Tout augmente !

Nous sommes le 26 septembre 2023 et la météo m’annonce un petit 28° pour aujourd’hui. Soit une température normale pour un mois de juin mais absolument pas pour un automne. Et les médias pourront lui donner le joli nom d’été indien pour faire poli et ne pas effrayer les téléspectateurs, ça n’en reste pas moins une occurrence que seuls les imbéciles et les menteurs continueront de nier comme ils nient le réchauffement climatique. Il y a quelques jours la compagnie Nextcity à qui je loue l’infâme studio dans lequel je suis depuis une éternité, a décidé que 508 euros était insuffisant pour les 18m² de ma passoire thermique. Mon loyer est donc passé à 546 euros… pour un salaire et une AAH qui eux n’augmentent bien entendu pas. Hier, la marionnette de Bernard Arnault s’est fendue d’un long monologue suffisant, parsemé de questions autorisées et posées par deux ficus, uniquement là pour mettre en valeur le bavardage de la marionnette. Je n’ai pas écouté le discours, j’avais mieux à faire, par exemple m’occuper de mes chats. Comme tous les bavardages inconséquents, celui-ci n’était là que pour faire le buzz. La marionnette de Xavier Niel adore faire parler de lui et qu’on discute des non-sens qui sortent de sa bouche de petit beauf tout fier, avec ses poils au torse et son jet ski. Pendant que dans l’imagination des fascistes la certitude de voir la bourgeoise de Saint Cloud élue, augmente également de jour en jour, et à raison. Peu importe le taux d’abstention, les prochains à nous enfumer se serviront de l’immigration pour expliquer tous nos malheurs, même environnementaux. Ces gens n’ont aucune limite quand il s’agit d’exprimer leur racisme et leur complète stupidité. Pascal Prout, l’animateur de CNews en sait quelque chose, il est payé grassement pour ça. Et par qui, par un autre milliardaire qui choisi en revanche mal ses marionnettes, Sarkozy hier, Marion Maréchal et Eric Zemmour aujourd’hui. Ces deux farces et attrapes de la haine et du racisme, ces deux pyromanes qui aimeraient se faire passer pour des êtres providentiels (comme tous les politiques français, c’est une constante depuis la mort de De Gaulle). Il faut dire que si la fortune de Bolloré ne diminue pas, bien au contraire, son patrimoine en matière de média et de maison d’édition augmente également. Ce petit être superstitieux et catholique jusqu’à l’hystérie, a bien compris que la bataille de la bêtise se gagne dans les cerveaux. Aussi de Pascal Prout à Cyril Hanouna le pervers narcissique, il fait dispenser les idées les plus idiotes, primaires pour ne pas dire primitives, et compte sur leur popularité pour augmenter ses dividendes. Dispensant au passage une image déplorable de l’inculture française moderne. Hier on lisait Camus et on applaudissait les invités de Jacques Chancel, à passer une heure et demi en compagnie d’un violoniste juif ou d’un écrivain tchèque. Aujourd’hui ils écoutent les « influenceurs » et bavardent sur Twitter au sujet des derniers délires des employés du milliardaire superstitieux. Ici rien n’augmente sinon la connerie et le mépris que nous réserve le dit superstitieux.

Donc tout augmente, les prix des biens de consommation et de l’énergie, la température, et bien entendu, puisque nous sommes sous le règne d’un tyranneau aux ordres, la répression. Le violeur de l’Intérieur, Dard à la Main, de se lancer dans une énième campagne antidrogue, persuadé qu’il est de pouvoir s’appuyer sur les dealers de rue et les petits consommateurs pour grimper dans la hiérarchie de ses minuscules ambitions. Ainsi ce court sur patte, imitant fidèlement son modèle, le criminel de guerre Nicolas Sarkozy, de vouloir « pilonner » les points de deal comme si on était sur un théâtre d’opération et qu’il était chef artilleur. Tout le monde sait dans le milieu (dealer, consommateurs et surtout addictologues, policiers, criminologues) que ça ne sert à rien et que ce n’est que de l’esbrouffe, comme le reste de la politique de ce gouvernement de délinquants, mais l’important c’est que ça soit relayé un maximum par les médias aux ordres de la haute bourgeoisie.

Mais si tout augmente, la solidarité est en berne. Les Restau du Cœur sont au bord du dépôt de bilan, le donneur d’ordre de Macron, clochard à tête d’ampoule, en profite pour se faire un peu de pub sur le dos des pauvres. Il verse une obole de dix millions à grand frais de presse, fonds qui ne couvrent même pas les besoins de l’association, mais en versera deux cent pour la reconstruction de Notre Dame. Il faut dire que la seconde c’est un peu d’image de marque pour la France, et conséquemment une valeur ajoutée au « luxe à la française » là où le pauvre… et toute la sphère médiatique des milliardaires, soit tous les médias, de fustiger la gauche qui se moque de l’obole du singe le plus riche du monde. Dix millions de pauvres en France qui peine à manger à leur faim, et ça aussi ça augmente tous les jours, mais la marionnette va inviter à grand frais la jet set londonienne à un raout où on pourra vomir ses petits fours. La fin de l’abondance que disait le pitre poilu mais je reprendrais bien un peu de homard aux truffes.

Ce qui augmente aussi c’est la colère, pour ne pas dire la haine qu’incarne la Barbie poilue. Hué au Stade de France, hué en Algérie, moqué dans toute l’Afrique, ridiculisé par Poutine, ridiculisé aux Etats-Unis avec Trump ou Biden. Ce pitoyable beauf qui va se saouler Kinshasa pour faire popu pendant que le génocide rwandais continue dans le sud Kivu, et déjà quatre millions de morts… Mais par ailleurs ce qui n’augmente pas c’est les actes contre ce pitre. Et d’autant moins que la police de ce dictateur en costume cravate s’en donne à cœur joie à la moindre contestation. A croire que les flics ne souffrent pas de sa politique ou alors qu’ils espèrent juste par leur attitude faire venir leur bourgeoise au pouvoir. Et pourquoi faire exactement ? Qu’est-ce que l’extrême droite française, des Le Pen nièce, tante, beau fils (Bardella le suceur de chatte du clan Le Pen) au petit animateur raciste et mégalomane Zemmour en passant par le huileux corrompu Ciotti, pourra apporter à ce pays que la marionnette de Drahi n’a pas encore commis ? Les « migrants » comme disent les racistes pour qualifier des réfugiés qui essayent juste de survivre sont déjà la cible de ce gouvernement de délinquant et de faux nez. Vont-ils s’en prendre à l’avortement, à la peine de mort quitte à changer de constitution. Pousser la retraite à 95 ans ? Ces gens-là ne sont là et n’ont jamais été là que pour défendre leur classe sociale vu que l’extrême-droite est le bras armé de la haute bourgeoisie. Alors qu’espèrent donc les imbéciles qui rêvent de les voir au pouvoir ? L’arrêt de l’immigration ? Et comment on arrête un torrent ? Avec des discours, de la haine en continue dans les médias ? De Orban à Mélonie ils ont tous essayé avec pour résultat un échec total. Le flux de réfugié ne se tarie d’autant moins qu’il y a déjà les réfugiés climatiques et que ces derniers vont être en augmentation croissante au fur et à mesure des années. Ce sera marrant d’ailleurs quand les Le Pen devront expliquer qu’on ne peut plus accueillir toute la misère du sud de la France asséché dans le bassin parisien inondé. Mais passons. Les Raclures Nationales ne m’intéressent pas, ils sont déjà aux ordres de Vladimir via le sauvetage de leur parti de losers par les banques russes. Ils feront donc exactement là où leur maitre leur dira de faire et rien de plus.

Tout augmente et surtout les promesses du pitre. Ainsi pas moins de soixante treize milliards sont promis pour son grand plan d’esbrouffe écologique. Et vu que d’aveux de spécialiste l’ayant rencontré il ne comprend strictement rien au changement climatique et plus globalement aux enjeux qui nous attendent, ce sera donc soixante treize milliards dans le vent. A moins que ce soit un autre fond Marianne visant à se goberger sur le dos d’un martyr, ici le nôtre. Mais la question que je me pose, vu que la dette a également augmenté à la somme farubileuse de trois mille milliards, que l’Allemagne ne veut plus contribuer au « quoi qu’il en coûte » de l’imbécile du ministère de l’économie, Bruno Anus Le Maire. Que les marchés financiers sont de plus en plus frileux vis-à-vis de l’excessivement dépensier abruti de l’Elysée, où va-t-il donc trouver cette somme ? Evidemment dans notre poche rapiécée. Donc tout va continuer d’augmenter, et surtout les impôts. Le taux de prélèvement obligatoire actuel se situe à 45%. C’est-à-dire que sur cent euros de bénéfice, l’état, (et ça sans compter la dette abyssale qui est un impôt en devenir) nous vole littéralement 45% des cent euros… un record dans l’histoire de la Vème…. et dire qu’il y en a qui se croient « libres » en étant auto-entrepreneur, cette grosse arnaque faites aux pauvres…. Oui décidément beaucoup de chose augmente dans ce pays. L’écart entre les riches et les pauvres, les impôts, le coût d’à peu près tout, la faim de dix millions de français. Tout sauf les baffes dans la gueule de cet imbécile poilu. Quel dommage.

Légende, Part 2.

Manuel avait mal au bras. Les flics l’avaient malmené, il s’était plaint qu’il était blessé. Alors ils l’avaient fourré dans une salle nue, sans caméra et avec un anneau au sol, et l’avaient foutu à poil, comme une bête. Soi-disant pour l’examiner mais surtout pour l’humilier, le rabaisser, de sorte que quand viendraient les OPJ il serait bien tendre, mouton, agneau. Qu’ils aillent se faire niquer. Pourtant une blouse blanche était bien venue et avait conclu à une blessure par balle. Alors les cagoulés l’avaient secoué.

  • Où est-ce que tu t’es fait ça ?
  • En tombant à moto.
  • Tu t’es prit une balle à moto ?
  • Le toubib raconte n’importe quoi !
  • Tu sais ce qui se passe quand on se prend une bastos, des fois y’a des éclats qui restent, on pourrait regarder dedans si c’est le cas, qu’est-ce que t’en dis ?

Le toubib avait tout nettoyé, il était confiant mais qu’est-ce qu’ils avaient à lui faire leur numéro de Gestapo ?

  • Eh qu’est-ce que vous avez contre moi exactement hein ? Queue dalle alors filez moi mes fringues et libérez-moi !
  • Mais c’est qu’elle nous donnerait presque des ordres la salope !
  • Ferme ta gueule, tu feras ce qu’on te dit c’est tout, dit l’autre en lui filant un coup de pied dans les jambes.

Manuel avait la haine. Ils le laissèrent là encore une heure, puis on le libéra en lui jetant ses fringues et en lui ordonnant de s’habiller. Après quoi sans plus d’explication, ils le fourrèrent dans un fourgon avec Tahir, direction le palais de justice de Paris. Malik faisait une sale gueule, il brûlait de lui demander ce qui s’était passé pour lui, ce qu’ils lui avaient raconté, mais pas devant les deux cagoules qui les accompagnaient. Finalement ils furent à nouveau séparés, l’un devant le juge, l’autre en compagnie des deux clowns à cagoule dans un autre bureau. L’un d’eux s’approcha de lui avec son portable et lui montra une courte vidéo de quinze très longues secondes en ce qui le concernait. On le voyait nettement, armé d’un AK47 qui mitraillait pour sauver le convoi de Kader. Rafales après l’autre, tout en se déplaçant.

  • Ca fait chier hein ?
  • Putain ! Ne put il s’empêcher de grogner.
  • On a réussi à empêcher que ça échoue sur les réseaux, t’as de la chance.
  • Vous lui avez montré ?
  • Non, on a juste sous-entendu qu’on avait un truc contre lui.

Quand la porte du bureau s’ouvrit sur un grand type longiligne et à la mine de carême.

  • Capitaine ? S’exclama Manuel.
  • C’est quoi ces conneries Balestra ? Vous vous êtes cru dans un western ou quoi ? C’est pas l’Afrique ici mon vieux !
  • J’essayais de sauver leur peau.
  • Ce n’est pas votre rôle ! Les serbes étaient filés par la BRI, ils étaient à trois cent mètres de vous quand vous êtes intervenus, vous vous rendez compte du bordel que vous avez failli foutre !? Le ministre en personne a dû intervenir pour qu’ils ne bougent pas.
  • Des dommages collatéraux ?
  • Non ! Et encore heureux ! Vous n’êtes pas capable de vous tenir ? Vous êtes à deux doigts qu’on vous retire cette mission.
  • Je pars à Culiacan la semaine prochaine.

Le capitaine fronça les sourcils.

  • C’est sûr ?

Manuel, ou Dieu sait quel nom il avait en réalité, sorti son portable de sa poche et mis en route l’enregistrement des négociations. L’appareil lui avait été imposé par Tahir, bidouillé par un gars de l’équipe, indétectable et intraçable il enregistrait sans même qu’il ait besoin d’actionner une commande.

  • Trois ans qu’on attend ça ! Marmonna le cagoulé à ses côtés en ôtant son masque.
  • On est encore très loin du but, sermonna le capitaine, des nouvelles de Dubaï ?
  • Je ne les ai pas encore rencontrés si c’est ça la question, Tahir est très discret sur ce sujet.
  • Il peut c’est eux qui blanchissent son argent, commenta son voisin.
  • Bien vous allez sortir du territoire, vous ferez ce qui sera nécessaire sur place mais en attendant plus de conneries, c’est compris Balestra ?
  • Oui, oui, soupira l’intéressé.

Deux heures plus tard Tahir et lui était dehors avec les avocats du premier.

  • Il y aura des conséquences je vous le promets, cette arrestation était complètement illégale, déclara Maitre Laborde.

Malik était raide et silencieux, il monta dans le taxi sans un mot pour elle ou les autres et fit signe à Manuel de se dépêcher. Pendant la moitié du trajet il ne décrocha pas un mot et Manuel n’osa pas le déranger dans ses ruminations.

  • Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé ? Dit-il brutalement.
  • Où j’étais le 20 octobre… Je ne savais même quand c’était le vingt…
  • Ils t’ont frappé ?

Manuel lui raconta la danse qu’on lui avait fait subir.

  • Bande d’enculés. On s’occupera de ces fils de pute plus tard, je te promets.

Il ne lui demanda pas comment, il pensait à autre chose. A cette vidéo qu’un connard avait trouvé le moyen de faire. C’était quoi ce monde bizarre où les gens préféraient risquer leur vie pour un quart d’heure de gloire plutôt que d’aller se foutre à l’abri ? Le retour en avion se passa sans heurt, accueilli à l’arrivée par Saïd, Kader et un troisième larron, et immédiatement le ton monta.

  • Qu’est-ce que tu fiches ici !? Je t’ai dit de rester avec Abdallah !
  • Fais chier Dubaï ! Je déteste cette ville !
  • Putain mais t’as déjà tout ici et là-bas t’avais encore plus ! Il te faut quoi à la fin !?
  • Le monde Mani, le monde ! Plaisanta le petit frère.

Mais Malik n’avait pas envie de rire.

  • Connard ! Et toi Kader qu’est-ce que tu fous ici avec ta patte folle ? Vous vous êtes cru à une réunion de famille !? Vous croyez pas qu’on a assez d’emmerdes !? Foutez-moi le camp !

Un peu décontenancés ils obéirent, avant que Malik n’ajoute.

  • Et toi Saïd interdit de sortir de la propriété !
  • Ouais, ouais…
  • Non pas « ouais, ouais » si je te chope dehors je te jure je vais te dérouiller !

Ca avait dû arrivé dans le passé parce que tout d’un coup son frère regardait ses pieds. Kader l’entraina par le bras, ils disparurent pendant que les deux autres montaient dans la Jaguar. Un modèle des années 70, gris argent, lustrée comme un bijou, bien tape-à-l’œil. Malik Tahir était sorti des HLM et ne comptait plus jamais y retourner. Avec une habileté de Machiavel il était parvenu au sommet de son business par un jeu combiné d’alliance entre cousins au pays, de rencontres opportunes dans le sud de l’Espagne, de violence calculée, et du fine stratégie financière. Manuel, de son vrai nom Emmanuel Balestra, agent contractant d’une organisation gouvernementale sans existence officielle, connaissait son dossier par cœur. Malik Tahir, âge : quarante-deux ans, né le 9 juillet 1981 à la Duchère, arrêté de multiples fois, port d’arme illégal, outrage et rébellion, trafic de stupéfiant, agression a main armée, vol avec effraction mais envoyé en prison deux fois. Première peine à Saint Paul, dix-huit mois, seconde trois ans à Villefranche, l’enfer de l’incarcération. Après il s’était apparemment rangé des voitures, avait repris ses études en prison, suivi un master en commerce international et même obtenu un MBA quand son père était décédé suite à une bagarre sur un chantier. A partir de là il s’était exclusivement occupé de faire vivre les siens, en relation avec un oncle dans le business. Un oncle qui avait des connections au Maroc, les fameux cousins. Ses amis en Espagne étaient non seulement corses mais aussi marseillais, anglais, écossais, et émiratis. Les corses avaient des amis à Paris, en politique et ailleurs, les marseillais des réseaux de distribution, les anglais et les écossais en avaient d’autre. Les émiratis avaient les circuits du blanchiment. Pendant un temps, il avait également fait équipe avec une bande de braqueurs. Trois fourgons blindés et quinze millions d’euros plus loin, il commençait à investir dans la coke. Et accessoirement passait sur les radars de la BRI. Brigade de Recherche et d’Intervention qui finit par sauter la moitié de la bande. L’autre moitié était toujours en cavale dix ans plus tard mais on soupçonnait Tahir d’avoir fait plus que financé les braquages. La BRI avait refilé le tuyau à l’Office Centrale pour la Répression du Trafic Illicite de Stupéfiant qui l’avait à son tour inscrit sur ses tablettes, rayon nouvel acteur et gros client. C’était à peu près vers la même époque qu’il s’était acheté le manoir, vers 2010, il n’avait même pas encore trente ans. Alors bien entendu on avait envoyé les polyvalents, mais ce con payait ses impôts rubis sur l’ongle, fort de son affaire comme entrepreneur dans la restauration. Au nez et à la barbe de tout le monde il avait racheté une grosse entreprise de fourniture de produits pour la dites restauration. Et même sans la came il aurait très bien gagné sa vie. Mais il était ambitieux et il voyait loin celui-là. Assez loin pour sentir venir la justice la plupart du temps, un savon, une anguille qui s’en sortait à chaque fois que les flics essayaient de le coincer. Comment un type aussi intelligent pouvait se tourner vers une activité aussi merdique que la drogue ? Ça le dépassait un peu. Mais ce qui l’intriguait surtout, et qui intriguait l’unité de onze hommes dédiée à cette mission c’était son lien avec le terrorisme. Il y avait eu le 13 Novembre 2015. La plupart des armes étaient passées par un nervi de l’extrême-droite. On en avait saisi d’autre chez lui et dans une cache qu’il avait. Et on était finalement remonté jusqu’à Tahir. Une caisse de Kalachnikov et un fusil sniper lourd Barret, qu’il avait vendu pour une bouchée de pain, comme un cadeau. Le Barret n’était pas une arme de terroriste mais ça restait une arme de guerre, une arme anti véhicule et ça pouvait servir à percer une tire-lire, comme les voyous appelaient les fourgons blindés. Son organisation était spécialisée dans le contre-terrorisme, et tout ce qui était de près ou de loin lié à cette activité était une cible prioritaire pour eux. Pendant qu’on enquêtait autour de Tahir et de ses relations, il avait appris l’arabe, il avait appris l’histoire de la lutte pour l’indépendance basque, il avait appris les mœurs de la légion étrangère, s’était même entrainé avec eux dans la jungle pendant trois semaines. Bref il était devenu un autre, appris sa légende tellement par cœur qu’il en avait fait comme une seconde peau et parfois quand il rêvait, il rêvait qu’il était cet autre, Manuel Ibarrax aka Pablo Ignacio Sanchez. Tahir décrocha son téléphone qui bourdonnait dans sa poche et se mis à parler en arabe.

  • Ouais ? Ah salut Fazil comment vas-tu ?… ouais, je t’écoute… ok parfait, on sera là dans une heure.
  • Qu’est-ce qui se passe ? Demanda Manuel.
  • Tu verras bien…

Il se pencha vers le chauffeur.

  • On va à Vénissieux et prévient Milo.

Pendant que l’un enclenchait son kit main libre, Tahir soulevait l’accoudoir entre eux deux et découvrait deux automatiques Browning. Manuel n’osa pas répéter sa question quand il lui refila un des pistolets en lui disant :

  • Prends ça et t’occupes.

Ils roulèrent pendant une petite heure jusqu’à un restaurant retiré derrière une haie boisée. Le genre d’établissement pour mariage et banquet avec son parking et une cour intérieure où se tenaient quatre hommes assis autour d’un verre sur des chaises de jardin, et autour d’eux, Milo et six balaises qui faisaient comme des poteaux de rugby. Quatre d’entre eux étaient armés de pistolet-mitrailleur Scorpion VZ61, l’arme favorite des voyous serbes. Les deux autres d’en face les observaient façon loup-garou, Milo également. Les quatre se levèrent à leur arrivée. Le plus vieux, un turc au sourire d’or et d’ivoire, les salua, se félicitant de leur venue.

  • Je vois que nous sommes entre personnes raisonnables.
  • Je l’espère, dit Malko Dovescic, le patron des serbes.

Crâne raz, visage acéré, une balafre qui courait sur son cuir chevelu jusqu’à l’oreille droite, souvenir de la guerre, le serbe n’essayait même pas de ressembler à autre chose que ce qu’il était. Avec son survêtement de marque, sa gourmette et ses chaines en or, ses Nike dernier cri. Il puait le petit potentat des Balkans

  • Moi aussi mais d’abord va falloir t’expliquer. Pourquoi t’as essayé de faire tuer mon frangin ?
  • On voulait pas le tuer, on voulait l’envoyer à l’hôpital, t’envoyer un message. Si ton copain n’était pas intervenu on en serait resté là.
  • Bah voyons bientôt ça va être de sa faute !
  • Il a tué deux de mes cousins, on a joué on a perdu mais qu’il fasse bien attention à lui…
  • Allons, allons pas de menace, tança Fazil.

Manuel fixait le serbe, regard vide, déterminé, un mot, un geste et il le tuait de sang-froid.

  • En effet t’as joué t’as perdu mais on n’est pas là pour parler du passé non ? Laissons nos morts là où ils sont tu veux ?
  • Qu’est-ce que tu proposes ?

A nouveau le turc s’agita.

  • Ah non mon ami qu’est-ce que toi tu proposes comme réparation ?

Les yeux du serbe s’étrécirent, on le sentait agacé. La brute contrariée, celle qui pouvait vous péter à la figure comme une grenade, juste parce que la frustration était intolérable à son petit crâne. Mais Manuel ne bougea pas, un œil sur les trois colosses aux aguets eux aussi.

  • J’ai deux cent kilos de comprimés d’ecstasy, je vous les donnes.
  • Tu te fiches du monde !? Intervint à nouveau Fazil.
  • Je ne comprends, on s’était mis d’accord.
  • Il n’y a pas d’accord qui tienne avec les chiens comme toi ! Aboya alors Fazil. Soudain les colosses au Scorpio s’approchèrent et enfilèrent des sacs en plastique sur la tête du serbe et de son associé. Sac qu’ils zippèrent avec du flexible. A peine dix secondes et les deux étaient par terre à s’étouffer en essayant de défaire le garrot.
  • Tu as osé t’attaquer à mon ami sur mon territoire ! Tu as osé faire la guerre au milieu de ma communauté ! Tu t’es pris pour qui sale chien ! Dit Fazil en se levant de sa chaise si vite que celle-ci roula sur le gravier.
  • Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ne réponds rien !? Tu as du mal à respirer ? Attends je vais t’aider…. Voilà je t’aide….

Et tout en disant ça il lui ouvrait le bas du ventre avec un couteau à cran d’arrêt long comme ça, prit dans sa poche. Ils les regardèrent mourir gravement, sans un mot, sans un geste de plus, une minute durant. Une très longue minute à regarder l’un partir le visage violet, les yeux presque hors de la tête, l’autre cracher du sang, se tortiller en râlant avant de mourir dans un gargouillis et un pet sonore.

  • Dégueulasses jusqu’au bout ces porcs, commenta l’homme assis à côté de Fazil.

L’intéressé s’essuya les mains avec une serviette que lui apporta un des anciens sbires du serbe. Manuel se demanda ce qui leur avait promis contre leur trahison.

Parfois quand il fermait les yeux, qu’il n’avait pas fumé un joint pour dormir, pour faire redescendre le stress, il se souvenait. Des images de cauchemars qui se mêlaient à d’autres. Il avait participé à une opération au Mali, à une autre en Centre Afrique, il avait vu des gens manger d’autres gens, il avait vu des femmes et des enfants se faire massacrer à la machette, au gourdin, à la hache. Des choses qu’on n’oubliait pas ou difficilement. Mais avec ce qu’il savait du Mexique, il redoutait le pire, le type qu’ils rencontraient cette semaine, Ismaël Mario Zambada Garcia aka « El Mayo » avait une réputation de crocodile. Et tandis que son imagination mélangeait tout, les faits rapportés et les actions qu’il avait menés, agité sur son lit qui transpirait, un des gars rentrait dans la chambre comme un chat et lui secouait l’épaule.

  • Eh Manu, y’a le patron qui veut te voir.

Son bras se détendit comme un cobra, lui saisissant le biceps et l’attirant de force vers lui pour lui coller mécaniquement son arme contre les dents. Le pistolet ne quittait jamais le lit. D’ailleurs il était toujours armé, même sous la douche.

  • Eh oh frérot doucement ! Cool ! Tout va bien ! C’est moi c’est Laurent !

Un des petits jeunes qui entourait Saïd, un garçon sérieux pour ce qui l’en avait vu. Manuel rangea son arme.

  • Excuse-moi, dis-lui que j’arrive.
  • Hein ? Je reviens pas sans toi moi !

Il poussa un long soupir.

  • Okay… okay, souffla-t-il en se levant pesamment.

Tahir l’attendait dans son bureau en compagnie de Milo, Kader, et trois autres gars qu’il n’avait jamais vus. Mais immédiatement il sentit que quelque chose clochait. Les types avaient l’air de militaires de carrière, et il en avait assez vu lui-même dans sa vie pour les reconnaitre au premier regard.  La taule laissait sa trace sur un visage souvent. Le creusait, il laissait une forme de violence sourde, et pour certain c’était comme s’ils n’arrivaient jamais à sortir de leur cellule, même libres. Et bien l’armée c’était pareil, ils continuaient de porter l’uniforme, même en jean comme ceux-là.

  • Comment ça va Manuel ? Demanda Malik sur le ton de la conversation.
  • Euh.. bien, bien… tu voulais me voir ?
  • Ou est-ce Pablo ?
  • Hein ?
  • Pierre, Paul, Jacques, Hervé…. Ouais il a bien une tête d’Hervé tu ne trouves pas Milo ?
  • Une tête de petit enculé de menteur, ça oui.
  • Qu’est-ce qu’il me traite de menteur ce connard ? Grogna alors Manuel tout en regardant en douce ce qui allait pouvoir lui être utile quand ça partirait en sucette.
  • Allons machin, soit sage, insista Malik en le braquant maintenant avec son Browning.
  • Mais qu’est-ce qui te prends patron, pourquoi il me traite de menteur !?
  • Parce que t’en es un ! Aboya alors un des militaires de carrière.
  • T’as jamais été au Mali avec nous ! dit son voisin.
  • La seule trace qu’on a de lui c’est un stage en Guyane et il a déserté il parait, affirma le dernier en sortant une matraque télescopique de sa poche de blouson.
  • Tu vois nous autres dans la légion on n’aime pas les menteurs, ajouta Milo avant de le frapper avec sa propre matraque dans les reins. Douleur intolérable qui lui fit plier les genoux après quoi ils se jetèrent à quatre sur lui et le dérouillèrent à grands coups de pieds dans les couilles et coup de matraque sur tout le corps. Manuel avait déjà subi ce genre de dérouillée à l’entrainement et sur le terrain. Il encaissa le temps d’attraper son karambit et de taillader le tendon d’Achille de Milo qui s’effondra en criant, incapable désormais de se tenir debout autrement que sur une jambe, handicapé à vie. Manuel lui taillada l’autre tendon avant de parvenir à se dégager et faire face aux autres, en garde. Tahir tira assez prêt de sa tête pour le distraire, les autres en profitèrent pour se jeter sur lui et le débarrasser du couteau. Un tabassage plus loin il se retrouvait attaché sur une chaise, et Tahir qui demandait qu’on aille lui chercher sa perceuse.
  • Alors t’es qui toi ?
  • Putain… enculé, je vais te tuer toi et tous ceux qui sont ici !
  • Tsss, allons machin, moi je veux juste savoir la vérité, dis la moi et on oublie tout.
  • La vérité putain ? Laquelle ? Celle de ces connards ? Si j’étais pas avec la Légion au Mali comment ça se fait que je connaisse le Bebel Bar à Bamako ? Comment ça se fait que je connaisse le sergent José Pasquale du groupe Jaguar ? Hein !?

Manuel parlait très vite maintenant que la perceuse était dans la pièce.

  • Qu’est-ce qu’il raconte ?

Les deux autres avaient l’air de se le demander. Mais le troisième lui balança une grande mornifle dans la figure.

  • Arrête de mentir fils de pute ! Tu oses prononcer le nom d’un de nos morts, putain je vais te finir.
  • Il est mort devant moi connard ! Lui et trois autres gars, c’est moi qui ai ramené leurs cadavres !

Et tout était vrai, même s’il n’avait pas participé à cette action sous l’uniforme de la Légion. Quant au Bebel Bar c’était le QG des légionnaires en ville, et les autres militaires y étaient persona non grata. Cette fois les autres eurent l’air plus hésitants.

  • Vous m’expliquez ? Demanda à nouveau le trafiquant.
  • Jaguar c’était le nom d’un groupe de chez nous, spécialisé dans le nettoyage. Le sergent et trois de ses hommes se sont fait allumer dans le village deTéneni en désarmant des EEI.
  • Kesako ?
  • Engin Explosif Improvisé, expliqua Manuel.
  • Ouais, sauf qu’il y a un problème, t’es mentionné nulle part dans cette opération.
  • Mais oui je suis sûr que t’es dans le secret des Dieux mon gros, même que t’as tout mon dossier militaire. Eh connard j’ai pas déserté, j’ai été envoyé en opex.
  • Qui peut le garantir ?
  • Personne, parce que personne n’était censé être là-bas, tu me suis ? C’est quoi ces militaires de mes couilles Malik ? Ils font les malins et ils ne savent rien du métier ?

Un bon mensonge est une demi vérité, lui avait dit une fois un instructeur. Ces mecs étaient peut-être de la carrière, mais ils n’étaient ni officier, ni sous-off, il l’aurait parié. Des gradés auraient peut-être gratté pour voir, il savait que son service avait tout bétonné derrière lui. Mais parfois une indiscrétion…

  • Alors ?
  • Je suis sûr qu’il ment, affirma le troisième et coriace de la bande. Fais-y des trous, il va chanter je te garantis.
  • Et moi je crois pas, décida soudain Malik en rangeant son arme. Libérez-le.

Les légionnaires protestèrent.

  • Faites ce que je dis putain et décarrez de mon bureau !

Plus tard, une fois libéré et un verre de scotch d’excuse dans la main, Tahir lui demanda ;

  • Pourquoi tu ne m’as rien raconté ?
  • Raconter quoi ? Je suis pas censé en parler, à personne. Et puis merde c’est le passé oui ou non ?
  • Oui et alors ?
  • Alors je vis pas dans le passé, marcher à reculons c’est bon pour les cloportes.
  • Sauf que si tu m’en avais parlé de tout ça, t’aurais pas cette gueule.

Un cocard à chaque œil, des douleurs dans les bras, les jambes, le bas-ventre, les flancs, le crâne et les dents de devant qui branlaient.

  • Et si t’étais moins parano non plus, putain de merde j’ai sauvé la vie de ton frère, de Kader, de tes hommes et c’est comme ça que tu me traites !?
  • Il y avait un mouchard dans le téléphone du gamin qui conduisait ta bagnole, on a pensé que c’était Moussah, mais comment être sûr ?
  • Et maintenant tu l’es ou tu vas me passer à la gégène pour le fun ?
  • Bois ton verre et arrête de dire des conneries.

Tahir était intelligent, et parce qu’il l’était, il était dangereux. Mais il avait découvert une facette de lui qu’il aurait préféré ignorer, son sadisme. Pourtant comparativement à leur interlocuteur de ce mardi-là, c’était un enfant.

  • Soyez les bienvenues au Sinaloa, dit Ismaël Zambada en anglais, en les accueillant chez lui dans une de ses haciendas.
  • Senior Zambada es un honor, répondit Tahir avec une déférence qu’il ne lui connaissait pas.

Le successeur d’El Chapo avait un visage ramassé, à la mâchoire empâtée, aux lèvres fines, les yeux froids et durs d’un noir intense, ridé comme une pomme. Une fine moustache grise suivait sa bouche tombante jusqu’à la commissure. Soixante-quinze ans, la peau brunâtre et tavelée, il lui faisait penser à un vampire avec des mains de cultivateur. Il portait une saharienne jaune safran, un jean et des bottes de cowboy bicolores et il s’échappait de lui comme une énergie juvénile presque anormale.

  • Allons, allons, pas de ça entre amis no ? Dit-il avec un enthousiasme tranquille. L’honneur est pour nous tous, si ?

Malik lui répondit mécaniquement par un de ses sourires commerciales.

  • Bien sûr que oui, dit-il en anglais, je vous présente Manuel, un de mes associés.
  • Encantado senior, venez, il fait chaud, si nous allions déguster une citronnade  en casa.
  • Avec plaisir.

Esteban et Enrique étaient présents eux aussi, et sans leurs beaux costumes sur mesures ils avaient l’air de rancheros en attente de transhumance. Tous les quatre suivirent le maitre des lieux à l’intérieur. L’hacienda était remplie d’hommes en arme, et animée d’un personnel discret de femmes de chambre, servantes et gouvernantes ; les seules femmes visiblement admises ici. Ils entrèrent dans un salon assez vaste pour y accueillir une petite compagnie aérienne, décoré avec ce goût particulier qu’ont certains voyous voulant se donner des airs de respectabilité. Ça sentait l’ancien, la Nouvelle Espagne, donnait le sentiment d’avoir toujours appartenu à une noble famille aux racines castillanes au lieu d’être la propriété d’un ancien paysan du Sinaloa, sorti de la tourbe grâce à son génie de la botanique et sa férocité légendaire. Un goût et une attitude qu’il partageait avec le trafiquant français. Cigares et citronnade, tout le monde assis sur des fauteuils confortables en osier blanc, et Tahir qui commençait à présenter son business plan.

  • Voilà, grâce à notre ami commun le prince je suis en mesure de garantir un réseau de distribution sur la moitié sud de la France, de Paris à Edimbourg en passant par Londres et Bruxelles. J’ai également des contacts à Berlin qui seraient intéressé par votre produit.
  • Bien des destinations, et vous avez toutes les protections et les appuis nécessaires ?
  • J’ai les corses et la Mocro derrière moi, je suis en pourparlers avec le clan Kinahan.
  • Vous m’impressionnez senior Tahir, j’ignorais qu’il y avait des gens à votre mesure en France.

Malik ne répondit rien mais ses yeux calculaient. Manuel écoutait, enregistrait et observait sans observer. Les gestes, les regards, les mouvements inconscients, tous les signes généralement invisibles pour le commun. Il surveillait les allées venues des gardes armés, et avait déjà pris en compte les objets qui les entouraient, leur létalité potentielle, les voies de replis.

  • Mais les prix que vous proposez sont indécemment bas. Le marché évolue, la cocaïne a chuté à soixante-cinq euros le gramme en Europe. L’avenir est aux produits de synthèse j’en ai peur et sur ce marché nous sommes sévèrement concurrencés par l’Asie et même les gringos.
  • J’entends bien mais je dois tenir compte de mes frais généraux, vous les connaissez tous, transport, stockage, distribution, sécurité, renseignement, protection… Actuellement le ministère de l’intérieur fait du zèle en vue des élections, guerre à la drogue et avec la nouvelle législation en Allemagne nous allons perdre une partie du marché du cannabis. Oh une petite partie en ce qui me concerne, je vous le concède mais avec les dernières mesures du ministère cette situation pourrait devenir endémique.
  • Allons vous connaissez comme moi les politiques, ils sont tous les mêmes, d’ici vos élections il sera passé à autre chose et je suppose sans peine que vous avez les liquidités pour tenir le temps nécessaire.

Malik ne pouvait dire le contraire sans perdre la confiance du vieux.

  • Bien entendu, je peux encaisser un manque à gagner sur deux ou trois ans, mais au-delà je perdrais de l’argent.
  • Parfois il faut accepter de perdre pour gagner plus. Enrique…
  • Voilà ce que nous vous proposons, dit ce dernier en décroisant les jambes.  Vingt-quatre mille l’unité si vous distribuez pour nous nos produits de synthèse avec un ratio de dix kilos pour une tonne de cocaïne.
  • De quoi parlons-nous ?
  • Métamphétamine et Fentanyl
  • A une condition, je ne vends rien sur le territoire français.

Enrique fit la grimace.

  • Une perte de bénéfice importante pour vous comme pour nous.
  • Peut-être mais ça en sera une plus importante encore si mes protections politiques me lâchent, et elles me lâcheront si je me mets à vendre du Fentanyl.

Les mexicains se consultèrent du regard.

  • Soit, combien êtes-vous prêt à mettre sur la table immédiatement ? Demanda Esteban.
  • Dix tonnes pour commencer à vingt-trois l’unité.
  • Considérant vos obligations territoriales et les conséquences sur nos bénéfices, nous ne descendrons pas en-dessous de vingt-sept, expliqua Enrique.
  • Dix tonnes avec une garantie de vingt-cinq tonnes pendant deux ans ; que nous reverrons à la hausse les années suivantes, rappela le trafiquant français.
  • J’ai peur que ça ne suffise pas, laissa alors tomber El Mayo. Entendons-nous bien, je comprends et partage vos préoccupations concernant certain de nos produits. Es una mierda ce Fentanyl. Une drogue qui tue un client sur cinq ce n’est pas bon pour les affaires. Mais que voulez-vous après la crise de l’Oxycodone de nouvelles opportunidades ce sont présentées si, et nous ne pouvions pas les ignorer.  Et puis il faut tenir compte désormais de l’effet de mode. Les gens sont comme ça, déraisonnables. La consecuencia est que nous arriverons bientôt en surproduction pour los Estados Unidos, ce qui n’est pas forcément un bien si certain marché nous sont interdits. La fabrication est assez simple quand on dispose des bons produits, mais notre fournisseur principal dans ce domaine est chinois. Or les chinois ne partagent pas notre mode de financement, ils veulent être payés avant livraison et en cash. Vous comprenez maintenant à quel genre de problemos je suis confronté si ?

Chacun avançait ses pions. Malik réfléchissait, les positions rigides étaient exclues dans les affaires et parfois il fallait aller contre ses intérêts immédiats pour avancer.

  • Je comprends, en l’état je ne peux rien garantir mais j’ai peut-être un biais pour distribuer vos produits de synthèse sans passer par mes réseaux. Le marché de la cocaïne est en hausse en France, cela compense la baisse générale des prix et appel à une offre démultipliée. Les colombiens ont commencé à implanter des laboratoires en Espagne pour leur cocaïne et la Mocro est bien en place pour dominer le marché européen en ce qui concerne le indoor et la fabrication de produits de synthèse. En résumé la concurrence est rude et je comprends et partage moi-même vos préoccupations financières, même si nous n’avons pas les mêmes et que je ne peux aucun cas me situer sur la même échelle que vous.
  • Qu’essayez-vous de nous dire ? Demanda Esteban avec un sourire un peu confus.
  • Dans la mesure ou je peux garantir votre distribution pour le synthétique, à combien seriez vous prêt à me vendre le kilo si au lieu de vous prendre dix tonnes tout de suite et vingt-cinq sur deux ans, je prenais trente tonnes immédiatement avec une garantie de quinze tonnes sur trois ans ?

Les autres échangèrent des regards surpris.

  • Trente tonnes d’un coup, pour votre territoire, c’est un gros risque no en période de « guerra contra las drogas », dit le patron en mimant les guillemets et utilisant son premier argument contre lui.
  • Vous n’avez pas tort mais actuellement nous en sommes à la théorie du « pilonnage » des points de deal, selon les propos de notre ministre qui se croit sur un théâtre d’opération. Ca ne sert à rien sur le terrain mais ça distrait les naïfs. Ce qui est intéressant tout de suite, et tant qu’il s’en limite à cette politique de l’esbrouffe, c’est le Havre et Marseille. Avec votre aide et mes contacts nous pourrions séparer la livraison en deux, quinze tonnes pour le nord, à l’export, et quinze par Marseille que nous distribuerons par mes circuits.
  • Il y aura la question du stockage, en combien de temps pensez-vous que vos stocks seront épuisés ?
  • Je dirais six mois un an.
  • Trente tonnes donc… et puis quinze sur trois ans, soit un total de soixante-quinze tonnes sur quatre ans. Vous pensez vraiment pouvoir absorber une telle quantité et nous payer dans les temps ? Demanda Enrique.
  • Oui.
  • J’admires votre confiance, remarqua El Mayo, soit admettons que nous suivions, nous vous proposons vingt-mille le kilo, cela monte la note à six cent millions d’euros, il me semble que c’est beaucoup pour votre organisation no ?
  • J’ai crédit ouvert auprès de notre ami commun, révéla Malik. Et je dispose actuellement d’une provision de cent cinquante millions disponibles immédiatement. A titre d’avance par exemple.
  • Restera donc quatre cent cinquante millions que vous pourrez régler combien de temps après la livraison ?
  • Un délai de trois mois, contenu de mes obligations vis-à-vis du prince.

Les autres hochèrent la tête, le deal leur plaisait.

  • J’avoue que vous m’intéressez senior Tahir, vous avez l’envergure que nous souhaitons pour la France, et la France, et bien est un beau pays idéalement situé. Un de mes très bons amis a même payé les vacances d’un de vos anciens présidents quand il nous a rendu visite ici.

Manuel en profita pour intervenir.

  • Laissez-moi deviner Nicolas Sarkozy ?
  • Ah, ah, ah, oui ! Je vois que vous le connaissez bien.
  • Pas personnellement, rassurez-vous.

Le vieux sourit en regardant les autres qui rigolaient.

  • Ah oui bien sûr mais dites moi qu’elle est votre rôle dans nos négociations ?
  • Aucun senior j’écoutes c’est tout, et je ferais ce qu’on me demandera quand le temps sera venu.
  • Ah un soldado ! Muy bien.
  • Un peu plus qu’un soldat, fit alors Malik. Manuel sera mon garant auprès de vous.

Balestra en aurait presque bandé s’il n’avait pas été par ailleurs sur le qui-vive, exactement ce qu’ils espéraient

  • Qui est-il exactement pour vous ? Demanda le vieux en fixant Manuel comme un morceau de viande.
  • Il a sauvé la vie à mon petit frère et il a sauvé également une de mes cargaisons et la vie de mes hommes.
  • Je vois, un homme providentiel….
  • Il était dans la Légion et il a été au front, c’est un garçon intelligent, il pourra vous être très utile si besoin.
  • Je n’en doute pas… parlez-vous une autre langue que l’anglais senior ?
  • Si arabe et espagnol, lâcha Manuel comme un aveu, enfin je le baragouine

Malik lui jeta un coup d’œil de biais.

  • J’ai appris au Mali, dit-il en genre d’excuse.
  • Perfecto. Vous pourrez peut-être nous éclairer sur certaines subtilités que nous ne comprenons pas toujours avec nos amis de Dubaï.
  • Je l’espère.

Les mexicains savaient recevoir. On lui confia une maison avec jardin à deux pas du centre-ville, la gouvernante, la servante et le chauffeur, armé, étaient compris dans le lot. Ainsi que les deux filles qui l’attendaient dans sa chambre. Manuel les renvoya, il n’était pas d’humeur et il avait besoin de tranquillité. Le plus facile était fait et il le savait. Et s’il avait été clairement en danger jusqu’ici, il était plus encore maintenant qu’il était loin de ses bases. Il ignorait également si les autres étaient arrivés. Tout avait été préparé largement en amont, planque, point de repli, les armes fournies depuis l’autre côté de la frontière. Pour le moment, tout ce dont il était sûr c’était que son référant et un autre gars étaient sur place, quelque part. D’autant assuré qu’ils avaient voyagé dans le même avion. Il n’avait aucun moyen de les contacter pour le moment si pour une raison ou une autre ça tournait mal, mais heureusement sur la table de chevet, se trouvait une grande boite pleine de mota, comme ils disaient ici, marijuana sinsemilla, l’herbe magique qui avait lancé le cartel de Guadalajara et Miguel Felix Gallardo, le pionnier du trafic. Balestra connaissait l’histoire des cartels, de leur naissance dans les années 80 à aujourd’hui. Il se roula un joint et alla le fumer dans le jardin.

  • Patron vous voulez boire un café, une bière ? Quelque chose ? Demanda le chauffeur en le regardant passer.
  • Ouais, une bière bonne idée.

Il y avait un hamac suspendu entre le jardin et la chambre, il s’y installa et dégusta sa Corona et son joint en pensant à la suite. Demain il devait participer à la réception d’une importante livraison de cocaïne en provenance du Venezuela. Il n’en savait pas plus, ni où ça devait se passer, ni avec qui. Enrique lui avait présenté Roberto, leur chef de la sécurité. Ce dernier lui avait tiré le portrait et prit ses empruntes en lui expliquant que c’était la procédure. Les mexicains avaient tout ce qui fallait en matière de sécurité et de renseignement, soutenu par des hackers russes payés à prix d’or et des petites mains dans le monde entier. Son passé, sa légende serait examinée à la loupe et si jamais quelque chose merdait, s‘il y avait la moindre faille, alors ça risquait d’être chaud pour lui. Balestra était quand même confiant, son organisation travaillait en commun accord avec la DGSE et la DGSI. En dehors de son groupe personne ne savait ce qu’il faisait ou même sous les ordres de qui. Mais si jamais la police mexicaine ou américaine lui tombait dessus, alors il serait seul et sans la moindre aide. Ce n’était pas sa première mission, avant celle-ci il avait infiltré un réseau de prostitution également lié au terrorisme. Une affaire qui l’avait conduit jusqu’en Syrie, traiter deux cibles prioritaires. Il avait côtoyé quelques-unes des pires ordures de la terre, des proxénètes albanais et turcs, et aussi des trafiquant d’organes croates. Plus glauques que ces derniers d’ailleurs, impossible. Les prostituées des deux sexes venaient du Moyen Orient, et des pays de l’est, Syrie, Turquie, Liban, Iraq, Serbie, Roumanie, Kosovo, Tchéquie, Albanie… de quatre à vingt-et-un ans… Parfois il se demandait comment il n’avait pas encore craqué devant tant d’horreur dans sa vie. Balestra avait trente-deux ans, viré de chez lui par son père à treize ans après qu’il l’ait dérouillé devant sa mère et sa sœur. Dérouillé pour les protéger de ce connard. Et viré avec elles deux. Il s’était démerdé seul pendant un an, avait été pris en main par une tante, mais sa vie c’était la rue. A dix-huit ans il fréquentait des voyous corses de la Brise de Mer. Juste des connaissances et une grande admiration de gamin. Il aurait peut-être pu mal tourner mais au trois jours l’armée lui avait fait une proposition. Les trois jours étaient passés à quatre, et  ensuite…  Il fit une petite sieste, bien défoncé comme il aimait. Ce n’était pas ce qu’il préférait comme sensation mais c’était un bon moyen de s’enduire les nerfs de zenitude, comme disait un de ses amis. Et il avait précisément besoin de ça, besoin de ne pas stresser, rester cool. Tout en sachant qu’une petite partie de lui restait lucide et en alerte. C’était son truc à lui, il gardait toujours une part de lucidité même noirci à l’alcool, et cette qualité lui avait déjà sauvé la vie plusieurs fois. Combien de temps il dormit ? Aucune idée mais il fut réveillé comme il détestait qu’on le réveille, en fanfare. Esteban et six de ses hommes, tous déjà bien allumés et déterminés à l’entrainer avec eux voir Culiacan by night. Difficile de refuser. Et les voilà en route pour la Estrella del Sur, la radio à fond sur un air de narco corrido à se passer une bouteille de Téquila Héradura étiquette or, tout en enchainant les lignes de cocaïne.

  • Eh le français t’en veux pas !? S’écria Esteban par-dessus la musique alors qu’un plateau plein de coke passait de mains en mains, chacun sa trace ou deux.
  • Non merci, je suis le conseil d’Elvira.
  • Elvira c’est qui cette pute ? Demanda un des hommes en fourrant son nez directement dans la neige.
  • Scarface, la copine à Tony, ne jamais devenir dépendant de ce qu’on vend.

Les uns et les autres se regardèrent incrédule, mais Esteban savait de quoi il parlait.

  • Ah si Tony Montana, sage décision, sage conseil no ?
  • Le plus sage, mais il n’a pas écouté.
  • Oui, pauvre Tony….
  • C’est quoi que vous parlez ? demanda un des plus jeune de la bande.
  • Un film des années 80, expliqua Manuel.
  • Mouais, les films en noir et blanc j’aime pas ça.
  • Cabron, rigola Esteban, c’est un film en couleur, ça parle de la vida loca.

Quel âge avait le gamin, quinze ans, seize ? En tout cas s’il était avec eux c’est qu’il devait déjà en avoir pas mal sous la ceinture.

  • Oui moi je l’ai vu, super film approuva le chauffeur en longeant le trottoir devant la boite de nuit.

Il y avait du monde, une queue qui devait bien faire la moitié du pâté de maison, mais pour les hommes d’El Mayo, passe-droit obligatoire et même le physio et le portier qui les saluèrent chaleureusement. Ils grimpèrent bien entendu au carré VIP rejoindre un autre groupe, et pendant que les uns dansaient, chacun avec une fille, les autres buvaient et parlaient fort entre deux lignes, deux pétards.

  • Alors français, il parait que t’as pas voulu de mes putes ? Elle te plaisaient pas ? C’est pas grave je t’en enverrais des mieux C’est quoi tes goûts ? Lui demanda un géant en s’approchant.

Manuel leva la tête pour apercevoir son regard, putain que ce con était grand.

  • Désolé, j’étais un peu fatigué. Sinon j’aime bien tous les genres du moment qu’elles sont jolies.
  • Fais attention avec Marco mon ami, c’est un sorcier, ses femmes peuvent t’ensorceler, lui souffla Esteban dans un nuage de téquila et d’herbe.
  • Ah, ah, ah ! Rigola Manuel en apercevant le calibre doré sous la veste du maquereau.

C’était bien le seul à le porter discret. Tous les hommes étaient armés dans le carré VIP. Flingos d’apparat, chrome et ivoire, nacre et damasquinage. Ainsi ils passèrent la soirée à boire, fumer, rigoler, sniffer et avaler des cachets colorés et rigolos. Balestra goba un comprimé d’ecstasy, fini par se faire une trace mais il fit semblant de boire et ralenti la fume. Il connaissait sa chimie, il avait déjà fait des combinaisons pour se tester. Et ce n’était pas alors pour le plaisir mais sur ordre. En vue de cette mission précisément. A Rome on fait comme les romains, lui avait un jour dit son référent. Aussi quand plus tard dans la nuit Marco les entraina dans un bordel, on lui donna une fille et il la baisa dans une piaule misérable, derrière un rideau de perles pendant que les autres en faisait de même. Qu’elle âge elle avait ? Seize, dix-sept ? Elle lui en avoua dix-neuf mais il en doutait. De toute façon il n’avait pas eu le choix, fourrée de force dans ses bras par ceux de Marco qu’il avait comme des troncs. Un test. S’il l’avait refusé à nouveau, les autres l’auraient pensé pédé et c’était pas bon.

  • Como se llama amor ? Demanda-t-il après l’amour.
  • Maria, dit la fille en se rhabillant lassement.
  • Ca fait longtemps que tu travailles ici ?
  • Tres años
  • Et ils te traitent bien ?

Haussement d’épaule, question stupide se dit-il. Ils restèrent un petit moment à picoler et rigoler avec les filles dans la cantina en face, puis Manuel expliqua qu’il était temps d’aller se coucher s’il voulait être en forme pour demain.

  • Demain ? S’écria Enrique qui les avait rejoints, mais on est déjà demain Manuel !

En effet il était quatre heure trente.

  • Ouais et d’ailleurs va être l’heure de décoller, annonça le géant en consultant sa Rolex or.

Plus question de dormir donc.

  • Un petit remontant, vous auriez pas un petit remontant ? Questionna Manuel en souriant de toutes ses dents.

Esteban lui passa son joint.

  • Tiens fumes, elle est pura celle-là.

Cocaïne et sinsemilla, le cocktail favori des sicarios. Ça valait pas le brown brown d’Afrique, cocaïne et poudre noir mais c’était déjà bien. Ils embarquèrent dans deux pickups Toyota, Enrique lui tendit un sac de jute.

  • Excuse nous amigo, pour le moment on fait comme ça bueno si ?

Balestra enfila le sac en se disant qu’il était maintenant en total roue libre, absolument seul, et que n’importe quoi pouvait arriver. Avait-il peur ? Plus de l’appréhension que de la peur mais quoi qu’il se passerait ce soir, quoi qu’il arriverait ce serait le moment où toutes ses années d’entrainement et d’expériences allaient donner tout leur sens.

L’aube et les montagnes se confondaient dans un même bleu. Sur la piste d’atterrissage orange qui traversait le plateau touffu de jungle, deux Antonov gros porteur étaient en phase de déchargement. Deux autres pickups étaient déjà là.

  • Tu viens gringo ? On va les aider, dit joyeusement le gamin à côté de lui.
  • Me llamo Manuel, y tu ?
  • Guillermo mais tout le monde m’appelle El Carnicerito.

Le Petit Boucher, tout un programme, se dit Balestra.

  • Et il y a un grand boucher ?
  • Mi papa, il m’a tout appris.
  • Oh, de père en fils alors.
  • Si !

Et on sentait sans mal la fierté. Un grand sourire et plus absolument rien dans les yeux. Balestra connaissait ce regard, parfois il avait le même. Ils aidèrent donc les gars à décharger les pains de cinq kilos en formant une chaine jusqu’aux véhicules. En une demi-heure tout était emballé et les pickups repartaient. Cagoule obligatoire évidemment pour le retour. Au bout d’une heure de route environs on lui arracha son sac de la tête et on lui confia un AR 15. Ils n’étaient plus seuls, deux véhicules de la police fédérale les accompagnaient, mitrailleuse lourde 20 millimètres pointée vers le ciel comme si on craignait une attaque de drone. Ils traversèrent villages et bourgs à grand train, ils traversèrent plaines et collines sur une route en lacet chassant devant les véhicules sur le passage à grand coup de sirène flic. Jusqu’à ce qu’à nouveau il soit obligé de renfiler son sac de jute. Cette fois ce fut plus long avant qu’il soit autorisé à retirer son masque, deux ou trois heures de route pour parvenir dans une zone pavillonnaire en construction. Là ils déchargèrent la marchandise qui disparue, engloutit dans les pavillons aux mains d’autres hommes.

  • Ces enfoirés de Juarez nous ont coupé la route del norte, expliqua plus tard Enrique, alors on payent une taxe à Tijuana pour nos stocks au nord, mais tôt ou tard on les écrasera tous.
  • Et pour notre marchandise ?
  • Pas de problème, nous avons des accords avec le Cartel del Golfo, et ils haïssent Juarez et Tijuana tout comme nous autres. El jefe a plus d’un tour dans son sac, ah, ah !

Deux semaines étaient passées depuis leur dernière livraison. Il avait été contacté par son référent et l’avait rencontré dans une planque louée à l’année par la DGSE. Villa avec piscine dans les collines qui surplombaient Culiacan. Il avait fait son rapport, avait discuté de la stratégie à suivre pour les semaines à venir, mémorisé les dossiers de tous ceux qu’il avait identifié. Et le plus terrifiant de tous était sans doute celui du petit Guillermo. Guillermo Vega, aka El Carnicerito, dix-sept ans, soixante et un meurtres avérés au compteur, arme de prédilection : le couteau. Spécialité, la torture. Fils d’Anton Vargas-Vega aka El Carnicero plus de deux cent meurtres à son compte, arme de prédilection, la machette, spécialité : faire disparaitre les corps. Belle famille. Il fut convenu qu’il devait passer du temps avec toute cette bande qui tournait autour de Zambada. Apprendre à les connaitre, et se fondre dans le groupe. Mais la mission qu’on lui confia avant de repartir ne l’enchantait pas le moins du monde.

  • Vous voulez que je fasse quoi !?
  • Ne me fait pas répéter c’est pas négociable, les ordres viennent directement de Paris.
  • Non mais ils se rendent compte que les autres sont sécurisés comme la putain de CIA ?
  • Balestra ferme-là et écoute, ordonna son référent.
  • Flippe pas, ce bijou est indétectable, et on a déjà un drone qui surveille leurs allées venus.
  • D’où ça sort ça ?
  • Les américains. Tu penses ils sont trop contant de nous donner un coup de main, continua de lui expliquer Tom, le spécialiste des écoutes de l’équipe.

Ce n’était pas son vrai nom sans doute mais ça lui allait bien. Tom comme Tom et Jerry, tant il avait l’air d’un chat avec ses yeux en amande et sa manière de bouger. Balestra n’aimait pas ça, plus de gens étaient au courant de leur opération, même une information fragmentaire, plus les risques de se faire trahir étaient grands, et il n’avait strictement aucune confiance dans les américains. Pas exactement ni les rois de la discrétion, ni de l’approche subtile. Mais puisque c’était les ordres…

Légende, Part 1.

Le Mât du Taureaux, Vaux la Soie, dans la banlieue lyonnaise. Une réputation comme ça depuis quarante ans. Il y avait un marché aux voleurs, il avait été effacé dans les années 90. C’était un point de deal, et les flics venaient régulièrement faire le ménage, en vain. De toute manière tout le monde savait que si on ne pouvait pas se fournir là il y avait encore les Minguettes, Vénissieux, le Totem à Villeurbanne… On parlait tout le temps de Marseille à cause du sang chaud qui coulait là-bas, mais la région lyonnaise, plaque tournante. Et pas besoin de faire des grimaces pour acheter du shit, de l’herbe, de la MDMA ou de la coke, les dealers étaient rois, et la clientèle tournait à plein régime dans l’indifférence générale. Pas comme dans les rues de Panam où la racaille se prenait pour Tony Montana, faisait des films quand ils ne connaissaient pas le client, et vous servaient au rabais. Pablo connaissait bien le sujet, il était descendu de Paris pour se faire embaucher sur un chantier, et en bon consommateur il appréciait la différence notable de service. Il entra dans le bar, son quarante au fond de la poche, et commanda une bière. Ne remarquant pas les regards de travers qu’on lui jetait. Trois grands types autour d’un guéridon et deux autres assis près du bar, tous avec le même œil. Pablo avait vingt-huit ans, blond, pas très grands mais avec les épaules larges et les mains épaisses de celui qui travaille dans le bâtiment. Ceux qui le jaugeaient avaient des gabarits similaires.

  • Désolé chef c’est fermé là, lui expliqua le patron derrière le comptoir.
  • Ah ouais ? Et eux alors ?
  • Eux c’est pas des clients c’est des amis. Allé faut partir maintenant.

Pablo regarda autour de lui et surpris les airs qu’on lui jetait. La peur commença insidieusement à l’envahir.

  • Ouais bin faut fermer la porte en ce cas, protesta-t-il quand même.
  • On t’a dit de te casser ! Fit alors sèchement un des gars près du comptoir. Un jeune, peut-être vingt cinq ans, un grand. Casse-toi.
  • Eh connard je bougerais quand je veux, rétorqua alors Pablo piqué au vif.

Il avait peur mais justement il était du genre que ça excitait. L’autre gars près du comptoir s’avança et le saisi au col pour le pousser dehors.

  • Dégage on t’a dit !

Au lieu de quoi Pablo lui saisit le poignet et lui brisa d’un coup sec. C’est là que ça dégénéra.

  • J’appelle à la barre Monsieur Pablo Sanchez.

Pablo avait quelques bleues sur le visage, une côte enfoncée, du mal à respirer et les mains marquées par les coups. Il se leva de son banc et s’approcha la mine penaude.

  • Veuillez vous présenter je vous prie, réclama le juge.
  • Pablo Ignacio Sanchez, ouvrier en bâtiment.
  • Monsieur Sanchez dans la journée du 18 août de cette année vous avez agressé cinq personnes au fait que vous ne vouliez pas sortir d’un établissement fermé, reconnaissez-vous les faits ?
  • Si c’était fermé pourquoi j’étais à l’intérieur !?
  • De plus, continua le juge sans s’émouvoir, quand vous avez été arrêté vous étiez en possession de cinq grammes de résine de cannabis, c’est bien ça ?
  • C’était pas pour moi, expliqua Pablo en regardant ailleurs.
  • Monsieur Sanchez, reprit le juge, vous rendez-vous compte de la gravité de la situation ? Je lis sur votre dossier que vous avez déjà été condamné à six mois avec sursis pour des faits similaires. Vous pensez vraiment que la justice va laisser passer cette fois ?
  • Eh dans les deux cas c’est les autres qui ont commencé !
  • Mais oui bien entendu vous n’êtes qu’une victime dans l’affaire, n’est-ce pas ?
  • Bah oui.
  • Ce n’est pas mon point de vue, vous êtes un ancien légionnaire, légion de laquelle vous avez fini par être renvoyé pour, encore une fois, des faits de violence sur un officier. Ce type de comportement est inadmissible en société et il déshonore le corps auquel vous avez eu l’honneur d’appartenir. Je vous condamne donc à deux ans d’emprisonnement et quatre mille cinq cent euros de dommages et intérêts.
  • C’est dégueulasse ! Beugla Pablo avant d’être embarqué, direction Corbas.

Pablo n’avait jamais été en prison. Et comme tout le monde il avait dans la tête tous les clichés afférant. La violence, les viols, les clans, des clichés essentiellement dispensés par les séries et les films américains. Alors il entra là-dedans méfiant de tout et de tous. Ses codétenus s’appelaient respectivement Kevin et Saïd. Le premier avait tout juste vingt et un ans et l’autre dix-neuf. L’un tombé pour cambriolage l’autre pour deal. Et si Kevin était du genre à se vanter, qu’à l’écouter il était de la graine de caïd, Saïd était son opposé. Tranquille, discret, studieux, toujours le nez dans un livre.

  • J’ai fait une connerie, disait-il, normal que je paye mais c’est la dernière fois, je reprends mes études.
  • Peuh, les études ça sert à rien, intervint Kevin, couché sur son lit, un magazine auto à la main. Moi j’ai arrêté en troisième et à dix-sept ans j’avais vingt mille euros à moi.
  • Et t’en as fait quoi ? Demanda Pablo.
  • Bah je les ais dépensé c’te question. Faut faire du biz c’est tout. La maille y’a que ça dans la vie de nos jours.
  • Et t’as jamais travaillé ?
  • Travailler ? Pourquoi faire ? Je braque deux maisons de bourgeois et je suis refait pour six mois mec !

Pablo comprit rapidement que Kevin ne brillait pas par son intelligence au contraire de l’autre. Et très vite il se contenta de l’ignorer, lui, ses bruits de pet, son amour du foot et des bagnoles, ses jeux vidéo sur lesquels il pouvait rester des heures, un casque sur les oreilles, monopolisant le téléviseur. De toute façon Pablo n’aimait pas particulièrement la télé mais il fallait bien faire quelque chose, alors il emprunta des livres au petit Saïd et commença à se lier d’amitié comme ça. Le gamin était vif, cultivé, Pablo appréciait d’autant qu’il n’avait lui-même jamais eu une scolarité autre que chaotique, et une culture lacunaire qui parfois le complexait. L’un dans l’autre, pendant six mois tout se passa bien ou à peu près. Il éclatait bien des disputes entre eux, mais l’âge de Pablo, son calme, faisait souvent autorité pour calmer le jeu. Puis Kévin fut transféré pour une raison qu’ils ignorèrent, bientôt remplacé par Ahmed. Ahmed était plus vieux qu’eux deux, un peu plus de la trentaine et prétendait être tombé pour vol de voiture. Il prétendait beaucoup de chose d’ailleurs. Être membre d’un réseau de voleurs, de ne braquer que des voitures de luxe et d’être déjà tombé avec des vrais, des caïds qui lui avaient enseigné plein de trucs. Mais surtout ses codétenus s’aperçurent rapidement qu’il était accro à la cocaïne et que ça le rendait irritable. Prendre des cachets est mal vu en prison. On se ramène rapidement une réputation de malade de la tête et plus personne ne veut trainer avec vous, ne vous fait confiance d’autant que vous êtes du coup dépendant de l’administration. Alors Ahmed s’en passait mais ça le tannait et quand ça le tannait trop, que les cravings le rongeaient et qu’en plus pour se calmer il avait fumé quelques pétards, il devenait mauvais.  Généralement il s’en prenait au petit, l’asticotait sur ses livres, sa culture, Pablo laissait faire, c’était pas ses oignons. Parfois il poussait un peu plus loin, le défiait au bras de fer par exemple et Saïd qui ne voulait pas se laisser faire acceptait pour mieux se faire humilier et tordre le bras. Mais parfois aussi c’était sur Pablo que sa frustration s’exerçait.

  • Eh l’espingouin tu veux faire un bras de fer ? Chuis sûr que je te nique.
  • Nan.
  • Pourquoi t’as peur ?

Pablo leva la tête du jeu de dame.

  • De toi ? Réfléchit bien.

Dit avec un tel regard, une telle assurance que sur l’instant l’autre rengaina sa langue. Saïd ne put s’empêcher de sourire avant de lui manger deux pions.

  • Et pourquoi tu te marres le morpion ?
  • Je me marre pas, répondit le jeune homme sans se retourner.
  • Fils de pute ! S’exclama Pablo entre ses dents, ses deux pions envolés et sa garde enfoncée.
  • Je t’avais dit, tu te laisses distraire, sourit à nouveau Saïd.

Quand Ahmed donna un violent coup de pied dans le tabouret de Saïd, le faisant tomber.

  • Eh connard tu vas arrêter de te foutre de moi !?
  • Eh mais il est pas bien lui, protesta le jeune.

Alors Ahmed se leva de son lit et marcha sur lui poings serrés.

  • Qu’est-ce t’as-tu veux que je t’encules !?
  • Mais vas-y reste tranquille je me marrais pas, je souriais parce que je gagne !
  • Ah ouais, ouais p’tit con gagne alors il fait le gros.
  • Mais non !

Saïd ne savait plus quoi faire, coincé entre lui et la porte et Ahmed qui le fixait meurtrier.

  • Vas-y, lâche-le, intervint alors Pablo.
  • T’as dit quoi toi !? S’écria l’autre en se retournant
  • Fout lui la paix, il n’a rien fait et tu fais chier.

Le tabouret vola vers lui, Pablo se prit un des pieds dans le front, assez violemment pour lui laisser une marque et le faire tomber à son tour.

  • Je vais t’enculer fils de pute ! S’avança Ahmed, le second tabouret à la main.

Pablo lui jeta ses pieds dans les tibias et évita le tabouret en roulant sur lui-même.

  • Fils de pute je vais te niquer ! Beugla à nouveau Ahmed alors que Pablo se redressait.

Mais il n’en eut pas l’occasion. Un coup de poing de maçon dans le foie et il était KO. L’incident n’eut pas de conséquence parce qu’Ahmed d’une part avait compris sa leçon et d’autre part il s’était arrangé pour en recevoir de temps à autre de l’extérieur. Comment ? Personne ne voulait savoir du moment que ça le tenait calmos… Mais dès lors l’amitié entre le jeune et lui se resserra. Saïd était discret sur son passé, ses amis, sa famille. Il donnait typiquement l’impression du petit arabe de cité, né de parents venus direct du bled, plus intelligent que la moyenne et qui voulait montrer autre chose de lui que la caricature que faisaient de lui les médias, le français moyen. Bien sûr comme tout le monde son passage dans la légion l’intriguait, est-ce qu’il avait fait la guerre tout ça, mais Pablo n’était pas beaucoup plus disert sur le sujet que le gamin sur celui de sa vie au dehors. Dans la cour ou en salle de sport, avec les autres ça se passait d’autant bien que ni Saïd ni Pablo ne se mêlaient. Bien entendu un ou deux marioles avaient essayé de tester ce dernier, l’ancien légionnaire les avait bien vite remis à leur place, sans coup mais avec l’aplomb d’une barre de fer. Saïd en avait pris pour dix-huit mois et pendant un an tout se déroula sans trop de problèmes d’autant que Pablo découvrit qu’en réalité le petit faisait la nourrice pour les téléphones. Jusqu’au jour où les surveillants les firent sortir de la cellule et la retournèrent de bas en haut. De la fouille ressorti trois portables et un jeu de puces glissé dans un paquet de café soluble.

  • A qui c’est ? Gueula le surveillant général, appelé en renfort.

Pas de réponse.

  • A qui c’est ou vous allez tous au mitard.
  • Eh moi j’y suis pour rien putain ! Protesta Ahmed.
  • Je veux pas le savoir, ou le responsable se dénonce où vous allez tous au mitard.

Ils allèrent tous au trou pour quinze jours. Un lit en béton et une paillasse, un évier et un seau pour chier et rien à faire pendant des journées et des nuits entières, livre interdit, communication interdite, et si tu te rebiffes, les surveillants entrent et tu passes un sale quart d’heure. Pablo s’occupa en faisant des exercices, pompes, squats et shadow boxing. Saïd déprima en silence. Mais Ahmed, privé de sa dose hebdomadaire, n’en put rapidement plus et fini par balancer un nom en échange d’un retour en cellule. Celui de Pablo. Les surveillants déboulèrent un matin avec la brigadière, une peau de vache qui ne laissait rien passer, et le dérouillèrent pour qu’il parle. A qui était destiné les portables, d’où il les sortait ?

  • De ton cul salope ! Eut le malheur de grogner Pablo alors qu’ils lui avaient passé une matraque sur la gorge.

Alors ils se déchainèrent si bien qu’il passa la semaine suivante, toujours au trou, avec le nez et deux côtes cassées. Il fut finalement amené à l’infirmerie, où il passa deux semaines. Deux semaines où des prisonniers lui apportèrent du chocolat et des livres en douce de l’administration. Mais comme il avait refusé de collaborer il en prit pour trois mois supplémentaires.

  • Merci, dit Saïd quand il retourna finalement dans sa cellule.
  • De rien mais t’arrête les conneries hein.
  • Juré, on s’est arrangé autrement de toute façon.

Pablo ne demanda pas qui était on mais soupçonnait maintenant son copain d’avoir le bras plus long qu’il ne l’aurait imaginé. Quant à Ahmed ils l’avaient changé de bâtiment. Dans l’ensemble, la vie en prison était plus tranquille qu’il ne l’avait imaginé. Il fallait accepter de dormir avec puces et cafards, parfois un rat qui se faufilait, et question violence, et bien là aussi il avait été heureusement surpris. Quelques bagarres bien sûr, des règlements de compte dans les escaliers et les coursives, plus ou moins violents, plus ou moins radicaux. Mais finalement, contenu du nombre de prisonniers rapporté aux sous-effectifs du personnel pénitentiaire, Corbas était une prison relativement sûre.

  • Non ! J’y crois pas ! S’écria Saïd qui venait de recevoir du courrier de son avocat.
  • Qu’est-ce qu’il y a ?
  • Je sors après-demain frère !
  • Non ? Libération anticipée ?
  • Ouais ! Trop de la balle !
  • Je suis super contant pour toi.

Ils se rendirent à la salle de sport sur cette bonne nouvelle. Deux, trois mecs étaient déjà là à s’entrainer sur les altères. Saïd qui se trouvait trop fin s’était mis au développé-couché sous la surveillance de son copain et ils se mirent au travail sans s’occuper des autres. Mais le gamin avait plus envie de parler que de s’entrainer.

  • Je vais pas t’oublier t’inquiètes, je t’enverrais des colis hein.
  • T’occupes, je vais me débrouiller.
  • Non, non, tu peux même pas cantiner à cause de ta putain d’amende c’est pas juste.
  • Ouais, c’est la galère, mais bon t’inquiète j’ai vu pire, dit Pablo en remarquant les quatre costauds qui venaient d’entrer.

Il y avait quelque chose dans leur allure qui ne lui plaisait pas. L’un d’eux fit un signe et les autres gars dans la salle sortirent l’un après l’autre en regardant leurs pieds. Les surveillants avaient disparu, le costaud de tête montra Pablo et Saïd du doigt, les autres approchèrent. C’est là où Pablo remarqua qu’ils étaient armés.

  • Toi barres toi on n’a rien contre toi, annonça celui qui avait fait signe aux autres de sortir en s’adressant à Pablo.

Ce dernier se tourna vers un Saïd tout pâle.

  • Putain mais t’es un vrai nid à emmerde toi ! Dit-il se faisant mine de reposer l’altère qu’il avait dans la main.

Mais soudain il faisait volte-face et balançait son poing alourdit de dix kilos de fonte dans la figure du plus proche. Ca fit un crac caractéristique et immédiatement les trois autres se jetèrent sur lui. Coup de poing dans la gorge, coup de coude dans la figure, coup de pied dans couilles, au genou. Pablo en dégagea deux mais le troisième parvint à le coincer contre une machine. Pendant quelques secondes ils luttèrent, l’un essayant de planter sa lame artisanale, l’autre lui bloquant le bras tout en lui enfonçant le pouce dans l’œil. L’œil qui se mit à sortir de son orbite jusqu’à ce que son propriétaire fasse un pas en arrière. Alors Pablo se saisit de son bras et lui déboita le coude. L’autre regarda incrédule son avant-bras qui pendouillait dans le mauvais sens avant de se prendre un pain de maçon qui l’envoya rouler. La bagarre aurait pu s’arrêter là si le moins amoché de la bande ne s’était relevé pour lui taillader le dos. Pablo poussa un grognement d’ours avant de lui faire face et d’éviter de justesse de se faire tailler le visage. Un direct dans le foie et un autre à la tempe, son agresseur roula par terre inconscient quand soudain les surveillants déboulèrent se jetant à leur tour sur lui avant de l’aplatir de coups.

  • Sanchez, parloir !
  • Hein ? Qui est-ce qui veut me parler ?
  • Ton avocat, allé on se grouille !

Deux mois plus tard, quelques cicatrices en plus et placé à l’isolement depuis la bagarre qui les avait presque tous envoyés à l’infirmerie, Pablo jouissait de sa solitude et de la satisfaction d’avoir bien fait. Des rumeurs disaient bien qu’il y avait un contrat sur sa tête mais ça ne l’inquiétait curieusement pas plus que ça. En plus le petit avait tenu parole et lui envoyait des colis toutes les deux semaines. Du chocolat blanc parce que c’était son préféré, des bouquins d’histoire et des romans de science-fiction. Ainsi sa solitude était peuplée d’êtres extraordinaires et historiques, de paysages lointains et exotiques, d’aventures comme des rêves d’ailleurs. D’autant intrigué qu’il n’avait pas d’avocat autre que celui commis d’office qui ne lui avait servi à rien, Pablo se rendit donc au parloir accompagné par deux surveillants. C’était pourtant bien un avocat qui l’attendait, ou plutôt une avocate, mignonne, et qui se présenta comme maitre Laborde, avocate pénaliste.

  • J’ai été désigné par monsieur Tahir pour vous représenter.
  • Saïd ? S’étonna Pablo. Eh c’est gentil mais j’ai pas les moyens moi !

L’avocate le considéra quelques instants, l’air de dire qu’il ne brillait pas par son intelligence, avant de lui confier.

  • Non son grand frère, et ne vous inquiétez pas, mes frais sont pris en charge.

Il avait échappé à un nouveau rallongement de peine. Le surveillant général avait parlé en sa faveur en raison des armes qu’on avait retrouvé sur ses agresseurs. L’avocate lui annonça qu’elle allait faire sauter les mois supplémentaires, qu’il sortirait très bientôt. Et en effet, à peine le mois terminé et on lui annonçait sa libération anticipée, sortie sèche, sans aménagement. Pablo était en réalité à la rue ou quasi. Avec l’amende, qu’il payait chaque mois un peu, et son loyer à Bagnolet, il n’avait plus un sou et aucune perspective d’avenir. Il ne savait même pas comment rentrer sur Paris ! Mais à sa grande surprise, on l’attendait dehors. Trois voitures mêmes. Un SUV Mercedes et deux Audi noires, lustrées comme dans une pub, dont Saïd sorti pour l’accueillir.

  • Putain mais c’est quoi tout ça ? t’as gagné au loto petit ?
  • Ah arrête t’es con c’est à nous, à la famille, allé viens, je vais te présenter.

Très impressionné et intrigué comme jamais Pablo entra dans la voiture, immédiatement accueilli par de solides effluves de shit. Un type avec des chaines en or autour du cou, dans un survêt Tacchini blanc, un calibre apparent dans le pantalon, lui tendit un gros pétard et lui dit :

  • Salut moi c’est Kader, tu fumes ?

Pablo s’empara du joint avec gourmandise. En prison il avait fait vœu de chasteté à ce sujet faute de moyen pour s’en acheter, mais là… là c’était bon comme jamais.

  • C’est bien ce que t’as fait mec, t’assures, lui dit alors le chauffeur en démarrant.

Pablo ne savait pas quoi répondre alors il ne dit rien, tirant avec exaltation sur le joint.

  • Il parait que t’as été dans la Légion, demanda Kader. T’as fait la guerre ?
  • Lâche-le avec ça , il aime pas en parler, dit Saïd.
  • Ouais, j’ai été au Mali, raconta tout de même Pablo, encouragé par sa soudaine bonne humeur.
  • C’était comment ?
  • La merde.
  • T’as tué des gars ?
  • Vas-y arrête on t’a dit ! Protesta le gamin.
  • On s’en fout ce que j’ai fait là-bas, se mura alors Pablo en lui rendant le joint.

Il n’avait pas de bons souvenirs de l’Afrique, et aucun besoin qu’on le ramène là-bas par cette formidable journée. Kader n’insista pas mais lui posa quand même une chiée de questions sur lui. Est-ce qu’il avait un boulot, et c’était quoi, une famille et comment ça se faisait qu’il n’avait pas pu cantiner ? Etc… A nouveau c’est Saïd qui mit le holà.

  • Eh vas-y tu veux te marier ou quoi connard !
  • Eh mais on le connait pas ce gars-là je pose juste des questions quoi !
  • Ouais bin mêle toi de ton boule !

Ils finirent par arriver dans la banlieue de Lyon, une superbe propriété avec un manoir au bout d’une allée présidentielle, entouré d’un parc de mille hectares, facile. Saïd l’entraina avec lui à l’intérieur du manoir. Son frère voulait le rencontrer. Le frère en question était un grand type tout en muscles qui saillaient à travers sa chemise Ralph Loren, la trentaine, plutôt beau gosse mais avec le regard dur, froid de celui qui décide.

  • Alors c’est toi qui as sauvé la vie de mon frère.

Pablo ne savait pas quoi dire, il haussa les épaules.

  • Tu sais qui je suis ?

Il fit signe que non.

  • Je m’appelle Malik, Malik Tahir, ça te dis toujours rien ?

Toujours pas.

  • Tant mieux, la publicité c’est mauvais pour le biz…. Bon, on m’a dit que t’as été dans la légion ? C’est vrai ?
  • Oui.
  • Parfait, t’as été au front ?
  • Oui.
  • Parfait, tu comptes faire quoi maintenant que t’es libre ?
  • Je sais pas et à ce propos je voulais vous remercier vous….
  • Me remercier ? Tu rigoles !? C’est toi qui as fini à l’infirmerie pour ce couillon, c’est nous qui sommes en dette ! Ça te dirait de bosser pour moi ?
  • Pourquoi faire ?
  • J’ai besoin de renforcer ma sécurité et tu m’as l’air bien qualifié, alors ça te dit ?

Pas besoin de réfléchir longtemps considérant ses perspectives immédiates. Et c’est ainsi que du jour au lendemain et à cause d’une banale bagarre de bar que Pablo se trouva un nouvel emploi bien payé, garde du corps.

Les blocs de haschich passaient de bras en bras sous la lune montante, Deux 4×4 posés sur la plage face à la mer, et des gars armés autour, pendant qu’on remplissait les coffres arrière. Des blocs de dix kilos, deux tonnes au total. Sur la colline qui dominait la plage Kader et Pablo veillaient au grain de loin. C’était arrivé sans trop de question, un jour Malik lui avait proposé de s’occuper de la sécurité d’un go fast, et comme ça s’était bien passé, il était là ce soir. Leurs agresseurs en prison avaient été identifiés, une équipe de serbes qui essayaient de se faire une place sur le marché lyonnais. Ils s’étaient attaqués aux mauvaises personnes. Malik Tahir avait le bras long et disposait d’un flux financier qui lui permettait d’aligner une armée de soldats. Pourtant Malik avait interdit qu’on tente de se venger. Les affaires avant tout et la guerre c’était mauvais pour le business. Kader n’était pas d’accord avec cette politique et Milo, le chef de la sécurité, prétendait même que ça risquait de leur couter cher. Mais tout le monde était aux ordres. Quant à Saïd, pour sa sécurité, son frère l’avait envoyé chez un ami à Dubaï. Les véhicules chargés ils s’engagèrent sur la route en deux convois distincts qui empruntèrent des routes différentes via la frontière. Kader et Pablo, dans une voiture de tête chacun, coordonnaient l’opération et surveillaient la route. Pablo ignorait ce qui se tramait au-dessus de lui mais des bruits couraient dans la bande que Malik préférait négocier que de se battre et qu’il avait déjà arrangé le coup avec les serbes. Ca lui allait comme ça, lui non plus n’aimait pas la guerre, d’autant qu’il savait à quoi ça ressemblait et ça n’avait rien de glorieux. Par contre ce qui lui allait moins c’était le merdeux qui lui avait collé en pilote. Sa musique, sa conversation, ses questions à la con. Du rap pas cher, des propos de taulard, des questions sur son passé militaire. Il l’avait forcé à couper sa musique, lui avait intimé de la fermé et de se concentrer sur la route, mais l’autre était nerveux et ça le rendait bavard.

  • Excuse-moi frérot hein, je veux pas te manquer de respect hein mais faut que j’parle, ça me détend.
  • C’est ton premier voyage ?
  • Je remplace Moussah, il est malade, et ouais c’est mon premier.
  • Ok alors reste cool et ça se passera tranquille, moi c’est que mon deuxième tu sais, lui avoua Pablo avec un sourire confiant.
  • Oh, moi j’croyais que t’étais un tonton !
  • Non, non.
  • Oh whâ c’est cool qu’ils te fassent confiance alors, si on passe, on fête ça.
  • Arrête de craindre, on va passer.

Et en effet, comme la première fois, ils remontèrent du sud de l’Espagne à Toulon sans pépin. Douze heures de route à bonne vitesse mais sans excès, les uns en suivant la côte, les autres coupant par l’intérieur des terres. Avec une pause toutes les quatre heures. L’organisation de Tahir tournait comme une horloge. Avec du personnel qualifié, un timing, des itinéraires soigneusement choisis, tellement qu’on en oubliait presque la nature illégale de l’affaire et les dangers qui s’y rattachaient. Du moins si on faisait abstractions des fusils d’assaut dans chaque véhicules, AK47 et HKG36 et du pétard que Malik lui avait ordonné de porter comme les autres. Passé Toulon ils prenaient la direction de Décines, dans la banlieue lyonnaise, toujours par des routes différentes. Leurs itinéraires leur avaient été délivrés par messagerie cryptée, la minute avant de déménager de la plage. Il en fut de même pour la seconde partie du voyage. Malik était un obsédé de la sécurité. Était-ce de la paranoïa ou une manière de défendre sa réputation d’horloge, Pablo n’en savait rien mais il appréciait d’autant qu’il n’avait aucune envie de retomber, que les peines pour les go fast étaient sévères.

  • Eh frérot je peux te poser une question ?
  • Arrête de m’appeler frérot, je suis pas ton frère.

Une manie qui l’exaspérait un peu depuis la prison, se donner du « frère » à toutes les sauces alors que tout le monde était prêt à se tirer dans le dos.

  • Eh vas-y fais pas le gros là !
  • C’est parce que je t’ai dit que c’était ma seconde que t’ouvres ta gueule là ?
  • Eh mais parle moi bien toi ! Je conduis là !
  • T’es payé pour ça, alors fait pas chier.

Il n’avait pas envie de discuter, il savait que l’arrivée pouvait être délicate. Ce n’était pas à pleine vitesse sur un autoroute que les flics pouvaient intervenir, et à un péage il y avait toujours le risque d’une fusillade. Mais dans les petites rues de Décines…

  • Mais qu’est-ce t’as ? T’as chié de travers ce matin !?
  • Occupe-toi de la route et m’emmerde pas.

Le chauffeur lui jeta un coup d’œil courroucé mais ne dit plus rien du reste du voyage. Pablo pensait à sa vie, son ancienne et sa nouvelle. Il y avait perdu en honnêteté mais c’était quand même plus facile que de trimballer des sacs de ciment, démolir des murs à coup de masse et creuser des trous. Et puis en plus il était bien payé et pour une âme apparemment simple comme la sienne c’était mieux que tout. Restait à trouver où s’installer. Pour le moment il vivait dans une des dépendances du manoir avec les autres gars, mais ça ne lui plaisait pas. C’était confortable, chacun sa chambre et la bonne rigolade le soir dans un des salons, pas à dire. Pourtant cette promiscuité lui rappelait l’armée, et c’était un passage de sa vie qu’il cherchait à oublier. Milo, le chef de la sécurité, ancien légionnaire lui-même, lui avait posé des questions à ce sujet. Des questions de légionnaire et de flic aussi. Quel régiment, sous les ordres de qui, avait-il une spécialité, qu’avait-il fait au Mali ? Et ça l’avait désagréablement replongé en Afrique. Ils abordaient déjà la région lyonnaise et il n’avait pas vu les heures passer. Kader lui avait envoyé deux messages RAS, la journée était en train de se terminer, ils seraient bientôt à Décines et les deux convois étaient maintenant à un kilomètre de distance l’un de l’autre, les uns sur une nationale, les autres sur une départementale et bientôt traversant la même zone pavillonnaire.

  • Eh qu’est-ce qui branle celui-là !?

Un SUV à une cinquantaine de mètres devant eux qui reculait à toute vitesse. Pablo compris instantanément.

  • RECULE ! RECULE !

Sans réfléchir le jeune embraya et obéit, juste un poil trop tard. Le 4×4 et ses pare-buffles les percutèrent par la droite, déviant l’Audi de sa route qui fit un tête-à-queue avant d’heurter un arbre. Le convoi coupé en deux, l’autre chauffeur tenta à son tour une marche arrière, les occupants du 4×4 surgirent avec leurs armes et mitraillèrent les roues et le moteur, tandis qu’un troisième véhicule bloquait toute retraite. Puis ils encerclèrent le SUV plein de haschich et du bout de leurs fusils d’assaut intimèrent les occupants à se tenir tranquille. Ils portaient tous des cagoules et des gants, chacun avait dans sa ligne de mire un des occupants. La moindre bêtise et ils étaient tous morts avant même de s’en rendre compte. Une des cagoules ouvrit le coffre quand le chauffeur de l’Audi parvint à s’extirper, le visage ensanglanté et fit feu sur un des gars. La balle rata sa cible mais les conséquences ne l’épargnèrent pas, déchiré d’une brève rafale. Un des types du SUV en profita pour tirer à son tour sur celui qui avait ouvert le coffre tandis qu’un autre roulait au-dehors et fusillait avec son AK les jambes d’un des agresseurs. Ce qui déclencha la curée. Quatre fusils d’assaut qui font feu en même temps. Les vitres explosèrent, les corps rebondirent sous la force des impacts, déchiquetés par des ogives de 7,62 millimètres OTAN, du sang courait en rigole de dessous les portières. Pablo, conscient mais vaseux essayait de se dégager et de dégager le G36 pendant que les survivants, planqués derrière le SUV tentaient de sauver leur peau. Ca tirait dans tous les sens, un des agresseurs tomba, une balle en pleine tête, le garçon avec l’AK partit en courant se réfugier derrière un autre véhicule, pendant que son copain en faisait de même, se trouvant si rapidement à découvert que sa mort fut brève et pas même douloureuse. Quand Pablo parvint enfin à s’extirper de l’épave et commença son travail de mort. Tir en rafale de trois, alternés avec du tir de suppression. Il vise pour tuer, et il tue. Personne n’en réchappe, il fait sauter le chargeur, enfile celui qu’il a la ceinture, abat le chauffeur du 4×4, les deux occupants derrière. Abat un par un ceux qui faisaient cercle autour du SUV toujours plein de drogue, et même s’il essuie des tirs, ça semble l’indifférer. Dans un autre état de conscience, transformé en machine et quand une balle finie par lui traverser le biceps, il ne s’en rend même pas compte. D’ailleurs les survivants s’enfuient dans leur véhicule. Il abandonne le G36 et file en courant, son Glock à la main. Il court à en perdre haleine, il court alors qu’il entendait au loin le son caractéristiques des armes automatiques. Il arriva au milieu de la fusillade. Kader derrière la roue de sa berline Turbo qui défendait sa peau contre des assaillants bien planqués, deux cadavres au milieu du croisement, une cagoule qui faisait feu sur le chauffeur de leur SUV qui répliquait depuis l’arrière où il s’était réfugié. Pablo rentre dans la danse sans réfléchir, abat la cagoule dans le dos, lui prend son AK47 et commence à donner le la à la partie adverse. Un des tireurs de d’en face s’en prend deux dans la tête. Un autre se fait exploser les genoux avant de se prendre une rafale dans la poitrine. Un troisième réplique dans sa direction, les balles sifflent à ses oreilles, il ne se laisse pas démonter et le tue à son tour avant que la bande ne s’enfuit laissant cinq d’entre eux sur le pavé. Ils n’étaient pas venus pour se battre mais pour les braquer. Ça ne s’était objectivement pas passé comme ils le voulaient. Malik était fou de rage.

  • Je veux savoir qui c’est ! Je veux savoir qui les as rencardé ! je veux les responsables plantés sur des crochets de boucher !
  • On a peut-être une piste, Moussah s’est fait porter pâle avant le départ, on a dû le remplacer à la dernière minute, expliqua Milo.
  • Un nouveau !? Pourquoi tu ne m’as rien dit !?
  • T’étais à Dubaï.
  • Putain de merde combien de fois je t’ai dit que je voulais être au courant de tout changement où que je sois !? Bordel je dépense des fortunes pour la sécurité ! A quoi ça sert le cryptage putain !
  • Désolé j’ai voulu parer au plus pressé.
  • Résultat sept de nos gars sont morts ! et trois sont chez le toubib, Il est où ce nouveau ?
  • Mort justement.
  • Putain de ta mère !… Bon… va me chercher le légionnaire.
  • Il était pas dans la légion.
  • Qu’est-ce que t’en sais ?
  • J’y étais moi, ces choses-là on les sent nous autres.
  • Quel chose ?
  • Les mythos.
  • Alors où est-ce qu’il a appris à se battre ?
  • Je ne sais pas, c’est bizarre, les autres ont dit que c’était un vrai Terminator pendant l’embuscade, peut-être un flic infiltré.
  • Pablo ? Arrête les conneries et va me le chercher…

Mais alors que Milo allait sortir, il ajouta :

  • Vérifie son histoire quand même…

Pablo entra quelques minutes plus tard, le bras en écharpe.

  • C’est quoi ton vrai nom ? Demanda d’emblée Malik en le fixant dans les yeux.

L’intéressé marqua l’arrêt, comme s’il buggait avant de dire ;

  • Bah Pablo Sanchez pourquoi ?
  • Les mecs dans la légion changent tous de nom, alors c’est quoi le tien ?
  • C’est pas important, se replia Pablo.
  • Ah si mon gars, c’est très important au contraire, je veux savoir à qui j’ai à faire.
  • Manuel Ibarrax.
  • C’est quoi ça ? T’es basque ?
  • Mon daron, ma mère est mexicaine.
  • Laisse-moi deviner, t’as fricoté avec les indépendantistes ? C’est pour ça que t’es parti dans la légion ? Pour te faire oublier.

Il ne répondit pas.

  • Joue pas à ça avec moi petit, ou tu parles, ou Milo te dégage, tu m’as compris ?

Pablo lui jeta un regard de travers, c’était comme ça qui le remerciait d’avoir sauvé sa cargaison ?

  • J’étais minot, je savais pas ce que je faisais, un jour je me suis fait gauler avec des armes…
  • C’est tout ?
  • Les poulets me lâchaient pas, les gars de l’organisation faisaient ceux qui ne me connaissaient pas, j’en ai eu marre….
  • T’es sûr qu’il y a rien d’autres ? T’as fait des actions pour eux ?
  • A part coller des affiches et écrire des revendications sur les murs, non rien.

Malik s’assit dans son vaste fauteuil Louis XV.

  • C’est bien de le dire…  et merci pour ce que tu as fait cette après-midi… t’es un putain d’ange gardien toi on dirait, dit-il en lâchant un de ses rares sourire…. Alors comme ça ta mère est mexicaine ? T’es déjà allé là-bas ?
  • Jamais.
  • Bon, voilà, dans quelques jours je monte à Paris rencontrer des partenaires étrangers, je veux que tu m’accompagnes.
  • Euh, je ne sais pas si je pourrais me servir de mon bras.
  • On va t’arranger, mais t’inquiètes, t’auras pas besoin de tes muscles cette fois, je veux que tu écoutes, c’est tout. Tu crois que tu pourras faire ça pour moi ?

Incidemment Pablo comprit qu’on était en train de le faire grimper dans la hiérarchie et ça ne lui déplaisait pas.

  • Comme tu veux.

Le héros du jour, c’était ce qu’il était devenu, et tous les gars dans la propriété comptaient bien le lui rappeler. On lui avait même amené deux filles, des slovènes, des avions de chasse mais il n’était pas d’humeur à faire la fête.

  • Il y a sept de nos gars qui sont morts et vous voulez faire la fête !? Vous n’avez pas honte !? Vous êtes des animaux ou quoi !?

Tout le monde se regarda gêné, quelqu’un baissa la musique spontanément et les filles allèrent se faire rincer dans un autre salon.

  • Excuse-nous, dit Kader qui était juché sur une béquille à cause des éclats de balles qu’il avait dans la jambe. On voulait pas te fâcher. Tu m’as sauvé la vie grand, sans toi on serait même tous morts.
  • Ouais, c’est vrai ! approuvèrent plusieurs voix dans le groupe.
  • Montrez du respect à ceux qui sont morts plutôt, eux aussi ils vous ont sauvé la vie et ils sont morts pour ça.
  • On va faire ce qu’il faut pour leur famille, dit Malik derrière lui. Maintenant je veux que tu fasses la fête, pleurer va pas les ramener.

Pablo échangea un regard avec lui avant de demander à Kader son joint.

  • Ah la bonne heure ! S’exclama ce dernier.

Milo avait fait renforcer la sécurité autour de la propriété, et Moussah était mort. Deux balles dans la tête, ils l’avaient retrouvé au pied de son lit dans une mare de sang séché. Mort depuis au moins trois jours, soit le jour même du traquenard. Quant aux responsables, ils ne furent pas long à trouver. Les serbes avaient joué et perdu et maintenant, d’après les renseignements de Milo, ils cherchaient du soutien du côté des turcs. Malik promit qu’on en finirait avec eux à son retour de Paris. Ils voyagèrent en avion, classe affaire, Pablo et Malik. Milo avait tiqué à ce propos, qu’on ne savait pas encore à qui on avait à faire, mais le patron avait des projets et il avait besoin de quelqu’un comme Pablo.  Leur rendez-vous les attendait au bar de l’hôtel Méridien, Porte Maillot, deux sud-américains tirés à quatre épingles et typé indien.

  • Comment allez-vous cher ami ? Dit le plus mince des deux en français avec un délicieux accent.
  • Bon voyage ? Demanda l’autre.
  • Très bien merci, Je vous présente Manuel il sera mon assistant pour aujourd’hui, dit-il, surprenant Pablo.
  • Manuel ? Usted es espagnol ? Demanda le mince avec un sourire poli.
  • Vasco, précisa l’intéressé, basque. Mi mama es mexicana.
  • Oh Mexicana ! Somos mexicanos !
  • Oh encantada !
  • Me llamo Esteban, se présenta l’autre.
  • Enrique, encantada Manuel, fit le mince en lui serrant la main.
  • Alors mon cher ami, dit Esteban en s’adressant à Malik où en sont nos projets ?
  • C’est en bonne voie, je disposerais bientôt d’un nouveau réseau de distribution.
  • Bonne nouvelle. Nous allons donc pouvoir parler chiffres.
  • Voilà notre proposition, vingt-cinq mille l’unité et nous nous occupons du transport.
  • Si vous me le vendez au tarif européen je ne m’y retrouverais jamais.
  • J’ai cru comprendre que votre marge sera plus que correcte à Dubaï….
  • Mais je ne toucherais que vingt pourcents des bénéfices globaux. Mon chiffre d’affaires est en Europe, et vingt-cinq mille le kilo c’est trop.
  • Que proposez-vous ? Demanda Enrique suavement.
  • Dix-huit mille le kilo avec une garantie de vingt tonnes par an.
  • C’est beaucoup et c’est bien peu, j’en ai peur.  Comment pouvez vous nous garantir de telle quantité alors que votre réseau de distribution dans ce domaine n’est encore qu’à l’état de projet ?
  • Un projet bien avancé ce qui me permet de vous faire cette promesse.

Les deux mexicain échangèrent un regard entendu.

  • Vingt-trois mille, nous ne descendrons pas plus bas.
  • Alors disons que je veux bien faire un effort, vendez les moi à vingt et un mille et je monte ma promesse à vingt cinq tonnes pendant deux ans, quantité que nous reverrons à la hausse les années suivantes.
  • Nous ne pouvons pas descendre aussi bas. Nous avons-nous aussi des accords, nos partenaires italiens ne comprendrait pas que nous vous vendions à un tarif équivalent.
  • A combien ils prennent ?
  • Dix-neuf mille l’unité.
  • Alors vendez-les moi au même tarif !
  • Allons les italiens assurent eux-mêmes le transport et leur réseau est autrement plus important que le vôtre !

Les tractations se poursuivirent pendant une heure. Les deux mexicains étaient durs en affaire mais sommes ils détenaient un quasi-monopole et comptaient bien s’appuyer dessus. L’importation de cocaïne était en augmentation, surtout depuis que la France s’était retirée du Mali et du Niger. Près de trente tonnes de saisie en 2023 là où jusqu’ici on ne dépassait pas les dix l’an. Tahir prétendait pouvoir assurer une distribution de vingt-cinq tonnes l’an, son réseau de distribution devait être florissant, et la quantité de consommateurs en conséquence. Pablo/Manuel avait du mal à comprendre pourquoi on s’adonnait à ce produit. En ce qui le concernait, même s’il avait déjà goûté pour le fun, le shit lui suffisait bien. D’ailleurs il partait du principe qu’une drogue qui pouvait vous envoyer à l’hôpital ne valait pas la peine d’être consommée. Finalement ils décidèrent que la prochaine discussion, celle qui devrait finaliser l’affaire aurait lieu à Culiacan, capitale du Sinaloa, en présence du jefe, et l’ancien légionnaire ou présumé, fut invité.

  • Alors t’en as pensé quoi ? Lui demanda Malik sur le chemin du retour.
  • Vous parliez coke c’est ça ?
  • Evidemment de quoi d’autres !?
  • Pardon mais les mexicains vendent tellement de merde de synthèse il parait…
  • Comment tu sais ça ?
  • J’ai vu un docu sur Youtube.
  • Non, non, de toute façon je ne fais pas dans le Fentanyl et toutes ces merdes, je laisse ça aux chiens qui ne respectent pas leurs clients.

Un narco avec une éthique ? Devait y avoir une autre raison.

  • Des fois tu m’étonnes patron.
  • Pourquoi ?
  • On dirait que t’as des principes.
  • Pourquoi on dirait ?
  • Je peux te poser une question.
  • Si je peux y répondre….
  • Pourquoi t’as rien fait contre les serbes la première fois ?
  • Hum, excès de calcul… après ce qui s’était passé j’ai cru que ça les calmerait, et je comptais même leur faire une offre de partenariat.
  • Partenaires avec ces enfoirés !?
  • Je me suis renseigné, ils ont des contacts intéressants mais ils ne sont pas raisonnables, c’est dommage… mais peux tu préciser ta pensée, tu crois que je n’ai pas de principes ?
  • Je crois que ça ne doit pas être facile de renoncer à des bénéfices rondelets alors je m’interroge, tu penses vraiment à ta clientèle pour les produits de synthèse ?
  • Allons Manuel, je vends de la coke, du shit, de l’herbe, des ecstas, de la rabla, les clients font ce qu’ils veulent mais moi je chie pas dans mon assiette.
  • C’est-à-dire ?
  • Le Fentanyl, toutes les cames de ce genre, ça fout la trouille et ça pourri tout. Si je me mets à en importer tu sais ce qui arrivera ?
  • Non.
  • Non seulement les flics me lâcheront plus mais surtout j’ai quelques amis qui ne répondront plus au téléphone. Des amis indispensables, tu comprends ?
  •  Je comprends… mais pourquoi vous m’appelez Manuel.
  • C’est bien comme ça que tu t’appelles non ?
  • Si mais c’est pas ce qu’il y a marqué sur ma carte d’identité.
  • T’es encore dans la légion ?
  • Non.
  • Alors qu’est-ce que tu t’emmerde, soit fier, c’est le prénom que t’ont donné tes parents.

Vu comme ça…  Et d’une certaine façon ça le rassurait que l’éthique de Tahir se limite en réalité à ses seuls intérêts. C’était plus clair comme ça, et bien compréhensible.

  • Comment va Saïd ? Tu as des nouvelles ? Demanda-t-il alors qu’ils étaient dans le taxi.
  • Ouais, il veut revenir, il n’aime pas Dubaï…. Merde il a tout là-bas et gratuitement et il n’est pas contant, génération d’enfant gâté !
  • Vos parents vous ont trop gâté tu trouves ?
  • Eh mes parents sont morts, c’est moi qui ai élevé le petit !
  • Ah pardon, j’ignorais.
  • Ah… tu pouvais pas savoir… Mon père s’est tué sur un chantier et ma mère, mskine, elle ne l’a pas supporté. Les médecins ont dit que c’était la dépression qui la tué moi je crois qu’elle est morte de chagrin.
  • Les mots sont moins importants que les faits, c’est triste ton histoire, toute mes condoléances.
  • « Les mots sont moins important que les faits » Répéta Malik. Ah ça c’est bien vrai ! T’es un philosophe mon ami.

Le taxi se rangea devant l’entrée du terminal A à Roissy quand soudain des types déboulèrent de partout, armes au poing et cagoule sur la tête. Pendant une seconde Manuel pensa que les serbes tenaient leur revanche, et puis il se retrouva aplati au sol, et bientôt menotté avec un connard qui lui soufflait dans l’oreille. Reste tranquille ! Police ! Bouge pas, là bouge pas !