Je suis abstentionniste et je t’emmerde.

Comme à chaque élection depuis que le parti de la magouille et des petits arrangements avec la vérité menace ce régime oligarchique qui nous gouverne depuis 40 ans. Comme à chaque fois que la famille Le Pen menace de prendre le pouvoir avec ses financements occultes (Poutine, emplois fictifs et kit de campagne surfacturé) et ses bras cassés admirateurs de Pétain ou d’Hitler. Comme à la moindre occasion où ces petits oligarques flattent les bas instincts d’un peuple en mode larbin, on nous la refait. Si le diable parvient à l’Elysée se sera la faute aux abstentionnistes, ce pourquoi il faut voter utile pour « faire barrage au Front National ». Et l’ensemble des médias, soutenus par une cohorte d’experts en tout sauf en humilité, de tenter de culpabiliser ceux qui se refusent à aller aux urnes. Si le fascisme s’installe en France, ce sera la faute aux affreux qui ont refusé de faire leur devoir citoyens. Et là, dans l’entre-deux tours d’une campagne de scandales sur fond de corruption, c’est open bar. D’autant que le fascisme est en effet à nos portes, dans l’indifférence la plus complète, une acceptation quasi consensuelle d’un peuple aux ordres. Et tant pis si en réalité les abstentionnistes sont les véritables gagnants de cette élection, et si 40% des électeurs de l’oligarchie Le Pen ne votent en leur faveur que faute d’avoir un vote blanc comptant pour autre chose que du beurre. Tant pis si en réalité nous ne vivons pas dans une démocratie, mais son simulacre.

Le vote utile le plus inutile du monde

Un simulacre qui m’autorise immédiatement à délivrer publiquement mes opinions sans pour autant que celles-ci, que ce soit par mon vote ou une quelconque autre manière influent sur la politique de mon pays qui est de toute manière aux ordres. Comme nous la fait remarquer Sarkozy avec le traité de Lisbonne, en réalité mon opinion, la tienne, la nôtre, ils s’en passent quand leurs donneurs d’ordre les sifflent.

Ce n’est d’ailleurs ni Marine Le Pen ni Emmanuel Macron que la France s’apprête à élire, mais, dans un cas comme dans l’autre, Pierre Gattaz et le CAC40. Pour autant depuis 2002, depuis que le père avait déjà démontré qu’aucun vote utile ou non pouvait dissuader un peuple de trouillard de s’en remettre à un père fouettard, on nous explique que voter pour un politicien corrompu ou un commis de banque était donc « utile ». Mais utile pour qui exactement ?

S’il s’agit de lutter contre les idées aberrantes de la ploutocratie Le Pen, je ne vois pas bien où est l’usage. Les Républicains font campagne à la place du FN depuis l’investiture du catastrophique Sarkozy, et le PS a mis tout en place en terme d’arsenal juridique pour que le pays bascule dans la dictature sans que ça fâche. Demain les Le Pen pourront mettre en fonction leur politique d’apartheid, dit de préférence nationale, et museler toute opinion contraire. Toutes les mesures sont déjà là, légiférées, inscrites au journal officiel dans le cadre de l’état d’urgence et de la loi sur le renseignement. D’ailleurs, ce vote « utile » l’est tellement que si les Le Pen n‘ont pas encore pris le pouvoir, dans la tête d’une majorité de paumés, c’est fait. Sept millions de perdants qui croient qu’ils vont changer leur pathétique destin en élisant un clan de bourgeois extrémistes fous d’argent et de pouvoir. C’est, du reste, assez pitoyable de se dire que ce pays à donné un maximum de voix à deux politiciens jusqu’au cou dans les magouilles. Un peuple complice avec ses voleurs, ceux-là même qui lui font les poches, c’est pour ma part un sommet de misère intellectuelle, la démonstration d’une immaturité affligeante (notamment vis-à-vis de la presse) et la preuve qu’en dépit des bavardages et débats incessants autour du seul sujet de la politique, les Français ont une conscience politique Carambar, volatile, versatile, creuse, comme leurs opinions. Bref au lieu de parler de vote utile, on serait bien indiqué de penser plutôt à gouverner, tout simplement, ou à s’en aller.

Voter n’est  ni un droit, ni un devoir, c’est un privilège.

34% de jeunes votent donc pour un parti de vieux, avec des vieilles idées qui datent des années 30 et 50. C’est pour moi la démonstration qu’une part significative de la jeunesse Hanouna et télé-crochet vit sans passé et ne s’envisage aucun avenir. Avec l’argument consommateur N°1 « on-les-a-jamais-essayé-ça-peut-pas-être-pire ». 34% des jeunes ignorent donc qu’un droit est relatif à celui qui gouverne et non un état naturel. Comme l’est la notion de devoir avant qu’elle ne bascule dans l’obligation. Et s’il vous plait passez-moi le couplet sur ces pays où on se bat pour avoir ce droit surtout quand on sait que l’ensemble des dictateurs africains ont fini de légitimer leur pouvoir par le vote, qu’Assad a obtenu un suffrage écrasant au beau milieu d’un carnage et que Patrick Balkany est toujours maire de Levallois. Si la démocratie telle que nous la connaissons se distinguait par le droit de vote et si celui-ci n‘avait d’autre usage que d’entériner un système, il y a longtemps que nos gouvernants l’auraient supprimé. Au reste, si le très conservateur Monsieur Thiers a milité pour la république qu’il abhorrait, c’est uniquement parce qu’un roi est plus fragile qu’une urne. Un roi ça se décapite alors qu’une opinion ça se fabrique. Et en termes de fabrication d’opinion notre époque est passée reine. Monsieur Macron se présente sans programme et le revendique et les deux tiers des électeurs de la famille Le Pen n’ont sans doute pas lu une seule ligne de leur programme, à la notable différence d’un abstentionniste comme moi. Je peux même citer une phrase qui a marqué le cinéphile que je suis « le cinéma français est le seul à pouvoir faire concurrence au cinéma américain ». On ne pourrait pas être moins en phase avec la réalité, je crains hélas que Franck Lapersonne soit aussi peu connu des exécutifs de Sony ou Universal, qu’il ferait un piètre personnage de chez Marvel…

L’abstention, une démarche politique et citoyenne.

Quand on lit les débats de comptoir sur les réseaux sociaux, le moins que l’on puisse dire c’est que la première chose qui frappe ce n’est pas la conscience politique des uns et des autres. Ni plus la lucidité en termes de fabrication d’opinion et d’image. Pasqua, par exemple, expliquait un jour que la meilleure méthode pour couvrir un scandale, était d’ouvrir un contre-feu, une affaire dans l’affaire, qui semble si alambiquée que l’affaire de départ paraisse moindre. Fillon et son « cabinet noir » (brrrr !) nous en a fait une brillante démonstration et un peu plus de 19% des électeurs sont tombés dans le panneau, soumis à cette idée mafieuse qu’on ne peut gouverner sans être corrompu.

Personnellement je suis politisé depuis que je suis enfant. A cinq ans je me plantais devant les débats de l’assemblée pour tenter de comprendre ce qui s’y jouait et me déclarais gaulliste, comme papa et maman. Et toute ma vie je me suis intéressé à des questions politiques ou à l’histoire de mouvement, comme notamment le très prolifique et influant courant anarchiste. Si influant même, que capitalistes et communistes, deux versants d’une même église, ont tout fait pour le détruire, le ridiculiser, le réduire à rien, et massacrer ou interner ses militants. Je recommande à ce sujet l’excellent documentaire « Ni Dieu ni Maitre » en deux parties qu’a produit Arte. Et en termes de fabrication d’opinion et d’image, je suis parfaitement placé pour savoir de quoi on parle. Pas seulement parce que j’ai travaillé dans la pub que j’écris des fictions, que raconter une histoire c’est déjà mentir, manipuler ses lecteurs afin de susciter des émotions, provoquer une réflexion.

Le terme même de « communication politique » défini en soi qu’on ne s’arrêtera ici qu’aux émotions. Que la réflexion autour du projet politique sera occultée de tout débat. Tous les candidats parlent au « nom des Français ». Comme si nous avions tous déjà réfléchi au projet de société que nous proposait le candidat au trône. Comme si le candidat au trône et une cohorte de Rosa Luxembourg, Charles Maurras, Péguy, Hugo avaient harangué et discuté et disputé durant des heures de débats avec des foules compactes et enfiévrées de questions politiques… Comme si qui que ce soit achetait les livres des politiques, lisait leur programme, et ne se contentait pas plus simplement d’aller voter comme on rote.

A titre personnel je vis au crochet d’une société que je récuse, qui me criminalise parce que je préfère le cannabis à l’alcool. Ne trouve pas d’emploi, obligé auprès d’un organisme parfaitement arbitraire et incompétente comme Pole Emploi. Doublé du fait que j’ai 53 ans, fait sept métiers, jobs d’été not include, et que je n’ai pas de réseau dans les professions qui m’intéressent. Ceci explique peut-être le fond de ma colère contre ce pays et son peuple.

Pourtant, à titre citoyen, les résultats des élections m’ont moins mis le mord parce que la famille Le Pen serait au deuxième tour, je m’y attendais comme tout le monde, que parce que Fillon (rend l’argent, maintenant) avait fait plus que Mélenchon. Non pas que j’ai la plus petite affection pour aucun des candidats au trône, que l’idée que mes voisins avaient peut-être préféré un politicien ouvertement vénale et corrompu, à un autre sans casserole financière m’a proprement scandalisé. Même si c’est essentiellement, en réalité, par défiance vis-à-vis des médias, de ce qu’il est convenu d’appeler la médiacratie. Surtout, devrais-je dire.

Parce que ce n’est pas de la citoyenneté que d’aller voter en réaction d’une opinion formatée par d’autres. Ce n’est pas de la citoyenneté que de voter pour des gens qui sont mis en examen. Ce n’est pas de la citoyenneté que de voter pour des individus sans programme, et encore moins budgétisé, comme celui de la famille Le Pen et de leurs réseaux. Ce n’est pas de la citoyenneté que d’appeler à voter en espérant se faire une place au chaud. Ce n’est pas de la citoyenneté de ne pas réaliser que ceci est une pièce de théâtre sur jouée entre des comédiens surpayés, et dont nous connaissons tous la fin. Ce n’est pas de la citoyenneté que de vouloir d’une oligarchie familiale en remplace une autre à la tête du pays. Ce n’est pas de la citoyenneté que de voter par dépit, « utile »  parce que goût Carambar y’avait plus. Ce n’est simplement pas, plus, de la citoyenneté que de voter. Point à la ligne.

Et je revendique, au contraire, être un peu plus « citoyen » que mes compatriotes électeurs, ces gens qui ont eu la malencontreuse idée de naitre dans un pays qu’ils ne méritent pas. Non mon ami électeur, tu ne mérites ni la fronde d’un Cyrano, ni les propos de Proudhon, ni les Lumières au nom duquel tu me brames ton droit de vote, ni le génie de Diderot, ni le talent de tes rois et figures politiques, ton histoire fabuleuse, ni tous tes héros mort, justement, pour que tu puisses librement bêler devant l’urne. D’ailleurs tu ne bêles même plus, tu dis que c’est tous les autres qui bêlent. Tu urines dans l’urne. Tu pisses tes petites rancœurs bilieuses que t’inspires le désastre de ta vie. Tu pisses dans l’urne. Et tu as remarqué, ça fait le même effet que sur un violon.

S’abstenir c’est voter.

D’ailleurs en admettant même que je souscrive à la notion de gouvernement, ce qui n’est pas le cas, ou de président, ce qui l’est encore moins, pour qui, le citoyen que je suis, aurait-il bien pu voter ? Pas un seul candidat ne rejoint mes opinions qu’il s’agit d’écologie, de légalisation, de politique extérieure ou intérieur. Pas un. Pas un ne propose de projet qui tienne en compte la biodiversité de notre pays. Pas un seul qui ne retient de la rue qu’un discours populiste à base de yaka fokon. Pas un candidat ne s’intéresse aux nouvelles technologies, qu’il s’agit d’intelligence artificielle ou de biotechnologie, de recyclage, d’énergie renouvelable à part pour se pogner sur le nucléaire. Pas un politique pour ne citer à un moment ou à un autre De Gaulle.

Vous nous fatiguez avec le Général, laissez-le dans sa tombe et sa constitution avec. Il l’a fabriqué à sa main, pour les enjeux de son époque. Il n’imaginait même pas une alliance autre qu’Atlantique et occidental, et encore moins la fin du bloc communiste. Il a laissé un héritage mi mafieux mi droit dans ses bottes qui a été dévoyé par de minuscules politiciens sans envergure. Pas un politique pour ne pas parler emploi au lieu de travail, d’occupation payée, plutôt que de compétence, de méthode et d’engagement réciproque. Pas un seul pour proposer de remettre à leur place les milliardaires qui tiennent ce pays. Ni plus pour mettre un frein à la corruption et aux hauts privilèges que s’arrogent ces mêmes politiques. Pas un qui ait le plus petit projet culturel. Pas un seul pour se soucier de la casse sociale qui avait lieu chez Whirpool à Amiens pendant leur sauterie électorale. Pas un seul pour proposer des solutions pratiques, budgétisées et concrètes pour les sans abris, les 120 milliards que coûte socialement l’alcool en France, où soulager les hôpitaux publics. Pas un qui est foutu de s’intéresser réellement à ce qui se passe dans les DOM. Pendant que la Guyane gueulait, Emmanuel Macron rêvait d’île. Pas un qui n’a jamais été salarié plus de quatre ans dans toute sa vie, qui ne soit sorti de Dauphine, l’Ena, ou Science Po et pour l’essentiel, pour les « gros » candidats qui ne sorte pas du même milieu privilégié. Pas un qui n’a la moindre expérience de vie autre que l’entre-soi, le calfeutrage des salons chics et des secrets d’alcôve. Pas un qui ne sache ce que ça signifie dans sa chair d’être exilé, à la rue, ou simplement d’avoir faim. Pas un seul.

Alors, sur quoi je puis m’identifier pour voter en tant que citoyen et non consommateur? Si les Le Pen sont élus j’ai l’intime conviction que ce pays va sombrer dans le chaos et pour de bon. Si Macron est élu, que ce chaos aura lieu, mais délayé dans le temps. Quoiqu’il en soit ce sera radical. Je suis donc convaincu en tant qu’homme et citoyen qu’il faut l’être, radical, avant que le régime en devenir nous précipite vers la guerre civile. Que ne pas voter du tout est un devoir citoyen en la circonstance, que c’est le seul moyen, sans violence et avec conscience, une réelle conscience politique, de montrer que nous sommes des Français et pas des touristes.

 

La nuit du chien 5.

Faute de morgue ou d’hôpital proche, le corps avait été transporté aux pompes funèbres de Hamon. Le temps qu’il arrive, il aurait sa réponse en fin d’après-midi. La dépanneuse qu’il avait appelée sur le retour était là elle, avec le pick-up de Kid. Il sortit et examina les pièces dispersées sur le plateau. Anormalement lourde pour ce que c’était, trois pots d’échappement et un carburateur. Se pouvait qu’il y a des balles là-dedans ? Il secoua un pot à son oreille sans obtenir de réponse.  Comment il allait ouvrir ça ? Il alla chercher la boite à outil dans son coffre de voiture. Tournevis, marteau et huile de coude pour faire sauter les rivets du carburateur.

–       Bon Dieu !

Il devait bien y avoir deux milles dollars tassés en liasse de dix. Si c’était pareil pour le reste, oui pas de doute il venait de mettre le nez dans une affaire de trafique. Maudit Carson.

–       Bah c’est quoi tout ça !? S’exclama Louise alors qu’il revenait une demie heure plus tard, le bras souillés jusqu’au coude, chargés de liasses empaquetées.

–       J’aimerais bien le savoir.

–       On peut pas garder ça ici ! Vous allez le mettre où ?

Il laissa tomber les billets sur son bureau et la regarda désemparé.

–       Ca aussi j’aimerais bien le savoir.

 

Kush et ses copains étaient rassemblés dans le terrain vague, devant la caravane rose rouillée qu’avait loué l’étranger. Il les entendait d’ici qui gloussaient, se caviardaient la bouche d’expressions rap, d’argot rue mac négro. Kush avait été élevé par sa grand-mère et son père, sa mère était décédée d’une overdose. Sa grand-mère qui ne croyait ni à l’école ni à Jésus, vendait des space cake de sa fabrication aux voisins, louait des caravanes abandonnées ou volées, et l’avait laissé faire en gros ce qu’il voulait. Le spliff passait de bouche en bouche. Aspirer, puis se pencher et recracher la fumée dans un verre retourné. Le scorpion à l’intérieur allait bientôt être tellement stone qu’il se piquerait lui-même. Tout le jeu était de savoir lequel d’entres eux aurait la bouffée fatale. Les paris étaient ouverts. Il pouvait entendre leurs commentaires, le scorpion essayait de piquer le verre. Relançant leurs petits rires sadiques à chaque tentative. Il avait fait ça aussi au pays avec ses copains. Ils appelaient ça jouer à Saddam. Gazer un scorpion et le regarder se crever tout seul. C’est un peu comme ça qu’il se sentait, un insecte venimeux sous la cloche de ses souvenirs, lentement empoisonné par des fantômes passés, livré à la folie sans frein. Peut-être était-ce une façon pour la vie de venger les scorpions et ceux qu’il avait tué depuis. Il n’avait pas beaucoup de rapport avec Dieu. N’en n’avait jamais eu et se défiait de ses accents. La vie lui semblait beaucoup trop incohérente et cruelle pour être le fait d’un seul être forcément bien veillant. Ou bien cet être était fou. La phrase de Shakespeare lui revint à l’esprit sous les encouragements des gosses. Apparemment l’insecte avait commencé à se poignarder lui-même l’abdomen. Life is tale told by an idiot full of ado and fury and who means absolutely nothing.  La vie est un conte raconté par un idiot plein de bruit et de fureur et qui ne signifie absolument rien. Où est-ce qu’il avait lu ça ? Il alluma la télé. Sid Diaz sur le site de sa concession occupé à brader son dernier arrivage de Volvo. Il changea de chaine, la météo. Des vents cycloniques étaient en train de se rassembler dans le Golf, tout laissait craindre une saison des ouragans en avance. Sur Fox News, un cyborg de marque américaine essayait de faire croire qu’il était sorti d’une usine Trump. L’étranger remarqua sa coiffure laquée, sa splendide cravate rouge républicain, et puis changea à nouveau de chaine. Sur le toit, la parabole en captait apparemment plus d’une cinquantaine avec les chaines locales.

–       Hey Kush, y ressemble à quoi le nouveau locataire de ta vieille ?

–       J’sais pas je l’ai pas vu.

–       Y parait qu’on dirait un graisseux.

–       Hé ! Dis pas d’conneries la vieille elle peut pas saquer les graisseux, c’est une vraie texane cette carne !

Les autres continuaient de ricaner. Le scorpion s’était poignardé plusieurs fois, mais la mort ne venait pas, il convulsait dans son bocal, griffant le voile de gaz de ses pattes effilées, translucides et noires. Un des garçons dit aux autres.

–       V’nez, v’nez ! Amenez le ! Amenez le !

Comme ces cris lui rappelaient sa propre enfance…. Quand ils couraient à perdre haleine dans les rues poussiéreuses et écrasées de chaleur. Rien n’était plus brûlant que le soleil de là-bas. Et ils allaient, bambins crasseux et bronzés à la conquête de leur quartier comme s’il s’agissait de l’univers tout entier. Mais ceux là n’étaient plus des enfants. Des voix graves ou éraillées de l’adolescence. Ils s’éloignaient en riant et en braillant. L’un d’eux avait découvert une fourmilière, des rouges, bien voraces. Ils s’assirent en cercle tandis que Kush retournait le verre avec le scorpion à demi-mort qui tentait dans un dernier sursaut de s’échapper. Les fourmis ne mirent pas longtemps à grimper sur l’insecte à l’agonie. D’abord une, puis, deux, puis une colonie tout entière de soldats qui ne prenaient même pas la peine de piquer leur victime, leurs mandibules déchirant la chair encore à vif. Le joint en remplaçait un autre, un gros tordu à la fumée bien grasse, Il pouvait les apercevoir derrière le store du fond, au pied d’une butée jonchée de sacs plastique et de déchets divers. L’un d’eux se tortilla pour sortir de sa poche un pétard, un gros comme son index de garçon de ferme. L’un des cauchemars de Corey au lycée. Il le glissa sous le verre avant d’allumer la mèche.

–       Naaaan !?

–       Ah, ah, ah, ah !

–       Itchy et Scratchy présentent !

–       Ah, ah, ah !

Le cercle s’égaya brusquement avec des hourras et d’autres rires. Un rayon de soleil dardait sur le verre le dessin d’une dent. Il sentait sa présence quelque part parmi les caravanes. Dans l’ombre. Sous le ventre d’une voiture, au pied d’un mobile home, Dans la fraicheur nocturne et profonde d’une silhouette de 4×4, projetée sur le bitume cuit par un écrasant soleil d’après-midi. Il attendait la nuit pour se montrer. Seulement la nuit. Soudain il y eu comme un coup de feu lointain. Instinctivement il se ramassa sur lui-même, accroupis, près à fuir. Le verre avait éclaté avec le pétard, le scorpion et les fourmis, les autres poussaient des hourras. Il ferma les yeux, d’autres voix qui se superposaient au bruit dehors. « Allah akbar ! Allah akbar ! » leurs hourras à eux. Il senti le tremblement de son pouce s’emparer de sa main. Les détonations continuaient. Des rafales, au coup par coup, des cris, des explosions, les hurlements d’un soldat… les paupières se soulevèrent sur un monde de travers. Décor des années 80, télé idoine qui continuait de blablater dans le vide. Il avait besoin de bouger.

 

Dans le monde de Corey il n’y avait pas de scorpion torturé ni de fantômes broyés dans le noir. Il y avait Wald et Shamon, les deux geeks condamnés pour avoir piraté le téléphone personnel de Trump, et l’équipe du docteur Carnaval, alias El Diablo Tatuado, le diable tatoué. Avec Benzédrine le culturiste à demi fou et Han Shi, un ninja chinois, ancien mercenaire communiste, dit le Ninja Rouge, dernier héritier de la plus vieille école de ninja d’Asie, celle originaire de toutes les autres, l’école du Maitre Silencieux. Il pouvait dessiner pendant des heures, surtout quand il avait de la bonne weed et la musique à fond dans les oreilles. Et dans ces moments là il se fichait de tout. De vivre dans un trou, de ne pas avoir de parent, de n’avoir pas encore couché Kate dans le maïs, caresser son corps et l’embrasser tout son saoul. Son trait était assuré, presque professionnel. Un don qu’il pratiquait depuis l’enfance. Son rêve pas raisonnable comme il se disait. Devenir dessinateur de bédé avant d’être shérif, son rêve raisonnable. Mais peut-être que l’un n’empêchait pas l’autre, il y avait bien des flics écrivains….  Son style copiait le manga croisant la bédé américaine façon Marvel, Kate n’arrêtait pas de lui répéter qu’il avait un talent fou. Mais il se disait que si ce n’était pas suffisant pour la séduire elle, il n’y avait aucune raison que les éditeurs le soient. Il était un petit, un inconnu, et il savait bien qu’il le resterait. Carnaval, le nom de sa bédé et de son héros, docteur en astrophysique, catcheur de lucha libre qui à chaque épisode luttait contre une menace hors normes. Une invasion extraterrestre, un complot du gouvernement à base de télépathe, des envahisseurs d’une autre dimension, un empereur chinois antique qui se réveillait à l’occasion d’une découverte archéologique. Chaque personnage tenait de l’archétype. Les geeks étaient des génies totalement obsédés par la taille de leur sexe, le culturiste était fou à cause des stéroïdes et fort comme une montagne pour les mêmes raisons, Carnaval avait fait de la prison, d’où ses tatouages, Han Shi s’était rebellé contre ses maitres. Quand se posa une main sur son épaule, le faisant littéralement décoller de sa chaise.

–       Pa’ ?

Les lèvres de son père s’agitèrent, il décolla un des écouteurs de son casque.

–       Quoi ?

–       Euh… je disais, il y a Star Wars à la télé qui passe tu veux pas qu’on le regarde ensemble ?

Instinctivement, Corey recouvrit sa planche avec une feuille blanche.

–       Bah je les ai tous vu, c’est l’quel ?

C’était rare qu’il vienne comme ça et plus encore pour lui proposer quelque chose. L’adolescent chercha dans son regard une explication.

–       L’Empire contre-attaque, je crois.

–       Mouais, il est pas mal, c’est vieux, mais il est pas mal…

Pas plus d’enthousiasme que ça. Critique, distancié. Comme il avait du mal à comprendre cette génération, comme si rien ne les surprenait jamais.

–       Tu viens ? J’ai acheté de la bonne.

Il forçait sur son enthousiasme et ça se sentait. Corey ne fit même pas mine de bouger.

–       Ouais Laro m’a dit…

–       T’as prit quoi toi ?

–       De la Bud.

Son père répondit d’un air gourmand.

–       Je lui ai acheté son dernier sachet de Colombienne.

Ca tombait mal, il ne supportait pas la colombienne.

–       Ah cool.

Une grimace de sourire, à façon de se montrer aimable. Où il voulait en venir à la fin ?

–       Allez viens, y’a d’la bière aussi de la Haagen Dazs je crois tout n’a pas dû fondre…

Décidément il faisait des efforts aujourd’hui. Qu’est-ce qu’il avait ? Il avait l’air défoncé mais avec lui c’était pas une nouvelle fraiche, il était tout le temps défoncé depuis des années. Une autre raison sans doute pour laquelle elle était partie. Il remarqua qu’il hésitait, il ne pouvait pas lui en vouloir. Qu’est-ce qu’il avait fait pour lui ces derniers temps ? Depuis combien de jours, de semaine, il ne lui avait pas adressé plus qu’un borborygme ? Corey regarda sa feuille blanche à regret et puis accepta. Après tout c’était assez rare pour faire un effort. Sur le mur face à son bureau, à côté d’un poster de PJ Harvey s’étalait des dessins dynamiques d’un personnage tatoué avec une cagoule de lucha libre. Alors c’était ça le monde de son gamin ? Des super héros de pacotilles tatoués comme les tapioles de maintenant. Bon… Qu’est-ce qu’il pouvait dire ? Rien, il tourna les talons et ajouta :

–       Dépêches ça commence dans dix minutes…

Comme s’ils allaient rater le prochain passage du train fantôme. C’était quoi son problème ? Il ne s’agissait pas de l’Empire Contre-attaque finalement mais de la Menace Fantôme. Episode qu’il détestait copieusement comme beaucoup de fan. Le pot de glace avait à moitié fondu, et il n’aimait pas la marque de bière qu’il avait choisie. Il ne dit rien, à quoi bon il faisait de son mieux.

–       Je ne comprends ce que les gens ont après Jar Jar Binks, moi je le trouve cool.

–       Cool ? Il est ridicule !

–       Oh t’exagères, il est rigolo, tiens, il me fait penser un peu à toi.

S’il espérait placer un compliment, le regard atterré que lui rendit son fils lui fit saisir toute l’ampleur de sa méprise.

–       Oh ça va c’était pas méchant.

Corey lui rendit un grognement guttural soldé d’un long silence plein de bruits de laser et de blaster.

Pourquoi on faisait toujours ça. Au lieu d’accepter le silence de l’autre essayer de le remplir d’explications  malencontreuses. Pourquoi avait-il mentionné ce fichu Jar Jar, avec sa démarche pataude d’ado et son air toujours enthousiaste de chiot.

–       Moi en tout cas quand j’avais ton âge, je me souviens quand je suis rentré dans l’armée… pareil, même genre, et pas deux sous de jugeote…. Tu me diras tu dois penser que ça a pas beaucoup changé hein…

Corey garda le silence, il pensait à Kate, qu’il aurait adoré qu’elle l’appelle et le soustrait à ce supplice. Mais Olson lui avait confisqué son portable sous prétexte qu’elle était rentré tard dans la semaine. Ce facho de supermarché !

–       J’en veux pas à ta mère tu sais. Elle a beaucoup donné avec moi, beaucoup trop sans doute. C’est un miracle qu’on soit resté aussi longtemps ensemble. Même toi t’es un miracle….

Ce n’était pas l’effet qu’il se faisait ni celle que lui avait renvoyé ses parents jusqu’ici.

–       Tout est de ma faute tu sais, ou presque. Quand je me suis engagé j’y croyais, la nation, la lutte conte le communisme, le Monde Libre contre les Rouges. Enfin… c’est ce que je me disais, ce qu’on se disait tous. Mais quand t’es sur place, ça devient difficile tu comprends. Rien n’est aussi bien délimité. Rien n’est aussi simple.

Il cherchait ses mots, assemblait sa pensée mais ne savait pas bien où lui-même voulait en venir. Tout était parfois si compliqué.

–       Je crois que ce que je veux dire c’est que j’ai fait des choses affreuses et j’ai perdu beaucoup d’amis. A la guerre faudrait jamais s’attacher. Mais on peut pas, à la guerre moins qu’ailleurs. Et forcément on y laisse un peu de soi. J’ai laissé ça là-bas, au Liban, en Colombie, un peu de moi, et je vous ai oublié toi et ta mère.

Corey écoutait d’une oreille distraite. Un œil sur l’écran, son esprit à la belle, il pensait aux aventures du docteur Carnaval.

–       Mais ça va changer je te le promets ! Je cherchais des prétextes pour ne plus vivre, ce n‘est pas la guerre qui est en cause, c’est moi. J’ai compris ça ce midi. Ce n’est même pas pour le drapeau que je me suis battu, je me suis raconté des histoires pendant des années, je me suis battu parce que j’aime ça, et je l’ai payé au prix fort.

Bien entendu il n’allait pas au fond de cette révélation qu’il s’était fait à lui-même dans la voiture. Que plus encore que de se battre c’était de tuer qui était comme un second souffle pour lui. Un don. Abattre un coyote à 800 mètres en pleine course, comment appeler ça autrement ? Ce n’était pas ceux qu’il avait perdu, ce n’était même pas la guerre qui l’avait rendu ainsi, nostalgique et renfermé. Pas même qui l’avait poussé au sommeil debout, une vie de confinement dans un couple de circonstance. Non, tout ça c’était des foutaises. C’était la mort son amie, voilà la vérité. Et sans elle il se sentait comme amputé. Sa proximité, la donner, la risquer. Même les coyotes ne suffisent plus. Puisqu’il n’arrivait pas à se tuer, c’était quoi la prochaine étape ? Lui plutôt que les autres ? Son fils par exemple ? Il fallait qu’il se reprenne en main, reprenne tout en main.

–       Alors voilà ce que je pensais, faut qu’on quitte ce trou, on va aller à Chicago, j’ai encore des cousins là-haut, ils me trouveront un travail facile je pense, comme ça toi t’auras plein de nouvelles possibilités et ça nous donnera l’occasion de redémarrer une vie sans maman. T’en penses quoi ?

Corey se leva sans un mot et prit la direction de sa chambre.

–       Eh mais où tu vas ?

Est-ce que ça valait de répondre ? Est-ce qu’il avait envie de lui dire quelques vérités enfin ? Puisqu’il lui en laissait l’occasion. Peut-être que trop de temps s’était passé depuis la dernière fois où il avait fait mine de réaliser son existence, peut-être qu’il se sentait déjà trop vieux pour accabler ses parents.

–       Laisses tomber, se contenta-t-il de répondre en disparaissant.

–       Hey reviens ici !

Mais rien à faire, la porte claqua et Rage Against The Machine démarra en fanfare « fuck you I won’t do what you tell me ». Quitter Baker oui, mille fois. Mais jamais sans Kate et certainement pas avec son père.

La nuit du chien 4.

 

De l’autre côté de la rue, dans une Pontiac de 95, un homme l’observait qui déambulait dans son salon, une casquette Coca vissé sur son crâne pointu, des lunettes de soleil qui masquait son regard gris et triste. Dans la main gauche il tenait un stick d’herbe roulé dans du papier vert pelouse et dans l’autre un 45 automatique, cran de sureté levé. Sur la banquette arrière étaient entassés en vrac ses courses, pizza aux fruits de mer, bouteilles de piment en sauce, des pots de glace qui fondait mollement, dégoutant le chocolat sur le skaï et les canettes de bière, du lubrifiant et un paquet de lessive. Il avait regardé son fils entrer et sortir le crâne bourdonnant de la chaleur et de la musique qui s’échappait de la maison. Fumer deux sticks de pure sans penser à rien, le contact de l’arme était rassurant. En fait c’était même ce qu’il connaissait de plus rassurant. Depuis quelques mois son 45 d’ordonnance c’était un peu son doudou. Depuis qu’elle s’était tirée avec ce type. Mais est-ce que c’était vraiment à cause d’elle ? Après tout il ne l’avait jamais vraiment aimé. Elle aimait l’uniforme, était fasciné par son côté semper fi, après Beyrouth, la Grenade et la Colombie elle semblait être ce qu’il y a de plus raisonnable et civilisé à faire et il s’était laissé passer la bague au doigt. Au début ça avait été dur pour l’un comme pour l’autre. A cause de sa blessure il ne pouvait plus sauter en parachute, fin de carrière dans les bureaux, et l’inaction c’était pas son truc. Il buvait trop, envisageait de repartir sous la bannière d’une compagnie privée, finissait toutes ses nuits à même le sol parce que les lits c’était dangereux en cas d’attentat. Mais leur couple avait tenu le choc. Notamment parce qu’il était résiliant, qu’il avait fini par arrêter de boire et quitter l’armée. Corey était arrivé peu après. C’était cette époque du couple où on tente de construire quelque chose, porté par cette illusion qu’on appel l’amour. Porté même par cette croyance qu’on s’est mis ensemble forcément pour des raisons nobles. Mais on ne chasse pas la guerre comme ça de son sang. Pas quand plus de deux cent de vos camarades ont été tués par un camion piégé, pour certain des amis proches. Pas quand on a passé quinze ans d’un théâtre d’opération à un autre, et qu’on a prit goût à la vie militaire. Elle ne voulait pas qu’il reparte, le gamin avait à peine mis un pied par terre sans se ramasser. Alors il avait fait comme des centaines de millier de femmes et d’hommes coincés dans leur couple, semblant. Il avait trouvé un boulot à l’usine, assuré les trois huit à six dollars de l’heure et pendant quelques années s’était fait croire que c’était la vie dont il rêvait. Le prédécesseur de Potovski l’avait même fait contremaitre durant un temps. Mais tôt ou tard, quoiqu’on fasse, les choses nous dépassent et on craque. Un jour on tombe sur un wetback qui vous rappel comme deux gouttes d’eau les palos au Liban et au lieu de le remettre à sa place et lui ordonner de faire son travail, on se jette sur lui et on le défonce. On se fait virer, on se remet à boire chroniquement, on s’absente de la maison de plus en plus souvent et longtemps, elle prend un travail comme agent immobilier à Hamon, la ville la plus proche. On fait avec, on accepte sans accepter cette nouvelle situation. Les années d’amour sont passées au point où on se demande parfois comment on a pu y croire. L’illusion qu’on était ensemble pour de bonne raison a même cessé de nous intéresser. On est désormais l’un avec l’autre comme sur le radeau du naufrage. Jusqu’à ce que l’inévitable se produise. Shirley était encore appétissante à 47 ans, et elle avait toujours faim, lui… Son doigt avait insensiblement glissé du pontet à la queue de détente. Putain, à quoi bon rester sur cette planète ? Le gamin était assez grand pour se démerder maintenant. Mais lui il lui restait quoi ? Il s’était enterré tout seul et il était trop tard pour repartir. Trop tard, trop profondément enfoncé dans la mélasse du quotidien et deux ans qu’il avait même cessé de travailler, à vivre de sa pension. Même tuer des coyotes ça suffisait plus.

–       Même tuer des coyotes ça suffit plus, se répéta-t-il à haute voix alors que Laro sortait de chez lui dans sa grosse Chevrolet vintage qu’il s’était dégotté Dieu sait où, los Tigres del Norte a fond les ballons comme à un concert de Mariachis à base de came et de violence.

Il regarda le 45, acier noirci, gueule massive, crosse imitation bois estampillé de l’aigle. Quelque chose venait de faire jour dans son esprit. Cette simple phrase, ce simple raisonnement. Ou plutôt un seul mot dans ce raisonnement, « même »…. Il leva les yeux sur la voiture qui s’éloignait trainant derrière elle son orchestre. Cordes et cuivres rebondissaient dans les allées et les rues avoisinantes, petit dragon mexicain à la gloire des narcos comme une provocation de gamin, quand au détour d’un croisement hulula une voiture de patrouille. Laro n’entendit rien sur le moment, alors l’adjoint fit aller un peu plus longtemps la sirène en le collant au cul. Pendant un court instant Laro fut tenté par l’idée de tester les capacités de conduite de Carson, mais le vieil emmerdeur serait foutu de lui tirer dessus s’il n’obtempérait pas. Quand il vit Fred Bayonne sortir de la voiture, il regretta aussi tôt ne pas avoir accéléré. Fred c’était le crétin chimiquement pur. Recalé à la police des frontières, aux douanes, même Olson, le patron de la superette n’en voulait plus depuis qu’il s’était fait rouster par les branleurs de la rue K. Seul le shérif l’utilisait encore comme adjoint quand il avait une urgence, il aimait tellement l’uniforme… Qu’est-ce qui s’était passé encore, il y avait eu une bagarre chez Barry ?

–       Ola salut Fred, que se paso ?

–       Coupe cette musique !

–       Eh mais ça va, j’ai rien fait de mal !

–       Coupe !

Bon grès malgré, il obéit la tête lasse et le geste lent, comme un gosse privé de foot.

–       Qu’est-ce que t’as déjà  dit le shérif sur les narcos corridos Hernando. ?

–       M’appelle pas comme ça mec, personne m’appelle comme ça.

Il détestait son prénom, notamment parce que c’était ceux de l’orphelinat qui l’avaient choisi.

–       Ouais, ouais, c’est ça Hernando en atten…

–       Tu veux jouer les durs avec moi connard !? Hein ? c’est ça !? M’appelle pas comme ça je t’ai dit !

Sorti de ses gonds en un dixième de seconde, comme un ressort, Fred fit un pas en arrière. Il n’était pas armé, le shérif n’armait pas ses adjoints quand ils étaient en ville et n’avait jamais eu besoin de le faire parce que quand absolument tout le monde l’est, les fous exceptés, les gens ont tendance à être prudent. A préférer les bagarres plutôt que les fusillades, même si c’était à coup de barre de fer et de tesson de bouteille.

–       Okay calmes toi Laredo et je ne veux plus entendre cette musique, c’est compris ?

–       Ouais, ouais… C’est bon c’est tout ?

A l’école déjà Fred avait une tête à claque, une âme à baffer. Un art consommé pour s’attirer les inimités des autres élèves sans s’attirer la sympathie des profs. Il ne pouvait s’en empêcher, plus fort que lui, il avait besoin de se mêler de la vie des autres et de leur dire quoi faire, et surtout, il ne savait pas s’arrêter. Laro en avait entendu parler par ses clients, et franchement il n’avait pas changé.

–       Bah non c’est pas tout, t’as des petits yeux Laredo, tu serais pas défoncé des fois ?

–       Au volant ? Jamais chef, tu me connais.

–       Justement… tu vas livrer qui ?

Laro lui servit son air offensé N°1, celui qu’il prenait avec tous les flics dès lors qu’on l’accusait d’un délit.

–       Livrer ? Mais vraiment tu me prends pour qui Fred !? J’ai arrêté ces conneries depuis Huntsville.

S’il avait travaillé plus souvent comme adjoint, nul doute qu’il aurait déjà entendu l’exact même baratin et dit sur ce même ton de récitation avec un sourire en forme de va te faire foutre flic. Ce qui eu le don de donner un air soupçonneux à Fred, qui en plus d’être têtu à sa propre perte se prenait pour Sherlock Holmes.

–       Arrêtes de me prendre pour un imbécile tu veux ou je te fais ouvrir ton coffre.

Il était un peu trop défoncé pour se souvenir avec certitudes s’il avait laissé quelque chose de compromettant ou non mais dans le doute…

–       Eh oh ça va ! Je vais chez Kid arrête !

–       Kid ? Kid est mort t’es pas au courant ?

Cette fois il commençait vraiment à pousser le bouchon trop loin.

–       Eh dis pas des conneries comme ça toi ! Ca porte la poisse.

–       Mais c’est pas des conneries, même que c’est Carson qui l’a tué. Pourquoi que tu crois que je porte l’uniforme aujourd’hui ?

Laro le toisa les sourcils froncés.

–       Mais qu’est-ce que tu racontes à la fin pourquoi Carson aurait tué Kid ?

–       Ca je sais pas mais il parait que ça aurait un rapport avec rébellion à l’autorité.

–       Il l’aurait tué parce qu’il se rebellait ? Mais tu délires !

Fred senti qu’il perdait pied.

–       Ouais bin je sais pas mais tout ce que je sais c’est qu’il est mort.

L’autre hésitait entre la colère et l’incrédulité.

–       Je te jure chef, si tu me racontes des conneries, dès que t’as plus l’uniforme je te défonce.

–       Attention Laredo, menaces sur un officier adj…

–       Fais-moi un procès enculé ! Hurla le dealer en démarrant en trombe

L’adjoint regarda le véhicule s’éloigner. L’histoire de sa vie. Personne ne le prenait au sérieux.

 

Enrique en revanche n’avait guère l’habitude de ne pas l’être. Au pays il serait normalement reparti sans que personne ne commette l’erreur de faire du zèle. Ici, même, chez les gringos, à part peut-être les racistes, tous se seraient fait prier pour prendre son argent et l’oublier. Les bras dans le dos, cherchant une position plus ou moins confortable, il relançait le shérif à coup d’allusion.

–       Vous savez, j’ai de très bons avocats, ils ne vont pas apprécier…

–       Je n’en doute pas.

Parker avait l’esprit ailleurs. La tête qu’ils avaient trouvé à l’usine, comment il allait présenter les choses à Anna… sa vie était d’habitude moins compliquée. Quelques bagarres le samedi quand les ouvriers avaient touché leur paie, des problèmes ménager la plus part sans conséquence, les crises de folie des uns et des autres qui parfois se soldait par un suicide, et les illégaux. Ceux là constituaient la majorité de son travail bien qu’il ne soit pas des frontières, et tout ce travail consistait à mêler habilement sévérité et ignorance.

–       Ils pourraient même aller jusqu’à attaquer la ville vous savez…

–       C’est des avocats, ils font leur travail.

Ignorer que le maire et le juge employaient des wetbacks dans leur ranch, être intraitable avec les passeurs qui avaient la mauvaise idée d’emprunter les routes du comté. Et pour le reste faire avec, grès à grès. Mais Kid c’était différent, et cet « accident » sortait de l’ordinaire. Drôle de façon de mourir quand même… Pourquoi il avait fait ça ? Si Carson avait bien raison, avaler une balle. Quelle idée stupide lui était passée par la tête ?

–       Vous n’avez pas l’air de vous rendre compte shérif !

–       Oh mais si croyez bien, dit-il en levant les yeux sur le miroir du rétro. Mais je fais juste mon boulot moi vous savez.

–       Arrêter un innocent, témoin d’un meurtre, c’est ça ce que vous appelez faire votre boulot ?

–       Un meurtre, cela reste à déterminer, apparemment il s’agirait plus d’un concours de circonstance. Pourquoi Kid a essayé d’avaler une balle selon vous ?

Il guettait sa réaction mais l’autre devait se prendre pour un genre d’homme du monde avec sa chemise de macro et son jean Levis.

–       Une balle ? C’est quoi ces histoires ? Qu’est-ce que j’en sais moi !

Mauvaise réponse, jugea le shérif. Pourquoi tout d’un coup ça lui rappela son enfance ? L’esprit est bizarre des fois. Il revoyait le plan de tomate de grand-père. Ce vieux bandit qui surveillait son potager comme un camp retranché. Qui ne l’avait jamais aimé sans qu’il ne sache jamais pourquoi. Il se souvenait du goût du fruit défendu, croquant sous sa dent et le jus qui goutait de ses joues. Essuyer à la va vite alors que le vieux déboulait avec son fusil. Oui voilà pourquoi il s’en souvenait… Tous les autres gosses avaient réussi à se carapater évidement. A neuf ans devant les doubles canons d’un Remington chargé avec du douze, qu’est-ce qu’on dit ? Comment on le dit ? Comment on parle quand c’est le meurtre qu’on lit dans les yeux du vieux ? A l’instant où il avait répondu, il avait su. Qu’il ne serait jamais un bon menteur, mais qu’il savait en reconnaitre un. Comme grand-père ce jour là. Instinctivement il porta la main à sa jambe.

–       Dites moi, monsieur Gomez, vous ne seriez pas lié à un quelconque trafique des fois ?

Toujours pas de réaction, ce gars savait ce contenir.

–       Pourquoi vous autres vous pensez tous ça à la frontière ? Je suis mexicain donc je suis ou illégal ou un trafiquant hein ?

–       Nous autres ? Vous avez déjà été arrêté ?

–       J’ai pas dit ça, je dis juste vous autres gringos.

–       Ah je vois, un racisme contre un autre.

–       De quoi ?

Parker secoua la tête. Tous les mêmes. Il n’insista pas, ça le ferait partir dans une conversation dont il n’avait pas envie et que l’autre ne pigerait sans doute même pas. Il aurait préféré qu’il lui parle de Kid au lieu de lui raconter ses avocats, ça aurait été plus de circonstance si ce genre de personnage n’était pas si systématiquement égotique. Il ne faisait aucune illusion à ce sujet pas plus qu’il ne s’en faisait sur Kid. Au collège déjà c’était un petit combinard, comme ses frères, comme leur père, Monsieur Monroe. Qui depuis s’était fait renversé par un dix tonnes, au cimetière derrière le temple avec ses deux frères… La mère elle était partie Dieu sait où. Comment il allait annoncer ça à Anna ? Ils étaient resté quelques temps ensemble, mais un Kid et une Anna ça ne pouvait pas matcher très longtemps. Anna c’était du caviar. Une fille brillante, au point où il se demandait ce qu’elle faisait à Baker. Et douce, et gentille… et au lit… oui au lit aussi… mais Anna avait des besoins de protection, d’être rassurée, qui ne pouvait pas convenir à tout le monde, et certainement pas à un instable comme Kid. Louise avait laissé un mot, elle était parti chez le coiffeur, elle avait appelé le docteur Dalton pour qu’il procède à l‘autopsie. Il n’y avait qu’une seule cellule de dix mètres carrés, avec une paillasse sur un lit militaire, les murs taillés de graffitis de toutes sortes, bite et couteau. Enrique entra là-dedans le cou gonflé, qui semblait faire beaucoup d’effort pour ne pas exploser.

–       Tendez les mains.

–       C’est intolérable ! Intolérable ! J’exige d’appeler mes avocats !

Il lui prit ses empruntes à travers les barreaux de la cellule avant de lui tendre un torchon qu’il s’essuie.

–       Je dois établir d’abord votre identité.

–       Qui a dit ça !? Vous n’avez pas le droit !

–       Je vais faire au plus vite mais ça peut prendre un peu de temps, je n‘ai pas accès au fichier central d’ici, je dois faxer vos empruntes à Alpine., qui va vérifier pour moi. Pour la validité du permis, nous avons de la chance, j’ai un cousin à Austin, ajouta-t-il avec un sourire genre je t’emmerde.

Puis il referma la porte de séparation et appela Dalton. Louise revint les cheveux gonflés d’une permanente blond rosée du plus bel effet. La soixantaine replète, femme du pasteur Rosetown mais pas cul bénit pour un sou, et qui faisait son travail. Avant elle avait été secrétaire de mairie, mais Hughsum l’avait viré pour mettre une de ses maitresses à la place.

–       Non d’après le témoin il s’est bien passé ce qu’il m’a raconté… faudrait vérifier s’il y a des fragments de balles… oui, oui, faisons ça.