participé à l’évasion de Milo Markovic et Daran Sijic.
- Non, j’ignore de quoi vous parlez.
Un sourire amusé naquit sur le visage du policier.
- Très bien comme vous voudrez Marie Prudence. Mais faites attention, nous resterons en contact.
- Bien entendu, maintenant si vous permettez, j’ai à faire…
- Mais bien sûr, bonjour à la famille, fit poliment Levy avant de tourner les talons.
- Je n’y manquerais pas, dit-elle sur le même ton.
Mais une fois à l’intérieur….
- Petit enculé, « avec tous ces drames dans la famille » comme si ce fils de pute n’était pas le responsable de tout ça !
Bobo, qui était revenu des Caraïbes avec Emile, ne dit rien. Il pensait au vieux, le reste il s’en foutait. Il avait déjà mis un cabinet de détective à ses trousses. Tôt ou tard il le retrouverait, tôt ou tard il aurait sa peau.
Charlie se réveilla sous la lumière vive d’une lampe médicale. Ligoté sur une table d’opération devant un homme portant un tablier d’abattoir, un bonnet réglementaire et une visière en plastique. Il lui sourit, une jeune femme au visage banal s’approcha, elle portait la même tenue, la visière exceptée.
- Bonjour monsieur Ira, je suis mademoiselle Ikko et je serais votre traductrice.
- Euh… Balbutia Charlie qui commençait à avoir déjà peur.
L’autre prit la parole, elle traduisit comme prévu.
- Maitre Pak me demande de vous expliquer qu’il va vous opérer, extraire chacun de vos organes et que vous devez vous réjouir que ceux-ci servent à la science.
- Il est malade ? Grogna Charlie.
- Non, bien entendu que non.
Si Woo reprit la parole.
- Maitre Pak me demande de vous préciser qu’il est désolé il n’a pas trouvé d’anesthésiste ni d’anesthésiant mais qu’en revanche il a du Poppers.
Si Woo abaissa sa visière et s’empara d’un scalpel avant d’expliquer ce qu’il comptait faire.
- Mon maitre va commencer par vous enlever la vésicule biliaire et la rate.
Après quoi elle dévissa un flacon de Poppers et lui fourra de force dans le nez, l’obligeant à respirer à fond. L’effet de la drogue fut immédiat. Monté d’adrénaline, peur et même terreur, le cœur à cent à l’heure.
- N… No… non, faites pas ça, je vous en supplie ! Bafouilla-t-il alors que l’autre s’approchait de son ventre.
Charlie suivit la lame se rapprocher de sa peau, et ne put s’empêcher. L’émotion bouleversée sous l’effet bref et violent de la drogue, il se mit à grincer, pleurer avant de fermer les yeux. Quand soudain il sentit un liquide chaud gicler sur sa peau. Son sang ? Déjà ? Il rouvrit les yeux, affolé. Ikko était par terre, la tête éclatée, et un homme cagoulé tenait en joue Si Woo du bout de son silencieux. Prudemment, ce dernier laissa tomber son scalpel par terre. L’autre lui ordonna de se mettre à genou, jambes croisées, et mains sur la tête doigts également croisés. Après quoi il libéra Charlie.
- T’arrives à temps, cet enfoiré allait me débiter comme un cochon. Où est son frère ?
- Plus de ce monde, expliqua Lord en enlevant sa cagoule.
- Parfait, laisse-moi celui-là, passe-moi ton flingue.
Lord n’avait pas du tout apprécié d’apprendre qu’une enfant allait finir dans un réseau pédocriminel. Peu lui importait qu’elle fût la gamine de l’assassin de sa femme, ce genre de méthode ne rentrait simplement pas dans son code de conduite. Mais il avait été carrément surpris quand Charlie avait proposé d’échanger sa vie contre celle de la petite. Il savait qu’il en mourrait et sans doute dans d’atroces souffrances, mais il n’avait pourtant pas hésité une seconde. Une telle abnégation, un tel amour en réalité, ça se respectait, mieux ça méritait son attention toute particulière. Et il lui avait proposé son aide.
- Non, on n’a besoin de lui.
- Pourquoi ?
- Noémie…
- Quoi Noémie ? S’inquiéta l’irlandais.
- Le type à qui tu l’avais confié n’est jamais arrivé à destination.
- Putain de fils de pute ! Explosa Charlie avant de foncer droit sur Si Woo, le scalpel à la main. Qu’est-ce que vous en avez fait !?
L’autre ne répondit pas, Charlie allait lui balafrer le visage quand Lord retenu son bras.
- Laisse-moi faire.
Il lui prit le scalpel des mains et le reposa sur la console où étaient disposés divers outils de chirurgie. Un écarteur, une scie électrique, des forceps incurvés, des ciseaux, des pinces à épiler, d’autres scalpel sous blister. Il choisit une pince à épiler et se mit à parler en coréen.
- Vous êtes coutumier du Dim Mak je pense n’est-ce pas ? Et vous connaissez les pouvoirs de l’acupuncture je crois.
- Qu’est-ce que vous allez me faire ? S’inquiéta le coréen en commençant à essayer de se lever.
Mais Charlie appuya son pied sur son mollet droit et lui prit les mains.
- D’habitude je commence par le moins douloureux mais hélas je crains que n’ayons pas beaucoup de temps devant nous… Je vais donc commencer par vous paralyser le bras, après quoi j’isolerais chaque nerf et j’agirais sur eux, vous aller voir vous allez connaitre une explosion de sensations nouvelles sans précédent. On commence ?
Trois jours plus tard, Charlie était en route direction Istanbul à la poursuite des ravisseurs de Noémie. Lord était déjà parti en reconnaissance. Ils étaient à la recherche d’une bande d’albanais dirigés par un certain Andréa Brajov dit le Serpent, spécialiste du couteau selon Si Woo. Charlie tentait de distraire son inquiétude en relisant une biographie de Michael Collins, le héros de l’indépendance irlandaise, à essayer de ne pas penser à ce qui pouvait se passer au sein de ce genre de réseau.
- Pardonnez-moi la place est libre ?
Il leva les yeux sur une superbe jeune femme, la trentaine, la peau dorée, brune avec des yeux bleus translucides, un visage symétrique. Elle lui montrait la place à côté de lui devant le comptoir où il était installé. Il avait choisi le train pour plus de discrétion et la possibilité d’embarquer des armes. Mais puisqu’il en avait les moyens, autant prendre l’Orient-Express. Il sourit à pleine dent à la jeune femme, signe évident de son ravissement. Le genre de sourire dont elle devait avoir l’habitude et qui pourtant sembla l’intimider. Il essaya de la rassurer.
- Ne vous inquiétez pas mademoiselle, je ne suis qu’un vieux con bavant devant la beauté de la jeunesse. Je ne ferais pas de mal à une mouche.
- Con je ne sais pas, mais vieux n’exagérez pas, sourit-elle en retour.
- Eh bientôt soixante ans !
- Vous ne les faites pas.
- Merci, Charles, dit-il en lui tendant la main.
- Llana, enchantée.
- Joli prénom, de quelle origine ?
- Hébreux je crois, mais je suis de Kiev.
- Oh… je vois… C’est terrible ce qui arrive là-bas.
- Poutine est un petit enculé et un grand boucher, confirma-t-elle sans un sourire cette fois.
- Vous étiez là-bas pendant l’invasion ?
- Non, je travaille à Paris, mais je ne peux plus rentrer dans mon pays aujourd’hui.
- Vous avez encore de la famille là-bas ?
- Mes parents et mes tantes oui.
Ils discutèrent de la situation, de ce qu’elle faisait à Paris, sans grande surprise, responsable d’une boutique d’une grande marque avenue Montaigne. Elle avait pourtant une licence d’histoire et un autre en diplomatie internationale, mais les places étaient rares et chères dans ce milieu, et elle n’avait pas trouvé de poste au-delà de ses seuls atouts physiques. Polyglotte comme lui, elle parlait six langues dont le chinois, l’arabe et le russe. Ils parlèrent en anglais, en français, en italien pour le plaisir de l’échange. Mais il évita le russe par politesse. Deux heures plus tard il se sentait avec elle comme avec une vieille amie à rigoler des mœurs des parisiens, et à se tutoyer en français. Comme c’était agréable, comme ça faisait longtemps qu’il n’avait pas été en présence d’une femme, ça lui donna brièvement l’impression de respirer à nouveau et même presque d’oublier que sa petite-fille était aux mains de putain de monstres. Quand soudain, écarquillant les yeux Llana poussa un cri de frayeur. Charlie n’eut pas le temps de réagir, immédiatement ceinturé par deux bras puissants et balancé à travers le wagon pas encore tout à fait vide. Il alla heurter une vitre avant de s’effondrer sur une table, saisi par une cheville et trainé à travers le wagon tout en recevant sur lui, bouteille, théière, tout ce qui tombait sous la main de son agresseur et qui lui éclatait sur le dos, le crâne. Charlie essaya de se retenir au pied d’une table mais la force avec laquelle l’autre l’attirait avec lui ressemblait à celle d’une machine. Ils traversèrent le wagon et s’enfoncèrent dans les cuisines vides où l’autre continua de balancer sur lui tout ce qui lui tombait sous la main, jusqu’à devoir le lâcher quand une pile d’assiettes s’effondra sur Charlie. Le crâne ensanglanté, le dos et les épaules maculés de débris et de sang, il parvint à se redresser pour faire face à son adversaire. Sur le moment il ne comprit pas ce qu’il voyait, il connaissait ce type mais aux dernières nouvelles, lors de leur dernière confrontation il avait perdu un bras. Bobo se débarrassa du gant qui recouvrait sa prothèse. Charlie aperçu les doigts métal et silicone et maudit à nouveau ce siècle d’exploit technologique. Soudain l’homme de main se jeta sur lui, l’écrasant de toute sa force et son poids, à essayer de lui mettre la tête dans la friteuse encore en route. Charlie pouvait sentir la chaleur et les gouttes d’huile piquer sa nuque. La main mécanique lui écrasait la moitié du visage, Bobo penché sur lui, une grimace de haine lui déformant la figure. Charlie lui flanqua un coup de talon dans la cheville, lui faisant perdre momentanément l’équilibre et rapprocher son visage du sien. Alors il tenta la seule mesure désespérée à sa portée, il lui mordit le bout du nez de toutes ses forces. Bobo poussa un grognement de douleur avant de lui flanquer un violent coup de poing dans le ventre pour se libérer de la morsure. Mais l’irlandais luttait pour sa vie et dans ces moments-là ses adversaires découvraient en général qu’il était plus teigneux qu’une tique. Accroché de toute ses forces, le sang coulant dans sa bouche, Bobo ne parvint à le repousser qu’en le frappant à nouveau dans les côtes. Bobo porta alors sa main à son nez ouvert et ballotant.
- Je vais t’écrabouiller ! Gronda-t-il plus furieux que jamais.
Et avant que Charlie ne soit parvenu à se dégager, il l’emportait avec lui en l’attirant par la nuque et le projetait dans le wagon suivant de toute la force de son bras bionique. Il traversa les portes comme un boulet de canon avant de heurter avec violence une caisse en polystyrène qui éclata sous son poids, répandant des morceaux de viande rouge congelée dans le wagon, alors que Bobo s’approchait en balayant tout sur son passage comme un bulldozer en furie. Il ouvrit la porte latérale du wagon de marchandise et attrapa Charlie par la cheville, l’attirant inexorablement vers le vide. L’intéressé s’accrochait à tout ce qui pouvait, une caisse en bois, le pied d’une étagère, puis d’une autre, mais l’autre avait trop de force avec son machin électronique sorti d’un putain de roman de science-fiction. Quand soudain c’est Bobo qui reçut un violent coup de pelle dans le dos. C’était Llana, aussi visiblement effrayée que déterminée. Bobo vola dans les étagères métalliques, lâchant soudain Charlie et alors que des fus à bière étaient en train de se carapater par la porte, poussé par leur poids et les vibrations du train, Charlie attrapa l’extrémité de la chaine qui les tenait entre eux et se jeta sur Bobo pour l’étrangler avec. Une longue chaine en acier retenue par un crochet. Bobo accusait deux têtes de plus que lui, une force de cheval, et une rage pas moins aussi folle que la sienne à survivre. Il le frappa en pleine figure avec son coude, ouvrant la pommette de l’irlandais, tenta de l’écraser contre la paroi du wagon, lui bourra les flancs de nouveau coup de coude, le faisant finalement lâcher et rouler par terre, quand Llana tenta à nouveau de le frapper avec sa pelle. Elle en fut pour un coup de pied dans le ventre qui manqua de la précipiter dans le vide. Mais Charlie presque complètement épuisé à force de s’accrocher, détacha à la dernière seconde le crochet fixé au sol, et le ferma sur les maillons qui étranglaient déjà Bobo. Bobo porta les mains à son cou, entendit les fus sortir un par un.
- Et merde, dit-il avant d’être violemment aspiré par les lois combinées de la gravité et de l’énergie cinétique.
Son corps projeté au dehors avec les fus, heurta avec force un panneau de signalisation, rebondit, heurta ensuite le parapet d’un pont, passa par-dessus avant que la chaine se rompt et d’atterrir quinze mètres plus bas en traversant le toit en bois d’une grange devant un fermier stupéfait. Le fermier stupéfait regarda avec stupéfaction le trou dans toit. Puis toujours sous le coup de l’incrédulité la plus complète entendit comme un grognement sous la paille. Dans le train, Llana et Charlie reprenaient leur souffle.
- Merci, dit-il.
- Qui était-ce ?
- Un vieil ennemi très rancunier apparemment.
- J’ai eu peur pour vous vous savez.
- Vous avez été très courageuse, encore merci.
Il lui prit machinalement la main, quelque chose passa dans leur regard. Ce même élan que partagent ceux qui ont survécu au pire. Quand le chef du train et ses contrôleurs se pointèrent, ils les trouvèrent enlacés en train de s’embrasser.
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