Soleil vert

Tout le monde se souvient de ce film avec Charlton Heston, où aidé d’Edward G. Robinson, il découvre la réalité atroce qui se cache derrière les nouvelles tablettes nutritives en vogue. Ce film a tellement marqué les esprits qu’aujourd’hui chaque fois qu’on évoque les effets de la malbouffe, comme ces granulés que le gouvernement brésilien se proposait de donner à ses indigents, on compare notre situation à celle décrite par le film. Une société qui s’auto-cannibalise une fois qu’elle a tout ravagé. Ca revient comme une forme de gimmick sur les réseaux sociaux, présentez le dernier steak de synthèse proposé par l’industrie et dans le commentaire quelqu’un lâchera l’immanquable « Soleil Vert ». Ca nous rassure les épithètes, ça nous évite surtout de nous responsabiliser. Car finalement c’est assez simple, aucune entreprise actuelle ne se lance dans la conception d’un produit sans une très sérieuse étude de marché, donc si on fabrique de la merde dites-vous que c’est uniquement parce que vous êtes disposé à en manger. Mais finalement dans tout ça tout le monde a un peu oublié qu’avant d’être un film, Soleil Vert est un roman de Harry Harrison qui situait lui la catastrophe vers 1999. Or la trame du roman n’a rien à voir avec celle du film, et pour cause. Pas de révélation extraordinaire, pas de « green soylent » cannibale, pas de complots c’est largement pire que ça. Le roman en réalité suit le quotidien d’un flic qui enquête sur un petit crime crapuleux au milieu d’une fournaise surpeuplée et affamée : New York. Une fournaise où demeurent naturellement quelques privilégiés qui monopolisent le peu de ressources qui reste, pendant que la population mondiale continue d’augmenter inexorablement. C’est du reste l’obsession du vieil ami du héros, l’augmentation de la population mondiale, point de vue qu’Harrison oppose à la petite amie qui rêve encore en couleur d’avoir des enfants et une petite vie installée. Soleil Vert est en réalité un roman extrêmement noir qui nous entraine dans le monde de bientôt voir de maintenant, où tous continuent de fonctionner dans un aveuglement comptable pendant que dans une canicule infernale on manque d’absolument tout, vêtement, nourriture, eau. La population augmente, les gouvernements refusant de mettre en place une politique de restriction des naissances, les principaux intéressés continuant de se comporter comme des enfants avec des droits et aucun devoir ni envers eux, ni envers le monde qui nous entoure. En réalité ce que nous montre ce roman écrit en 1966 c’est qu’en dépit de l’effondrement du monde, rien ne change, strictement rien, ni avant, ni après, ni pendant. Une vision sombre, voir totalement nihiliste de notre avenir et du comportement humain en général à ce sujet, un aveuglement complet de l’humanité qui ne cesse au fil des pages de se trouver de nouvelles raisons d’espérer à un avenir meilleur alors que tout démontre qu’en fait d’avenir il n’y a rien de plus qu’une longue agonie au soleil.

« Le nihilisme vert, le meilleur atout du capital »

La phrase en titre m’a encore été servi il y a peu par un réactionnaire très attachés, comme tous ceux de son espèce, a m’assortir cette affirmation d’épithètes d’un autre temps sur les « gauchistes » car tout ce qui ne permet pas à un réactionnaire de rester circonscrit à ses schémas de pensée limités est forcément qualifié de « gauchiste ». Et je dois admettre que si on écoute le discours moyen de l’écolo même de la dernière minute, le tableau est en effet catastrophique, voir complètement anxiogène, et qu’il est nettement plus rassurant de se dire que la solution est là, ou ici, qu’avec un petit effort de chacun et des réformes politiques on peut sauver le monde. On peut également se dire et se rassurer que ces réformes n’ont pas lieu à cause des « gauchistes ». Ou au contraire opposer que le monde est aux mains du libéralisme le plus aveugle et que les seuls complices idéologiques à chercher à la propagation de ce libéralisme catastrophique est le consommateur lui-même. On peut également croire ce que nous disent les responsables politiques réunis à la COP21, imaginer que les fameux accords de Paris sont un pas formidables en dépit de l’opposition du bouffon infantile qui menace la paix dans le monde à coup de tweet. On peut oublier, c’est notre droit, que par ailleurs les mêmes états à la vertu toujours renouvelés signent des accords commerciaux transcontinentaux qui sont en réalité en termes d’environnement rien de moins qu’un suicide collectif. Oui on peut tout ça. Le toit a déjà été emporté, le premier étage est en train de brûler, il ne nous restera bientôt plus qu’un placard enfumé pour nous chamailler au sujet de qui est responsable de l’incendie ou sur la meilleure méthode pour l’arrêter avec un mouchoir et un verre d’eau, mais la maison brûle quand même, et l’incendie s’accélère.

Ecocide

Il y a quatre ans de ça, un été, une abeille s’est introduite chez moi et a piqué ma chatte qui s’est retrouvé avec une chique fameuse et qui ne comprenait pas pourquoi je riais. Les animaux ne se plaignent pas de leurs douleurs, je ne sais même pas si elle s’est rendu compte de ce qui se passait sur son museau, mais toujours est-il que c’est la dernière abeille que j’ai vu depuis. Quand je vivais à Paris, été comme hiver, le paysage le plus commun en dehors des pigeons c’était les moineaux qui s’ébattaient dans la poussière, n’avaient peur de rien même pas d’aller piquer des miettes de votre sandwich sous votre nez. Quand je me rends dans le square à côté de chez moi aujourd’hui, c’est rare que j’aperçois encore des oiseaux, et c’est bien normal ils sont morts. En Angleterre c’est 50% de la population des moineaux domestiques qui a disparu et en France 11%. On a du mal avec ce mot en occident « mort ». Nous avons tellement évacué la question, nous y sommes si peu physiquement confronté, nous avons tellement glamourisé la mort et la violence à travers le cinéma que quand on parle de 6ème extinction de masse, quand on souligne que 52% des animaux sauvages sont morts on préfère utiliser le mot  « disparus » et d’ajouter que par contre la population de panda a augmenté. La Chine utilisant les pandas comme moyen de communication politique leur préservation n’a rien de surprenante. Oui « disparus » comme s’il s’agissait d’un tour de magie avec aucun responsable ni coupable. Comme si les deux tiers des espèces vertébrés qui vont mourir d’ici 2020, d’ici 3 ans, n’avaient pas supporté l’inéluctabilité de la croissance qui doit continuer coute que coute et avaient décidé de s’évaporer dans un nuage de fumée. Et je pense que si on en entassait devant l’assemblée nationale la montagne de cadavres d’animaux morts que cela représente, et ce sans y ajouter les millions qu’on tue chaque année pour notre alimentation et surtout le seul bénéfice de l’industrie agro-alimentaire, la seule chose que retiendrait le monde c’est le scandale sanitaire, la violence de la provocation et éventuellement de gueuler sur des réseaux sociaux qu’il faut faire quelque chose. Bref l’animal le plus dangereux et le plus stupide de la planète s’en remet à la fatalité pour discuter de son avenir. Les abeilles disparaissent ? Pas grave on les remplacera par des drones pollinisateurs. Ce qu’on trouve dans nos assiettes est de plus en plus pollué, c’est pas grave on va manger des légumes achetés en circuit court. Le pétrole pollue tout et contribue au réchauffement planétaire, c’est pas grave on va fabriquer des millions de panneaux solaires et d’éoliennes qui n’ont d’écolo que le nom pour pouvoir continuer de faire tourner les millions d’appareils électroniques que nous produisons et jetons chaque jour. Car tout doit continuer comme avant, comme dans les années 50, 60, 70, 80… il suffit juste d’affiner nos besoins, segmenter les datas, et hop voilà la « croissance verte » ce formidable oxymore que nous a inventé le capitalisme cette idéologie de mort.

Aliénation globale

J’ai toujours rêvé d’avoir des enfants et en inconsolable romantique je me dis toujours qu’un jour, en dépit de mon âge, ça pourrait me tomber dessus. Je sais déjà que je ferais un excellent père mais je ne suis pas certain que la femme avec qui je les aurais serait disposée à ce qu’ils ne se rendent dans aucune école de la République pour apprendre à en faire de bon consommateur avec l’espoir d’un plan de carrière en CDI. Qu’au lieu de ça ils apprennent des boulots manuels, à être autonome alimentairement donc apprendre à cultiver, à chasser et dépecer (autant de chose que je serais également moi-même obligé d’apprendre, je précise), à être solidaire également et en toute circonstance, indépendamment de ses moyens, et surtout apprennent à faire sans au lieu d’avec. Apprennent à se rationner en eau, en viande, en plaisir divers et donc apprennent également d’autres formes de loisir que l’hébétude devant un écran de contrôle. Je crains que dans notre société  de babillement, une telle éducation soit comprise comme une contrainte briseuse d’enfance alors qu’à mes yeux c’est aujourd’hui la seule éducation valable si l’on souhaite à ses enfants un avenir pas trop mal commode, si simplement on les aime. Je sais également que dans l’esprit de biens de mes concitoyens c’est juste de la paranoïa, une forme de survivalisme, un truc d’américain fou quoi. Mais de toute manière, je l’ai déjà dit, je me sens de moins en moins concerné par votre société, vos petites agitations sans importance, vos débats politiques sans fin, les épithètes que vous vous lancez à la figure pour ranger telle personne dans un camp idéologique, vos chamailleries sur l’immigration ou la gouvernance du nouveau roi de France. Je vis au milieu d’une société malade, narcissique, qui n’a de cesse de regretter son passé, bref une société qui a le nez collé sur l’index qui lui montre la lune, j’en suis conscient et plus ça va moins je suis effaré par l’ignorance dans laquelle vous vous maintenez coûte que coûte de peur de lever la tête du guidon et de réaliser que le mur est à vingt mètres et que les freins sont cassés. D’ailleurs pourquoi le feriez-vous ? Les constats alarmistes se multiplient mais tout ça est généralement assorti de date lointaine 2050 et du conditionnel « on pourrait voir les espèces disparaitre ». Or il n’y aura plus de terre arable sur terre dans exactement 13 ans et des millions d’hectares sont déjà appelé à mourir.  Or la Californie brule depuis le mois de juillet et donc 52% des espèces animales du globe sont mortes. Non, ce qui compte c’est qu’un chanteur alcoolique est parti et que ça permette à un escrosophe de nous faire part de son sectarisme qui sera repris en boucle absolument partout. Ce qui compte c’est que le nouveau roi de France a fait de l’agitation indignée à propos de l’environnement tout en se proposant de continuer exactement comme avant sous le label « Nicolas Hulot approved-le logo est vert donc on peut avoir confiance » sous le label du green washing. Et quand un cinéaste filme l’image insoutenable d’un ours polaire crevant de faim, efflanqué comme s’il venait de sortir d’un camp, la planète média reprend la vidéo en boucle, tout le monde pleurniche et passe à autre chose, c’est bientôt Noël. Le camp lui reste ouvert et pour le moment ce sont les ours blancs, la faune aquatique, et les oiseaux marins les premières victimes. En fait cette vidéo m’a fait penser à une autre, cette petite fille victime d’une catastrophe naturelle, coincée dans la boue, accrochée à un bout de bois, les yeux noyés par la terreur et que le monde entier a regardé crever lentement entre la poire et le fromage. Tout en se scandalisant que de telles images soient disponibles. Je me suis obligé à regarder cet ours, à ne pas l’oublier, jamais et j’ai allumé un bâton d’encens pour lui. C’est parfaitement dérisoire, parfaitement pathétique mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour exorciser moins ma peine que ma rage et mon mépris pour mes semblables.

Suicide collectif

Dans le film Soleil Vert il y a deux moments qui m’ont irrémédiablement marqué. Quand Charlton Heston découvre un dérisoire pot de confiture et s’en régale comme un assoiffé qui n’aurait pas vu d’eau depuis une semaine. Et quand Sol, va volontairement mourir en regardant des paysages passés sur fond de Pastorale. Depuis je ne cesse d’associer la Pastorale à ce moment, et à la beauté de la nature qu’il filme. Beethoven voulait décrire le printemps musicalement c’est donc un printemps magnifiques que j’ai dans la tête chaque fois que j’écoute cette musique découverte à l’occasion de ce film. J’ai 53 ans en 2017, je n’avais pourtant jamais envisagé que si j’atteins ou dépasse les 70 ans je vais un jour me trouver exactement dans la situation que Heston pour la confiture et Robinson pour l’inconsolable mort programmée, que j’allais probablement vieillir entre Soleil Vert le film et Soleil Vert le livre.  Et que pendant que je vieillirais sur un caillou désolant, les autres naufragés continueront de se lancer des épithètes idéologiques à la tête et d’imaginer qu’ils ont encore un avenir. Je ne me fais aucune illusion à ce sujet, il me suffit de me balader dans mon quartier ou un réseau asocial pour observer l’inconscience générale. Et on ne peut même pas parler d’ignorance puisqu’on ne cesse de nous le répéter, l’environnement se dégrade à vue d’œil. Non c’est une aliénation volontaire, conscientisée et systématiquement renouvelée chaque fois que vous allumez votre poste. Ou peut-être est-ce que c’est même pire peut-être que vous êtes vous-même tellement empoté que vous n’avez pas été foutu d’élever vos gosses à savoir faire des choses élémentaires comme cuire des œufs, ou faire renouveler sa carte de crédit. Ce n’est pas des exemples prit au hasard, l’autre jour un gamin de mon quartier, 19 ans, petit dealer intérimaire de son état, m’avouait que quand il voulait des œufs il demandait à sa petite sœur. Et je viens de perdre 20 minutes à la poste parce que non seulement le gamin devant moi voulait faire changer sa carte de crédit sans justificatif de domicile et juste avec une carte d’identité à la mauvaise adresse, et voyant que la dame faisait juste son travail en le ramenant dans le monde réel, d’aller pleurnicher auprès de papa qui s’est mis à pourrir l’employée au nom de son lombric de fils.

Oui c’est sans doute pire. Depuis 17 ans, depuis que je suis tombé malade, je vis dans la précarité. J’ai appris à faire beaucoup sans et en fait même si ce n’est ni volontaire ni agréable, même si je ne suis pas parti en vacance depuis 16 ans, même si je ne participe à aucune de vos réjouissances ritualisées, Noël, Jour de l’an, vacance d’été, Pâques, que sais-je, je suis contant de connaitre ça, moi je suis prêt à ce qui va suivre. Ca n’a pas toujours été le cas. Quand je me suis retrouvé à la rue la première fois j’étais terrorisé à l’idée de sombrer, et pourtant j’ai survécu et aujourd’hui je n’y suis plus. J’ai découvert que j’avais infiniment plus de ressources que je ne le croyais, voir que tous ceux qui au cours de ma vie ont voulu me faire mon éducation. En fait en ce moment je me sens comme quelqu’un qui aurait vu deux fois la Seconde Guerre Mondiale, assisté deux fois au procès de Nuremberg et qui à la veille de la vivre une troisième entendrait des gens dire « plus jamais ça ».  L’autre jour, fait rarissime j’ai voulu regarder la télé, n’importe quoi comme fond sonore pendant que je cuisinais. Je me retrouvais devant une émission de consommation, infomerciale déguisé en reportage sur les « fous de Noël » où un animateur expliquait que c’était de plus en plus tendance de dépenser des fortunes pour décorer cette pitoyable fête. Et de nous faire part de deux aliénés, l’une visiblement nantis qui se proposait de s’offrir un conifère de deux mètres le temps de cette farce, car après tout les arbres sont des objets jetables, et un autre, simple employé, qui chaque année dépense des montagnes d’argent pour illuminer sa baraque d’un festival son et lumière, comme aux Etats-Unis où ce gâchis formidable d’énergie et d’argent est également une tradition. Comme toutes ces émissions celle-ci n’avait qu’un but, mettre dans la tête des gens  l’achat indispensable de décoration pas moins indispensable à un événement sacré (chaque année de terribles disputes pour savoir si crèche ou pas en raison de la loi de 1905) tout en mettant en lumière des comportements déviants à seul fin que le consommateur puisse se dire « ah non moi je ne suis pas comme ça, je n’achèterais que cinq guirlandes au lieu de dix ». Mais ce que j’ai retenu c’est que pas une seule seconde quelqu’un se scandalise qu’on coupe des arbres dans le seul but de les voir crever dans son salon sous des tonnes de saloperies à base d’énergie fossile. Et que comme chaque année mon quartier va se retrouver avec des arbres morts sur le trottoir. Parce que c’est censé être la fête des enfants, qu’il faut enchanter nos petits, les faire rêver comme il sied au temps de l’enfance. Après tout c’est pas tous les jours qu’un enfant occidental peut manger à sa faim, traverser une rue sans être bombardé, avoir de l’eau potable ou chier dans cette même eau. C’est pas tous les jours qu’ils peuvent s’acheter 50 jeux vidéo ou poupée Star War ou passer 8h devant un écran. Il est normal donc que Noël leur soit consacré, important de respecter des traditions idiotes au sujet de superstitions pas moins absurdes car après tout c’est le moment magique que toute la société de consommation attend, l’orgie généralisée, autorisée, mieux, institutionnalisée. Au fait est-ce que quelqu’un s’est amusé à calculer le bilan carbone d’un Noël moyen en occident ?

Allez, puisque c’est la saison je vais vous faire un cadeau, je vous prévient c’est très long, très déprimant et si vous n’êtes pas convaincu par la catastrophe en cours vous ne le lirez simplement pas, mais ça me semble plus utile de lire ça que la dernière recette tendance pour la dinde « écoresponsable », bonne lecture : https://partage-le.com/2017/12/8414/

 

Gladys

Gladys regardait les steaks griller sur la plancha. Quinze centimètres de barbaque épaisse comme un doigt qui fumaient et grésillaient sur la plaque d’acier surchauffée, un peu de beurre persillé qui courait sur la chair grise. Elle revoyait les lambeaux de viande à la broche, entendait les rires, les cris de joie, la saoulerie. Derrière elle le pizzaïolo était occupé à étaler ses pâtons, il travaillait vite, les gestes automatisés, le visage creusé et tendu, au-delà, par le passe-plat bruissait la foule des clients. Vendredi soir dans le centre de Lyon, les touristes, les familles, les étudiants en goguette, deux cent couverts minimum. Les bruits de la salle se confondaient aisément. De loin, l’esprit ailleurs ça aurait pu être le vent sur la brousse, les insectes dans les hautes herbes, le cri des singes et des oiseaux. Et les rires, les rires des camarades, les blagues qui fusaient, les déclarations guerrières. Le tintement des bouteilles de vin de palme, l’odeur de l’herbe qui se mélangeait à celui de la forêt environnante, de la graisse d’arme, de la transpiration, de la viande cuite. Du sang frais.

–       Oh ils arrivent ces steaks salades !? Gladys tu fais quoi ?

Gladys n’était pas là, les yeux rivés sur un paysage intérieur de son passé. Le responsable fit signe au pizzaïolo qui se retourna et lui tapa sur l’épaule sans un mot. Gladys leva les yeux. Distraite, absente, avec une lueur étrange dans le regard.

–       Gladys ça va ? Les steaks c’est pour quand !?

Le responsable avait une petite quarantaine d’année, grand, mince, blond avec un air perpétuellement anxieux, pressé. La pizzeria appartenait à une chaine locale comprenant trois autres établissements, Gladys était là depuis un mois et depuis un mois il était derrière elle à surveiller tout ce qu’elle le faisait, à la former et à la houspiller chaque fois qu’elle rêvassait comme là.

–       Oui ça va là, ça arrive, ça arrive.

Et distraitement elle retourna la viande avec sa spatule. Le responsable fixait la plancha qui fumait.

–       On avait dit deux saignants et un à point, pas les trois à point !

–       Hé ? Mais arrêtes de t’inquiéter là, je sais ce que je fais ! S’exaspéra la jeune femme.

Elle n’était pas grande, peut-être un mètre soixante ou soixante deux, avec des bras et un visage nerveux, le front bombé, la bouche épaisse aux lèvres mauves, des petits seins, les jambes légèrement arquées, la peau couleur minuit qui brillait par éclats métalliques sous l’éclairage cru de la cuisine.  Elle portait une tenue de cuisine noire avec un bandana de même couleur qui lui enfermait ses cheveux réunis en chignon. Elle avait un peu l’air d’un ninja et c’est ce qui lui plaisait dans cette tenue, ça ressemblait à ce qu’elle portait là-bas. Il avait fallu que le responsable se bagarre avec elle pour qu’elle ne travaille plus en tong et qu’elle cesse de grignoter pendant le service, les garnitures réservées aux pizzas. Gladys avait souvent faim. Dès qu’elle pouvait elle mangeait quelque chose. En réalité ce n’était pas vraiment de la faim, c’était l’abondance. Elle qui avait survécu parfois en n’ayant à manger que de l’herbe, l’Europe, la France, lui était immédiatement apparu comme un gigantesque frigo dont elle avait l’impression de profiter comme une princesse, chaque fois qu’elle pouvait avaler quelque chose qui lui faisait envie. Elle aurait pu être obèse si son organisme ne brûlait pas tout comme un réacteur nucléaire. Son corps était comme ses bras, secs, musclés, nerveux et couvert de cicatrices. Le visage du responsable s’allongea, il se précipita dans la cuisine et alla directement voir la viande.

–       Pas m’inquiéter ? Cette viande est archi cuite !

Elle le regarda distraitement, il avait vraiment l’air scandalisé. Avec les blancs c’était toujours pareil, ils se prenaient tous tellement au sérieux, comme s’ils étaient général de quelque chose, lanceur de fusée.

–       Hé ? C’est très bon comme ça, la viande ça doit être bien cuit sinon il y a maladie là !

Elle se rendait parfaitement compte qu’elle était de mauvaise foi mais admettre son erreur devant ce blanc c’était une autre question. Il la bouscula, attrapa la viande avec les doigts et la jeta dans la poubelle.

–       C’est de la merde ! On n’est pas en Afrique ici hein, y’a pas de maladie ! S’écria-t-il.

Il ouvrit le frigo, attrapa le bac à steak, prit trois nouvelles tranches et les jeta sur la plancha. Gladys regardait la poubelle à la fois furieuse et outrée. Comment osait-il jeter de la nourriture comme ça ?

–       Hé mais toi pour qui tu te prends pour jeter la viande comme ça hein !? Aboya-t-elle des éclairs dans les yeux.

Le responsable la regarda stupéfait, elle se tenait jambes bien campée, les poings sur les hanches, le fixait l’air réellement furieuse. Des employées dans son genre, il en passait tous les mois, toutes les semaines parfois. Le personnel allait et venait dans les cuisines. Il faisait son possible pour écrémer les candidats à problème mais il avait aussi des besoins, des urgences. Comme de trouver un grilladin rapidement depuis que le dernier avait obtenu un boulot mieux payé ailleurs. Il faut dire que la boite ne payait pas beaucoup. A peine mille deux cent euros pour un employé expérimenté, huit cent dans son cas. Seuls les serveurs touchaient un pourcentage sur leur recette s’ils avaient de bons chiffres. Pour faire rêver les cuisines il promettait mutuelle et actionnariat au bout d’un an et demi de fonction. Mais Gladys s’en fichait, tout ça c’était des trucs de blanc pour manger leur salaire. C’était son troisième emploi depuis qu’elle avait obtenu une carte de séjour d’un an, tous aussi mal payés, tous durs, tous sous la tutelle d’un blanc ou d’un autre. Trois emplois mais seulement deux boulots, femme de ménage ou cuisinière, qu’est-ce qu’elle aurait pu faire d’autre ? Elle avait quitté l’école à sept ans. Tout ce qu’elle savait de la vie de femme c’était ça, faire le ménage et la cuisine pour les hommes. Sauf dans la brousse, dans la brousse elle était Cœur Noir, Capitaine Cœur Noir, et aucun homme ne la commandait. Le responsable n’était pas le genre d’homme à s’encombrer, un mois qu’il essayait de faire quelque chose de cette fille, et puis il y avait cette désagréable manie de le tutoyer, il en avait assez. Elle travaillait dur et savait mettre les autres au travail mais justement, elle se prenait un peu trop pour la chef.

–       Bon ça suffit, vous prenez vos affaires et vous vous en allez.

La bouche de Gladys se referma d’un coup sec, stupéfaite, décontenancée un bref instant. Prise d’un mouvement d’humeur elle renversa un bac plein de sauce tomate par terre qui explosa comme une nappe de sang sur le lino. Elle resta une seconde à contempler la flaque à ses pieds éclaboussés, comme hébétée puis l’enjamba d’un pas furieux et fila dans les vestiaires.

–       Non mais ça va pas ! S’écria le responsable en la suivant. Je vous préviens vous allez nettoyer avant de partir !

Elle lui claqua la porte du vestiaire au nez. Elle entendait les cris, le staccato des Kalachnikov et des PKM, les cadavres flottaient sur la surface du fleuve le ventre ballonné, un ruisseau de sang courait le long du caniveau. La tête lui tournait, elle se changea en vitesse, jetant ses affaires dans un sac en plastique avec ses sabots. Ils étaient au restaurant, mais qu’est-ce qu’elle en avait à faire. ? Elle ouvrit la porte, le blanc était toujours là, bras croisés, indigné comme les blancs savent l’être.

–       Je vous préviens vous allez tout nettoyer avant de partir !

Elle le regarda l’air de se dire qu’il était fou, le bouscula et passa dans l’autre pièce. Il avait aperçu les sabots dans le sac, il la poursuivi.

–       Montrez moi ce que vous avez prit ! Dit-il sur ses talons.

Mais elle n’écoutait pas, elle croisa le regard du pizzaïolo qui nettoyait la sauce tomate, d’autres images lui traversèrent la tête, toujours les mêmes. La guerre, la brousse, les morts. Quand le responsable essaya de la retenir par le bras. Soudain ce fut comme si son esprit oblitérait toute pensée, tout souvenir, elle se retourna à la vitesse d’un serpent saisissant le couteau qui trainait sur une planche à découper et lui colla le tranchant sur la gorge. Ses yeux parlaient de meurtre, son visage était un bloc de rage, pendant un instant le responsable crut qu’il allait mourir.

–       Gladys ! Mais qu’est-ce que tu fais t’es folle !? S’écria le pizzaïolo.

Ses phalanges blanchirent sur le manche, elle appuya un peu plus sur la gorge au point de faire perler le sang, l’autre était livide, n’osait plus rien dire puis aussi soudainement qu’elle s’était emparé du couteau, elle le laissa tomber par terre et sorti en trombe.

Gladys vivait en France depuis quatre ans, dont trois comme illégal. Elle avait eu de la chance, un de ses anciens patrons avait appuyé sa demande de carte de séjour, et comme c’était un de ces blancs qui connait du monde, elle l’avait obtenu sans mal. Et puis le blanc avait voulu coucher avec elle. Gladys ne supportait plus qu’aucun homme la touche. Elle avait été violée trois fois dont une fois par plusieurs hommes et divers outils, ils l’avaient laissé pour morte, anéantissant tous ses espoirs de devenir maman, elle s’était juré que le prochain elle le castrerait avec les dents. Mais on ne fait toujours comme on veut et elle avait été violée deux autres fois après ça. Alors plus jamais. Le blanc n’avait pas beaucoup apprécié qu’elle le gifle à tour de bras, il avait même fait venir la police, mais ce n’était pas grave, à l’époque elle avait déjà sa carte de séjour. Elle vivait dans un squat du troisième arrondissement. Un immeuble condamné à la démolition qu’elle avait investi avec quelques autres, deux syriens, une famille de malien, trois somaliens, une famille de roumain. La méfiance régnait entre eux, les roumains se méfiaient des noirs en général, les syriens se méfiaient de tout le monde, les maliens regardaient les somaliens de travers. Mais cahincaha ils cohabitaient sans que leur différence et leur méfiance n’en viennent aux mains et n’attire bêtement la police. Gladys n’avait plus aucune famille, frères, sœurs, parents massacrés par les rebelles, du moins c’est qu’elle avait cru jusqu’à il y a sept mois, jusqu’à ce qu’elle reçoive un coup de fil d’une assistante sociale. Pauline, sa sœur était en vie ! Et mieux elle était en France ! A Paris. Elle avait eu plus de chance qu’elle, recueilli par des pères blancs, ils lui avaient obtenu le statut de réfugié et l’avaient envoyé en Europe. Depuis elle avait fait son chemin. Elle était coiffeuse dans un salon de blanc et vivait à Saint Denis avec son petit copain, un blanc également. Elle était même venue à Lyon une fois la voir. Ah la, la quelle retrouvaille après toutes ces années ! Elles étaient même allé au restaurant ensemble, et comme elles avaient du mal à se quitter, cette nuit là, elles avaient dormi dans la chambre d’hôtel de Pauline, dans les bras l’une de l’autre, comme quand elles étaient enfants. Gladys rêvait de monter à Paris la rejoindre encore fallait-il en avoir les moyens. Tout coûtait cher chez les blancs. Le voyage, les habits, le manger, et puis il faudrait trouver un logement et un travail. Déjà qu’elle avait du mal à garder le sien ici…  Avant de faire le ménage ou la cuisine elle avait bricolé, vendu des parfums et des sacs à main contrefait, cueilli le raisin et les fraises, elle s’était même fait embaucher dans une usine, aux expéditions, jusqu’à ce que l’inspection du travail se pointe. Elle rentra à pied histoire de se calmer, chasser les images qui lui traversaient la tête, dissiper les sons. Pourquoi elle s’était remit soudain à penser à tout ça ? A ce qu’ils avaient fait dans la brousse, à la guerre, aux ennemis qu’on mangeait ? Ca faisait au moins deux ans que ces souvenirs ne l’a hantaient plus. Pourquoi ce soir ?

Gladys croyait en Dieu, et pendant des années elle avait cru que Dieu était avec elle. Pendant des années elle avait été convaincue que Dieu punissait ceux qui faisaient du mal et récompensait les gentils. Mais Dieu s’en fichait. Dieu n’avait pas tué ceux qui avaient massacré sa famille, elle n’avait jamais réussi à se venger de ses violeurs, pire, elle avait autorisé ses hommes à violer, des fillettes, des vieilles, des femmes, peu importait. Est-ce qu’elle croyait pour autant au destin, que Dieu nous avait déjà tracé notre route ? Non pas, mais elle croyait au message, et cette nuit là elle rentra avec un mauvais pressentiment qui lui fit appeler sa sœur, elle était sur répondeur. Elle rappela le lendemain, la même chose. Elle avait passé la nuit à faire des cauchemars, elle était de plus en plus inquiète et sorti de son lit de mauvaise humeur. Elle partageait l’étage avec les maliens. Ils s’étaient arrangés pour monter une bouteille de gaz et un réchaud, la cuisine se tenait dans ce qui avait été un salon, quatre chaises disparates, une table de camping, la vaisselle dans un seau d’eau et le mari et la femme entrain de boire un café en silence. Ils se saluèrent, comment ça va ? Ca va, les enfants ? Dieu merci ils vont bien. Les palabres habituelles, tous les jours les mêmes, pas beaucoup plus. Ce matin ça lui allait très bien. Un grand café, une toilette sommaire au seau, et une longue marche à travers le quartier l’aida à chasser les cauchemars et ils ne réapparurent plus les jours qui suivirent. Pourtant le surlendemain elle avait de quoi être inquiète, le téléphone de sa sœur était carrément coupé. Elle ne connaissait pas le numéro de son petit ami, juste celui de l’assistante sociale qui lui dit qu’elle ne l’avait pas vu depuis au moins un mois. Gladys décida de vider les trois cent cinquante euros qu’elle avait sur son compte et prit le bus jusqu’à Paris.

Elle avait son adresse parce qu’elle le lui avait écrite, excepté qu’elle savait à peine lire et pas du tout écrire. Gladys était une fille simple qui avait appris à se débrouiller seule en Europe comme dans son pays, elle demanda son chemin sans ambages à une fille qui lui semblait gentille, bonne pioche, la fille lui indiqua la ligne de métro. C’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans la capitale, tout ce monde, ces avenues interminables, ces tunnels de métro odorant la pisse, ça lui faisait mal à la tête. Quand le musicien vint jouer de son accordéon, elle fit énormément d’effort pour pas se jeter sur lui et accueilli la surface avec délivrance. La première chose qui l’avait frappé en arrivant en Europe c’était les mendiants, il y en avait partout, et à Paris en particulier. Dans son pays c’était mal vu de mendier, à moins d’être handicapé c’était les feignants qui mendiaient. Elle ne s’était jamais avili jusque là, Dieu l’en garde, elle préférait voler plutôt que supplier. Mais ici c’était comme si tout le monde perdait le peu de dignité qui lui restait, comme si ça ne suffisait déjà pas d’être loin de chez soi, obligé de vivre dans un pays froid, compliqué et remplit de blancs. Dans son esprit les blancs ce n’était pas forcément l’ennemi mais c’était le pouvoir, et le pouvoir il fallait s’en méfier. Comme les chinois, eux aussi c’était le pouvoir, d’ailleurs elle ne les aimait pas beaucoup en plus de s’en méfier. Ils étaient racistes, intraitables en affaire et on ne savait jamais ce qu’ils pensaient. Comme elle se méfiait des arabes, des rwandais, des centrafricains, des angolais et plus simplement de tout ceux qui n’était pas de sa région, de son ethnie et qui ne parlait pas sa langue natale. Pour elle, vivre aussi loin du monde qu’elle connaissait c’était comme d’être un chien vivant au pays des chats. Tout était motif de défiance, tout ou presque était nouveau et étrange, tout n’était qu’un outil dont elle se servait pour survivre, les gens, les choses, les institutions. A nouveau elle se fit aider pour trouver son chemin s’adressant à des noirs au hasard du chemin. Reconnaissant un pays elle lui demanda s’il connaissait sa sœur, il lui rit au nez. Finalement elle parvint à l’adresse indiquée. Le hall était envahi par des jeunes qui fumaient du shit et en vendait probablement, Gladys ne fumait plus depuis qu’elle était en Europe, ça lui donnait des cauchemars, et évitait même de boire parce qu’elle savait qu’elle avait le sang chaud quand elle était alcoolisée. Elle ne fit pas attention à eux et sonna à l’interphone, en vain. Finalement elle parvint à entrer en passant derrière une vieille dame, mais à l’étage non plus ça ne répondait pas. Elle avait roulé toute la nuit, il était à peine sept heures du matin, où pouvait-elle bien être ? Gladys commençait à être très inquiète. Faute de mieux elle questionna les garçons en bas mais personne ne la connaissait comme ça arrivait dans ce genre de grand ensemble, est-ce qu’ils connaissaient en revanche son copain Kevin ? Oui ça leur disait quelque chose, apparemment c’était un « cli » comme ils disaient, un client. Mais ils ne l’avaient pas vu depuis quelques jours déjà. Si elle avait été une blanche elle serait allée voir la police, si elle avait même été française elle serait allée les voir. Mais par chez elle la police ne valait pas beaucoup mieux que les bandits et à moins d’avoir de quoi les payer jamais ils ne se bougeaient. Alors elle imaginait que c’était plus ou moins comme ça ici, ce qu’elle avait vu jusqu’à présent de la police locale ne l’avait pas invité à croire à la justice, à l’égalité, la fraternité et tout leur nanani. Les policiers aussi étaient racistes. Au lieu de quoi elle se chercha un hôtel en ville. Cinquante euros la nuit, un lit, un bureau, une armoire, une vraie salle de bain, une télévision, pour elle comme un goût de luxe. Elle alla faire les courses, de quoi manger froid devant la télé, prit une douche, fit une sieste toujours devant la télé. Elle ne s’était jamais habituée au confort des matelas, même chez elle, elle dormait sur une couverture à même le sol, comme au pays, comme dans la brousse. A la télé des blanches se disputaient dans une grande cuisine de luxe, elles étaient en maillot de bain, entourés de garçons et de filles, les garçons étaient tous tatoués. Les Anges à Miami. Elle aimait bien regarder les émissions de télé réalité, des blancs bêtes dans des décors de rêve, elle s’imaginait à leur place, en Amérique. Avec sa débrouillardise elle était sûr qu’elle s’en sortirait, en plus elle était travailleuse, en Amérique ça comptait. Parfois elle rêvait d’aller là-bas, à New York ou Los Angeles mais ça lui semblait si loin que c’était comme de regarder un film dans lequel on ne serait jamais. Quand elle était au pays déjà elle en rêvait de cette Amérique là, avant que la guerre ne l’emporte elle et toute sa famille elle parlait de partir et s’installer là-bas, mais finalement ça avait été l’Europe parce que c’était tout ce que les passeurs proposaient. Elle retourna à l’immeuble dans l’après-midi, toujours en vain. Si seulement elle avait eu l’adresse de son travail ! Gladys alla s’installer sur un des bancs du square non loin et attendit. Le soir vint sans qu’elle ne voie signe de vie de sa sœur. Alors elle se résolu à demander aux voisins.

–       Ils sont partis, lui expliqua une dame.

–       Partis ?

–       Il y a deux ou trois jours, je sais plus, ils sont partis avec des amis je crois.

–       Des amis ? Tu les connais?

–       Non, ils étaient avec eux quand je suis revenu des courses. Alors vous êtes la grande sœur de Pauline ? C’est une gentille fille Pauline.

–       Oui… euh. Tu sais où ils sont allé ?

–       J’ai pas demandé mais ils avaient l’air pressé.

Elle trouvait ça louche, elle rentra à l’hôtel en ruminant, essaya de se distraire en regardant la télé mais comme ça ne passait pas descendit à la recherche d’un bar ouvert le soir. Finalement ce fut un pub avec des tables de billard et les jeunes du coin en train de jouer autour. Gladys se rendit au comptoir, se posa sur un tabouret et commanda une pinte. Il y avait deux groupes, une bande avec des garçons et des filles et une autre composée uniquement de garçons, au bar se tenait également quelques jeunes et quelques moins jeunes. Elle les observait distraitement en réfléchissant à un moyen de retrouver sa sœur. Peut-être que la voisine savait où ils travaillaient l’un et l’autre, ça serait un début, et puis aussi aller voir dans les hôpitaux, au cas où.

–       Hé maman je te payes un verre ?

Elle leva les yeux sur un noir à peau claire, sweat rayé, collier de corail autour du cou, beau sourire, la trentaine, mais elle n’était pas intéressée.

–       Non merci j’ai ce qu’il me faut, répondit-elle en détournant la tête.

–       Oh maman je mord pas tu sais, insista l’homme.

Elle ne répondit pas contemplant les jeunes là-bas. Des garçons comme dans le hall de sa sœur, avec des casquettes et des survêtements, le genre dont elle se méfiait comme du reste. Il posa sa main sur son avant-bras.

–       Allez fait pas la gueule, un de perdu dix de retrouvé.

Elle se tourna vers lui sans comprendre et dégagea son bras.

–       Eh maman t’énerve pas, je plaisante !

–       Laisse-moi tranquille toi d’accord ?

Ses yeux ne plaisantaient pas, le ton était sec, le type recula par réflexe, un peu surpris. Elle l’oublia aussi tôt retournant à la partie de billard là-bas, quand une fille passa devant elle, commander un verre. Ses boucles d’oreille. Gladys tomba en arrêt devant ses boucles d’oreille. Deux triangles d’argent ciselé rehaussée de perles de couleur.

–       Eh mais toi où tu as eu ces boucles d’oreille ?

La fille, une arabe d’une vingtaine d’années, la toisa avant de répondre.

–       C’est mon copain qui me les a offert, pourquoi ?

Parce qu’elle les avait elle-même offert à sa sœur la dernière fois qu’elles s’étaient vu, elle en aurait donné d’autant sa main à couper qu’elle avait été obligé de les réparer avant de lui donner, changer deux perles qui s’étaient détachées quand elle les avait volé.

–       Ton copain ? Il est où ?

Elle regarda les garçons à la première table, la fille recula.

–       Eh mais elle bizarre celle-là, reste tranquille toi.

–       Où il est, montre le moi ! Ordonna Gladys.

La fille s’éloigna vers ses copains en faisant un signe qu’elle était folle, un des garçons s’approcha.

–       C’est quoi le problème Samia ?

–       La khalouch là, elle en veut à mes boucles d’oreille.

–       C’est quoi ces conneries ?

Il regarda Gladys, elle se tenait raide, la bouche ouverte, les yeux mauvais.

–       C’est toi son copain ?

–       Qu’est-ce que tu veux toi ?

–       Réponds c’est toi son copain ?

–       Ouais pourquoi c’est quoi ton problème à toi ?

–       Les boucles d’oreille où tu les as eu ?

Elle remarqua son changement d’expression.

–       Je les ai acheté pourquoi ?

Elle n’en croyait pas un mot, elle le lisait sur son visage il mentait. Il racontait des bobards comme un villageois essayant de sauver un sac de riz, elle savait lire les expressions des gens, c’était une des choses qu’on apprenait à la guerre.

–       Tu mens ! Tu les as volé ! Où est Pauline !?

Instantanément son visage se referma, comme s’il venait de réaliser qu’elle avait découvert son mensonge.

–       Hein ? De quoi tu parles toi ? T’es malade connasse ?

Ce fut le moment que choisi le lourd pour intervenir.

–       Allez maman, laisses, tu vois bien qu’il sait pas de quoi tu parles, dit-il en l’encourageant, la main sur l’épaule. Qu’est-ce qu’il avait à toujours vouloir la toucher celui-là ?

Elle bondit de son tabouret comme un ressort.

–       Toi dégages ! Fous moi la paix ! Aboyé, les lèvres retroussées comme si elle s’apprêtait à mordre.

Le type recula, interloqué mais l’éclat avait attiré l’attention du portier. Il approcha sa masse et demanda ce qui se passait.

–       Eh mais je sais pas moi c’est cette conne qui fait des histoires là.

Traité de conne une fois de trop. Ignorant la carrure du portier elle se jeta sur lui si violemment qu’elle le renversa par terre.

–       Où est Pauline !? Voleur !

Le portier l’écarta sans mal et la mit dehors alors qu’elle hurlait toujours après sa sœur et qu’il était un voleur. Une fois sur le trottoir, elle essaya de parlementer avec le costaud mais autant s’adresser à un mur, il lui dit que si elle ne décanillait pas vite fait il se chargerait de lui botter le cul. Gladys disparue dans la nuit, tremblante de colère. Elle n’était pas le genre de fille à renoncer facilement, ni à oublier. Au lieu de retourner à son hôtel elle attendit sur le trottoir d’en face que le garçon sorte. Elle se tenait dans le renfoncement d’une porte de sorte qu’on ne la voit pas du pub. Elle ruminait, l’inquiétude, la colère, la frustration. Si bien que lorsqu’il apparu enfin avec ses copains, elle était un fauve prêt à bondir. Mais il ne lui donna pas l’occasion de le faire, montant en voiture et disparaissant alors qu’elle essayait de déchiffrer la plaque. Elle avait reconnu deux lettres un M et un L et deux chiffres, 93.

Cette nuit là elle dormi peu et mal. Les souvenirs qui revenaient et se mélangeaient. La fois où ils avaient attaqué le village et tué ses parents à coup de machette. Elle entendit les hurlements de sa mère, revit la cervelle de son frère, allongé dans les hautes herbes le crâne fendu comme une coco. Elle sentit les flammes incendier la brousse, l’odeur de la chair qui brûle, l’odeur du sang qui coagule, entendait le bourdonnement des mouches, les croassements des charognards, se réveilla en sursaut le nez plein du parfum des cadavres qui flottaient nus dans sa tête en tas obscène. Elle avait envie de vomir, le cœur lourd, triste, avec l’intime certitude que cette fois elle avait perdu sa sœur pour de bon. Peu importe ce qui s’était passé, où elle était parti, elle était certaine qu’elle ne la reverrait jamais. Pourtant ce matin là, après avoir fait sa toilette, profité du plaisir d’une vraie douche, elle retourna chez Pauline dans l’espoir de questionner la voisine. Au lieu de quoi elle eu la surprise de trouver deux policiers devant chez elle.

–       Qu’est-ce qui se passe qu’est-ce qui est arrivé à Pauline ?

Elle avait direct filé sur eux, les questionnant de sa voix rauque et autoritaire. Les deux flics se regardèrent dubitatif puis l’un d’eux appela son supérieur.

–       Vous connaissez les personnes qui habitent ici ? Demanda un des flics.

–       Oui c’est ma sœur avec son copain.

Le lieutenant apparu.

–       Vous vous appelez comment je vous prie ?

Elle hésita, elle avait déjà tant de fois menti à la police que dire la vérité demandait un petit effort.

–       Agbo, Gladys Agbo.

Le flic en civil prit une mine grave.

–       J’ai une mauvaise nouvelle pour vous mademoiselle Agbo.

Il y a un ravin entre  savoir les choses, même intimement, et être devant le fait accompli. Avoir un pressentiment et le voir se réaliser. La nouvelle l’atteint comme un coup de poing en plein ventre, pourtant elle ne pleura pas sur le moment. Elle écouta le flic incrédule. Sa sœur avait été retrouvée dans un terrain vague deux jours auparavant, il l’invita à venir reconnaitre le corps. C’est là bas, à la morgue, devant son corps dénudé qu’elle craqua. Elle hurla, elle pleura, elle se roula par terre comme une enfant qui ne veut pas accepter l’inéluctable. Ce fut si violent qu’on dut l’évacuer et on la laissa là, sur une chaise, convulsant de larmes, incapable de s’arrêter, comme si tout ce qu’elle avait retenu comme chagrin depuis qu’ils l’avaient enlevé lui explosait soudain au visage. Sa sœur, son unique sœur survivante avait été battue, torturée et sans doute violée.

Le monde avait perdu son sens. Dieu se moquait d’eux. De leurs espoirs, de leur vie, de ce qu’ils subissaient au cours de celle-ci. Dieu marchait avec le diable et ensemble ils ricanaient de leur sort. Le monde n’avait plus d’axe. Dans la forêt, dans la brousse elle avait avancé sans réfléchir. Les premiers mois, la première année, elle s’était contentée de survivre persuadée d’être seule au monde, de ne plus pouvoir compter que sur elle. Et les années suivantes elle avait continué sur ce mode, surmontant sa peur et sa solitude en la transformant en colère. Elle avait brûlé en elle jusqu’en Europe, lui avait maintenu la tête hors de l’eau, sa colère comme moteur à sa survie. Et puis elle avait appris à pardonner aux choses, à son passé, à ce qu’elle avait fait ou non, à elle-même et Pauline était soudain réapparu dans sa vie. Comme un signe. Comme si Dieu l’encourageait sur le chemin de la rédemption. Mais maintenant, quel signe devait-elle voir ? Quel sens donner à sa mort ? A cette mort atroce en particulier ? Qui avait-il à comprendre là-dedans ? Rien, Dieu se moquait d’eux. Elle erra pendant presque deux jours avant de retrouver le chemin de son hôtel. Deux jours et une nuit à aller au hasard des rues, hébétée, parfois fondant en larmes sans raison apparente, parfois se paralysant à un coin de rue, dans un square, devant une boutique, à rester prostrée le regard fixe jusqu’à ce que quelqu’un s’inquiète et qu’elle se mette à hurler on ne savait quoi en ingala. Alors elle repartait en continuant de soliloquer comme une folle jusqu’à ce que le chagrin la reprenne. Soixante heures comme ça et dont elle ne garda aucun souvenir. Quand elle retrouva son hôtel finalement elle dormi jusqu’au lendemain midi et s’éveilla vide. Comme si on avait creusé en elle pendant la nuit, fait un gros trou à l’intérieur duquel elle ne ressentait rien, ni haine, ni chagrin, ni amour, seulement de l’indifférence. Un lieu où le monde n’avait plus rien à faire, même pas un cimetière intérieur, pas même habité des fantômes de sa sœur ou de sa famille, juste un désert sans ossement.

–       Tu vas pas faire d’histoire ce soir hein ?

–       Promis patron, sage comme une image !

Une femme, le portier du pub la laissa entrer, une femme ne pouvait pas lui poser plus de problème qu’il ne saurait gérer. Le garçon qu’elle cherchait n’était pas là mais elle était patiente et déterminée. Elle s’installa au bar et commanda un soda. Personne ne la dérangea cette fois, et comme le portier rentrait de temps à autre, la surveillant de loin, elle fini par se rendre à une table de billard. Elle avait déjà joué au pays quelque fois, elle n’était pas douée, savait à peine tirer sur les billes mais en attendant ça l’occupait. Plusieurs groupe entrèrent au cours de la soirée, des jeunes et des moins jeunes mais elle ne vit pas le garçon ni sa copine. Elle resta jusqu’à la fermeture en vain. Gladys ne se découragea pas pour autant, le lendemain, elle retournait au pub et commandait à nouveau le même soda que la veille. Il apparu environs deux heures avant la fermeture, avec ses copains, visiblement déjà bien défoncé, alcool et shit à leurs yeux rouges et leurs airs hébétés. Dès qu’elle les vit elle ressorti et chercha leur voiture, sans la trouver, après quoi elle attendit un peu plus loin, hors de portée du portier, une capuche sur la tête. Ils ressortirent une heure plus tard, titubant et parlant bruyamment. Elle surgit d’une ruelle en silence, l’acier du marteau étincelant brièvement avant de s’abattre de toute ses forces sur une épaule, sa victime hurla, elle ne laissa pas l’occasion aux autres de comprendre ce qui leur tombait dessus. Elle se mit à cogner à tour de bras, un genou, deux têtes, un ventre, le dos, silencieuse, acharnée, rapide, sèche. A peine s’ils parvinrent à se défendre, complètement pris au dépourvu. Tous à terre, gémissant, elle attira le garçon par les cheveux dans la ruelle tout le frappant dans les bras, le thorax, les mains, tout sauf la tête parce qu’elle voulait vivant. Elle avait acheté le marteau dans l’après-midi, et l’avait caché dans une poubelle au cas où le portier la fouillerait. Le garçon criait, suppliait.

–       Arrête ! Arrête ! J’ai pas de fric ! Au secours !

–       Les boucles d’oreille où tu les as eu chien !?

–       Au secours ! Au secours !

–       Ta gueule chien !

Elle lui flanqua un coup de pied si fort dans l’estomac qu’il se recroquevilla comme une limace sous la flamme. La gueule ouverte d’un poisson mort, le visage violet, cherchant sa respiration, elle en profita pour le fouiller. Sa carte d’identité était au nom de Saïd Ben Hamou, né dans la Seine et Marnes et vivant dans le 93. Elle lui confisqua son portable, fouilla son portefeuille, trouva une carte de visite d’un salon de tatouage, la carte fidélité d’un grec, dix euros. Une photo apparemment de ses parents, une autre prise dans un journal, pliée en quatre et qui devait représenter son rêve de jeune homme, une grosse voiture de sport rouge avec une blonde à gros seins allongée sur le capot.

–       Les boucles d’oreille où est-ce que tu les as eu ?

–       Hein ? J’ai rien fait je vous jure !

–       Arrête de jurer chien, les boucles d’oreille que t’as donné à ta copine où tu les as eu !? C’est toi qui a tué ma sœur !?

–       J’ai tué personne je vous jure !

Elle le frappa sur la cuisse d’un coup de talon.

–       Arrête de jurer ! Dis-moi la vérité !

Il poussa un cri.

–       C’est Kevin ! C’est Kevin ! c’est lui qui me les a filé !

–       Son copain ?

–       Oui !

Elle repensa à ce garçon qu’elle n’avait jamais vu qu’en photo, comment sa sœur en parlait avec des étoiles dans les yeux. En ce qui la concernait tous les blancs se ressemblaient et aucun d’entre eux ne l’avait jamais attiré. Elle n’aimait pas les blancs, c’était de leur faute si le pays avait basculé dans la guerre, à cause des français même.

–       Il est où ? Répond !

–       Je sais pas il est où !

Elle lui donna un léger coup sur le nez avec la point du marteau, il enfoui son visage sous ses bras en couinant.

–       Je te jure je sais pas !

–       Arrête de mentir !

Elle abattu le marteau sur son bras, assez fort pour que la peau éclate, il poussa un hurlement à déchirer les tympans, juste au moment où les lumières d’un gyrophare glissaient sur les murs de la ruelle. Gladys leva les yeux et aperçu la silhouette de deux policiers avec leur barda autour des hanches. Elle le frappa une dernière fois et s’enfuit en courant, son marteau à la main.

–       Police ! Stop !

Elle les sema en entrant dans un parking, cachée sous une voiture, attendit là une partie de la nuit avant de retourner à l’hôtel.

–       Je te raconte ça, c’était dans les années 90, 95 un truc comme ça. Un gamin à l’époque ! Il avait ce paquet qu’il devait livrer à Sotto, et vu la répute qu’il avait à l’époque, il était un brin nervous tu vois ? Et le gars quand il est nervous, c’est une gonzesse, faut qu’il aille pisser.

–       Ah, ah, c’est vrai depuis qu’il est minot il est comme ça !

Cinq messieurs assis autour d’une table en train de taper le carton. Entre trente et cinquante ans, bronzés, lunettes de soleil, un bob pour l’un, une casquette anglaise pour l’autre, des pastis sur la table, des jetons de casino, et la piscine qui s’étalait derrière eux, langue turquoise au milieu d’une pelouse à la française bordée par une haie de platanes et de chênes.

–       Alors il est dans ce café de la Porte Champerret tu vois, et il va aux gogues. Cinq cent g de pure dans le benne, mais tu vois il a des principes, il aime pas pisser dans les pissotières, c’est comme ça.

–       Ouais moi non plus, les gus y peuvent pas s’empêcher de mater la bite du gus à côté

–       Moi le pélo qui me mate le zboum aux chiottes, je le démonte direct !

–       Tu m’étonnes !

–       Ouais… bref, il ouvre la porte de la cabine, et sur quoi qui tombe ? Un poulet en train d’en sucer un autre.

–       Nan !?

–       Je te jure !

–       Rigolade !

–       Putain il a fait quoi ?

Celui à la casquette anglaise ne répondit pas, il interpella les hommes qui sortaient de la maison, l’un d’eux avait le bras en écharpe et la main plâtrée.

–       Oh ! S’est passé quoi putain !?

Les autres oublièrent la conversation pour se tourner vers les nouveaux arrivants.

–       Ils se sont fait niqué par une gonzesse, Saïd et Tony sont à l’hôpital, expliqua, celui à la droite du blessé.

–       Une gonzesse ? C’est quoi ces conneries ?

Le blessé expliqua, elle s’était jeté sur eux sans sommation, avec un marteau, ils n’avaient rien eu le temps de faire, Saïd avait morflé, il avait la mâchoire cassée, la fille l’avait torturé. Tous ceux à la table se jetèrent des regards incrédules.

–       Vous étiez combien ? S’enquit l’homme au bob avec un accent du midi.

–       Saïd, Tony, Rachid et moi.

–       Tu veux dire qu’elle vous a niqué à quatre contre une ? S’exclama un autre.

Il ne répondit rien, haussant douloureusement les épaules.

–       Un marteau t’as dit ?

–       Oui.

–       Putain, mais qu’est-ce qu’elle voulait ?

–       Je sais pas, Saïd peut pas parler et quand je l’ai vu il était encore dans les vapes.

–       Et Tony comment ça va ?

–       Ca va il a l’épaule cassé mais c’est tout.

–       Mais ma parole c’est une échappée de l’asile celle-là ! S’écria celui au bob.

–       On fait quoi ? Demanda le grand qui se tenait derrière le blessé.

–       D’après toi ? Trouvez moi cette pute !

Gladys n’avait rien obtenu concret de son interrogatoire, il ne lui restait presque plus un sou et elle était à peine capable de déchiffrer les noms dans le portable qu’elle avait volé. Gladys était dos au mur, et cent fois dans sa vie elle s’était retrouvée ainsi. Comme un animal blessé et acculé c’était dans ces moments qu’elle était la plus imprévisible, la plus dangereuse. Certes elle savait à peine lire mais ça n’empêchait pas de poser des questions, au réceptionniste par exemple, en payant sa dernière nuit. Il déchiffra pour elle la carte du tatoueur et lui trouva l’itinéraire sur Google, c’était à Paris à côté des Halles. Tous les blancs se tatouaient de nos jours, il y en avait plein les rues comme autant de candidats à la télé réalité. Elle n’avait pas d’opinion sur les tatouages, elle en avait elle-même sur un de ses biceps mais cette façon de vouloir avoir l’air différent en ressemblant à tout le monde, elle trouvait qu’il n’y avait que les blancs pour faire ça. Ca les préoccupait beaucoup d’être différent, de se dire différent, à part. Comme s’ils pensaient qu’ils méritaient plus que les autres peuples. Les blancs étaient si prétentieux. Elle ne savait pas bien ce qu’elle allait faire dans cette boutique mais pour le moment elle n’avait pas de meilleur piste pour trouver le copain de sa sœur.

–       Bonjour, je peux vous aider ?

Une grande fille brune avec des anneaux partout et un tatouage qui lui montait le long du cou. Derrière elle il y avait un rideau, on entendait le bruit d’une aiguille.

–       Kevin, où il est ?

La fille marqua un arrêt, surprise.

–       Qui ?

–       Kevin tu connais Kevin ?

–       Euh Kevin comment ?

Une voix retentie de derrière le rideau.

–       Qui le demande ?

Gladys se raidit.

–       Il est où !?

Un homme passa le rideau, la quarantaine, les cheveux blancs, les mains et les bras recouverts de tatouages.

–       Il est en vacance Kevin, dit-il, je peux vous aider ?

–       Où en vacance ?

–       Euh… je sais pas, vous êtes qui exactement ?

–       La sœur de sa copine, répondit-elle spontanément.

–       Oh… bin je sais pas où il va en vacance moi, vous avez pas son numéro à votre sœur ?

Elle le dévisagea froidement pendant quelques secondes avant de répondre sèchement.

–       Elle est morte.

–       Oh… euh…. Désolé.

–       Kevin il est où !?

–       Je vous dis je ne sais pas… mais s’il appelle, on peut vous joindre quelque part ?

Ses yeux s’étrécirent, cherchant le vice dans cette question, le tatoueur affichait un air attentif et en même temps las, ça n’avait pas l’air de l’intéressé plus que ça mais il voulait bien rendre service. Elle grogna  que ça allait et ressorti. Le tatoueur décrocha son portable.

–       Putain de Pamela Anderson.

Ils étaient installés dans un monospace vert bouteille aux vitres teintés, l’un lisait le Figaro, l’autre regardait devant lui le paysage morne d’un parking d’hôtel.

–       Quoi, de quoi tu causes ? Dit celui sur le siège passager en levant les yeux de son journal.

–       De cette salope de Pamela Anderson.

–       Ouais j’ai compris mais qu’est-ce qu’elle a fait cette conne ?

–       C’est à cause d’elle !

–       C’est à cause d’elle que quoi ?

Le chauffeur donna un coup de poing sur le volant.

–       C’est le bordel à la maison.

–       Ta grosse ?

–       Non sa fille… Tu sais ce qu’elle nous a fait ?

–       Nan.

–       Elle a balancé tous les manteaux de fourrure de Liliane à la benne.

–       Hein ? Mais elle est dingue ! Pourquoi elle a fait ça ?

–       A cause de cette conne de Pamela Anderson !

–       Où est le rapport ?

–       Cette pute elle milite dans une association américaine pour les animaux, « plutôt nue qu’avec une fourrure » c’est leur slogan.

–       Oh la la.

–       Ouais, et la petite elle est à fond écolo en ce moment.

–       Font chier avec ça. Ils nous emmerdent, putain d’écolos on va bien tous crever alors qu’est-ce qu’on en a foutre de toutes leurs histoires de sauver le monde !

–       Sauver le monde mon cul, ce qu’ils veulent c’est se donner bonne conscience en faisant les kékés sur internet.

–       Et pis le monde de qui faut voir ! Va leur dire aux chinetoques qu’ils doivent produire moins de bagnole.

–       Tu m’étonnes, et les ricains, sans pétrole ils sont morts.

–       Les écolos c’est des pédés.

–       Putain de Pamela Anderson.

Ils laissèrent passer un silence pesant devant ce terrible constat.

–       La voilà.

Le chauffeur regarda vers l’entrée de l’hôtel.

–       C’est elle, t’es sûr ?

–       Ouais, c’est la fille de la vidéo je te dis.

Il lui montra le cliché papier qu’ils avaient tiré de la vidéo surveillance du salon de tatouage.

–       Tu sais moi, ils se ressemblent tous ces négros…

Il démarra la voiture et sorti lentement du parking en suivant de loin la fille qui marchait vers les immeubles.

–       Quand j’étais à Dakar, putain je te jure des fois j’étais paumé.

Soudain il accéléra arrivant aussi tôt à sa hauteur. Elle tourna la tête dans leur direction, le passager ouvrit la portière à la volée et se jeta sur elle avec un sac en toile. Elle essaya bien de se débattre, il lui flanqua son poing dans le ventre, lui couvrit la tête et la jeta à l’arrière du monospace.

Les mains liées, couchée sur la banquette arrière, Gladys tendait l’oreille et comptait les minutes. Elle avait mal au ventre, mais passé la surprise la peur s’en était allé. Elle réfléchissait, attendait son moment et essayait de se souvenir de chaque arrêt, chaque son particulier, chaque virage ou à coup pendant qu’ils discutaient. Comment l’avaient-ils trouvé ? Qui étaient-ils ? Les assassins de sa sœur ? Elle se disait que oui, elle l’espérait même, du moins si elle trouvait un moyen de se libérer.

–       Moi c’est les noiches, je sais jamais qui est qui.

–       Ouais les noiches c’est pareil, tu sais à quoi ils me font penser les chinetoques ?

–       Nan vas-y.

–       Des termites.

–       Ahaha !

–       Je te jures ils sont organisés pareils, tous, les japonais, les noiches, des termites ! Un pour tous et tous pour la termitière.

–       Ahahaha.

–       C’est pour ça qu’ils sont si fortiches à côté de nous !

–       Ouais ici de toute façon c’est chacun sa merde et nique les autres.

Pas de question, cueillie dans la rue, est-ce qu’ils allaient essayer de la faire parler ? Pour savoir quoi ? S’ils l’avaient kidnappé c’est qu’ils devaient déjà connaitre son identité. Non, ils allaient la tuer sûrement. L’emmener quelque part et la finir d’une balle. Elle n’avait pas vu d’arme mais ils devaient en avoir. Est-ce qu’ils essaieraient de la violer d’abord ? C’était là seule chose qu’elle craignait encore. Mourir c’était pas grave, elle était morte de son vivant depuis longtemps, mais les sentir encore en elle… sentir leur machin buter au fond, leur transpiration, sentir leur bave lui couler dans le cou… Elle ne voulait pas revivre ce cauchemar. A travers le tissu elle apercevait leur silhouette, le passager regardait le chauffeur, elle, elle n’existait pas. Elle réfléchit à ce qu’elle s’apprêtait à faire. Si leur boulot c’était de la tuer, ils n’hésiteraient pas et sa cervelle irait arroser la lunette arrière, mais elle aurait au moins essayé, et ils ne pourraient plus la violer, du moins ça ne compterait plus. Si au contraire ils devaient l’interroger, alors elle aurait peut-être ses chances. Et après ça advienne que pourra. Elle se détendit d’un coup, passant ses bras par-dessus la tête du chauffeur et rabattant ses liens sur son cou, se cabrant en arrière de toutes ses forces, genoux poussant contre son dossier.

–       Putain de salope ! Lâche le ! Lâche-le ! Hurla le passager en se mettant à lui cogner sur les bras et les mains à coup de poing.

Mais elle ne lâchait pas. Le chauffeur se débattait, incapable de tenir le volant, les mains agrippées sur les liens en plastique qui s’enfonçaient lentement dans sa gorge.

–       Lâche ! Lâche ! Lâche !

Le monospace bondit sur le trottoir et alla s’encastrer contre un lampadaire. Les deux airbags s’ouvrirent comme des fleurs, le choc l’écrasant contre le siège conducteur qui sorti de ses rails, le visage du chauffeur s’enfonça dans l’airbag si violement que ce dernier explosa. Hébétée, sonnée, un bel hématome à la tempe, le sac déchiré, et les mains en sang, elle aperçu le calibre du passager. Avant qu’il ne comprenne, elle le lui arrachait et lui tirait une balle dans le genou. Il poussa un cri, l’autre avait le visage épluché par l’explosion de l’airbag. Les mains toujours liées, elle ouvrit la portière et sauta au dehors, arme au poing.

Rossi n’en croyait pas ses oreilles. Sorti de la bouche d’un autre, il ne l’aurait peut-être même pas cru du tout. Mais le capitaine était un homme sérieux, un pays, il ne rigolait pas avec ces affaires là. Et maintenant il était lui-même en train d’annoncer la nouvelle, franchement en marchant sur des œufs. Lui non plus ne plaisantait pas sur ces sujets là. On ne s’en prenait pas à eux impunément.

–       Ouais… ouais… Roger est mort et Nico boitera le restant de ses jours… ouais… je sais pas, j’ai essayé de le joindre mais il est introuvable ce petit connard. Oui… oui… très bien, je ferais ça….

L’autre raccrocha, Rossi retira sa casquette et se gratta l’arrière du crâne, anxieux.

–       Il a dit quoi ? demanda son vis-à-vis.

Ils étaient installés dans un grand salon couteux, de l’autre côté de la baie vitrée la pluie s’abattait sur la piscine couverte d’une toile noire, le ciel était verdâtre avec des volutes marbrées de gris et de bleu foncé.

–       D’après toi…

–       Il est furieux ?

–       T’as d’autres question à la con ou t’as vidé le sac ?

Abel Rossi dit Marseille et son frère Louis dit Petite Patte, quinze ans de règne sans partage sur toute la banlieue nord et l’est de Paris. Ils avaient des intérêts dans à peu près tout, jeu, prostitution, drogue, voitures volées, vol à main armée, cambriolage et naturellement racket. Rien ne se faisait sans eux. Les indépendants leur versaient un pourcentage et gare à celui qui leur manquerait de respect, Moyennant quoi leurs amis dans la police regardaient ailleurs. L’argent était redistribué dans le béton, la restauration, l’immobilier de luxe, lavé, essoré, nettoyé, en suivant des circuits exotiques avant de remplir leurs poches. Mais ce règne n’aurait jamais été possible si dix huit ans auparavant Abel n’avait pas épousé une fille de Bastia, Marie. La sœur de l’homme qu’il venait tout juste d’avoir au téléphone. La main divine au-dessus de leur tête à tous. Un homme qu’ils aimaient tous sincèrement, facile à vivre, volontiers blagueur, bon vivant, mais qu’il ne valait mieux jamais contrarié.

–       On peut demander au poulet de lui mettre la main dessus, proposa Louis, c’est qui le gars qui s’est occupé de la frangine ?

–       Laisses tomber, Barbier.

–       Je croyais qu’il était sur le départ cet emmerdeur.

–       Il l’est, c’est pour ça qu’ils le collent aux chiens écrasés.

–       Bon on a qui alors ?

Abel regarda son frère d’un air misérable.

–       Il monte.

Le visage de Louis s’allongea.

–       A ce point là ?

–       Tu le connais…

–       Il vient avec Santucci ?

Son frère poussa un soupir exaspéré.

–       Ah ouais, t’avais pas vidé le sac en fait….

–       De quoi tu causes ?

–       De ta connerie ! Evidemment que le Sanglier vient qu’est-ce tu crois qu’il va laisser faire !?

Louis était le cadet, quarante cinq ans, dont dix huit en prison, il avait abandonné l’école à quatorze ans, n’avait jamais ouvert un livre de sa vie, savait à peine écrire mais il savait compter, une horloge. Abel avait cinquante trois ans, dont dix enfermé, terminé ses études, passé son bac, la fierté de sa famille, le premier Rossi diplômé depuis quatre générations. Les africains avec qui il était en affaire disaient de lui qu’il avait un cœur de crocodile. Il se demanda ce qu’ils auraient dit du Sanglier.

Surexcitée, gavée d’adrénaline, Gladys surgit dans la boutique pistolet à la main.

–       Toi, coupes ça ! Coupes ça vite ! Ordonna-t-elle à la caissière pétrifiée de peur.

Elle avait les mains bleues, rouges et noires, les phalanges écorchées, la moitié du visage tuméfié, les yeux injectés.

–       VIIIIIITE !!!

La caissière sursauta avant d’attraper une paire de ciseau sous sa caisse. Les liens cédèrent sans mal.

–       Ouvre la caisse ! Donne-moi l’argent !

Oui, elle avait vu la caméra au-dessus, mais au point où elle en était, elle s’en fichait, elle avait besoin d’argent, de se cacher, d’un peu de temps. La caissière tremblait comme une feuille mais elle obéit. Gladys fourra la liasse dans sa poche, le pistolet contre son ventre et ressorti aussi vite qu’elle était entrée. Du temps, oui du temps, et de l’espace. L’hôtel s’était fichu, impossible d’y retourner. En trouver un autre. Elle ne savait pas si elle avait assez, et puis finalement non, pas un hôtel. S’ils l’avaient retrouvé une fois ils pouvaient la retrouver une autre. Ailleurs, un endroit où personne ne chercherait, où personne ne voyait personne. Elle connaissait cet endroit, elle en venait presque, la rue. Mais avant ça il fallait qu’elle se soigne. Elle entra dans la première pharmacie  et montra ses mains en expliquant qu’elle avait eu un accident. La pharmacienne voulu appeler les secours, lui expliquer qu’elle avait sans doute besoin d’une radio, Gladys refusa tout net. Qu’elle s’occupe de lui bander les mains, donner un truc contre la douleur et c’est tout ! Le soir tombait quand elle découvrit le campement au bord de la Seine. Une douzaine de tentes, deux familles, des types et des femmes seules. Elle choisie l’une d’entres-elles, noire tout comme elle et lui demanda de l’aide. Contre une poignée d’euros l’affaire fut conclue.  Pendant deux jours elle resta terrée à essayer de dormir en dépit de la douleur, de ses mains qui avaient enflé, du froid la nuit et des odeurs corporelles de sa compagne d’infortune. Deux jours à réfléchir sur la situation, ce qu’elle savait, ses options possibles. Il fallait qu’elle retrouve Kévin, et le seul à pouvoir l’en approcher c’était son patron, elle en était certaine. Aussi certaine qu’il lui avait menti quand ils s’étaient rencontrés. Impossible pourtant d’approcher encore de la boutique, il fallait qu’elle trouve autre chose. Les gens ne regardaient pas les SDF, les mendiants, les réfugiés. Ils en parlaient tout le temps dans leur télé mais dans le monde réel ils n’existaient pas. Des silhouettes grises sur des trottoirs anonymes. Ainsi elle pu surveiller le salon, noter les entrées et les sorties, et attendre l’heure de la fermeture pour suivre le patron. Il ne logeait pas loin de son salon, et il ne vivait pas seul. Il vivait avec un homme. Elle n’avait pas beaucoup de goût pour les homosexuels non plus parce que Dieu avait dit que c’était mal mais au fond elle s’en fichait. Il y en avait beaucoup chez les blancs comme si c’était devenu une mode chez eux. Dans la brousse aussi ça arrivait parfois mais c’était mal vu. Les blancs et leur besoin d’être différent, de ne pas être comme les autres… Parfois il lui arrivait de penser qu’il n’y avait que les riches qui avaient ces besoins, les gens qui avaient le temps. Mais en attendant il allait falloir trouver un moyen pour l’attraper pendant qu’il était seul et avoir un peu de temps avec lui. Son petit ami était barman, il travaillait tard mais quand il n’était pas là, soit il le retrouvait à son travail, soit il sortait avec des amis, et il sortait beaucoup. D’ailleurs il était rarement seul, comme s’il avait peur de l’être. Gladys attendit son moment comme la lionne dans la brousse se disait-elle, tapis dans l’anonymat de la rue.

Kevin n’en menait pas large. Le visage tuméfié, une rigole de sang séché qui dessinait une demie moustache sous son nez, il se tenait sur la chaise, raide crispé, comme s’il attendait une nouvelle gifle malgré le verre que lui avait offert un des gars. Personne ne faisait le malin avec le Sanglier, on ne lui répondait pas, on ne lui disait pas de se mêler de ce qui le regardait, s’il posait une question, donnait un ordre, on obéissait point c’est tout. Kevin venait de l’apprendre à ses dépends, et peu importe le neveu de qui il pouvait être. On ne déconnait pas avec les Paolie. Ca faisait cinquante ans que cette famille comptait dans le sud de la Corse, le temps de tisser des liens avec absolument tout le monde de Marseille à Paris, de Paris à Dakar, Abidjan… et France Afrique. Des casinos aux cercles de jeu, clandestin ou non, de la Préfecture aux ministères, Des Hautes Seines aux basses œuvres de la DGSE. Du trafic de drogue, de la prostitution, en passant par le nationalisme, de Naples, Palerme jusqu’à Amsterdam en passant par Barcelone. Une famille, un clan, une mafia dont les autorités niaient l’existence avec un bel entrain républicain. Santucci sorti de la pièce sans un regard pour le gamin. Michel Paolie, le patron de la famille depuis la mort de son père avait un faible pour les petites négresses depuis qu’il passait sa vie entre la Corse et la Côte d’Ivoire où il avait une chaine de casinos et de bureaux de paris. Kevin était le neveu d’un des Huard, des gitans civilisés qui régnait avec les Rossi sur le nord parisien. Un jour il était venu une fête avec sa copine, mauvaise idée. Michel avait eu immédiatement le béguin, et ce n’était pas le genre à s’emmerder avec les détails. Il avait acheté la fille en douce, mais quand il avait voulu se la taper ça s’était mal passé. Très mal. La fille avait essayé d’appeler les flics…. Michel se tenait avec les Rossi près de la piscine, les deux frères n’en menaient pas plus large que Kevin. Incapables de lui mettre la main dessus pendant tout ce temps et le Sanglier qu’il l’avait ramassé en une heure. Il était grand, la quarantaine, les cheveux sur la nuque bouclé, costume gris, chemise noire et cravate bordeaux, sa main gauche était gantée, personne ne savait exactement ce qui lui était arrivé ni n’avait vraiment vu l’état de sa main mais on disait que c’était horrible. Sur l’autre il portait une chevalière avec un imposant rubis dont Kevin venait de gouter l’excellence.

–       Je peux te parler ? Demanda-t-il à Michel.

Paolie se retourna vers les deux autres.

–       Vous deux barrez vous, on causera plus tard.

Les frères Rossi obéirent sans un mot, trop contant de prendre le large.

–       T’as fait une belle connerie tu sais. Une belle.

–       Quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe encore ?

–       Tu sais d’où elles viennent les négresses ? Du Kivu, de Goma.

–       Et alors ? Qu’est-ce que tu veux que ça me foute de quel trou elles viennent ?

–       Le gamin dit qu’elles ont été séparées par la guerre. Toute leur famille massacré par les Maï Maï, celle que t’as cabossé a eu du bol, les curés l’ont pris avec eux, mais l’autre sa sœur a été enrôlé de force. Tu comprends maintenant ?

Michel leva les yeux plus soucieux qu’il y a une minute.

–       Ouais, bon, okay… t’as une idée ?

Santucci secoua la tête d’un air de dégout.

–       Du temps de ton père ça ne serait jamais arrivé ces conneries.

–       Oh ça va, lâche moi avec le padre maintenant !

Ca sonna une première fois, Paul alla voir, mais dans l’œilleton rien. Paul retourna devant sa télé et ses aventures vidéoludiques. On sonna une seconde fois. C’était quoi ces conneries ? Il se leva, regarda à nouveau dans le judas, personne, agacé ouvrit la porte et sortit la tête. Le marteau se rabattu sur son front assez violemment pour le renverser. Le tatoueur tomba avec un bruit lourd sur le planché de l’entrée, Gladys s’engouffra à l’intérieur et le frappa du pied dans l’entre-jambe. Il poussa un cri étouffé, elle l’enjamba et alla jeter un coup d’œil au salon. Voyant qu’il était vide, elle retourna sur ses pas et tomba sur lui à califourchon.

–       Kévin il est où ?

–       Au secours ! Au SECOUUURS !

Elle le frappa sur le coude, il cria, montant dans les aigues.

–       Kévin où !?

–       Je sais pas… en vacance, je vous jure !

–       Menteur tu sais !

Elle le frappa à l’articulation de l’épaule.

–       Arrêtez je vous en supplie, je sais rien !

–       Menteur !

Un coup à nouveau sur le coude. Plus fort. Il poussa un cri et puis soudain elle senti quelque chose la frapper violemment sur le crâne et la lumière s’éteint.

–       Bon Dieu où vous étiez !? Vous en avez mit le temps ! Gémit le tatoueur alors qu’un des hommes du Sanglier l’aidait à se relever.

Ce dernier se tenait sur le palier, les mains dans les poches qui regardait le corps inanimé, le filet de sang qui coulait doucement de son crâne.

–       On était coincé dans les embouteillages, expliqua l’homme. Il tenait une batte de base ball en aluminium à la main.

C’était le Sanglier qui l’avait senti venir, lui qui lui avait ordonné de faire la chèvre. Les oncles de Kévin n’étaient pas des gens avec qui on avait envie d’avoir des embrouilles à cause d’une petite négresse sur le sentier de la guerre, mais les corses encore moins. Finalement ça avait été le copain de Paul qui l’avait repéré.

–       Fouilles là, ordonna Santucci.

Ils ne trouvèrent rien sur elle en dehors du marteau et d’un portable.

–       Débarrassez-vous d’elle, et pas de connerie cette fois.

Elle émergea avec la tête qui la lançait et cette sensation que fait le sang séché sur la peau d’avoir un masque de crasse sur le visage. Elle était ligotée, ballotant dans le coffre d’une voiture, essayant de recoller les morceaux sur ce qui s’était passé. Depuis combien de temps elle était là dedans ? Comment avaient-ils fait pour la prendre par surprise ? Et surtout qui étaient-ils ? Les blancs qui avaient tué sa sœur, assurément mais ce n’était pas des blancs ordinaires, des voyous, mais pas des voyous comme il en trainait dans les halls d’immeuble. Ceux là ne vendaient pas du shit en bas des tours. Ils étaient organisés, ils savaient ce qu’ils faisaient et c’était la seconde fois qu’ils l’enlevaient. Ils lui avaient liés les mains dans le dos, et les chevilles, assez serré pour qu’elle sente à peine le bout de ses doigts et de ses orteils. Prise au piège, une fois de plus. Sa tête vibrait contre la carrosserie, elle entendait de la musique, des chants d’hommes, les freins éclairaient à l’intérieur du coffre par intermittence. Elle pouvait voir ses pieds, le nœud fermant ses liens, elle se demanda comment ils allaient la tuer, où ils la jetteraient. S’ils allaient profiter d’elle avant… toujours ces questions qui l’angoissait encore. Et pourtant elle avait l’impression qu’une part d’elle était partie. Que tout ça n’avait plus ou n’aurait plus d’importance bientôt. Au fond elle était fatiguée. Fatiguée de se battre, de survivre, fatiguée de chercher à comprendre, et peut-être même un peu soulagée que ça se termine ainsi. Elle avait passé cinq jours à marauder, dormir sous une tente, manger sur le pouce, aller et venir entre sa cachette et Paris. C’était comme si le béton, la rue, lui avait sucé son reste d’énergie. Oui elle allait mourir et peut-être se serait difficile, mais au moins elle irait rejoindre sa sœur, sa mère, son père, sa famille tout entière et tout ça n’aurait plus la moindre importance. Est-ce qu’elle croyait à l’enfer et au paradis ? Elle avait été enfer comment aurait-il pu croire à l’un ou à l’autre. L’enfer c’était ici. Mais si les démons devaient quand même l’emporter, alors tant pis se dit-elle, au moins elle ne serait pas dépaysé. Elle sentait l’air se rafraichir de l’autre côté du coffre. Entendait des hommes parler par-dessous la musique. Depuis combien de temps elle était là-dedans, il faisait nuit, quelle heure était-il ? C’était curieux comme on se posait des questions sans importance dans ces moments là. Combien de fois elle avait pensé à une recette tout en attaquant un village ? A une recette, au temps qu’il faisait, à la discussion qu’elle avait eu la veille avec le commandant. Des choses futiles pour que l’esprit s’envole. Des choses futiles qui pourtant parfois pouvaient devenir de véritables enjeux. Comme cette fois où elle avait piqué une rage parce qu’un paysan cachait des patates douces qu’elle convoitait. La faim la rendait émotive, mais à vrai dire, à la guerre, un rien pouvait vous transformer en une montagne de colère ou un fleuve de larmes. La voiture s’immobilisa, les chants se turent, laissant place à celui de la nuit dans la forêt. Des bruits bizarres, des craquements, sifflets, hululements, leurs pas qui se rapprochaient. Gladys se recroquevilla sur elle-même. Une peur instinctive. Kévin ouvrit le coffre et la regarda avec une grimace. C’était Santucci qui lui avait ordonné de s’occuper du problème avec les autres. A ses yeux il était responsable parce qu’il avait vendu sa copine, à lui de nettoyer la merde. Kévin ne voyait pas ça comme ça. Il était furieux. Il n’y avait pas que les corses. Son oncle aussi lui avait remonté les bretelles. Comment il aurait pu savoir que ça allait mal tourner ? Il flanqua un coup de poing dans la figure de la fille.

–       Ca va, on se calme, fit un  des costauds qui l’accompagnaient.

–       Putain de salope ! Qu’est-ce qu’elle avait besoin de nous faire chier !?

–       Ce qui est fait est fait, allez aide moi à la sortir de là petit.

Derrière eux se tenait un grand blond avec un revolver dans la main. Ils la laissèrent tomber durement par terre, le costaud sorti un couteau à cran d’arrêt dont il fit claquer la lame. Le visage de Gladys se gela, les yeux fixés sur la pointe qui dardait vers son ventre.

–       Bon cocotte, si je te libère les pieds, tu vas pas m’emmerder hein, tu vas marcher gentiment hein ?

Elle le dévisagea sans répondre.

–       Je vais prendre ça pour un oui, dit-il en sciant la corde, petit va chercher les pelles.

Ses chevilles lui faisaient mal, ses pieds étaient froids, insensibles, elle eut du mal à se mettre debout sans le soutient du costaud. Après quoi ils l’entrainèrent dans les bois. Elle n’avait jamais vraiment eu le temps de penser à comment ça se passerait son dernier jour. Elle avait déjà tellement de fois vu la mort de près, dans la brousse, en remontant vers l’Europe, en traversant la mer, tant de fois elle s’était dit que celui-là serait le dernier que finalement tout ce qu’elle en avait conclu c’est que se serait violent. Une mort violente comme la vie qu’elle avait mené depuis qu’elle était adolescente. Et cette nuit ne la surprenait pas au fond. Celui qui l’avait libéré éclairait le chemin broussailleux devant elle avec une lampe torche mais sa propre ombre masquait ses pas, elle trébucha sur une pierre et tomba sur l’épaule en gémissant. Le blond l’aida à se relever, elle manqua de crier en sentant l’acier s’enfoncer dans sa paume mais elle se retint à temps, saisissant un morceau de couvercle de conserve rouillé et le fourrant sous le nœud en se remettant sur ses jambes. Sa chance sa seule chance, alors que l’autre passait devant avec sa lampe torche.

–       Là-bas ça a l’air bien, indiqua-t-il en éclairant le pied d’un bosquet à la lisière d’un champ.

 Le blond enleva son blouson et retroussa ses manches.

–       Allez p’tit, au boulot, dit-il en lui prenant une des pelles.

–       Hein ? Mais moi je creuse pas !

–       On te demande pas ton avis, grogna celui avec la lampe.

–       Eh mais j’ai mis mes Pumas, je vais pas les niquer pour creuser, pourquoi c’est pas elle qui creuse !? D’habitude c’est comme ça qu’on fait !

–       Parce que c’est pas comme d’habitude, celle là on lui libère pas les mains, point barre, maintenant au boulot.

Le jeune homme regarda dans sa direction l’air à la fois furieux et dépité avant d’enfoncer la lame de la pelle dans la terre avec un grognement contrarié.

–       Bon à nous, fit l’autre en lui balançant le faisceau de la torche dans les yeux. J’ai des questions à te poser.

Gladys détourna la tête sans un mot, se recroquevillant sur elle-même

–       Le flic qui t’as montré le cadavre de ta sœur, tu lui as dit quoi ?

Pas de réponse, elle regardait vers le trou que les autres creusaient. Il poussa un soupir et fourra la main dans sa poche.

–       Tu vois ça cocotte ? C’est ce qui t’attends si tu réponds pas.

Il brandissait un taser, elle ne savait pas ce que c’était mais il imaginait qu’il ne la menaçait pas pour rien avec.

–       Alors, je repose la question, t’as dit quoi au flic ?

Elle haussa les épaules, elle ne s’en souvenait plus, elle ne se souvenait même plus d’avoir rencontré un policier.

–       Je sais pas, j’ai oublié, répondit-elle en le regardant farouche.

–       Tsss, c’est pas la bonne réponse ça j’ai oublié… tu lui as dit quoi ? Dernière fois que je te pose la question.

Ses yeux roulèrent sur le taser qu’il brandissait au-dessus d’elle, elle secoua la tête.

–       Je me souviens de Pauline, c’est tout.

Mais ce n’était pas ce qu’il avait envie d’entendre, ou bien ça lui faisait plaisir, ou il ne la croyait toujours pas. Les 50.000 volts la traversèrent de part en part, arque boutant son corps en arrière en une tétanie convulsive. Ca ne dura qu’un instant, qui laissa sur tous ses muscles la morsure du serpent électrique courir de longues secondes. Elle était tombé sur le dos, il l’attrapa par les cheveux et la redressa avant de lui retourner une gifle magistrale.

–       Cocotte, tu sais comment ça va se terminer, je vais pas te mentir mais ça dépend que de toi si ça va être court ou rapide. T’as entendu ?

Elle balbutia un oui.

–       Le flic t’as dit quoi ? Il a une piste ?

Gladys essayait de se souvenir mais rien ne venait. Tout ce qu’elle s’avait c’est qu’elle avait mal dans la paume des mains, ses avant-bras prêt à rompre et qu’il l’éclairait de sa torche.

–       Je te dis la vérité, j’ai oublié, je me souviens seulement d’elle.

Si elle mentait elle faisait bien semblant.

–       Eh si tu veux moi je la fait cracher, intervint Kevin, ça sera vite fait croit moi.

–       Creuses petit, creuse, répondit le blond sans lever la tête de son travail.

–       Okay, admettons, les autres dans la rue, pourquoi tu les as attaqué, qu’est-ce que tu sais sur eux ? Saïd tu le connais d’où ? Qui t’en a parlé ?

Gladys ne répondit pas, les yeux fixés vers nulle part en particulier. Il la poussa du pied.

–       Eh cocotte m’oblige pas à recommencer.

Pas de réponse, elle se retenait seulement de ne pas crier. Les autres regardaient dans sa direction, le visage luisant de sueur. Kevin en profita une nouvelle fois pour s’arrêter.

–       T’as entendu connasse ! Réponds ! Aboya-t-il hors de lui.

Elle le regarda sans rien dire, puis l’autre avec son taser.

–       Personne m’en a parlé, c’est du hasard.

–       Bah tiens, cette pute nous prend vraiment pour des charlots !

Kevin sorti du trou en jetant sa pelle et alla droit sur elle lui flanquer un coup de pied dans le ventre. Elle poussa un cri en se recroquevillant, le blond écarta rudement Kevin qui tomba sur ses fesses.

–       Dis donc merdeux qu’est-ce qu’on t’a dit ?

–       Mais vous voyez pas qu’elle essaye de gagner du temps bande de cons !

–       Ferme ta grande gueule et va creuser, dit posément l’autre sans se retourner.

Le blond jeta la pelle à ses pieds, l’expression de son visage n’invitait pas à discuter. Kevin obéit sans un mot, il savait visiblement les limites.

–       Bon alors cocotte, Saïd ?

–       Je t’ais déjà dis, personne m’en a parlé, répondit-elle sans le regarder.

Mais cette fois il n’achetait pas, il se pencha pour la taser à nouveau quand le poing ensanglanté de Gladys surgit, saillant du morceau de métal rouillé qui s’enfonça violement dans son avant-bras. Il hurla, lâcha le taser, elle en profita pour s’enfuir, serrant toujours le métal dans son poing. Le blond réagit le premier, dégainant son 38 et tirant vers l’obscurité. Les balles sifflaient, l’une d’elle claqua à quelques centimètres de sa tête en arrachant un large morceau d’écorce. Là-bas elle entendait le gamin râler.

–       Je vous l’avais dit ! Putain qu’est-ce que je vous avais dis !

–       Fermes ta gueule !

Celui qui était blessé n’avait pas seulement mal, il était fou de rage maintenant. La pointe s’était enfoncée jusqu’au muscle sur huit bon centimètres, il saignait abondamment mais ça ne l’empêcha pas d’attraper son automatique et de tirer à son tour vers le bosquet. Puis le silence retomba.

–       Tu crois qu’on l’a eu ?

–       Putain j’espère pas, je vais l’écorcher cette salope.

–       Ca va ?

–       T’occupes, faut qu’on la trouve !

Ils s’enfoncèrent tous les deux dans le bosquet, arme au poing. Kevin resta là à attendre, vexé, furieux avec le sentiment que l’ensemble de ces ainés n’étaient qu’une bande de baltringue à commencé par Michel sans qui toute cette merde ne serait jamais arrivé. Comment un guignol pareil pouvait être à la tête d’une telle organisation ? Soudain un coup de feu interrompu ses pensées de jeune homme, puis un hurlement à glacer le sang, c’était le chef de la bande.

–       Angelo ? s’écria Kevin en regardant vers les arbres où plus rien ne semblait bouger.

Mais personne ne lui répondit à part des râles de souffrance.

–       Serge !?

Il tendit l’oreille, perçu le bruit des branches et des feuilles au loin sans être certain si c’était devant ou derrière lui que ça se passait. Angelo continuait de râler. Instinctivement la peur commença à s’emparer de ses épaules et de ses cuisses. Il n’était pas armé, le seul pétard qui restait était dans la voiture. Puis soudain les râles se turent. Il rappela les deux autres, en vain. Un silence mortel. Kevin sorti du trou et parti en courant vers la voiture. Il n’eut pas le temps d’ouvrir la portière, l’arc électrique du taser l’empala littéralement, le jetant à terre les yeux révulsés, les mains crispées.

Ils ne savaient pas ce que c’était que de fuir devant l’ennemi, ils étaient bien nourris et sûr d’eux, ils n’avaient pas chassé, ne s’étaient jamais battu la nuit, ils étaient civilisés. Ils n’avaient jamais fait la guerre. Elle ouvrit le poing avec précaution, grimaçant de douleur, le fer s’était enfoncé jusqu’à l’os. Le premier l’avait vu trop tard surgir des orties, elle l’avait eu à l’entrejambe, il avait hurlé, alertant le second. Elle s’était jetée sur lui et en lui plantant le fer de toutes ses forces dans l’oreille. Il était mort instantanément. Après quoi elle avait tué l’autre. D’un coup sec elle arracha le morceau de conserve, poussant un cri, le sang se mit à couler abondamment. Kevin avait la tête penché sur le volant, la gorge lardée, exsangue, une nappe de sang noir couvrait son torse. Elle déchira un pan de sa chemise et se banda la main aussi fort qu’elle pu, avec assez de tour de tissus pour pouvoir saisir quelque chose. Au bout de la rue elle apercevait l’entrée de la propriété, le mur d’enceinte courait tout le long. Elle l’avait obligé à tout raconter à coup de taser. Très efficace ce truc. Il n’avait jamais eu le temps d’attraper l’arme sur la banquette arrière. La trouvaille, son jouet préféré, l’outil qu’elle connaissait le mieux devant n’importe quel autre, un AK 47 chargé avec une crosse repliable. Elle avait mal un peu partout et en même c’était lointain, ça pulsait dans sa main, sur son visage, brûlant, atténué par l’adrénaline. Elle sorti du véhicule et s’appuya du pied sur la portière pour grimper sur le toit. Du toit elle sauta sur le mur et enfin dans le parc. Le milieu de la nuit, juste le chant des oiseaux, le vent dans les arbres et les étoiles au-dessus d’elle. Elle gouta l’instant, accroupis dans l’herbe humide. Elle ignorait combien ils étaient, peut-être qu’ils l’attendaient, peut-être avaient-ils appelé leurs amis et n’obtenant pas de réponse s’étaient mis en alerte. Peut-être…

Le commissaire Barbier ne s’était jamais fait beaucoup d’ami au sein de la hiérarchie. Bon élément, disait ses supérieurs, mais casse-couille, ajoutaient-ils. Il aimait gratter où ça faisait mal, chercher la petite bête, il avait le sens du détail et l’endurance d’un chien de traineau. Assez pour que ça lui vaille une mise au placard. Il avait rapidement compris que la morte du terrain vague n’était pas une quelconque victime de la violence au quotidien. Sa mort n’était pas un coup de malchance au cours d’une mauvaise rencontre. Il lui avait suffit de sortir le nom du petit ami et son pédigrée. Il aurait adoré épingler un membre du clan Huard pour meurtre, alors il avait creusé. C’est comme ça qu’il avait appris l’agression de Ben Hamou et de ses copains. Il connaissait le jeune Saïd, il l’avait à l’œil depuis qu’il était sorti de centrale après avoir passé deux ans à partager la cellule d’un membre éminent du clan Rossi. Et Rossi c’était Paolie. Comme tout bon flic, le commissaire aurait également rêvé épingler un des membres du clan historique du sud de la Corse. Pourquoi pas même faire tomber toute l’entreprise. Des rêves de grandeur, il le savait bien. Ces gens là ne tombaient pas, les Paolie étaient devenus trop essentiels aux mécanismes républicains, trop imbriqués avec le pouvoir. Peu importe qu’un mandat d’amener international courait sur Michel, à moins qu’il ne fasse une bêtise, qu’il sorte du territoire sans prudence ni discrétion, jamais personne n’oserait le toucher. Les Rossi le savaient parfaitement, raison probable du mariage d’Abel, chez ces gens là le féodalisme n’était pas qu’un mot de leur histoire passée. Il avait posé des questions à droite et à gauche, au sujet de l’agression, au sujet du cadavre. Une réfugiée, native de RDC, et sa sœur, qui d’après ses renseignements résidait à Lyon. Quand Francis Roger dit Nez de Bœuf avait été retrouvé mort, le visage déchiré par l’explosion de son air bag, des traces indiquant qu’il n’était pas seul et qu’on avait au moins tiré un coup de feu, il n’avait pas fallu long pour reconstituer se qui s’était passé, un kidnapping qui avait mal tourné. Roger travaillait pour les Rossi. Ainsi il en était venu à la sœur. Elle avait disparu selon le concierge de l’hôtel, laissant un sac sur place. Mais il n’y avait rien trouvé dedans qu’un vieux teeshirt, un morceau de papier chiffonné avec l’adresse de sa sœur griffonnée, et deux canettes de coca pleines. Selon l’autopsie, Pauline Agbo avait été étranglée probablement avec l’aide d’un câble électrique après avoir été violée et battue. Le violeur avait prit soin de mettre un préservatif, mais il avait eu le temps, les examens toxicologiques avaient révélé un taux important d’alcool et de GHB. Pourtant ses mains montraient des marques défensives, elle s’était battu, avait griffé son agresseur. Qu’est-ce qui s’était passé ? Elle était sorti trop tôt de sa léthargie, le GHB n’avait pas complètement agi ? Une réfugié, personne au regard des autorités, de ses supérieurs, de ses collègues. Raison de plus pour qu’il se sente concerné. Il n’était pas rentré dans la police pour grimper les échelons, pour n’obéir qu’à la stricte loi des statistiques et des belles affaires. Il avait toujours considéré son métier comme une mission, un sacerdoce. Celui de servir, de protéger, indifféremment du statut social, particulièrement dans le cadre d’un meurtre. Kevin Huard était le chainon manquant. On n’avait pas réussi à le trouver et conséquemment à l’interroger, il était en vacance selon son patron. Sans alibi connu il était également le premier suspect. Le commissaire n’avait ni les effectifs, ni les appuis suffisant pour autoriser une surveillance des corses même avec ses indics, même quand on lui signala que le numéro deux des Paolie était monté à Paris. Barbier connaissait le Sanglier de réputation, comme tout le monde. Il savait également qu’il ne se déplaçait jamais pour rien ni ne quittait Michel d’une semelle. Trois ans que ce dernier était tricard sur tout le territoire. Le commissaire n’avait pas d’ami juge ou de supérieur sur qui compter mais comment rater une occasion pareille ? Il avait mit deux de ses hommes à la surveillance de la propriété des Rossi. Défense absolu d’en parler aux collègues, de se faire retapisser par leur sécurité. De commettre la moindre erreur, et on prendrait sur les heures sup si nécessaire.

C’est les voisins qui alertèrent les secours. Vers quatre heures et demi du matin, quand quelqu’un réalisa que les bruits de pétard n’en n’était pas et qu’ils venaient de la propriété d’à côté. Personne ne savait qui vivait là, dans ce genre coin, les uns et les autres ne se fréquentaient pas, ne se regardaient même pas. Quand les premières voitures se rendirent sur place, les coups de feu éclataient toujours de l’autre côté du mur. Bruit d’arme automatique, de Kalachnikov même, les policiers avaient appris à reconnaitre sa sonorité à force. Le GIGN fut requis, le commissaire arriva un peu avant, alerté par ses hommes. Il fut un des premiers sur place. Découvrant d’abord un des Rossi gisant dans une mare de sang, face contre terre, et contre toute attente encore vivant. Son frère était dans la salle à manger, lui n’avait pas eu la même chance. Barbier avançait arme au poing, derrière les hommes du GIGN protégé par leur bouclier. Une formation romaine au milieu d’un champ de ruine. Santucci alias le Sanglier gisait dans le salon avec un autre homme. Il avait la bouche bée, l’œil droit défoncé par une balle qui lui faisait comme un cratère au milieu du visage. Les policiers avançaient rapidement et avec prudence, ignorant si les attaquants étaient encore dans la place.

–       Vous n’avez pas entendu quelque chose ?

–       Si, ça vient de par là.

Des grognements peut-être, quelque chose qui bougeait au-delà du mur devant eux. Ils entrèrent dans la vaste cuisine. La silhouette se tenait accroupie dans l’obscurité, dos à l’entrée.

–       Police ! Mains sur la tête !

Mais la silhouette semblait occuper à tout autre chose, comme si elle n’avait rien entendu. Tout ce qu’ils entendaient c’était des bruits de mastication. Barbier fit signe, les gendarmes se déployèrent, se précipitant sur l’individu tandis que d’autres le tenait en joue. Gladys poussa un grognement guttural quand ils la plaquèrent au sol, quelque chose tomba avec un bruit mou et glissa vers le commissaire.

–       Oh bon Dieu ! s’écria un des gendarmes en regardant sur quoi était penché Gladys cinq secondes auparavant. Michel Paolie, ouvert du nombril à la gorge.

Elle hurlait en ingala, se débattait, Barbier se pencha sur ce qui venait de glisser vers lui, un cœur. Un cœur humain entamé, il brillait dans la nuit comme un bijou barbare, marbrée, noir.

Gladys chantonnait en oscillant sur elle-même. Elle regardait un point au loin à travers la vitre barrée d’acier. Elle avait grossi, portait un pyjama bleue uniforme, se tenait sur un lit sans couverture au cadre de fer. Elle ne pensait à rien de particulier, n’entendait plus le staccato des armes, ne sentait pas l’odeur de la viande humaine griller, ne revoyait plus le visage des morts. Son esprit ne se centrait sur rien de particulier, juste perdu quelque part dans des souvenirs qui ne lui faisaient plus mal, plus bien, plus rien. Les médicaments y veillaient. Ils veillaient à tout, à son sommeil, à sa faim, à tout. Quand apparaissait confusément la silhouette de Pauline dans son esprit, ça glissait, avec le reste, le visage de ses parents, son village, le temps d’avant la guerre. Juste demeurait cette petite chanson qu’elle murmurait en oscillant, comme sa mère oscillait en la berçant en chantant cette chanson, cette contine de son enfance dont sa mémoire avait retenu la mélodie. Ca disait :

Dort ô mon cœur noir

Va au pays des rêves et ramène-nous un arc-en-ciel

Dort ô mon cœur noir

Rit au milieu des songes et tu danseras chaque jour

Dort ô mon cœur noir

Vole, et chasse, et court, au pays des rêves Dieu est bienveillant.

Valérian, cosmo trip

En toute franchise je ne suis pas du tout un fan du cinéma de Luc Besson, ni comme réalisateur, ni comme producteur. Le réalisateur m’a toujours paru comme une escroquerie artistique mâtiné de plagiaire. Ayant récupérer des lauriers plus ou moins mérités sur la base de film généralement niais, où les femmes sont systématiquement des infantes obsédées par des envies de pisser, les forces de l’ordre des imbéciles de bande dessinés, les méchants très, très méchants, les héros entre le nounours et l’autiste. Une escroquerie artistique qui comme producteur nous a également abreuvé de mauvaise série B bien calibrées pour l’international, machines à cash sans âme mais techniquement irréprochables. Car c’est avant tout ça que n’a jamais cessé d’être Besson, un technicien et un producteur. Un technicien qui n’a peut-être jamais cessé non plus, à l’instar d’un Spielberg, ou d’un Cameron de pousser la technologie et son usage au point d’en faire un moyen d’expression en soi. Une forme de pinceau au tableau qu’il se propose de brosser. Ca sera la caméra à l’épaule et la steady pour Subway, le tournage sous-marin pour le Grand Bleu, que Besson assurera lui-même en tant que caméraman, les décors tournant pour le 5ème élément. Besson aime les grands angles magnifiant, les zoom dynamiques, le langage clip et bédé au service d’un cinéma commercial racontant un autiste porté sur les femmes enfants et se projetant en héros pas moins autiste. Qu’il s’agisse de Besson réalisateur ou scénariste, tous ses personnages principaux parlent peu ou pas du tout, tous sont des incompris, des laissés pour compte ou des marginaux, tous finissent par surmonter leurs difficultés comme dans un conte pour enfant. Pour autant on doit réellement reconnaitre un talent à Besson, son professionnalisme, sa capacité totalement unique en France de faire des films à grand spectacle qui se vendent partout dans le monde. A dire vrai il est même le seul capable aujourd’hui d’une telle performance, dans un paysage cinématographique français sous assistance respiratoire. Et c’est sans doute un des principal reproche que ce cinéma français là, celui de Télérama et de la défunte Nouvelle Vague a toujours fait au réalisateur, ses succès, et ses succès faciles. Un désamour également et paradoxalement partagé par le public français qui bien qu’il va volontiers voir ses films et les films made in Europa Corp, garde un avis défavorable sur l’homme et son insolente quoique toute relative réussite. Besson déplait, Besson est le cinéaste détesté préféré des geeks de France et de Navarre. Quasiment une insulte à lui seul. Notre Michael Bay à nous si on osait, aussi toc, creux et surtout à succès. Car même si son cinéma ne raconte pas grand-chose, même si en réalité Europa Corp flirt avec la faillite permanente, Besson est de ces cinéastes qu’on attend systématiquement au box office. Un réalisateur franco-hollywoodien en somme. Dans un pays qui n’en peut plus de se tripoter la culture comme d’une nouille, forcément il fait un peu figure du parvenu de la famille.

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Dans ce contexte on aurait pu s’attendre avec Valérian à une sorte de décalque du 5ème élément avec plein de bons sentiments et de démagogie comme il est coutumier, et à vrai dire on y échappe pas complètement. Une super production ne racontant pas grand-chose en utilisant un titre  et un univers populaire quoiqu’un peu oublié aujourd’hui, bâtit uniquement pour la 3D comme un roller coster d’effets numériques, ce qui il est accessoirement également. Sauf que Valérian compte réellement dans l’imaginaire du réalisateur, la bédé a fait rêver son adolescence comme elle a fait rêver la mienne et ça se voit. A l’instar d’un Guerre des Etoiles, qui s’est inspiré du vaisseau de Valérian pour la forme du Millenium Condor, la bande dessinée avait le don de vous plonger dans un univers complet et totalement exotique, où tout semblait plausible, où le cosmos devenait une sorte de vaste western riches de milles aventures avec deux héros à la fois insolent et sexy. Là-dessus hélas on ne peut pas vraiment dire que Clara Delvingne rende justice à la Laureline de la bédé qui s’orientait plutôt du côté d’une Barbarella, machin érotique et aventurier que d’une féministe 2.0. Pas plus que Dane DeHaan rend justice au personnage principal avec sa tête de fumeur de bédo frappé d’une extinction de voix. Prendre les intonations de Stallone ne va pas changer grand-chose au fait qu’en dépit de ses 31 ans l’acteur a l’air d’un gamin. D’ailleurs le Valérian de la BD se rapproche plus d’un Han Solo en uniforme que de l’adolescent épuisant de l’écran. La vertu du Valérian de papier était également d’employer dans sa narration autant que dans son découpage un langage cinématographique qui faisait oublier quasiment la présence des cases comme une aventure racontée par un long plan séquence. Et c’est exactement ce que parvient à traduire Besson avec son film. Tant dans la construction du scénario que dans la continuité des plans et de l’emboitement, l’enchâssement des histoires et des univers, il nous entraine dans une sorte de faux plan séquence dont le point de départ et la fin raconte la conquête spatiale comme forme d’espoir à l’humanité, issue vers un avenir meilleur. Et ici ce n’est pas tant que Besson est un grand naïf que la bédé a été initiée dans l’universalisme des années 70. Pour autant, un universalisme qui n’est pas sans poser de problème, puisque l’expansion sans limite de l’empire des mille planètes, ce conglomérats de races et de civilisations symbolisé par la station spatiale Alpha, fini d’anéantir une civilisation tout entière. Or on s’interroge sur cette civilisation qui a certains égards évoque les géants de la Planète Sauvage, film d’animation français de 73, poétique et cruel de René Laloux. Vécu comme pacifique et écolo rose-bonbon on comprend une catastrophe sans savoir si l’on nous parle d’avenir ou de passé, sans savoir qu’elle est en réalité lié à l’expansion d’Alpha et à son contrôle par l’humanité. Alors qu’au contraire la station et toutes les merveilles qu’elle induit, l’extraordinaire bond technologique, comme un corps organique en perpétuel prolifération, nous est raconté à façon de propagande sur l’air de Space Odity, comme un récit sans heurt où spontanément toutes les races de l’univers en vienne à se donner la main sans heurt mais non plus sans autre raison que l’universalisme bon enfant. De facto, puisque l’on suit les héros dans leurs aventures policières, le danger, ici vécu comme des terroristes face à une armée comme agent du bien s’inverse bientôt sous l’influence de nos deux héros qui finissent par prendre fait et cause pour leur ennemi. Au contraire de la Guerre des Etoiles où les rôles étaient bien délimités entre rebelles et forces impériales, entre bien et mal, la rébellion ici est d’abord vécue comme le mal avant que l’ordre et les protecteurs du bien apparaissent comme des fauteurs de trouble. C’est un message qui pouvait faire écho dans le contexte des années 70 et de la Guerre du Vietnam mais qui prend à nouveau une nouvelle mesure dans celui d’une armée américaine toute puissante, dictant sa conduite au monde et se révélant en réalité initiateur de la plus part des conflits planétaires. Et pour Besson c’est un une intention assez rare, celle de parler politique, pour être noté. Alors non je ne dis pas que Besson a fait un brulot contestataire mais pour une fois il a mis autre chose dans son film que le point de vue d’un ado autiste.

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Si on échappe pas hélas à quelques plans purement empruntés au jeu vidéo et qui promettent des applications vidéo ludiques dans un avenir sans doute proche, ni à des formes de mise ne valeur de la 3D ordinaire, avec objet et décor plongeant sur le spectateur, Besson se réserve le droit de jouer autant avec les codes encore neuf de la réalité augmenté, compliquant à loisir sa narration de sorte que la part de réel et d’irréel au sein même d’un monde purement virtuel se noie comme avec les personnages du Congrès (je pense ici à la course poursuite dans le marché au début) donnant un point de vue assez personnel sur un avenir de faux-semblants, et c’est précisément ce qui frappe avec ce film. Pour la première fois de sa carrière Besson fait un film personnel. Un film non pas qui projette un moi de fiction dans des héros pouvant lui ressembler, mais un point de vue tant de cinéaste que d’homme autant sur une œuvre de bande dessinée que sur sa vision disons adolescente du monde. Il en fait constamment déclaration et on ne peut plus croire à ce stade à de la démagogie, Besson est un ardent partisan du vivre ensemble et de la diversité. Quitte à contrarié la France des vieux et des existences bien rangée devant le poste ou Libé, il revendique son publique populaire et jeune, comme il revendique, loue et utilise la créativité et l’énergie de ce même public. Les jeunes des quartiers populaires. Car il ne faut pas oublier que Besson avec Europa Corp est également un des seuls cinéastes et producteur en France à faire travailler autant de jeunes techniciens, à embaucher autant de nouveaux talents. Et peu importe sur ce qu’on pourra dire sur les Yamakazi, le Parkour et autre acrobates et cascadeurs que Besson a utilisé au cours de ses productions, c’est autant de professionnels qui peuvent travailler aujourd’hui à l’international. En somme la station Alpha c’est la Cité du Cinéma à Saint Denis, des studios et une maison de production qu’il tente de conserver coûte que coûte et notamment contre la gourmandise de l’état. On oubliera pas comment il avait insisté pour pouvoir travailler son Valérian en France. Dans ce même pays où ses demandes de crédits d’impôts avaient fait plus grincer que les détournements de Fillon.

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Ainsi si la plus part des cinéastes donnent le meilleur d’eux-mêmes au début de leur carrière, Besson semble nous montrer pour la première fois avec ce film une part réel et personnel de lui, sa part non plus de simple faiseur, d’autiste se réfugiant derrière des canevas et des effets simplistes, mais d’auteur. Un auteur qu’on pouvait déceler dans sa direction d’acteur, car Besson est un réalisateur qui comprends ses acteurs et l’image qu’ils représentent, dégagent, mais qui jusqu’ici semblait avoir relégué sa propre sensibilité à une moindre mesure, traitant lui-même le cinéma de « petite chose ». Il oppose donc par l’image à son voyage quasi psychédélique, des plans tout à fait graphique et parfaitement cadré qui pose la narration un instant. Je pense ici notamment au défilé avec Clara Delvingne sous son immense chapeau ou à l’extraordinaire numéro de Rihanna filmé comme un numéro de cabaret à la façon du Moulin Rouge de Baz Luhrman. Et même des plans par endroit appuyant sur la cruauté puisque toujours dans une décalque de notre monde, Besson aborde la question de la torture. Et ce qu’il montre est étonnement cru finalement pour une production de ce genre et un film de Luc Besson. Bref après le déplorable Lucy, écrit sur un bout de papier par un troll qui regarde trop Youtube, et véhicule à star en mode grosse tête, Besson a peut-être réalisé son premier film de cinéaste adulte. Un film sincère et généreux comme une plage de la bédé de Mézière et Christin. Un film certes imparfait, victimes autant des excès d’acné de son auteur que des contraintes imposés par la narration en 3D mais qui marque à mon sens, un tournant dans la carrière de son auteur. En espérant qu’il poursuive dans ce sens.

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