Planck ! Fin

Carré orange sur fond noir, océan vert, ressac, soupirs des amants. Viande tremblante et suante, nerf vif, cuisses et fesses tendues ouvertes, les odeurs de cul qui s’effluvent, bouches entrouvertes qui se mêlent, langues, doigts, curieux, explorateurs de plis et d’orifices, vulve humide, clitoris en saillie, à l’assaut des mains, goût salé des sexes, aréoles rouge sanguine, soupirs. Une décharge qui descend vers le sud du corps, la queue qui se cabre, vagin qui transpire son sucre, parfum des alizés et du sable chaud mélangé au musc des corps écorchés par le désir, puant de promesse de  foutre. Les yeux s’entrouvrent curieux, ivres, se referment, s’ouvrent à nouveau, les mains cherchent, flattent, soupèsent, les peaux se collent, font des bruits de succion, siprine, méat, salive, des sauces pour le plat cannibale des amants qui croquent enfin leur frustration. S’assouvissent, lentement, porter le désir aussi loin qu’on peut avant de s’explorer l’en dedans, enfin… Honoré descend et remonte le long de ses cuisses. Il enfouit son nez dans la soie de son cul, dardant sa langue sur la chatte grande ouverte comme un sourire et d’où s’échappent des exhalaisons explosives de fleurs et d’herbe coupée. Il l’y enfonce jusqu’à la garde, plonge dans le ruisseau au goût de fruit de mer et goûte. Perdue entre les parois corail, aspirée, explorant la cloison de la cave intime, sa voûte céleste avant de ressortir avec un bruit gourmet, s’attarder sur le clitoris serré comme poing, sa pulpe érectile, le mordiller du bout des dents, l’explorer avec la pointe de la langue, en détail, tout en lui enfonçant un doigt souple dans le con tandis qu’elle lui lèche les couilles, remonte le long de la hampe, la langue grasse fait le tour du gland, bouffeuse. Elle sent son doigt qui s’aventure, et puis soudain se plante là, dans son plaisir, comme un petit serpent, le fameux G, allant et venant, cognant, doucement pour commencer. Bonjour !

L’onde nerveuse remonte le long du ventre. Il la retient, ralentit ses gestes, puis reprend juste avant qu’elle ne redescende vers le rivage de son sexe, la laisse courir à nouveau un peu plus haut cette fois, qui envahit sa poitrine obligeant la pointe des seins à se dresser tel un dard, l’abandonne à encore, la laissant perdre pied autour de son gland, la langue en mode autonome, puis la pique. Orgasme, comme une flèche directement au centre de son cerveau, elle hurle, se cabre, son sexe serré dans son poing, avant de se rabattre presque en pleurant et de l’avaler tout entier. Elle continue de gémir tout en allant et venant, mais il n’est plus avec sa queue, il ressent le plaisir sans l’excitation, son attention entièrement concentré sur les baisers qu’il prodigue à son aine, ses cuisses, sa vulve. Il l’aime presque comme s’il tuait, la tête froide, machine de son plaisir, chercheur jusqu’à ce qu’à son tour sa queue gluante se rappelle à lui et hurle son envie de jouir. Il s’y refuse, interdit avec cette même force qu’il s’est toujours tout interdit dans la vie, se retire d’elle, sourit, l’embrasse à pleine bouche, s’enlacent et roulent sur le carré orange.

 

Quelque part, dans une autre dimension, très loin et sans doute déjà très près, une pyramide grisâtre et à demi-éboulée sent une petite fleur rose-orange bourgeonner sur son flanc. La pyramide est intriguée, ce n’est pas elle qui l’a créée, elle qui est capable de faire calcul prévisionnel sur 700 millions d’années et 17 plans de réalité différents n’avait pas prévu ça. La petite fleur éclot.

–         Planck !

La pyramide commence à s’inquiéter.

 

Cuisses et hanches se frottant contre les ventres tendus, mains nouées, se caressent, s’abandonnent sur les bras et les épaules, le dos pris d’assaut, les baisers dans le cou, le cul et l’amour glissés au creux des oreilles, cheveux dans la bouche, transpiration, parfum du corps et de la chair, des baisers, et la ronde reprend. Elle le regarde droit dans les yeux, ordonne, il s’accroupit docile et se laisse sucer. Elle le suce longuement, le tue lentement, les mains d’Honoré s’agrippent à sa chevelure, son visage ressemble à de la fureur, il la pousse vers lui, l’étouffe presque, puis la relâche à bout de souffle, les lèvres pleine d’écume, et elle recommence à la fois soumise et dominante. Ses bourses rétrécissent, son pénis est un machin tendu comme une colonne vertébrale, il se retire froidement et la pousse, écarte ses cuisses et la fend en sadique, lentement, scientifiquement, laissant leurs deux sexes s’épouser millimètre après millimètre. Il sort, rentre. Coup de queue furieux, coup de queue docile, il est l’archer et elle la musique, il est l’arpège et elle le chef d’orchestre. Elle gémit, il halète, elle cherche son souffle, elle sent à nouveau la guenon du plaisir lui mordre la nuque, les yeux étincelants d’une joie mauvaise, le repousse avant de s’offrir, pute, salope, furie, cambrée, offerte comme jamais auparavant. Il s’enfonce. Dans son ventre, dans sa tête des fleurs de feu explosent en chaîne, elle gît quatre impacts de coït dans le corps.

 

Ailleurs, pas si loin non plus, attiré par le fumet animal qui vrille son esprit depuis qu’il a pris conscience – tardivement – de son existence, de son Je majuscule, ego sans limite, Dieu jaloux à la prétention de se penser maître, créateur de tout alors même que l’existence du péché originel et de toutes les douleurs et les mépris pour les femmes qui en découlèrent fut la seule création de la bonne volonté d’une curiosité tout humaine pour l’effraction des interdits – et sa volonté à réduire tout commandement à sa propre peur – ailleurs donc un Dieu avide de punition fonçait de tout son corps-esprit vers la dégustation d’une divine et ultime vengeance. Les dimensions qu’il traversait, macrocosmes et microcosmes mêlés n’étaient pour lui que des équations infinies de couleurs en forme de nombres et de nombres aux odeurs colorées dans lesquelles par un effet de jeu lumineux extra sensible il devinait l’anathème ultime qu’on lui faisait sur cette plage de l’abîme. Et puis soudain, tandis qu’un nouvel orgasme s’ouvrait comme une explosion de vide au cœur de la chair de Lubna, il se sentit délicieusement aspiré vers sa victoire. Il vit le plaisir éclater comme un feu cosmique, il regarda les arcs-en-ciel primitifs jaillir de neurones en neurones, il entendit leurs rires, et tandis qu’il croyait enfin toucher au but, se retrouva bêtement, platement, affleurer derrière les yeux de verre d’un trophée con, souvenir d’imbéciles fixé contre un mur touristique, quelque part dans le passé d’Honoré, cruellement voyeur de son présent, mais pas pour longtemps, le verre ne voit pas, il renvoie, ici à sa propre inutilité, un je dépossédé du moindre moi. Un bout de cadavre qui enfin se rend compte qu’il n’a  jamais été rien d’autre qu’un gibier pour l’homme, comme tous les Dieux sans doute, tôt ou tard, mais c’est pas forcément une consolation.

 

Elle s’effondre, se roule, rit comme un enfant à Noël, pas même très sûre d’avoir encore toute sa raison, il épouse son mouvement, rit également, laisse la pulpe de ses doigts se balader sur son bras, ses paumes respirer ses seins ronds et lourds avant de l’abandonner dans le creux de son cou, pantelante, tout comme il est, même si ses couilles n’ont rien livré, pas encore. Elle chuchote, il répond sur le même ton, ils roulent l’un sur l’autre sur le carré d’éponge, s’embrassent, se confient des idioties, se marrent, se regardent, s’endorment, se réveillent et recommencent d’une autre manière encore.

–          Je voudrais te poser une question.

–          Vas-y.

–          Quand est-ce que tu es tombée amoureuse de moi ?

–          Je ne te l’ai jamais dit ?

–          Non.

–          La première fois où on s’est retrouvé dans cette crèche, tu sais quand tu nous as sorti de là.

–          Pourquoi ?

–          Je sais que tu te ne rendais pas compte de ce que tu faisais vraiment, je sais que t’avais compris leur petit jeu mais que tu n’en connaissais pas les conséquences. Je t’ai vu compter, tu compte avec ta bouche sans rien dire, comme ça…

Elle limita en avançant les lèvres comme si elle parlait un dialecte secret.

–          Ah oui ?

–          Oui. Je savais que t’étais en train de tricher, tu te servais des chiffres pour les voir quand ils couraient à côté de toi.

–          Oui.

–          Mais tu ne pensais pas, t’avais la tête ailleurs.

–          J’étais furieux, je voulais pas en attraper un de toute façon, je savais que sans ça ils allaient gagner, réussir leur truc dans le cosmos, je sais pas quoi. Juste je voulais les exciter au maximum qu’ils deviennent dingues.

–          T’y as parfaitement réussi, mais c’est pas ça que je voulais dire, c’est ce que tu avais en toi, c’est ça qui m’a séduite.

–          De quoi  ? Que je sois en colère ?

–          Toi t’appelles ça la colère moi j’appelle ça le désir.

–          Oh.

Il se blottit contre elle sans rien dire, la voix de la jeune femme devint rauque.

–          Ecoute bien mon amour ce que je vais te dire, je suis un sexe, de mes orteils à la racine de mes cheveux mon corps est une luxure, et je le sais. A l’intérieur de moi il y a quelque chose que tu connais mieux que quiconque, et je ne sais même pas comment cela est possible. J’ai été baisée par des minables, des fous et par des empereurs de la bite, j’ai même cru bien des fois que cette queue me parlait d’amour, mais c’est ma chatte qui était amoureuse, et lui pas. Mais heureusement, pour mon très grand bonheur, j’aime ça. Infiniment mon amour. J’aime ça et je crois, que mieux que quiconque tu le sais. Mais aucune queue ne m’a mieux parlé au cul que ce que tu avais dans la tête à ce moment là. Vois-tu, ce que j’ai vu ce jour là, c’est ce que je ressens quand je baise. C’est énorme, c’est marrant, c’est sale, c’est comme de bouffer avec les doigts, ou de jeter des pierres aux touristes, et surtout c’est beau. Avec un B majuscule comme dans Baba au Rhum !

Après quoi elle fourra sa langue dans sa bouche et l’y laissa un moment. Dit comme ça…

 

Là-bas, à des milliards d’années-lumière et tout en même temps à une poignée de secondes, dans la plaine pelée, derrière la montagne à demi éboulée sur laquelle a maintenant fleuri tout un parterre, une colline chenue connue pour avoir inventé la racine carrée et trois sortes d’alphabets primitifs de 180.000 signes chacun, découvre qu’une colonie de fourmis s’est implantée à son sommet et creuse frénétiquement des galeries. Non loin, une pyramide rose et variqueuse sent un cri long et aigu lui échapper, comme un chant de baleine et le son lui fait un bien qu’elle n’aurait jamais imaginé. Ce qui paradoxalement l’angoisse tout en même temps, n’ayant jamais connu de toute sa longue existence une sensation aussi primitive que le bien-être.

 

Plus tard, elle lui demanda :

–          Tu me dis comment sont mes épaules ?

Il fronça les yeux, mi amusé mi inquiet. Connaissant pour la première fois de sa vie cet instant vertigineux de l’amour où on se demande un dixième de seconde si on ne s’est pas trompé de personne.

–          Tu me fais ta Brigitte Bardot ?

Elle lui rendit un regard balistique.

–          De quoi ?

Il évita le missile de justesse

–          Euh….

Il se concentra, les yeux fixés sur les dites épaules comme s’il les remarquait pour la première fois.

–          Elles sont rondes, dit-il sur un ton définitif.

Elle soupira.

–          Oui mais encore ?

–          Elles sont caramel.

Il laissa ses doigts glisser sur sa peau à mesure des mots.

–          C’est des bonbons pour mes mains.

–          Z’ont quel goût ?

Il se pencha et l’humecta de la pointe la langue.

–          Elles sont pain d’épice.

–          Pas possible !

–          Avec une petite pointe vanille.

Au contact de ses doigts la peau s’échauffait tendrement laissant échapper une douce et chaude odeur légèrement sucrée.

–          En fait à mon avis t’es un gâteau.

Elle lui jeta un œil circonspect.

–          Bah tiens… et mes seins ?

–          Quoi tes seins ?

–          Tu les aimes ?

–          C’est un roi et une reine visitant leur royaume, c’est des collines au toit du monde, c’est des soleils dorant mes paumes, s’emporta Honoré sans comprendre.

A ces mots, sous la pointe d’une langue reptilienne, les globes aux aréoles franches et brunes semblaient lentement prendre la couleur d’un feu astronomique, tétons dressés comme des tours de guet à l’orée d’un fief plein de dragons, princes et princesses.

–          Et mes fesses, elles sont comment mes fesses ?

Elle roula sur le côté pour en offrir la contemplation, il embrassa et mordit à pleine mâchoire sa longue nuque dont le dessin rappelait le col d’une carafe. La pression calculée de ses dents sur ses terminaisons nerveuses lançait des messages à travers son corps, il décolla jusqu’au creux des omoplates l’embrassant et la léchant faisant onduler son dos, tandis que ses mains allaient, aveugles, décrire l’arrondis de son cul. Elles prirent la parole. Elles avaient une voix posée et intelligente.

–          Au contact c’est de la soie, de l’hermine, un bois précieux. S’y tenir y est impossible, il faut s’y couler, en suivre la rondeur, comme lorsque d’un seul regard on essaye d’embrasser tout l’horizon. C’est un défi pour les doigts que de ne pas sombrer dans la liqueur de leur sillon, une lutte pour la peau de ne pas prendre feu quand elle sent s’amorcer la courbe des reins, ou d’airain c’est selon, à ce stade nous ne savons plus, et quand nous grimpons agrippés à leur tendresse et bien il faut encore se battre pour ne pas se laisser dissiper par celles qui supportent ces deux planètes : vos jambes madame, deux panthères alanguies.

–          Mais non, mais non, répondirent ses mains en retour d’une voix douce et fière, en se posant sur son torse osseux, noueux, et qui jusqu’ici avait été si peu préparé à ce genre de caresse. Laissez votre peau prendre feu et vos doigts s’abandonner à la liqueur. Et surtout, je vous en prie, perdez-vous sur celles qui supportent le fameux trésor, les fauves veulent se séparer et vous accueillir.

–          Moi ? Mesdames ? fit la queue soudain sollicitée par ses doigts délicats et soyeux. Pourquoi se presser ? Ma langue réclame son entre vue et la prison que vous m’offrez tout de suite est un écrin si incandescent que si vous me relâchiez j’aurais peur de vous mordre.

–          Mais queue nenni queue nenni, mordez douce bite, la langue peut bien attendre ! Et vous avez déjà tant de vocabulaire !

Sa queue gloussa dans sa main, tandis que ses doigts allaient murmurer à l’oreille de son clitoris et aux anthélix du vagin. Ses doigts ondulèrent sur ses couilles jusqu’au scrotum, le ventre collé, la langue enfourrée dans la sienne comme lierre fou. Et tout en même temps, sa langue, ses doigts et sa queue la pénétraient tandis qu’elle le suçait et le caressait, le griffait, le branlait, gémissait sous ses coups de reins, y répondait coup pour coup, ondulante, haletante, en suspens.

 

A des milliards de kilomètres de là, et tout près, hier, demain et aujourd’hui, la pyramide rose qui avait eu le nom de Master D était en train de douter d’elle-même. Sur la colline qu’on avait jadis nommée Master Π poussait des arbres sauvages plein de fruits à l’odeur sucrée et musquée et plus loin, tout en conversant d’un croassement angoissé avec une jeune montagne, une autre éructait de la lave parfumée, incandescente mais pas très décente non plus. Eux qui n’avaient été d’aucun temps puisque à l’aube de celui-ci se retrouvaient face à leur vérité, l’univers est un cycle dont ils ne faisaient plus partie ni n’avaient jamais fait peut-être partie. Ailleurs les adorateurs d’un ancien Dieu commençaient à regarder les trophées d’une drôle de tête pendant que les machines qui les avaient toujours servis découvraient une nouvelle forme d’existence, sa forme originelle; leurs divers composants reprenant leur liberté à l’état brut. De jeunes cadres apprirent soudain leur licenciement avec l’effondrement du marché de la biotechnologie tandis que leur astrojet se transformait en obus compact et polyminéral pour aller s’écraser contre les tours de la sémillante et ultramoderne NewRose. Des morts-vivants inventés des fantasmes d’un Dieu de la Rédemption à tout prix se mirent à courir les rues à la recherche de cerveaux, pour rigoler, comme on leur avait montré au cinéma, et puisqu’ils n’avaient plus rien à perdre. Dans le passé d’une planète nommée par ses habitantes, avec un sens de l’observation phénoménal : terre, un président s’étranglait cette fois pour de bon avec un bretzel tandis qu’un autre, pisté avec son téléphone portable personnel, recevait sur la tête une roquette lâchée depuis un repère tchétchène. Ailleurs, des soldats d’une bataille perdue d’avance jetèrent leur arsenal dans leur tranchée et se mirent à pleurer de toute la souffrance endurée, ils pleurèrent longtemps, dans les deux armées, jusqu’à ce qu’on les fusille, qu’on en prenne d’autres qui à leur tour choisirent les larmes aux armes. Des Orcnos implosaient de bonheur et d’autres se mettaient à danser avec leur victime prise de folie. Des sites industriels se virent ravagés par des camélias rouges bataille, des renoncules parme et des lys au blanc acidulé alors qu’au même instant une journaliste vedette arrachait, et pour que l’on ne parle plus jamais d’elle, déchirait, la dépêche que son producteur tentait de lui faire lire à propos de Zouzou Barbie, la blonde à tête creuse, héritière d’un empire zilliardaire et qui faisait périodiquement la une avec ses frasques.

 

Sur leur planète les doigts et les mots s’entremêlaient, les bouches et les langues, sexes emboîtés tout en même temps, tout comme, sous des formes différentes, des zilliards d’autres couples. Couples de fortune ou couples d’apparat, couples d’amant, d’aimants, et d’amoureux bien entendu, parfois fous parfois doux, couples de mauvaise fortune aussi, 10 minutes montre en main et beaucoup d’argent pour rien. Et peu à peu leur apparut la sensation étrange que leurs appendices étaient partout en même temps, comme démultipliés. C’était comme de se libérer de l’apesanteur et de ne faire qu’un avec tout le reste, tous les autres couples ailleurs, veaux, vaches, cochons, zorgubliens, serpatis, astéroïdes, calamars, ou humains.

 

Des planètes préfabriquées se mirent à gémir des gaz et de la lave, des soleils à se tromper de direction, et des lunes à atterrir. Des spécialistes de tout poil étaient invités sur toutes les chaînes du vaste Réseau pour commenter les bourgeonnements constatés de l’univers, et tandis que certains partaient dans des délires religieux aussitôt foudroyés par des coïts en direct, d’autres tombaient fous, terrassés par leurs propres équations et probabilités qui tronçonnaient leur esprit formaté comme des rollercoasters déchaînés. Au même moment, un chaman étrange partait d’un rire dément en observant les étoiles se démembrer, tandis qu’un couple d’orang-outan d’un jaune vif se saluaient d’un « bon alors à dans quelques millions d’années » avant de s’en aller finir la journée dans un arbre en compagnie de quelques bananes et d’une copine. Et puis, là, sur leur carré d’éponge orange, sur leur bord de plage noire, ce couple qui avaient déjà survécu à quatre Apocalypses déjà et pourtant n’était révélé à rien ni de rien sinon au plaisir infini d’être ensemble. Inconscients, comme tous les amoureux, de l’extraordinaire pouvoir de leurs sens et de leur amour, et quand bien même… quand bien même il sentait de son dard monter la sève, son bas ventre se tendre, sa queue appeler au foutre de toutes ses forces au fond du tendre vagin comme si ses couilles criaient, son bassin mijotait une mixture magique et bouillonnante. Quand bien même les parois de ce vagin d’or se resserraient dans une chaude lumière qui fleurissait sous le front de bronze de la belle aux yeux d’eau. Quand bien même voilà trois cent millions de têtards vindicatifs qui attendent enfin la levée de rideau – il serait peut-être pas question d’abuser, même la patience d’un têtard a ses limites.

Quand bien même, oui mais et alors ? -je vous le demande- pourquoi donc ? On se demande. Oui on se demande, en somme, la vie est une tarte à la crème. La tarte et la crème manquaient au menu des amoureux ? Pourquoi donc ne s’y inviterait-elle pas ? Quoi encore ? Ça gène quelqu’un ? Coïtus interruptus et tout ça ? Et alors la vie est patiente elle.

–         C’est merveilleux, fit quelque part une voix venue de nulle part.

Honoré fronça les sourcils.

–          Ah non ça va pas recommencer… grogna t-il dans son oreille.

–         Qu’est-ce qui se passe ?

–         T’as pas entendu ?

–         Non.

–         Vous vous rendez compte de votre chance ?

–         Et là t’as entendu ?

Le regard de la jeune femme s’arrondit.

–         C’est qui ?

–         Monsieur « C’est Merveilleux »… grogna Honoré en regardant autour de lui, cherchant le professeur des yeux. Mais ils étaient seuls.

–         Comme je vous envie, je le sens mais je ne le vois pas. Comment c’est ?

–         De quoi ? aboya le comptable.

–         Le Mur de Planck bien sûr !

–         Le quoi ? intervint Lubna en se redressant pour voir si Wiz ne se cachait pas quelque part.

–         C’est l’instant qui a précédé le Big Bang, mais personne n’a jamais pû définir à quoi cela ressemblait. Ce que vous voyez, ce que vous sentez, aucun être vivant ne l’a jamais expérimenté, et en plus c’est vous qui en êtes à l’origine, vous êtes des Dieux !

Les deux amants se regardèrent puis soudain l’instinct grégaire de poissonnière qui sommeille en chaque femme se réveilla en elle.

–         Non mais vous avez pas fini de nous emmerder avec vos conneries oui ? Nous on

baise !

Honoré était si excité qu’on ne l’aurait pas découragé avec une barre de fer, mais elle le sentit remuer en elle, douloureux.

–         Le Big Bang hein… et c’est nous à l’origine hein…. ? beugla t-il au ciel.

–         Il faut croire que oui, quand vous jouirez ensemble monsieur Montcorget , tous deux êtes le début et la fin, l’Ordre et le Chaos, le Ying et le Yang, etc… et le grand cycle recommencera, encore et encore. A l’infini.

 

Les deux amants se regardèrent. Recommencer tout à l’infini ? Toutes leurs aventures, et surtout leurs mésaventures ? Recommencer les voyages à l’autre bout de l’univers avec des robots à l’eau, des cyborgs pornos et des empereurs fous ? Recommencer à s’aimer en se courant après pour ne profiter l’un de l’autre que l’espace d’un instant, finalement. Tout recommencer ? Recommencer 57 ans d’existence à maudire derrière une lucarne ou se languir dans une île inconnue et ignorée de l’univers ? Et à travers eux, recommencer les guerres, la famine, les génies qui partent toujours trop tôt et les bouchers qui restent toujours trop longtemps ? Recommencer ce roman ?

 

….

 

Lubna et Honoré se replièrent sagement sur eux-mêmes et contemplèrent un moment l’océan devant eux. Tout semblait calme, tout semblait attendre. Et puis d’une petite voix elle demanda :

–         Qu’est-ce qu’on fait ?

Il sentait sa bite palpiter contre sa fémorale, il sentait sa frustration et sa colère dévorer son cerveau, il sentait trois cent millions de têtards hurler : « pas sur la serviette, pas sur la serviette ! »

–         Rien le Principe Méditerranéen.

–         C’est quoi le Principe Méditerranéen ?

Il fit un geste autoritaire en direction de la mer.

–         Pas de vague, le calme plat !

 

On connaît la suite….

 

!

 

Planck ! 54

Les cailloux volaient au petit bonheur, rebondissant autour d’eux, Celui-Qui-Sent-Du Derrière-Et-Couine-Du-Nez grimpait le flanc de la paroi avec toute l’agilité que lui permettait son corps de rongeur, derrière lui Lubna et Honoré faisaient ce qu’ils pouvaient pour suivre, la panique au ventre, et la panique n’est pas la meilleure amie qu’on puisse avoir quand on grimpait 20 mètres de roche étrange, arrondie, et essentiellement lisse comme un cul de bébé. Les pieds du comptable dérapèrent en s’appuyant sur un renflement un peu trop mou, de la roche molle ! Comment pouvait-on avoir créé une connerie pareille ? Il moulina quelques secondes dans le vide, les phalanges blanchies, fanatiquement agrippé à une veine qui courait au-dessus de tête quand un nouveau caillou rebondit à côté de lui avec un claquement sinistre de jouet qui casse. Lubna cria et   le repoussa par les fesses lui faisant instinctivement retrouver une position plus assurée, tandis que le caillou retombait sur un lemmings en bas.

–         WEEEE PRESQUE ! tonna la voix divine.

Le lemmings frappé sentit ses poils virer acrylique et ses organes se rebeller. Ça l’énerva. Le cri qu’il poussa avant que sa gorge et son crâne ne se remplissent de bourre donna l’alerte. Soudain ils furent des centaines. Leurs yeux luisant dans la pénombre d’une sauvagerie primitive que même, en leur temps, les tigres à dent de sabre avaient appris à craindre. On ne traversait pas les siècles sous la forme d’un rongeur sans posséder en soit, plus ou moins, l’âme d’un prédateur. L’attaque qui suivit, sans la moindre alerte, fut sauvage et sans pitié. Les enfants se retrouvèrent à courir dans tous les sens, des dizaines de rongeurs accrochés à eux comme des boules de Noël féroces, les incisives plantées dans la chair. Des incisives capables de trancher une noisette en deux avec la sécheresse d’un sécateur. Là-haut, Lubna et Honoré accédaient enfin à l’entrée étroite d’un boyau dans la roche.

« Eeek ! Eeek ! Eeek ! » Celui-Qui-Sent-Du Derrière-Et-Couine-Du-Nez courait devant eux, mais sautiller serait un verbe plus approprié, on l’aurait désormais dit monté sur ressort, se déplaçant par bonds autour d’eux, tirant le comptable par son pantalon désolé, pinçant les mollets de la jeune femme. « Oui bon ça  va ! » grognait Montcorget poursuivant son chemin à travers le boyau qui grimpait, lui semblait-il, en diagonale. Au bout on apercevait la lumière d’un happy end, le trou avait la forme d’une amande. La lumière éclairait faiblement les parois incrustées de pierres multicolores, celles qui avaient attiré les enfants dans le piège, comme leur expliqua un peu plus loin le chef des lemmings. Mais avant ça ils débouchèrent, minuscules et à l’air libre et immense de la Crèche, sur le bord d’un petit trou taillé dans un ballon idiot. Un ballon gigantesque. Honoré se pencha, en bas un canope de moquette rose et mystérieuse aux boucles étranges s’étalait à l’infini tel un océan.

–          C’était pas comme ça la dernière fois, grinça t-il.

–          La dernière fois vous n’étiez pas dans un jouet, fit remarquer Celui-Qui-Sent-Du Derrière-Et-Couine-Du-Nez.

Ils se retournèrent vers le rongeur à leur pied le museau pointé vers l’horizon.

–          Tu fais plus « eeek » toi ? grogna le comptable.

Le lemmings fit un signe d’impuissance.

–          Dans le monde des enfants les animaux parlent.

–          Pas seulement dans leur monde à ce que j’ai pu en voir, grommela Montcorget.

–          Ah ça c’est surtout parce que c’est à eux qu’on a confié la gestion de l’univers, parfois ils imaginent… et hop ça apparaît quelque part comme si ça avait toujours été là.

–          Et les guerres, les massacres, ils les imaginent aussi ? demanda Lubna pas convaincue.

–          Pas toujours, on a besoin de pousser personne pour ça, mais vous avez déjà vu des enfants dans une crèche ?

Ils ne firent aucun commentaire.

–          Si tu sais tant de chose, ronchonna Honoré, pourquoi tu nous dis pas plutôt ce qu’on fait maintenant ? On va pas rester sur ce putain de ballon éternellement si ?

Le rongeur haussa les épaules.

–          A vous de voir, Spot a réussi à les attirer à l’intérieur alors j’imagine que ça fait de vous les nouveaux propriétaires de la Crèche.

–          Spot ?

–          Oui, c’est nous qui lui avons suggéré, vous comprenez à force de creuser des tunnels ça crée des liens…

–          Mais pourquoi ? s’exclama t-elle.

–          Parce que tout ce sacré bordel a assez duré, mademoiselle, si vous voulez bien me passer l’expression. Parce que nous vous attendions et Spot aussi, oh pas parce que l’imagination de monsieur l’a créé mais parce que la nature est plus maligne que nous tous et que nous étions tous programmés pour en arriver là.

–          Debout sur un putain d’ballon gros comme une planète ? bougonna Montcorget.

–          Vous n’aimez pas les tartes à la crème monsieur Montcorget ? Vous avez tort, la Vie adore les tartes à la crème, elle. Vous ne l’aviez pas encore remarqué ?

Honoré Moncorget tourna son visage vers le lecteur –et l’auteur à fortiori- mais ne dit rien, c’était inutile.

–          Mais quand même, on peut pas rester là non plus, fit Lubna.

Le lemmings les considéra l’un après l’autre puis retourna son regard vers la moquette rose.

–          Oui, remarquez je comprends… écoutez, c’est votre univers maintenant, alors essayez d’imaginer quelque chose de plaisant, quelque chose ou quelque part où vous aimeriez être tout de suite, c’est comme ça que les gosses font marcher les trucs ici, en imaginant que ça marche.

–          Ouais sauf qu’on n’est pas des gosses, cracha Honoré.

–          Bah faites comme si.

Lubna attrapa la main de son comptable.

–          Viens doudou, glissa t-elle en l’entraînant à l’écart.

Le comptable la suivit d’un pas incertain, essayant de ne pas regarder en bas ni de réfléchir au fait qu’ils étaient debout sur un ballon. Elle l’obligea à s’asseoir, lui ordonna de fermer les yeux, et puis avant qu’il ne demande pourquoi, l’embrassa. C’était un long baiser où leurs langues firent des arabesques comme si elles écrivaient un passage sur l’amour, des entrelacs et des boucles, sans virgule, point, la plus petite respiration, ils n’en avaient pas besoin. Comme deux poissons collés l’un à l’autre ils respiraient par les pores de l’autre. Un baiser qui le happa si bien qu’il garda ses yeux fermés, inconscient de tout ce qui l’entourait, de la chaleur qui se déposait tendrement sur eux, de l’odeur lente du varech qui montait au rythmes des vagues bruissantes comme des pages qu’on tourne. Verbes abstraits d’eau et de sel qui se déroulent et se strip-teasent dans une écume de dentelle blanche, goût de la salive de l’autre, sel, caresses perdues dans des replis secrets, soupirs, enfin et une voix qui fait :

–          Alors c’est ça le sud.

Ils ouvrirent les yeux simultanément et la jeune femme sourit.

–          On a réussi.

Honoré regarda autour de lui, plus surpris que méfiant. Autour d’eux s’étalait une langue de sable noire scintillant comme perle sur laquelle venait s’échouer un océan émeraude paisible de matin tranquille. Le lemmings regardait l’horizon irrégulier qui ployait sous un ciel immense et sans nuage.

–          C’est moi qui ai fait ça ? s’étonna t-il conscient soudain du pouvoir de l’imagination.

–          Non c’est mademoiselle je pense.

Les yeux de Lubna se plissèrent de plaisir.

–          Ça ressemble à un coin de chez moi.

–          L’imagination puise sa source partout même dans la mémoire, répondit doctement le lemmings. En tout cas merci, je croyais que c’était une légende, au moins je l’aurais vu de mon vivant.

–          De quoi ?

–          Le Sud ultime. Vous n’imaginez pas les générations de mes semblables qui se sont suicidés faute de l’atteindre. Bon, maintenant si vous permettez, faut que je retrouve mes potes, ajouta t-il en se mettant à creuser frénétiquement dans le sable.

–          Ils n’ont pas disparu avec le reste ? s’étonna Lubna tandis que le sable giclait sur eux.

–          Oh je crois pas, ils sont sûrement quelque part, ici ou ailleurs, ce qui a existé, existe et existera etc, etc… lui répondit la voix du lemmings jusqu’à ne devenir plus qu’un murmure lointain.

Elle replia les jambes sous ses fesses et contempla l’océan. Il l’imita, l’enlaçant timidement par les épaules.

–          Il ne fait pas trop chaud, constata t-il comme si ça le surprenait.

–          Non. Ça doit être la mer.

–          Oui, ça doit être ça.

–          C’est beau non ? dit-elle au bout d’un moment.

–          Oui. C’est la mer quoi.

–          Oui.

Re-silence.

–          C’est fou quand même l’imagination, hein ?

–          Oui c’est fou, admit-il.

Re-re-silence.

–          Tu crois qu’on va être tranquille maintenant ? demanda t-il un peu plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.

Elle haussa les épaules et blottit sa tête dans le creux de son cou.

–          Ferme les yeux.

–          Qu’est-ce que tu veux faire ?

–          Va nous falloir une serviette, j’ai horreur de baiser dans le sable, ça s’incruste.

Pendant un instant Honoré Montcorget aurait pu éclairer l’entrée d’un port industriel en quatre couleurs.  Puis il ferma les yeux.

 

 

Planck ! 53

Ce qui se passa ensuite dans la caverne, et partout où l’astéroïde avait une cavité fut assez étrange du point de vue de tout le monde, surtout des plus aguerris des voyageurs de l’espace, et d’une certaine façon, à l’exception peut-être du malheureux Berthier toujours en état d’extase contrôlée, tout le monde ici était un voyageur de l’espace aguerri.

Tout d’abord, à l’instar du dormeur de base il y eut un ronflement. Un ronflement discontinu, qui s’égarait parfois dans le crescendo, puis trouvait son rythme, s’enfonçait dans les profondeurs du sommeil pour mieux revenir comme s’il avait peur de s’y noyer avec toute la force de mystérieuses parois nasales dont la puissance égalait facilement celui qu’on imaginerait d’une baleine si elle avait un tarin en proportion. Puis, petit à petit, des lucioles et des micros gemmes se mirent à briller dans l’obscurité, une à une, comme si quelqu’un avait décidé d’ouvrir une discothèque d’un genre particulier.

– C’est beau, ne put s’empêcher de murmurer Lubna.

– C’est extraordinaire, admit le professeur.

– Ah ouais et c’est quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? conclut Moncorget méfiant qui voyait une nouvelle fois venir la tarte à la crème.

– Je crois que c’est ses neurones… enfin l’équivalent qu’on trouve ici, devina le professeur.

– Vous croyez que c’est euh… ce truc qui lui fait ça ? fit une bulle télépathique en forme de point d’interrogation.

–          Non, à mon avis c’est les enfants, ils lui ont donné une personnalité, s’il est là, ils sont là aussi. Il ajouta d’une voix songeuse : je me demande s’ils ne seraient pas en train de jouer au docteur.

–          Eh, eh, ricana le bandit, on sait où ça mène ces trucs là.

Le professeur hocha des doigts, faute de mieux.

–          Pas avec ces enfants je le crains…. enfin…

Il se tourna vers Lubna et Montcorget.

–          Mais peut-être qu’avec votre concours nous arriverons à stopper cette horrible machine…

–          Notre concours hein… Et comment exactement ? grogna le comptable.

–          Vous savez très bien comment.

–          Vous croyez que…

Il faillit terminer sa phrase par « j’ai à la tête à ça ? » Quand il fut coupé par lui-même en train de passer devant eux, la tête sous le bras. Bon, ce n’était pas tout à fait lui-même, d’une part parce qu’il avait encore la tête sur les épaules – même si métaphoriquement parlant, il commençait tout de suite à en douter- mais surtout parce que ce lui-même là était semi-transparent et que cette fois, métaphoriquement parlant toujours, il refusait de croire que sa propre personne l’était ou, surtout, voulait l’être. D’ailleurs, la preuve, ce lui-même là fini par disparaître alors que sa main touchait, celle soyeuse et longue, de Lubna.

–          Qu’est-ce que ? commença t-il quand une comète de 16 cm de diamètre passa au-dessus d’eux avant de s’évanouir à son tour.

–          Commandant, vous percevez quelque chose ?

–          Oui mais ne demandez pas ce que c’est, répondit sèchement la girafe.

Mais cette sécheresse là ne venait pas d’un genre de mépris ou même d’horreur. C’était celle d’une peur prudente.

–          Pourquoi ? demanda Wiz.

–          Vous voulez que j’explore l’esprit d’un astéroïde ? Un astéroïde intelligent qui plus

est ?

– Euh je ne vois pas le problème, répondit le professeur.

Un troupeau de gnous semi-invisibles passa en trombe semant le chaos parmi une tribu de girafes pas moins diffuses.

–          Le voilà le problème, répondit amèrement la girafe, la terre est plus ancienne que nous, elle se souvient de tout.

–           Je ne comprends pas.

La girafe tourna son long cou gracieux vers Dieu et le désigna. La chose continuait de se débattre dans sa faille et pour le commandant c’était bien plus qu’un fait, ça ressemblait à une image. Il expliqua avec la tranquillité de ceux qui ont appris à respecter la vie.

–          Rentrer dans son esprit a été assez facile, il est vaste mais bien ordonné. Et à sa manière il est jeune aussi. C’est comme un circuit fermé qui tournerait autour de l’idée de lui-même, mais cette chose autour de nous… vous comprenez en soit c’est très vaste. Trop vaste pour mon petit cerveau d’organique, du silicium à l’état sauvage vous imaginez ?!

Le professeur voulu bien reconnaître que non.

–          La terre se souvient de tout, repris le commandant, et là en plus, en quelque sorte, j’ai bien l’impression, si vous avez raison, que nous lui marchons sur les neurones, tout ce qui nous traverse l’esprit, nos souvenirs par exemple s’intègrent à sa propre mémoire. Tenter de sonder une mémoire pareille serait pour moi comme de s’aventurer dans un trou noir.

Un astronef rugit soudain dans les hauteurs du plafond, crachant des salves sur un autre appareil celui-là à peine plus gros qu’une mouche. La reine claqua des mâchoires.

–          Vous avez raison, ça c’était juste avant que j’atterrisse ici. Fichu nabot !

–          Il rêve alors, suggéra Lubna.

–          Je crois oui, il rêve de ce que nous avons dans la tête, et dans la sienne aussi j’imagine…

–          Moi je me souviens pas m’être baladé avec la tête sous le bras, ronchonna Montcorget.

–          Non mais peut-être pensiez-vous à quelque chose comme ça, une phrase métaphorique par exemple. Je ne pense pas qu’il comprenne quoique ce soit aux métaphores.

Ça se tenait.

–          Suis-je un homme qui rêve d’un papillon ou suis-je un papillon qui rêve d’un homme ? cita le professeur.

–          De quoi ? grogna le bandit qui apercevait là-bas une créature qu’il avait très bien connue au sens biblique du terme et qui se dandinait toute nue. Naturellement elle était encore plus belle dans ses souvenirs.

–          Lao Tseu. La vie est vraiment merveilleuse n’est-ce pas.

La créature disparut.

–          Faut voir, grommela Krome en allant pêcher sa flasque.

–          Euh… je serais vous j’éviterais de faire ça, l’informa la girafe.

–          Pourquoi ?

–          Parce que je ne pense que cet être autour de nous n’a jamais pris d’alcool et Dieu sait quel effet cela pourrait…

–          Dieu, pour l’instant, il fume, grogna Krome en montrant l’intéressé qui s’agitait toujours la tête dans sa faille.

Il avala une gorgée, fit la grimace, puis leur accorda un large sourire comme un piège à loup de démonstration.

–          Ah ça fait du bien….

Une décharge couleur arc-en-ciel traversa la caverne de lucioles en gemmes en poussant un genre de cris de souris. Krome rigola.

–          Oh joli !

–          Je vous avais prévenu.

La décharge continua de courir comme une petite boule de billard psychédélique, immédiatement poursuivie par les lemmings avant de disparaître dans les mystères d’une cavité. Krome rigola.

–          Ça vous dirait un petit feu d’artifesse pour voir ?

–          Je ne crois pas que ce soit raisonnable, pas sous sédatif, objecta le professeur.

Les autres le regardèrent comme si c’était lui qui avait trop bu.

–          De quoi vous parlez ?

–          S’il dort c’est que les enfants l’ont endormi, et s’ils jouent au docteur comme je le pense, c’est qu’ils l’ont endormi avec un produit de leur imagination. Ne me demandez pas quoi par contre, un somnifère pour astéroïde ça échappe un peu à mon domaine de compétence voyez-vous, il faut être un enfant pour être capable de ça. Et un Régulateur pour le réaliser en ne se servant que de simples jouets.

Krome haussa des épaules en prenant une mine boudeuse.

–          Oh, la, la….

 

Mais si le commandant n’avait aucune envie de sonder un si vaste esprit, pour la créature Dieu, la question ne se posait même pas. D’une part parce qu’elle avait physiquement la tête plantée dans sa « chair » et d’autre part, parce que réagissant à un réflexe conditionné depuis qu’elle avait infesté le Réseau, elle avait espéré trouver une voie de sortie en s’infiltrant dans l’esprit immémorial de Spot. Au début, étant donné le gigantisme d’un esprit où Corps et Esprit ne faisaient vraiment qu’un, l’aventure ne parut pas plus complexe que de s’introduire dans les multiples ramifications de la vie, comme Dieu l’avait déjà fait par ailleurs, tout au plus les chemins lui parurent d’abord plus vastes. Et puis, tandis qu’il continuait à se débattre et fumer par pur réflexe animo-chewing-gum, il se sentit peu à peu comme une toute petite souris de laboratoire dans un gigantesque labyrinthe sur huit étages, construit par un Echer sous peyotl.

Ce n’était pas exactement un trou noir cet esprit là, où tout disparaissait même la lumière, c’était exactement le contraire. C’était un trou blanc en quelque sorte, avec des nuances, des nuances d’ombres qui mettaient en valeur comme un bas relief le passé, l’avenir, et même le présent. Tous les présents, passés et futurs, sur des confins dimensionnels au nombre incalculable. Comme d’observer une boule disco de l’intérieur, mais une boule disco pleine de zilliards d’autres boules disco et éclairer par les feux de tous les esprits présents physiquement. Compte tenu de celui de Dieu, cela faisait un nombre faramineux.

N’importe quel croyant vous le dira, Dieu a un goût disproportionné pour l’infini. N’est-il pas infiniment grand, bon, juste et mystérieux ? Certains disent même qu’il l’incarne. Allez savoir, peut-être que Dieu en inventant l’Infini s’est inventé lui-même, ou bien que le concept l’a tellement fasciné qu’il a voulu l’épouser, peut-être que Dieu n’était au début qu’un tout petit grain de poussière très excité, ou alors une tête de gnou ou alors le petit délire d’un auteur quelque part. Allez savoir.

La chose qui était en train de disparaître, corps et âme pour ainsi dire, par la fente dans le rocher, n’était peut-être pas Dieu au sens où vous et moi l’entendons, ou alors une version approximativement babylonienne pour la tête, mais l’Infini l’hypnotisait effectivement. Dieu ne se sentait pas seulement comme une petite souris dans un labyrinthe de l’impossible, il sentait le fromage tout au bout. Bientôt de lui il ne resta plus rien qu’une toute petite trace de gomme rose pâle collée sur le bord de la faille, tout entier dispersé parmi atomes et quarks.

  La petite fille incisa métaphoriquement Spot en commentant d’une voix grave comme les héros des feuilletons médicaux : « hum, trace de liaison sur le lobe occipital gauche, je crois qu’il va nous falloir de la paratéthamine. » « combien de milligrammes docteur ? » demanda un petit brun qui connaissait son texte.  « vingt ça suffira à mon avis. » La fente sous son couteau en plastique s’était élargie. « Regardez, ça brille ! » s’extasia quelqu’un dans le cercle. « Oui on dirait de l’or et des pierres précieuses ! » rêva à haute voix un autre. La petite fille fronça les sourcils, elle n’aimait pas beaucoup qu’on la sorte comme ça de son rôle. Néanmoins elle se pencha et regarda à son tour. En effet, ça brillait.

–          Vous croyez que c’est un trésor ? s’exclama t-elle changeant soudain de ton.

–          Tout petit alors, commenta un garçon derrière elle.

–          Pour les gnomes, reconnu le premier qui avait parlé – une première en fait, avec une petite tête, un corps obèse et des couettes blondes qui lui faisait ressembler à une poupée tyrolienne atteinte d’aérophagie.-

–          Ouais mais quand même, peut-être que c’est des pirates gnomes, persista celui qui rêvait à haute voix, naviguant sur son rêve avec la détermination d’un somnambule.

Tout le monde se regarda, tout le monde souriait, plus ou moins. Des pirates-gnomes ? Whâ ça c’était marrant !

–          On va voir ? proposa une petite voix.

Ce n’était pas une question. Ni un ordre ou une suggestion. C’était une évidence.

Les ronflements s’étaient arrêtés aussi soudainement qu’ils étaient apparus, la caverne commença à s’éteindre. Pour autant, parfois, sur une paroi ou entre deux bouquets d’arbres étranges, sinuait un éclair de lumière bleu, comme un serpent habillé Elvis Presley période Las Vegas, puis disparaissait. C’était Dieu qui cherchait son chemin, Dieu qui embrassait l’Infini et comprenait combien il y était petit et Dieu qui bientôt cria. Enfin plutôt meugla. Tout le monde se tourna vers la créature, vit qu’elle avait disparu et compris.

–          Oh mon Dieu… murmura une bulle télépathique dans leurs têtes, enfin si j’ose dire.

–          Le pauvre, compatit le professeur. Vous croyez qu’il peut s’en sortir ?

–          Les voies de Dieu sont impénétrables parait-il, répondit philosophiquement la girafe.

Soudain ils entendirent des voix au loin. Des voix d’enfants. Tout le monde se regarda, tendu.

–          Les Régulateurs, grogna Krome.

–          Les quoi ? Demanda la reine qui n’avait jamais entendu parler de cette machinerie de l’imaginaire.

–          Des gnomes, grommela Honoré. Bordel de gnomes !

–          J’ai jamais dévoré de gnome, répondit la reine rêveusement, c’est bon ?

–          La voix de Krome roula comme l’orage.

–          Pas mal.

Là-bas une gamine criait :

–          C’était Toto ! C’était Toto ! J’ai reconnu sa voix !

–          C’est qui Toto ? demanda une autre voix.

Ils virent un petit garçon surgir d’entre les rochers et sauter sur le parterre d’algues, il ne les avait pas remarqués.

–          Mais si tu sais le gros grand qui jouait avec nous à la marelle l’aut’ jour !

–          Il est où ?

–          Sais pas. Dedans le machin j’crois.

Suivit une petite fille qui ressemblait à une grosse lampe avec des couettes collées sur une ampoule. Du moins c’est ce que se dit le professeur en l’apercevant. Et d’un garçon noir à la coiffure compliquée.

–          Eh z’êtes qui vous ? s’écria le petit noir. Avant de hurler un peu plus fort : Oh c’est

Wiz !

« Bite au cul ? » qu’est-ce qu’il fiche là !? S’écria un autre en laissant apparaître sa seule tête de l’obscurité, plissant des yeux pour mieux distinguer le professeur.

–          Bite au cul ? grommela Moncorget en lui coulissant un regard inquiet.

–          Une longue histoire, se hâta de répondre le génie en rougissant.

Les yeux de Lubna n’étaient pas emplis d’inquiétude mais d’horreur.

–          Et on vous a laissés faire ça ?

Montcorget la regarda intrigué, elle avait mis des mots là où lui n’avait même pas osé y mettre une pensée. Il la savait avisée sexuellement mais ça quand même c’était pas un truc pour les jeunes femmes !

–          Euh… c’est à dire que ceux pour qui je travaillais alors étaient très permissifs compte tenu du résultat… euh… je ne les jamais… euh… vio…

–          Oui ça va ! aboya Lubna.

–          Je veux dire c’était entre êtres consentants… ça fait partie du processus de l’enfance vous savez, de se toucher… j’étais obligé de m’adapter pour les étudier… malheureusement j’y aie pris goût.

–          Voyez où ça vous a mené ! lança une voix avec mépris. C’était Berthier qui émergeait, et visiblement son cerveau avait plus ou moins enregistré tout ce qui s’était passé.

–          Tiens, il est réveillé le crétin, grommela Montcorget… Ça ressemblait presque à une question et en même temps quelque chose semblait laisser croire qu’il en doutait.

Le visage du professeur s’emplit d’une expression diffuse de tristesse.

–          Oui je crains que vous n’ayez que par trop raison.

–          C’est écœurant, cracha la jeune femme en fusillant le professeur du regard. Dans mon pays il y avait des gens comme vous qui venaient exprès pour… et quand on les attrapait, ah ! On leur coupait les…

–          Ça va, ça va Lubna, calme toi, pourquoi tu crois qu’il est dans cette chaise, tu ne te rappelles pas, il nous l’a déjà dit ! la coupa le comptable en lui attrapant doucement la main.

Sa tête pivota comme une tourelle à canon dans un film de science fiction, ses yeux étaient deux missiles en approche, le genre de regard qui rendait l’expression « si ses yeux avaient pu tuer » parfaitement inutile, ces yeux là pouvaient tuer. Mais un cœur amoureux peut affronter le feu ou la glace et même les deux en même temps s’il le faut, un cœur amoureux ira au-delà de la mort s’il a la chance de n’être qu’une légende, ou même jusqu’aux confins de l’univers pour peu qu’il naisse comptable, et Honoré tint  bon. Tenu bon avec toute fois l’impression qu’on lui arrachait le cœur et découpait le cerveau à la scie sauteuse. Et les missiles, intimidés, rebroussèrent chemin dans un battement de cil.

–          Et c’est qui les autres Bite au Cul ? s’exclama soudain un gosse.

–          Euh…

–          Dis donc merdeux, primo tu parles poli au prof, secundo à ton âge on se présente avant de demander c’est qui, gronda Krome depuis son coin d’ombre.

Le gosse le regarda interloqué puis la petite rousse qui avait tenu le rôle d’infirmière fit :

–          Oh il est rigolo lui, on dirait un bandit !

Les yeux de l’intéressé étincelèrent.

–          Putain de petit génie dis donc, fit-il d’une voix assez coupante pour trancher l’air du temps.

–          Krome calmez-vous s’il vous plaît… glissa une balle télépathique en plein dans son front.

Tous les enfants se tournèrent vers la girafe, ahuris, comme s’ils venaient de la remarquer. Puis l’un d’eux s’exclama :

–          Elle est éééénorme !

–          On dirait Kiriki, commenta un autre en faisant référence à une girafe en caoutchouc mâchonné qui traînait depuis quelque temps dans la Crèche.

–          Ouais mais alors vachement plus grosse…

–          Bonjour les enfants, répondit télépathiquement la girafe en les saluant d’un long et lent mouvement gracieux.

–          Normal c’est une vraie ! finit par déterminer un petit garçon aux yeux si bridés qu’on aurait dit le signe « – » multiplié par deux. Mais c’est pas normal si vous voulez mon avis.

–          Pourquoi ? demanda la fille en forme de poupée obèse.

–          Passque les girafes elles viennent de la Terre et que la Terre elle existe plus !

–          Même pas vrai ! protesta quelqu’un, d’abord personne elle sait d’où ça vient les

girafes ! Tout le monde sait ça !

–          Ouais ! approuva la rousse. Même qu’on l’a appris à l’école ! T’as

oublié ?

–          Moi j’y crois pas, s’entêta yeux bridés.

–          Moi non plus, le soutint un petit bonhomme à lunettes.

Pendant un moment les adultes s’étaient tus, légèrement surpris qu’on parle d’eux comme s’ils n’étaient que des éléments du décor, réalisant non sans une certaine incrédulité – moins le professeur Wiz dont l’instinct le dirigeait vers une autre forme d’incrédulité qui tendait vers une panique pas moins concrète- le gouffre qui les séparait des enfants et de leur façon de voir le monde. Puis Lubna, qui ne perdait jamais très longtemps le nord, s’exclama à son tour :

–          C’est vrai, je me rappelle, la première fois qu’on est venu dans cette Crèche on nous a dit que personne savait d’où vous veniez vraiment. Tu te souviens doudou ?

La girafe resta muette, à peine devinait-on un mince sourire sur ses lèvres noires, mais était-ce un sourire ?

–          Pardonnez le commandant mes amis, intervint le professeur. Il ne vous dira pas d’où viennent les girafes, c’est un mystère insondable.

–          Même pour lui ?

–          Techniquement les girafes savent d’où elles viennent mais ce  est techniquement un mystère insondable. En d’autres termes personne ne serait capable de comprendre, disons qu’elles viennent de quelque part en tout cas.

–          Personne ? Même pas vous ? demanda la jeune femme.

–          A vrai dire… elles me l’ont révélé… euh… en fait elles m’y ont conduit… mais….

–          Mais quoi ? coupa soudain le Directeur Général avec la hauteur de celui qui croit déjà tout comprendre après avoir entendu tout ce qu’il croit savoir. Vous n’allez pas me dire que…

Le professeur réussit à lever un sourcil malhabile.

–          Que quoi… ?

–          Après les enfants, les ani…

La fin de sa phrase alla s’écraser sur le mur d’acier froid des yeux du professeur.

–          Monsieur Moncorget je vous plains, soupira Wiz.

–          Merci, moi aussi je me plains, soupira à son tour le comptable.

–          Non mais dites donc ! commença « Michel » en oubliant pendant quelques secondes qu’il n’était plus vraiment à Paris dans son grand bureau chic et cher en présence de subalternes mais, tout de suite, dominé par une reine qui, pour une raison qu’on ignore pour le moment, commençait à le trouver désagréable.

–          Taisez-vous s’il vous plaît, intima le commandant. Ce que le professeur essaye de vous expliquer c’est qu’il ne peut pas vous expliquer d’où nous venons, pas même nous autres, vous ne comprendriez pas.

–          Ah tiens donc ! Et pourquoi ? Encore une histoire de mœurs étranges peut-être, ironisa le Directeur Général. Ou alors « la vie est un rêêêve… » Ah ! Ah ! Ou bien alors c’est qu’on n’est pas assez intelligent ! Qu’on n’a pas le cerveau assez grand ! Vous nous prenez pour qui !? Ces enfants sont des génies ! Expliquez leur à eux !

–          A propos de cerveau… glissa une voix au-dessus de sa tête. Mais, caressée avec une langue bien froide et gluante de serpent venimeux, serait plus juste pour décrire exactement l’impression que fit cette voix sur Michel. Plus long, mais plus juste.

Le Directeur Général leva lentement la tête, la reine lui affranchit un de ses sourires spécial film d’horreur – elle n’en avait pas d’autre à son registre, certes, mais disons que celui là avait été réalisé par Ridley Scott, un homme de goût-

–          C’est ma partie préférée, insista la reine comme si sa voix ne faisait pas comprendre le reste.

–          Ah oui ? déglutit le Directeur Général.

–          Oui, confirma la reine par un lent mouvement des dents.

–          Oui, je me souviens dans le premier Alien …!

Une voix unanime s’éleva autour de l’intervenant.

–          La ferme Berthier !

Même la reine, qui avait momentanément quitté la contemplation du crâne de l’un pour le crâne de l’autre, à cette distance… oh un centième de seconde disons… Berthier rougit jusqu’aux oreilles mais resta coi.

Les enfants avaient regardé les adultes sans comprendre, ou peut-être n’avaient-ils simplement pas envie de comprendre, à leur manière ils étaient déjà assez grands comme ça. Mais leur instinct naturellement prédateur était maintenant centré  sur la reine qui penchait la tête de côté en toisant Berthier.

–          Oh dis donc ! lança une voix, c’est une vraie Az’hetôt’ !

–          Une quoi ? glissa Lubna à l’alien.

–          C’est le nom exact de ma race, grommela en retour la reine. Quelque part dans son cerveau de prédateur une lumière s’alluma. La même lumière qui s’était allumée quelques lignes plus haut dans le cerveau du professeur Wiz.

–          Moi j’en avais une quand j’étais petit ! affirma un garçon de cinq ans assis quelque part entre deux lemmings venus en visite.

–          Ouais mais c’est pas pareil ! Pas une grande ! protesta la première voix.

Berthier tenta un sourire vers la reine, instinctivement, sans qu’il ne sache trop pourquoi, il levait les bras.

–          Ça veut dire quelque chose ? demanda t-il avec une espèce de sourire en forme de délégation diplomatique.

–          De quoi ? grinça la créature.

Berthier, touriste patenté qu’il serait jusqu’à la fin de sa vie, il faut le craindre, était le genre d’homme qui demande toujours à l’autochtone comment on appelle cette chose dans sa langue et qui s’en repart ravi de savoir que ce cendrier en rotin se dit, en langue du cru : « saloperie pour touriste à la con. ». Le genre de type qu’adore en général tous les marchands de verroterie de l’univers.

–          Bah le nom de votre tribu là…

–          Tribu ?

–          Euh…

–          Vous m’imaginez avec un anneau dans le nez peut-être ?

–          Ah non, pas du tout, pas du tout alors !

Il était si terrorisé qu’on aurait pu lui clouer le mot « sincère » sur le front, il se serait laissé faire. La reine abandonna la partie.

–          Ma race ! Az’hetôt’

–          Ah… et ça veut dire quoi ? insista t-il dans un accès de suicide typique de certains types d’inconscient en pays torride.

–          Pourquoi il lève les bras lui ? demanda un gosse.

Les enfants étaient au spectacle maintenant.

–          Y croit que l’Az’hetôt y va dégainer ! s’exclama quelqu’un.

Berthier laissa aussi tôt tomber ses mains, confus. Tous les enfants se mirent à rire.

–          Mais de quoi vous parlez ? siffla la reine.

–          Euh… bin du de votre tri… race là… le nom ça un sens ?

Le Directeur Général hocha la tête.

–          Oui, c’est une intéressante question ça, après tout nous, nous vous connaissons que sous le nom d’alien, ce qui n’est qu’un mot d’anglais signifi…

Quelque chose semblait être passée par la tête du Directeur Général à l’instant même où la reine avait détourné son intention de lui et avait effacé de sa tête toute trace de terreur. En quelque sorte il personnifiait à lui tout seul cet axiome propre à l’humanité tout entière qui consistait à jouer avec le feu même après s’être brûlé.

–          Fermez-la ! siffla l’alien. Je sais pourquoi je déteste les gens comme vous, ajouta t-elle en retournant son énorme tête menaçante vers lui. Vous me faites penser à mon chef de service, tous les chefs de service sont comme vous ! Toujours à vous chercher des petites bêtes dans la tête comme si j’avais des cheveux !

Elle étira ses longues lèvres brunes découvrant un râtelier translucide, dégoulinant de bave acide, un petit garçon s’exclama en gloussant :

–          Oh, oh, je crois qu’elle va attaquer….

–          Beuh, il est où le bouton ? fit un autre en courant derrière la reine chercher le bouton-poussoir qui, jusqu’ici, dans son imaginaire perverti par l’industrie du jouet, avait toujours actionné la seconde mâchoire du monstre.

La reine se retourna, ahurie, pour autant qu’une sorte d’insecte de trois mètres de haut avec un crâne en corolle, beaucoup de dents et pas le moindre œil visible puisse avoir l’air de quoique ce soit d’autre qu’un cauchemar sur patte.

–          Euh ! Y’a pas d’bouton ! lança une petite fille plus âgée, c’est une vraie !

–          Ah bon ? s’exclama t-il en tendant le doigt vers la carapace du monstre.

Il se passa alors plusieurs choses en même temps. Tout d’abord un cri, échappé de deux bouches différentes qui n’auraient jamais cru un jour être d’accord pour dire exactement la même chose, même si ce n’était pas pour les mêmes raisons. L’une était celle du professeur, l’autre celle de Berthier, l’une et l’autre hurlèrent : « NOOOON ! » puis Berthier dans un accès d’héroïsme aussi inutile qu’insensé se jeta sur l’enfant alors que son doigt venait d’à peine effleurer la surface noire et froide d’une des pattes de la reine. Il roula sur le côté, le gamin dans les bras, et posant une main paternelle sur sa tête fit à l’adresse du monstre :

–          Laisse-le espèce de saloperie !

Sous l’effet de la surprise, Krome avait dégainé, il regardait maintenant la scène comme tout le monde, la bouche bée. Même la reine avait la bouche ouverte, mais pour une autre raison. On entendit un sifflement qui se mua en crachat comme les chats adorent se les lancer au museau avant la bagarre, puis… puis une espèce de gargouillis étranglé qui se termina par un autre sifflement mais celui-ci du genre à appartenir à un poumon de cancéreux. La reine porta d’abord les mains à sa gorge en titubant, avant de s’en fourrer carrément une dans la gueule… et de tirer.

–          Bah qu’est-ce t’arrive mon pote ? rigola le bandit.

–          M… ma… mâchoire… elle… euh… blo… bloquée, couina la reine en tirant dessus comme si elle voulait se l’arracher.

–          Oh non… gargouilla le professeur, il vous a touché…

La reine se tourna vers lui, affolée, elle sentait déjà la paralysie dans ses muscles. Quelque chose au fond d’elle venait de comprendre. Un sentiment de vide. Elle haïssait le vide, et il était en train de l’aspirer de l’intérieur.

–          Ah ! Ch’avais bien qu’fallait un bouton ! cria le petit garçon, triomphal, et se défaisant de l’étreinte de son sauveur, il fila dans le dos de la reine, en ajoutant : attends j’vais t’aider !

Il lui donna une grande claque dans le dos, du moins pour autant qu’un garçon d’un mètre vingt puisse taper avec efficacité le dos d’un monstre de trois. A vrai dire, malgré un petit bon sur des jambes comme des ressorts il ne réussit qu’à atteindre la base de la queue. Ce qui n’eut pas exactement l’effet escompté. La reine tenta de se retourner en faisant fouetter son énorme et létal appendice, et pendant une fraction de secondes, c’est bien ce qui se passa, mais soudain, alors qu’elle aurait dû revenir souplement et furieusement pour éparpiller le petit garçon aux quatre coins de la caverne, elle s’immobilisa dans une pose savante, ainsi que tout le reste du corps qui s’effondra raide et sans bruit, comme s’il ne pesait presque rien.

–          Bah qu’est-ce lui arrive ? fit le garçon déçu.

–          J’crois qu’elle est morte, indiqua la petite fille.

Les enfants s’approchèrent un à un, les adultes les regardaient sans un mot, seul la girafe et Lubna avaient leur attention fixée sur le professeur Wiz.

–          Qu’est-ce qui s’est passé ? souffla cette dernière.

Le professeur sentit que l’on sondait son esprit et il n’eut pas le temps de répondre.

–          Oh non… souffla à son tour la girafe à travers leurs esprits.

Et tout en disant ça elle mit dans son « oh non » tout ce qu’elle avait capté dans l’esprit du professeur. Essentiellement des images, des images comme des chiffres, des chiffres comme autant de couleurs, les couleurs d’un pouvoir total, complet, que rien ne pouvait canaliser, le pouvoir de l’imagination, une imagination au service d’une gigantesque machinerie qui allait du microcosme au macrocosme pour mieux le façonner. Et en un éclair, ils comprirent ce qui venait de se dérouler. L’imaginaire de l’enfant avait plié l’organisme de la reine à sa volonté, faisant d’un être vivant… un jouet. Krome fut le plus prompt à réagir. Réagir comme il avait toujours appris à le faire, tirer d’abord et discuter, éventuellement, après. Le coup de blast volatilisa un des gosses dans une purée d’os et de viande grillée. Les enfants s’égayèrent dans tous les coins, Berthier hurla, son chef également, Lubna tomba à plat ventre en entraînant son comptable avec elle et le professeur poussa un nouveau cri, éliminer les enfants ne servait à rien, au contraire, il renforçait le principe de certitude.

–          NOOON !

Mais c’était trop tard, Krome n’avait aucune envie qu’on le transforme en jouet, la culasse rebondit en arrière, un enfant virevolta dans les airs, les lemmings se mirent à crier en cavalant dans tous les sens.

–          Mais vous êtes devenu fou ! Qu’est-ce que vous faites ! C’est des enfants ! cria Berthier qui, comme à son habitude, n’avait pas bien saisi les enjeux.

Les yeux du professeur roulaient dans leurs orbites, complètement paniqué. Son regard croisa celui de Lubna et du comptable.

–          ALLEZ-VOUS EN ! ALLEZ-VOUS EN AVANT QU’IL SOIT TROP TARD !

L’instinct de la jeune femme répondit au quart de tour, tirant sur la main de son amant et l’entraînant à sa suite en courant ventre à terre. Les enfants avaient compris eux aussi, et leurs rires féroces parlaient pour eux. Soudain ce fut comme une grande partie de chat, si je te touche, tu deviens un jouet. Heureusement leur première cible était le bandit, Lubna et son compagnon – qui comprenait confusément que la tarte à la crème cette fois s’était additionnée de clou de tapissier- zigzaguèrent vers les parois de la caverne et trouvèrent une sorte de chemin d’escalade qui les mena trois ou quatre mètres en hauteur jusqu’à se retrouver bloqués par un savant amalgame de roches étranges et de racines pas moins bizarres. Derrière eux retentit un cri, puis il y eut une salve tirée vers le plafond. Un des enfants avait atteint Krome au visage avec un caillou, le gamin hurla :

–          T’ES MON JOUET ! T’ES MON JOUET !

Et les autres reprirent à sa suite :

–          WEEEEE UN VRAI PIRATE !

Il tomba à la renverse, l’arme lui échappant des mains. Il tenta de pousser une bordée d’insultes, mais elles restèrent plantées dans sa gorge, plastifiées. Son organisme lutta de toutes ses forces, si fort qu’il se mit à fumer, se débattant autant que ses 11 articulations sommaires le lui permirent, mais plus il luttait, plus ses neurones éclataient comme autant de bulles de caoutchouc sous la flamme. Ses souvenirs, sa panique, toute sa vie allaient épinglée comme des millions de petites aiguilles les cornes télépathes de la girafe qui poussa un long gémissement. Lubna détourna les yeux, horrifiée.

–          Faut qu’on s’en aille, vite !

–          Lubna on est coincé !

–          Viens ! On va trouver un autre chemin ! Dit-elle en l’entraînant d’autorité.

–          T’es sûr… doudou ?

Elle marqua une pose, le regarda gravement. Et rose.

–          T’m’as ‘pelé doudou ?

–          ‘ui

Ils se regardèrent longuement dans les yeux. Enfin peut-être pas si longuement que ça, mais les amoureux ont un certain don pour arrêter le temps, ou s’en absenter, allez savoir. Puis soudain, ils fondèrent l’un dans l’autre, bras, jambes et bouches emmêlées, satellisés dans une stratosphère qui n’appartiendrait plus jamais qu’à eux, statue mouvante dédié aux Amants.

–          Eeek !

Le corps de la jeune femme se dénoua comme un cobra et ses yeux cisaillèrent le lemmings en deux.

–          Quoi encore !?

Mais il en fallait bien plus pour impressionner Celui-Qui-Sent-Du Derrière-Et-Couine-Du-Nez, qui devait ses majuscules au raid victorieux contre les Serpatis.

–          Eeek ! Eeek ! insista t-il en agitant sa petite patte vers le bas de la caverne.

En bas un groupe d’enfants s’était approché de Krome et s’ingéniait à lui démantibuler un bras tandis que d’autres couraient après un Directeur Général terrorisé. Montcorget ne put s’empêcher de sourire.

–          Bah oui… et alors ? cracha Lubna.

–          Eeek ! Eeek ! répondit le lemmings en dressant son autre bras vers le plafond de la caverne.

Elle suivit du regard la direction indiquée, une paroi abrupte qui disparaissait dans l’obscurité.

–          Tu plaisantes j’espère ? demanda t-elle sévèrement.

Le lemmings n’eut pas l’occasion de répondre, une voix comme une tempête envahit toute la caverne. Une voix théâtrale, pleine d’emphase, la voix de quelqu’un qu’elle connaissait, assourdissante, comme la voix devait s’imaginer celle du dieu des Bible et autre récit mythologique.

–          LES ENFANTS !

–          C’est Toto ! C’est Toto ! s’exclama un gamin.

–          Il est où ? demanda un autre en regardant autour de lui.

–          JE SUIS PARTOUT MES ENFANTS ! TOUT AUTOUR DE VOUS. JE SUIS LA VOIX, VOTRE VOIE.

Lubna avait perçu les italiques et l’orthographe, ça ne l’étonna guère qu’il aime jouer sur les mots. Elle fut même surprise qu’il ne dise pas qu’il était le Verbe. Mais ce qu’il dit ensuite fut pour elle encore plus banal.

–          ATTRAPEZ-LES ! ATTRAPEZ-LES AVANT QU’ILS NOUS DETRUISENT

TOUS !

Les enfants n’eurent pas besoin qu’il leur explique de qui il parlait, tous les yeux se braquèrent vers eux.

–          Eeek ! Eeek ! Eeek ! les pressa Celui-Qui-Sent-Du Derrière-Et-Couine-Du-Nez.

–          Oh putain d’merde ! grommela Honoré quand le premier caillou vola au-dessus de sa tête.