La Tortue Noire, part 2.

« Arrête de penser comme un pauvre » se disait-il en lisant dans le journal un article sur Poutine. Sa fortune, ses propriétés, ses amitiés douteuses, son entourage dangereux. La presse occidentale avait tendance à se plier à l’image de Minotaure qu’il aimait cultiver. Du coup une partie de l’opinion l’admirait plutôt que d’en avoir peur. Des comptes en banque cachés partout dans le monde pour un montant total estimé à cent cinquante milliards de dollars. Il était plus riche que Poutine de cinquante milliards, il n’arrivait pas à s’y faire. Pas plus qu’il se faisait à l’idée d’avoir des domestiques. Mais d’un autre côté, il fallait bien entretenir les deux milles mètres carrés de la villa, et le parc de six hectares. Ils se pointaient trois fois par semaine. Vivaient sur l’ile évidemment et comptaient tous d’excellentes références. Mais ce n’était qu’un moindre détail comparativement à leur sécurité. Il avait parfaitement conscience qu’il ne pouvait pas les protéger lui et la petite, seul. Qu’il avait soixante ans et que ses ennemis étaient nombreux, jeunes et puissants. Sans compter tous les risques multipliés que leur faisait courir la fortune. Risque que la petite soit enlevée contre une rançon, qu’on tente de les piller d’une manière ou d’une autre et bien entendu, le tout avec la menace toujours vive qu’on essaye de les dépouiller de ces milliards. Bien sûr ce ne serait pas simple contenu de la complexité du montage financier, Mais qui pouvait le garantir à deux cent pourcents ? Mais à qui faire confiance ? Ainsi il découvrait à l’instar de toute personne fortunée, la fragilité de sa condition et la peur constante qui allait avec.

  • Charlie, je m’ennuie, on va se promener en bateau ?
  • Où tu veux aller ?

Noémie s’approcha et vint lui chuchoter dans l’oreille.

  • Hein ? Non, non c’est trop tôt !
  • S’il te plait Charlie ! Supplia-t-elle.
  • Non, non, tu n’es pas encore prête.
  • Si je te promets, je te jure je ferais tout ce que tu dis !

Il la jaugea par-dessus son journal, il portait des lunettes en demi-lune.

  • Pas comme la dernière fois hein ?
  • Non juré !
  • Bon, va chercher tes affaires, je vais préparer ce qu’il faut.
  • YOUPIIIIII !!!

Elle lui sauta au cou et le couvrit de bisous.

  • Eh oh on se calme ! Protesta-t-il en la repoussant.

Ça avait beau être sa petite-fille ça lui faisait encore drôle cette intimité avec une enfant. Peut-être justement parce que c’était la gamine de sa fille, qu’il ne se sentait pas encore légitime à l’élever ni même vraiment capable. Ils se rendirent sur Owen Island, un confetti désert au large de Petite Caïman. Un coin où ils étaient déjà venus et qui était un peu le paradis personnel de la petite fille. Il posa son sac dans le sable et en sortit un 357 magnum avec un canon de dix pouces. Un monstre, un canon de campagne de chez Smith & Wesson, l’inspecteur Harry avait le même lui avait venté le revendeur.

  • Pffiou mais il est éééénorme celui-là !
  • N’est-ce pas hein.
  • Mais j’arriverais jamais à tirer avec !
  • Aujourd’hui on va commencer par autre chose.

Elle avait eu son premier cours de tir la semaine précédente et elle ne s’était pas montrée très disciplinée. Alors aujourd’hui elle portait un gilet pare-balle avec plaque, assez lourd pour qu’elle marche comme un canard.

  • Aujourd’hui je veux que tu saches ce que ça fait de prendre une balle.
  • Pff je sais, ma maman elle est morte comme ça !
  • Oui… euh… non, je veux dire la sensation, va te mettre près de l’arbre là-bas et tu ne bouges plus, tu m’as compris ?
  • Oui chef ! Dit-elle en faisant un salut militaire.

Elle se positionna à une cinquantaine de mètres, bien droite, tandis qu’il glissait une cartouche dans le barillet.

  • Tu es prête ?
  • Oui.
  • Tu as peur ?
  • Pfff même pas p…

Elle ne termina pas sa phrase, projetée dans les buissons par la puissance de feu du monstre. Il couru jusqu’à elle, l’écho du coup de feu s’éloignait comme un orage.

  • Ca va ?

Elle s’était évanouie, un trou fumant dans le gilet. Il la débarrassa, la balle s’était incrustée dans la plaque en kevlar et acier. Inquiet il vérifia son pouls, son cœur battait quand soudain elle revint à elle en se tenant la poitrine.

  • Ca fait maaaal.
  • Tiens met de la crème sur ta peau, dit-il en sortant de la Biafine de sa poche. Ca va aller ?
  • Oui.
  • Tu comprends maintenant pourquoi je ne veux plus que tu fasses n’importe quoi quand je te prête une arme à feu ?

Elle lui jeta un coup d’œil coupable. La dernière et première fois qu’il l’avait initié avec un petit calibre, elle s’était prise à le tenir comme les flingueurs dans les films de ghetto. Résultat l’arme s’était naturellement enrayée. Puis elle n’avait pas non plus respecté ses consignes d’ordre de tir, s’amusant à dégommer un tronc d’arbre au lieu des bouteilles qu’il avait disposés dans les arbres au bout d’une ficelle. Il n’avait pas du tout été contant et s’était promis de la discipliner à l’avenir.

  • Oui, promis je ferais plus de bêtise.
  • Comment tu te sens ?
  • Ca va.
  • Prête pour l’entrainement ?
  • Vi.

Il aligna plusieurs automatiques sur le tapis de plage et lui présenta un à un.

  • On commence par un classique, le Makarov. Crée en 1946 il a équipé toutes les armées communistes pendant la guerre froide.
  • C’est quoi la guerre froide ?
  • C’est une guerre qui n’a pas eu lieu et qui a eu lieu en même temps.
  • Comprends pas.
  • Avant ta naissance, il y a très longtemps, le monde était divisé en deux camps, les communistes et les capitalistes. Ils ne se faisaient pas la guerre de face parce qu’ils avaient tous la bombe atomique alors ils la faisaient dans le dos, et à travers d’autres pays. L’arme des communistes c’était l’AK47 que je te présenterais un jour, et celui-ci donc. En huit ou dix coups, neuf millimètres, très fiable, très solide, je l’ai personnellement beaucoup utilisé dans le passé.

Puis il désigna le pistolet voisin.

  •  Celui-là tu vas le retrouver lui et ses copies, dans à peu près toutes les polices du monde et dans de nombreuses armées également, le Beretta 92 F et sa variation en pistolet-mitrailleur, le 93R. Avec celui-ci tu peux tirer au coup par coup ou en rafale de trois, capacité maximum, vingt cartouches. Tous les deux sont calibrés en neuf millimètres. C’est des vieux modèles, conçu dans les années 70 mais qui ont fait leur preuve.
  • Et c’est qui qui a gagné la guerre ? L’interrompu la petite.
  • Bah les capitalistes. En Europe les communistes avaient construit un mur qui les séparait de nous, un très long mur qui coupait Berlin en deux, c’est en Allemagne. Et en 1989 leur système s’est effondré et ils ont cassé le mur, ça été le début de la fin du communisme. On passe à un autre classique, une arme de référence pendant des années et qui a pourtant été conçu en 1911, le Colt M1911A1. Pistolet des officiers dans l’armée américaine, vendu à des millions d’exemplaires dans le monde, une arme presque mythique. Capacités sept cartouches, calibre 45 ACP. Lourd, un peu encombrant mais très fiable.
  • Et toi tu l’as fait cette guerre ?

C’était une excellente question et il devait bien admettre que oui. A travers l’IRA et parfois plus tard aussi, bien conscient que certain contrat était politique.

  • Oui… je t’en parlerais un jour. Maintenant on quitte les vieilleries et on passe au moderne avec le Glock 23, calibre 40 Smith & Wesson, la dernière génération de Glock, treize cartouches, une bonne arme de défense, utilisé par pas mal de service de police. Au même titre que son voisin, le Sig Sauer P226 ici calibré en 357 pour une capacité de dix cartouches. C’est léger, comme la plupart des armes de poing actuelles et ça fait le travail crois-moi. Et maintenant un de mes préférés le Ruger 57. Capacités vingt cartouches de 5,7 millimètres à haute vélocité, chargement rapide, léger, précis, système de sureté copié sur le 1911 donc facile, seul défaut, ses munitions, et son prix. L’une est rare, l’autre est cher.

Elle écoutait sagement, brûlant d’y toucher mais se retenant parce qu’elle avait encore mal et bien comprise la leçon. Les armes ce n’était pas des jouets et elle n’était pas un personnage de cinéma.

  • Aujourd’hui tu vas essayer celui-ci et le Beretta, avec et sans leur réducteur de son.
  • Cool, gloussa-t-elle.
  • Pas de tir rapide, tu prends ton temps pour viser, tu respires et tu ne tires que lorsque tu es prête, d’accord ?
  • Promis !
  • Bien, chargeur dans une main, pistolet dans l’autre…

Il l’entraina une partie de l’après-midi après quoi, ils nettoyèrent les armes ensemble. Le recul était évidemment le plus difficile à gérer mais elle se débrouillait bien, même avec un silencieux au bout du canon. Ne ratant que deux cibles sur six. La séance se termina sur ce qu’il appelait une salade d’armes. A savoir les pistolets tous démontés, pièces mélangées avec pour Noémie tâche de les remonter tous l’un après l’autre sous la surveillance de son chronomètre.

  • C’est la première fois, alors prends ton temps.

La gamine commença par observer l’ensemble des pièces en glissant un doigt dessus, comme si elle voulait les mémoriser avant de prendre la culasse du Colt et de commencer à assembler l’engin. Elle ne s’arrêta pas une seconde, remontant les armes une à une comme si elle avait fait ça toute sa vie. Il n’en revenait pas. Il regarda son chrono, une minute et trente- cinq secondes pour six armes ! Vingt secondes par mécanisme.

  • Tu m’expliques ?
  • Bah quoi !?
  • Qui est-ce qui t’as appris ?
  • Bah personne c’est facile !

Il se souvenait la première fois où on lui avait fait passer ce genre d’épreuve, il avait bien mis deux bonnes minutes pour remonter trois armes, et des modèles moins sophistiqués.

  • Bon et bien apparemment nous avons une jeune prodige devant nous, bravo.

Elle sourit à s’en déchausser les dents.

  • Merci ! Je suis la championne du monde !
  • Ouais bah fait pas ta maligne, la prochaine ça sera les yeux bandés.
  • Wééé ! On peut le faire tout de suite ?
  • Non, non, il est tard et tu dois prendre ton bain.
  • Rhooo pfff.
  • On discute pas, allé viens on retourne au bateau.

Le pilote et les deux marins qui veillaient à l’entretient tapaient le carton sur le pont quand ils retournèrent sur le yacht.

  • Ça s’est bien passé aujourd’hui mademoiselle ? Demanda un des marins ?
  • Super ! On fait une salade d’arme je suis championne du monde !
  • Une quoi ? demanda l’autre.

Pendant qu’elle expliquait Charlie fit signe au pilote qu’on y allait.

  • Pas de soucis Lafayette cette fois ?
  • Non, non, vous inquiétez pas, maintenant qu’ils sont au courant, les gens font ce qu’ils veulent à Petite Caïman.

La dernière séance avait rameuté les voisins face à l’ilot qui s’étaient inquiétés et avaient alerté la brigade de trois hommes qui veillaient sur la loi et l’ordre sur Petite Caïman. Il n’y avait pas à proprement parlé de délinquance sur une île abritant pour l’essentiel des gens fortunés, au plus des problèmes de voisinage et des disputes familiales. Ils s’étaient pointés en barque à moteur et avaient fait un peu les malins, mais Lafayette savait comment prendre les flics et ils étaient repartis sans faire d’histoire garnis de quelques dollars.

  • Doivent me prendre pour un dingue, pouffa Charlie.
  • Bof c’est rien croyez-moi ils ont vus des gens autrement plus bizarres que vous dans les Caïmans.
  • Ah ouais ? T’as des noms ?
  • Epstein vous avez entendu parler ? Il avait une maison ici, Mike Jagger aussi et quand Keith Richard et ses potes venaient…
  • T’as connu ?
  • J’ai piloté un des yachts d’Epstein en effet.
  • Et alors ?
  • Vous n’avez pas envie de savoir ce que ce genre de personne est capable de faire avec ses amis, croyez-moi.
  • A ce point ?
  • Oh oui.

Lafayette Rochambeau n’était pas natif de la Caraïbe. Un de ceux engagés à la Nouvelle Orléans quand il avait acheté le yacht. Un large métis aux yeux clairs qui pourtant avait bourlingué un peu partout dans les iles, d’ici aux Bahamas. Skipper, pilote, pêcheur, barman, restaurateur, à trente-sept ans, il avait fait un peu de tout. Charlie l’avait précisément choisi pour ça. Il ne connaissait pas seulement parfaitement la mer, il était capable de leur cuisiner un truc sur le pouce, lui trouver un peu d’herbe, ou leur faire visiter la Havane qu’il connaissait par cœur. Charlie n’avait pas perdu son habitude de fumer un joint et de boire un petit verre quand la petite était couchée. Et Lafayette s’était même proposé d’en cultiver dans le parc. Le projet était en cours. Le lendemain il avait rendez-vous avec un de ses gestionnaires de compte à George Town la capitale, sur la plus grande des îles de l’archipel.

  • Cher monsieur Black, comment allez-vous ce matin ?
  • Mon foutu voisin m’a encore réveillé avec son bidule, un de ce quatre je vais lui vider un paquet de sucre dans son réservoir à ce connard, mais sinon ça va, et vous-même monsieur Bern ?

Le chargé de compte gloussa.

  • Bien, très bien, j’ai quelqu’un à vous présenter.
  • Ah oui ? Et qui donc ?
  • Venez dans mon bureau il nous attend.

 Un grand type bronzé au sourire facile, dans une chemise bariolée et au poignet une montre en platine extraplate.

  • Monsieur Black ? Enchanté Timothy Willbur, je suis conseillé en investissement.
  • Dans quel domaine ?
  • Rachat d’entreprise, placement boursier, bien immobilier et mobilier.
  • Vous travaillez pour qui ?
  • J’ai mon cabinet privé ici même.

Bern et lui avaient déjà discuter sur la nécessité de déplacer certains de ses avoirs, réinvestir dans de nouveaux domaines, mais comme il avait un peu de mal à se projeter, il lui avait demandé de trouver quelqu’un pouvant l’orienter. Ainsi ils échangèrent une partie de la matinée sur les entreprises intéressantes à racheter. Il y avait de tout, boites américaines, européennes, chinoises, australiennes. Dans l’extraction minière, le BTP, l’électronique ou, et ça l’interpella immédiatement, la sécurité privée.

  • Omni Security Service, trois cent millions de chiffre d’affaires, un taux de croissance à deux chiffres, mais le propriétaire veut vendre, problème le prix qu’il demande, largement surévalué.
  • Combien ?
  • Deux cent millions de dollars.
  • Vous croyez que vous pourriez quand même organiser une rencontre avec eux ?
  • Oh oui ça doit être possible mais je vous le dis, cette boite pèse au plus cent millions
  • Oui… organisez un rendez-vous voulez-vous ?
  • Comme vous voudrez.

Il appela devant lui. Le siège de la société se trouvait à Londres, et comme il n’avait aucunement l’intention de retourner en Europe, le rendez-vous fit pris pour la semaine suivante à Miami.

Le cortège filait sur la départementale, une fourgonnette cellulaire et deux véhicules de police remplis d’éléments de la BRI et du GIGN. A l’intérieur de la cellulaire, deux hommes enfermés séparément, sous la garde de quatre cagoules du GIGN. Réputés dangereux, les deux hommes avaient fait l’objet d’une vaste enquête européenne pour une série de braquages à travers trois pays. Jugés et condamnés, ils étaient déménagés de leur ancienne prison de la Santé direction la centrale de Poissy. Une information avait en effet fuité au sujet d’un plan d’évasion au sein même de la prison parisienne. Six kilomètres de départementale, pas plus, avant de rejoindre la nationale et de retrouver l’itinéraire initial détourné par un carambolage sur l’autoroute engageant pas moins de deux camions et trois voitures. Un hélicoptère de la gendarmerie les précédait de quelques kilomètres qui surveillait la route. Soudain une roquette percuta la voiture de tête par le milieu, la soulevant de terre et la brisant en deux dans une boule de feu. Le fourgon s’immobilisa en catastrophe tandis que le second véhicule était à son tour pris par l’arrière sous le feu d’une seconde roquette. Le SUV fut soulevé dans les airs avant de retomber sur le flanc en flamme. Bloqué devant et derrière, le chauffeur du fourgon tenta une manœuvre tandis que son collègue alertait hélicoptère et gendarmerie du département. Mais pour toute réponse il reçut une avalanche de neige hertzienne quand soudain, un 4×4, surgissant d’un chemin de terre, les percuta à toute force par l’avant, poussé par ses huit cent chevaux et protégé par un pare-buffle renforcé. Le fourgon fit quasiment un demi-tour sur lui-même avant de s’immobiliser au bord du fossé tandis que des hommes masqués et armés sautaient du 4×4. Une charge sur les portes-arrières, les flics sommés de se rendre préférèrent n’opposer aucune résistance, les deux prisonniers libérés grimpèrent dans une seconde voiture arrivée entre-temps. Quand l’hélicoptère de la gendarmerie, alerté par la fumée des véhicules en flamme, rebroussa chemin, deux tireurs d’élite à bord. Les prisonniers étaient en train de filer quand une balle atteint le véhicule de fuite et que l’autre tireur tenait en respect ceux du 4×4. Mais un hélicoptère en stationnaire est une cible de choix, surtout quand un des hommes sorti une mitrailleuse Minimi du 4×4 et commença à arroser l’appareil. L’obligeant finalement à décrocher. Mais tout le département et ses forces était déjà au courant et des barrages étaient en cours de constitution. Un homme était blessé dans le véhicule de fuite, un éclat de balle dans le ventre, il saignait abondamment, Tout pourtant avait été prévu, dix kilomètres plus loin en empruntant des petites routes, un hélicoptère attendait. Tous montèrent à bord et disparurent des radars. L’évasion fit la une, d’autant que six policiers avaient trouvé la mort et que deux étaient à l’hôpital dans un état grave. L’enquête fut confiée à la brigade criminelle du 36 tandis que les limiers de la BNRF, la Brigade Nationale de Recherche des Fugitifs se lançaient à la poursuite des disparus. Milo Marcovic et Daran Sijic, anciens membres de l’armée bosniaque durant la guerre qui déchira l’ex-Yougoslavie, et soupçonnés d’être également membres du gang de la Panthère Rose qui durant toutes les années 90 avait écumé le monde en volant pour des millions d’euros de bijoux, or et tableaux de maitre. L’opération ayant été menée militairement, on soupçonnait naturellement leurs complices d’être impliqués dans l’évasion. Et eux-mêmes le pensèrent jusqu’à ce qu’un des gars retire sa cagoule.

  • Salut les mecs, le quel de vous deux est Milo ?

L’intéressé leva le doigt tandis que l’hélicoptère filait au-dessus de la campagne française. Le gars fit signe à ses complices, l’un des deux ouvrit la portière, tandis que l’autre empoignait Daran

  • T’as le bonjour de John, lui fit-il avant de le balancer de l’hélicoptère

Tony n’en revenait pas.

  • On a fait tout ça pour ça ?
  • Il parait que c’était un flic infiltré.
  • Et l’autre au moins il est bien arrivé ?
  • Il est à Dubaï à l’heure qu’il est. En tout cas Bobo tu remercieras l’avocat, faire courir la rumeur d’une évasion c’était non seulement une bonne idée mais ça a marché.
  • Oui c’est un bon petit, approuva Tony. Et maintenant quoi ? On en est où avec le vieux ?
  • D’après la rumeur il aurait un paquet de fric et se planquerait à l’abri au Mexique.
  • C’est vaste le Mexique, fit remarquer Bobo.
  • Ouais je sais, fit Louis agacé, C’est pas tout, notre gars aurait énervé des coréens, un gang qui s’appellerait la Tortue Noire, ils ont mis un contrat de dix briques sur sa tête, peut-être que ça vaudrait le coup qu’on se rapproche d’eux.
  • Ca te dis quelque chose Bobo ?
  • Ouais carrément, s’enthousiasma le manchot. Ils ont une armée de mecs à leur disposition et ils ont des connections partout à ce que j’ai compris.
  • Ils trempent dans quoi ?
  • Un peu de tout comme nous, répondit Bobo qui n’en savait en réalité rien.
  • Tu les as rencontrés ?
  • Une fois, le soir où on s’est fait baiser par les potes du vieux.
  • Okay, mais comment on prend contact avec eux ?
  • Les Kinahan m’ont dit qui joindre
  • On a qui en Asie en ce moment ? Demanda Tony en se tournant vers Bobo.
  • Il y a le frère à Bastien, Antoine, il vit à Bali.
  • Santucci ? Okay alors appelle et dis-lui qu’on va avoir besoin de ses services.

Les restes du corps balancé depuis l’hélicoptère furent découvert par des promeneurs. Rapidement identifié, son identité réelle révélée, les policiers redoublèrent d’effort pour retrouver ses assassins. Pendant que les uns interrogeaient le terrain, recoupaient leurs informations, recueillaient des témoignages, la scientifique analysait tout ce que le commando avait laissé derrière lui. Des fragments de roquette, des douilles, et deux véhicules retrouvés calcinés. La piste des véhicules les conduisit à l’hélicoptère, volé dans une école de pilotage. Au bout d’une semaine on avait réussi à mettre un nom et un visage sur le voleur présumé. Lucas Serrurier, inconnu des services de police, un passé militaire et une activité comme mercenaire en Afrique. Considéré en fuite, il fut ajouté à la liste des hommes du capitaine Levy de la BNRF. Mais la piste devint réellement intéressante quand la scientifique parvint à identifier la provenance des roquettes grâce à un numéro de fabrication parcellaire. Les engins venaient en effet d’un même lot, fabriqué en Tchécoslovaquie, distribué en ex-Yougoslavie pendant la guerre, et dont un autre exemplaire avait été utilisé dans un braquage de fourgon blindé, un an auparavant. Or les Panthères Roses ne pratiquaient pas ce genre de vol. Au contraire de l’équipe de corso-marseillais qu’on avait en partie coincé sur cette dernière affaire. Ainsi de fil en aiguille les services du 36, complétés par les filatures et l’enquête de la BNRF, remontèrent jusqu’à Louis Simonie et Jean Orsenna deux proches du clan Santonie. Un clan qui avait amplement les moyens et les hommes pour organiser en effet cette évasion. Restait le mobile. Devait-on voir là une association d’opportunité entre les corses et les bosniaques ou une complicité de longue date que les policiers n’avaient pas vue ? Quoi qu’il en soit, tous les membres les plus importants du clan furent dès lors l’objet d’une surveillance étroite.

Pirater en direct la base de données CCTV de la ville d’Edimbourg, visionner vingt-cinq minutes d’images vidéo, et suivre un fantôme sur un vélo. Retrouver le vélo abandonné dans une rue près du port. Pirater la surveillance des quais, interroger plusieurs marins, manœuvres, officier de navigation, un type avec un chat ce n’était pas forcément discret. Et réaliser enfin que le fantôme était monté à bord d’un navire direction l’Europe et plus exactement la France. Un cargo au long cours, sa première étape commençait au Havre et la dernière, se situait au-delà du détroit de Malacca. Au Havre un homme monta à bord pour apprendre que le passager et son chat avait déjà fichu le camp. A nouveau l’homme qui accompagnait le blond et les coréens usa de ses talents de pirate informatique et on finit par retrouver la trace du fantôme qui entrait dans une boutique de vélo. Mais cette fois les ordres était de le laisser courir jusqu’à sa prochaine destination. Ainsi on put le suivre qui longeait la côte jusqu’en Bretagne, où il s’arrêta enfin pour quelques jours. Une pension de famille à Ouistreham, inscrit sous le nom de Francis Lambert. Eric Lord, alias le Phénix, petit-déjeunait en compagnie de sa chatte quand le vieux coréen rentra dans le petit réfectoire.

  • Pardonnez-moi de vous déranger, permettez-vous que je m’assois ?

Lord leva ses yeux légèrement bridés sur Chu Hei Choi, le reconnaissant instantanément.

  • Vous êtes têtu, fit-il remarquer en lui faisant signe vers la chaise.
  • Pardonnez mon impolitesse, mais je ne le serais pas si cette affaire n’était pas de la plus haute importance.
  • Je crois que j’ai été clair la dernière fois pourtant, je ne travaille plus.
  • Une affaire qui vous concerne également, ajouta le vieillard.
  • Et en quoi ?
  • L’attentat de Birmingham en 91, nous avons identifié son auteur.

Lord reposa sa tasse de thé et le regarda un moment silencieux.

  • Savez-vous pourquoi je fais le tour du monde à vélo avec mon chat ?
  • Vous détestez les bruits de machine et vous avez toujours aimé les chats, pour le reste je suppose que c’est une manière de redécouvrir le monde en faisant la paix avec vous-même.
  • Oh il y a longtemps que j’ai fais la paix avec moi-même et le monde d’aujourd’hui change trop vite pour pouvoir le redécouvrir, je le prends plutôt comme il vient et je le regarde s’en aller dans les poubelles de sa propre histoire. Vous êtes né en quelle année ?
  • 1939
  • Nous avons vu l’avènement et la chute du nazisme, et plus tard celle du communisme, Nous avons vu la bombe atomique mettre le monde au pas, et l’homme poser pour la première fois le pied sur la lune. Sans compter notre propre existence nous avons vu de grandes choses se produire dans le monde et vécu assez longtemps pour pouvoir en parler. Nous verrons bientôt la fin de tout ça et saurons enfin si l’apocalypse chrétienne respecte son sens premier, une révélation et si cette révélation n’aboutit pas en réalité à un suicide collectif. Vous et moi sommes des livres d’histoire dont tout le monde se fiche. Et c’est pour profiter des derniers instants de notre monde que je prends mon temps pour le parcourir.
  • Je comprends, vous avez perdu la femme que vous aimiez et l’enfant qu’elle attendait à Birmingham. Vous pensiez l’avoir vengé et pendant des années vous avez cherché un sens à votre vie, comme vous en cherchiez un après cette malheureuse guerre du Vietnam. Je me souviens bien encore de notre rencontre. Taoka vous avait pris à son service et vous appelait son ronin. Il avait raison, c’est ce que vous êtes, un samouraï sans maitre.
  • Personne n’a besoin de maitre et je n’ai jamais servi que les contrats qu’on me proposait.

Le vieil homme sourit en secouant la tête.

  • Ah il n’y a jamais pire juge que nous-même. Vous injuste avec vous cher Éric, vos maitres n’ont jamais été des hommes ou des femmes, Taoka l’avait bien compris, vous êtes un homme de cause. Vous avez servi au Japon parce que vous croyiez à l’honorabilité de votre employeur, et vous avez embrassé votre mission au Vietnam en pensant que vous pourriez gagner cette guerre à vous seul.

Il vit dans son regard qu’il avait touché un point sensible.

  • Nous sommes tous les deux âgés et nous avons fait nos preuves aux yeux du monde. Mais il est évident que vous vivrez encore bien plus longtemps que moi et peut-être aurez-vous votre réponse concernant l’apocalypse. Un homme tel que vous peut-il pour autant errer sans autre but que de regarder le monde s’effondrer ? N’avez-vous pas encore des raisons de vous battre, et non pas cette fois pour les causes des autres mais pour la vôtre propre ?
  • La vengeance ne les ramènera pas à la vie.
  • Mais clore enfin cette histoire, comprendre pourquoi… car vous n’avez jamais su pourquoi n’est-ce pas ? Ne pensez-vous pas que ça vous sortira de votre errance et de votre fatalisme ?

Encore une fois il avait touché un point sensible et il s’en rendait compte.

  • Les gens comme vous et moi ne craignons ni la mort, ni la prison, ni le bannissement. Nous n’avons ni honte ni remord de nos actes. Mais nous redoutons plus que tout de commettre une injustice vis-à-vis de ceux que nous aimons. Car la première cause que nous servons après tout c’est notre honneur. Le votre était de protéger votre femme et vous ne savez même pas pourquoi vous avez échoué. Je vous propose d’en finir avec cette question.

Lord le fixait dans les yeux, songeur

  • Laissez- moi vingt-quatre heures pour réfléchir.
  • Vous me promettez de ne pas vous enfuir nouveau ?
  • Je ne vous promets rien, si vous ne me revoyez pas c’est que j’aurais vaincu mes démons auquel cas n’essayez plus jamais de me retrouver. A demain.

La nuit durant des hommes surveillèrent de loin la pension de famille. Le chef de l’opération, Ji ho Gang, à qui on avait promis les pires supplices s’il échouait, la passa à se ronger les sangs. Mais surveillance ou non, au matin alors que sept heures venaient de sonner, il avait à nouveau disparu.

  • Oui, il a rendu sa clef hier soir, confirma la patronne.
  • Il n’a pas laissé de message ?
  • Euh…. Non.

Le blond sorti de la pension plus nerveux lui-même que jamais.

  • Le fils de pute nous a encore baisé ! S’écria-t-il à l’adresse de Gang et du vieux.

Frustré, ce dernier remonta dans sa Mercedes, une surprise l’y attendait.

  • Pardonnez-moi il fallait que je trouve un foyer pour Rose, comment s’appelle la cible ?
  • Ira, Charlie Ira, répondit Chu Hei Choi avec un grand sourire.

Si Charlie était au centre des préoccupations du clan Santonie, les affaires devaient continuer. Rachat d’un casino en Côte d’Ivoire, blanchiment, transport de produits illicites en provenance d’Amérique du Sud et d’Afrique du nord ou encore direction les côtes somaliennes ou libyennes. Distribution des produits auprès des grossistes, contrôle des filles et de la bonne gestion des réseaux aux Pays Bas, Allemagne et en Belgique. Sans compter les hôtels, bars, restaurants, affaires immobilières diverses et variées, le BTP, et les diverses sociétés légales dans la distribution, le transport, l’import-export. Tony avait des journées bien occupées, et comme il déléguait peu, devaient constamment se déplacer en Afrique ou en Europe. Cette fois-là il était à Bruxelles négocier le rachat de deux love centers sur la frontière avec l’Allemagne, et discuter affaire avec un groupement d’affaire chinois qui se proposait de lui acheter sa chaine de casino en Guinée et au Sénégal. Il ne comptait pas vendre, ses casinos étaient des usines à blanchir, mais ça ne coutait rien d’écouter d’autant que les chinois étaient des acteurs sérieux du commerce en Afrique. Ses rendez-vous avaient été concentrés sur son hôtel sur la Grand Place dans le centre de la capitale wallonne. Le premier avait lieu avec des gars de Hambourg avec qui il avait déjà travaillé dans le passé. Des ukrainiens installés depuis deux décennies en Allemagne avec des connections avec les milieux ukrainiens et russes. Eux aussi des gens sérieux mais dont le prix proposé était tout à fait déraisonnable à son goût.

  • Ecoutez les gars, moi je veux bien comprendre vos difficultés en ce moment, mais dix briques c’est trop, en plus y’a tout à refaire dans ces thurnes !
  • C’est à cause des gitans ça ! Deux cent cinquante mille balles de travaux putain de ta mère !
  • Et tout ça pour une embrouille de rien du tout !
  • Attendez, vous êtes en train de me dire que les travaux là c’est des gitans qui vous les ont faits ? Ca explique remarque, c’est n’importe quoi.

Les deux ukrainiens échangèrent un regard surpris.

  • Non, non, t’as pas compris, c’est des gitans qui ont tout cassé chez nous !
  • Hein ? Et vous en avez eu pour deux cent cinquante mille balles de travaux ? Mais y s’est passé quoi ? Sont venus avec un bulldozer ?

Ils lui racontèrent une bagarre homérique avec une bande qui donc avait ravagé leur établissement, une horde déchirée à la cocaïne et au crack, repoussée à coup de barre à mine et qui avait finalement laissé trois blessés dans leur camp. Tony était impressionné et même désolé par leur mésaventure mais n’empêche ceux qui s’étaient chargé des travaux avaient fait n’importe quoi. Quant à l’autre love center, il fallait également la refaire à neuf, trop vétuste avec son décor des années 80.

  • Ecoutez les mecs, dix plaques c’est trop, parce que faut pas juste refaire faire des travaux, faut aussi le remplir ce truc, acheter des filles et les tarifs que proposent les nigérians c’est pas donné non plus.
  • Attends, pour ça on a un plan, on peut te fournir des filles comme tu veux et pas des négresses, des blanches.
  • Majeures ?
  • Ouais, garantie.
  • Combien pièce ?
  • Bah ça dépend combien tu proposes pour les love centers ?

La négociation dura une bonne heure, au terme de quoi, sans rien conclure, ils s’accordèrent pour se revoir, affiner les demandes et les attentes de chacun. Après quoi il se fit servir une collation dans le salon privé qu’il avait réservé et déjeuna en lisant la presse internationale sur son téléphone. Les chinois arrivèrent en délégation. Cinq messieurs habillés comme des touristes, dont un seul parlait à peu près français et les autres un anglais des affaires avec un bon accent que Tony avait du mal à comprendre. Heureusement il n’était pas venu seul, mademoiselle Tang, qui occupait une fonction de mère maquerelle au sein d’un de ses bordels allemands fut de la partie pour l’occasion. Ils commencèrent par un exposé avec vidéo projecteur, graphiques et images prises dans diverses villes du monde, Macao, Hong Kong et Vancouver.

  • Comme vous le savez nous représentons la Golden China Incorporate, un groupe à la tête notamment d’une chaine d’hôtels casinos représentant un chiffre d’affaires de quatre cent millions de dollars pour une croissance annuelle de douze pourcents avec plus d’une vingtaine d’établissements au Canada, en Chine, Afrique du Sud et aux Bahamas. Dans le cadre de notre développement en Afrique de l’Ouest, nous nous proposons de vous racheter les trois établissements que vous possédez en Guinée Bissau et au Sénégal pour un montant de cent millions de dollars.
  • Je vous l’ai déjà dit je ne suis pas à vendre et d’ailleurs votre prix est ridicule comparé au volume que dégagent ces établissements. Alors de quoi parlons-nous ?
  • Permettez-moi de rectifier nôtre proposition, dit son interlocuteur avec un sourire tellement commercial qu’il aurait pu racheter la fortune de George Soros pour un euro symbolique. L’Império, votre casino à Bissau a perdu l’année dernière pour près de vingt-cinq millions, et son chiffre d’affaires est en perte de vitesse d’un virgule deux points. Quant à vos établissements sénégalais, l’un fait l’objet d’une enquête fiscale sans précédent à ce jour au Sénégal et l’autre est également en perte de vitesse à hauteur de six virgule quatre pourcents de votre chiffre d’affaires.
  • Je vois, vous avez fait un audit et vous pensez que vous me tenez par les couilles hein ? Sauf que vous oubliez que ces casinos n’ont pas vraiment pour vocation de dégager de l’argent légalement. Ensuite vous me causez de l’enquête au Sénégal ce à quoi je vous réponds, mon vieux vous ne connaissez pas les africains comme moi. Cette affaire sera pliée avant que vous ayez fini de vous gratter les couilles autour de mon pactole.

Le sourire du chinois sembla se coincer dans une porte mais le ton resta aussi aimable que le commerce l’exigeait.

  • Oui, bien entendu, vos établissements sont comme nous le savons ainsi que le fisc sénégalais et français des outils de blanchiment. Mais n’en est-il pas de même de tous les casinos n’est-ce pas. Et nous devons reconnaitre que la famille Santonie est un acteur de longue date en Afrique. Ce pourquoi je me dois de préciser que bien qu’étant intégré à notre groupe vos casinos resterons bien entendu sous votre direction. Nous vous proposons en réalité un partenariat sous pavillon chinois. Cependant avant que vous renouveliez votre refus, permettez-moi de vous montrer quelque chose.

Le chinois sortit des jetons de casino de sa poche, or et violet, en nacre estampillés d’un chiffre et d’une lettre, 5K et 10K.

  • Le gouvernement canadien vient de nous autoriser à émettre des jetons d’une valeur de cinq mille dollars. A Macao en revanche nous avons doublés la mise jusqu’à hauteur de dix et quinze mille dollars. Comme vous pouvez le voir ils sont identiques, ce qui signifie que vous pouvez les convertir dans n’importe lequel de nos établissements pour un blanchiment propre et net sans commission bancaire, ni même en intégrant le flux financier international.

Les chinois étaient malins, il voulait bien le reconnaitre. Et leur offre aurait été alléchante s’ils ne s’étaient hélas pas trompés de personne ni de somme.

  • Je vais vous dire les gars… voilà comment je vois les choses. Vous arrivez avec vos graphiques et vos Power Point, votre groupement d’affaires made in China et vos promesses de martingale fabuleuse si je marche avec vous. Vous m’étalez votre fric en me promettant que j’aurais la main sur mes casinos et qu’avec vous et votre combine je pourrais tranquillement écouler mes bénéfices sans que personne puisse mettre le nez dedans. Seulement voilà, je ne vous aime pas. J’aime pas vos manières de vous croire partout chez vous en Afrique, je n’aime pas vous voir trainer dans mes casinos à essayer de baiser la maison à coup de tricheurs et de grosses mises. Vous vous donner des airs, vous essayez de vous faire passer pour d’honnêtes hommes d’affaires, des gens sérieux alors qu’en réalité vous êtes juste des suceurs de sang avec assez de cervelles pour pas vous mordre vous-même vos toutes petites couilles de niakoué. Alors voilà ce qui va se passer. Non seulement vous allez remballer votre proposition et vous la carrer bien au fond du cul mais en plus vous serez assez aimable de régler ma note parce que jamais je ne serais venu ici si vous n’aviez pas insisté. J’ai pas besoin de vous les chinetoques, remballez votre cirque et allez payer la suite, d’accord ?

Le sourire du chinois s’abima d’un coup. Il s’inclina légèrement et dit :

  • Je vous remercie de votre franchise. Vous perdez de l’argent, les affaires de votre famille ont connu de récent revers mais comme tous les français vous préférez l’arrogance à la raison. C’est votre choix. Nous ne vous importunerons plus.

Après quoi tous se levèrent et quittèrent la place les uns derrière les autres.

  • Putain de jaune de merde, maugréa Tony une fois qu’ils eurent disparu.
  • On fait quoi patron, on reste pour la nuit ? Demanda son garde du corps et chauffeur alors qu’ils se rendaient au bar de l’hôtel.
  • Nan, prépare la bagnole on rentre.
  • Vous croyez qu’ils vont payer pour nous ?
  • Rien à foutre, répondit Tony que cette dernière négociation avait mis de mauvais poil.

Depuis le début du siècle les chinois investissaient massivement en Afrique et notamment dans le sillon de la France et des pays francophones. Leurs méthodes, leur fric, le fait même qu’ils se permettent de marcher sur les prébendes de la France, tout ça lui déplaisait d’autant réellement qu’à cause d’eux il avait déjà raté quelques très bonnes affaires. Ils repartirent donc dans la soirée et par la route, direction Lille.

  • Allo ? Ouais Bobo ? Ouais c’est moi. Dis donc t’en penses quoi de l’avocat ? Dis les choses franco tu crois qu’il est solide ? Ouais…. Ouais… non j’ai besoin que quelqu’un aille dans les iles pour moi, vérifier un truc… hein ? Nan aux Bahamas, les casinos des chinetoques…. Ouais… ouais, je te raconterais, à plus.

La moto, une mille centimètres cube, parvint à leur hauteur alors qu’il venait de passer le péage d’Arras. Tony Santonie était en train de raccrocher quand le passager de la moto fit feu sur la voiture avec son pistolet-mitrailleur. Deux rafales, une pour le passager, une autre pour le chauffeur. La voiture fit une embardée et plusieurs tonneaux avant d’heurter la barrière de sécurité. La moto s’immobilisa, le passager s’approcha de l’épave et dégoupilla une grenade incendiaire qui balança dans l’habitacle. La moto repartie alors que la grenade éclatait dans un éclair blanc.

Hotel Nacional, la Havane. Monument historique à la gloire d’une époque bannie, révolue et pourtant regrettée. Ils étaient tous venus là. De Lucciano à Meyer Lansky, de Sinatra à tous ce qu’Hollywood avait pu connaitre comme star entre les années 40 et 60. Vingt ans ou quasi ou Cuba avait été le plus grand lupanar pour riches au monde. Ils y descendaient chaque fois qu’ils se rendait à Cuba pour le premier soir. Le petit plaisir coupable de Charlie. Fumer un barreau de chaise en buvant un Margarita ou un Mojito dans le patio en solitaire. La petite était dans la suite avec ses poupées, quelques touristes américains étaient occupés à discuter dans le fond, sa voisine avait le nez sur l’écran de son portable. Charlie lisait la presse américaine, New York Times. Plus pour se donner un genre d’ailleurs que par grand intérêt pour les affaires du monde. Derrière lui se tenait un asiatique au teint mat, des lunettes de soleil sur le nez comme un espion échappé des années 60. Il buvait un café et lisait également, un livre en espagnol. Charlie regardait le profil de la fille. Vingt-cinq ans peut-être, blonde, bien roulée, profil de poupée pulpeuse, une touriste américaine probablement. Et il se sentait vieux. Trois ans qu’il n’avait pas tirer son coup. Il y avait bien eu cette petite anglaise de passage à Bali et un ou deux tapins, mais elles ne comptaient pas vraiment. Quant à sa dernière régulière ça datait d’au moins dix ans. Sarah, une jolie brune d’une quarantaine d’année avec qui il était resté trois ans avant qu’elle ne reparte pour les Etats Unis. Depuis il avait un peu l’impression que les filles ne l’envisageaient plus, ou bien était-ce lui qui regardait au mauvais endroit ? Il n’en savait rien mais elles lui manquaient comme un bout de poumon. Et si la petite n’était pas rentrée dans sa vie celle-ci aurait manqué de souffle. Les femmes changeaient la vie des hommes et ce n’était pas seulement un cliché de le constater, c’était aussi une douleur. Peu de femmes avaient pourtant compter dans sa vie en dehors de sa propre mère et de la mère de Nathalie, feu sa fille. Sauf peut-être Mary O’Neil sont premier amour, tuée par l’UVF alors qu’il n’avait encore que quinze ans et qui avait motivé son engagement auprès de l’IRA. Oui, la première fois qu’il avait ôté la vie c’était par amour et ça faisait vraiment une bonne motivation pour entrer en guerre et même justifier toutes les horreurs qu’il avait pu commettre par la suite. La guerre, aucune, n’était pas propre, noble, ou même héroïque. Ça c’était bon pour Hollywood. C’était une sale affaire et plus on la faisait salement, plus on avait des chances de la remporter, n’en déplaise aux pacifistes et aux amateurs de belles histoires à dormir debout. Un constat qui en attendant ne lui faisait aucun bien particulier car il savait que Noémie avait raison quand elle affirmait avec sa foi de petite fille que ceux qui avaient tué sa mère n’allaient pas en rester là. Trop d’intérêt en jeux, sans compter l’indispensable besoin de vengeance, et les corses avaient la vendetta dans le sang. Sans parler des coréens, et tout ça gâchait un peu les longues vacances qu’aurait put être sa vie et celle de la gamine. Le journal devant lui traitaient des otages libérés par le Hamas en échange de ceux que la presse internationale appelait les « prisonniers » de l’état d’Israël. D’autres otages en réalité, et souvent des gamins comme lui avait été quand il avait pris les armes. Il n’y avait pas de guerre propre donc et tous les coups étaient permis depuis bien avant le 7 octobre entre les deux parties. Mais comme disait Paul Valéry la guerre était une affaire menée par des gens qui ne se connaissaient pas au profit de gens qui se connaissaient mais qui ne se massacraient pas. Ce qui n’était pas tout à fait juste en ce qui concernait le conflit en Irlande du Nord ou en Palestine. Ca c’était une guerre également entre voisins, souvent séparés par une unique rue. Il oublia le journal sur la table et fini son mojito, il était temps d’aller voir ce que faisait la gamine. L’asiatique derrière lui referma son livre et le suivi à l’intérieur de l’hôtel.

  • Monsieur Buchannan ? Un message pour vous, dit un serveur en s’approchant, un petit plateau d’argent à la main sur lequel était posé une enveloppe crème.

Charlie s’immobilisa et regarda vite fait autour de lui.

  • Pour moi ? Vous êtes sûr ?
  • Oui monsieur, dit le serveur avec un sourire poli.

Charlie regarda l’enveloppe avant de se décider à la prendre. A l’intérieur il y avait un carton, une invitation écrite à la main. « Nous aimerions vous rencontrer, nous avons une offre importante à vous faire. Rendez-vous Caza Azul, 19h30 D.B. Smith. »

  • Qui vous a donné ça ? Demanda-t-il sèchement au serveur.
  • C’est un appel téléphonique monsieur.

Instinctivement Charlie scruta à nouveau les alentours avant de se décider à remonter dans la suite illico, l’asiatique sur ses talons. David Brent Smith, oui il se souvenait de cette tête de mormon et de son copain. Ils l’avaient retrouvé à Nice plusieurs mois après qu’il en ait fini avec les corses, et alors qu’il pensait avoir effacé ses traces. Il lui avait proposé de le dépouiller de la fortune de Kadhafi, son plan retraite, contre un pourboire. Bordel ! Mais comment ils faisaient pour le retrouver systématiquement ? Derrière la porte de la chambre la voix virile de Sylvester Stallone grommelait :

  • Live for nothing or die for something…

Il entra de mauvais poil, jetant à peine un coup d’œil à l’image, Rambo avec son arc menaçant un gars.

  • Noémie éteint ça tout de suite.
  • Mais pourquoi !?
  • Parce que tu as huit ans, et arrête de discuter.
  • Huit ans trois quart ! Protesta la petite.
  • J’ai dit éteint ça tout de suite.
  • Pfff…

Rambo disparu, il se retourna vers le garde du corp assis à côté d’elle.

  • C’est toi qui lui as mis ce film ?

L’intéressé, un grand blond large d’épaule, prit un air innocent.

  • C’est elle qui voulait.
  • Je veux pas le savoir, la prochaine fois que tu lui mets des images de violence devant les yeux, je te vire, c’est compris ?
  • Mais Charlie ! Protesta la gamine, c’est du cinéma !
  • Ca suffit jeune fille, va faire tes bagages, on s’en va.
  • Hein ? Mais pourquoi ?
  • Parce que je te le dis.

Sa petite bouche se comprima de tristesse, les larmes aux yeux elle retourna dans sa chambre. Il se retourna vers l’asiatique qui n’avait pas quitté ses lunettes d’espion et regardait le blond en secouant la tête.

  • Prévient Lafayette et dis lui d’emmener la petite à l’abri, tu sais pour le reste.

L’autre fit signe que oui et ressorti. Charlie n’avait pas racheté Omni Security Service, il avait sélectionné quelques-uns de leurs employés et leur avait proposé de tripler leur salaire. Le blond était un anglais ex para, l’autre un philippin qui avait bourlingué dans plusieurs corps d’armée avant de finir dans le privé. Barney et Granada, grenade en espagnol, il ne savait même pas son vrai nom, mais c’était moins important que ses talents. Il entra dans la chambre de la petite, elle pleurnichait en faisant ses bagages, ça lui fit mal au cœur.

  • Excuse-moi ma chérie, je ne veux pas être méchant tu sais mais…
  • Oui bin Rambo c’est bien d’abord et puis Barny il a rien fait ! C’est moi qui ai demandé !

Il s’approcha d’elle et se mit à sa hauteur, posant ses mains sur ses épaules.

  • Ecoute Noémie. Tu as assez vu d’horreur comme ça dans la vie. Et peut-être que tu en verras d’autres, peut-être que les méchants vont nous retrouver et qu’on devra se battre à nouveau. Mais en attendant j’aimerais que tu penses à autre chose. La vie ce n’est pas que la violence tu sais, il y a l’amour aussi et c’est beaucoup plus important. Tu comprends ?

La gamine fit signe que oui d’un air grave. Il hésita quelques instants avant de lâcher sa confession.

  • Je t’aime tu sais Noémie. Et tu m’aimes aussi, alors soyons unis là-dedans et pas dans la violence ou la haine, tu veux bien ? On sera vachement plus forts comme ça, je te promets. D’accord ?
  • D’accord.
  • Bon maintenant tu vas aller avec Lafayette et Barny à l’autre maison, je veux que tu m’attendes là et que tu sois sage, je ne serais pas long, pas de film avec de la bagarre dedans, pas de couteau ni de pistolet pour le moment, d’accord ?
  • Beuh j’vais faire quoi alors !?
  • Vivre jeune fille, vivre. Et tu diras à Lin qu’elle t’apprenne des recettes de son pays d’accord ?
  • D’accord.

Lin, la troisième de la bande, taïwanaise, ancienne officier dans les forces spéciales taïwanaises. Accorte, sympa, et qui aimait les enfants.

  • Charlie, pourquoi je dois aller à l’autre maison. Les méchants nous ont retrouvé ?
  • Je ne sais pas ma chérie, mais je vais tâcher de le savoir. T’as peur ?
  • Non.
  • C’est bien, tu n’as pas de raison d’avoir peur.
  • Mais les méchants si, dit-elle avec un sourire.

Il lui répondit par un autre et quelque chose de sauvage passa dans le regard du grand-père et de sa petite-fille. Le sang des Ira coulait bien dans ses veines, aucun doute là-dessus.

  • Un café con leché por favor…. Yes, I’m sure sir, our analysis confirm it…or I think he’ll be on his way soon, yes, I believe…

David Brent Smith ne termina pas sa phrase, son téléphone arraché par un gamin des rues qui disparu en courant immédiatement poursuivi par l’homme qui accompagnait l’américain. Debout, et scandalisé ce dernier se mis à crier au voleur en espagnol en faisant de grand signe au serveur de revenir.

  • Rassis toi mon pote, personne va venir, gronda Charlie derrière lui.

L’américain se retourna surpris.

  • Je… oh c’est vous… oh euh comment allez-vous, j’étais….
  • Ferme-là, je ne sais pas comment tu m’as trouvé mais je vais bientôt le savoir. Maintenant tu vas vite remballer tes miches direction ton pays et tu dis à tes patrons que si tu reviens, toi ou un de tes potes, je vous renvois dans plusieurs valises, compris ?
  • Ecoutez nous pouvons…
  • Baisse les yeux.
  • Je vous demande pardon ?
  • Baisse les yeux !

Smith obéit, apercevant le canon de l’automatique caché sous la serviette que Charlie tenait sur sa cuisse.

  • On s’est compris ?
  • Euh…
  • Maintenant casse-toi et que je ne te revois plus.
  • Mais…

Granada apparut de nulle part et fit signe à l’américain vers le taxi qui attendait plus loin.

  • Casse-toi, répéta Charlie.

Bien obligé l’américain rejoignit le taxi qui disparu alors que Granada filait son téléphone à Charlie.

  • Alors ?
  • Lin a vérifié, Vanguard Group.
  • Ca te dis quelque chose ?
  • D’après elle c’est le plus grand groupe financier au monde avec Black Rock. Ils possèdent Black Rock et réciproquement.
  • Putain de ta mère ! Dis à Lin de faire des recherches, je veux savoir comment ils nous ont retrouvé.
  • Ca marche. On fait quoi ?
  • On file à Petite Caïman.

Sous les jumelles électroniques, dans la lumière ocre de l’après-midi, défilait un balai de voitures de luxe le long d’une route sinueuse de montagne. Elles roulaient au pas du cimetière vers la vaste propriété là-bas, au sommet de la colline. Colline pelée par la sécheresse d’un été trop long, d’où surgissaient ça et là des oliviers tordus, comme des gardiens fantastiques. Les jumelles balayèrent le paysage, s’arrêtant sur un point près de la propriété. Véhicules de police, fourgonnettes, SUV, véhicules banalisés, gyrophare allumé. Qu’est-ce qu’ils fichaient là ? Le véhicule de tête sur la route s’arrêta devant l’entrée de la propriété et quatre hommes en sortirent, allant à la rencontre des autorités.

  • Qu’est-ce que vous foutez là bande d’enculés ? Vous pouvez pas avoir un peu de respect ! Aboya un des hommes en fondant sur les flics en civil qui venaient à leur rencontre.
  • Commence pas à faire chier Orsenna, soit déjà contant qu’on vienne pas pour toi, répliqua le divisionnaire.
  • Ah ouais ? Tu me veux fils de pute ? Viens, viens-là que je t’encule ! Se mit à hurler Jean.
  • Ca va, ça va, tempéra Dominique en le retenant de se jeter sur les flics. On est au courant, ils sont là pour Mattéo…
  • Quoi !? C’est quoi ces conneries !?
  • On a un mandat d’amener international contre lui, expliqua le capitaine qui accompagnait son chef.
  • Pour quoi ? Réclama un des hommes de Dominique, alors que les autres véhicules s’approchaient.
  • Meurtre au premier degré.
  • Hein !? Mais c’est des conneries !

Le flic leur tendit le mandat.

Quelque part dans la garrigue, à environs trois cent mètres, imperceptiblement, un buisson se mit à bouger. Dans les réticules électroniques d’autres hommes apparaissaient et se joignaient à la bande de Jean et Dominique.

  • Qu’est-ce qu’ils foutent ici ces fils de pute !? Gueula un des gars.
  • Barrez-vous, Mattéo y viendra quand ça sera fini !
  • Je crois pas non, dit le divisionnaire.
  • Oh Bobo il est où l’avocat !?
  • Me voilà, qu’est-ce qu’il se passe messieurs ? demanda Emile en se faisant un chemin parmi les furieux.

Dominique lui passa le papier.

  • Très bien et alors ?
  • Alors on l’embarque maintenant, il a un avion à prendre.
  • Où est le juge d’instruction ? Vous avez un ordre de sa part ?
  • On n’en a pas besoin et commencez pas à nous emmerder vous, gronda le commissaire.
  • Je ne crois pas non, il vous suivra quand la cérémonie des funérailles sera terminée, un point c’est tout.
  • Ah oui ? Et vous êtes qui vous d’abord ?
  • Maitre Makowsky, avocat à la cour pénale de Paris, et vous-même ?

Bien obligés les deux flics présentèrent leurs cartes.

  • Maintenant ça va bien mais on veut Mattéo.
  • Vous l’aurez, de toute façon où voulez-vous qu’il aille, mais après.
  • NON tout de suite !

Quelque part dans la garrigue, une voix discrète, transmise par un micro de gorge, commentait.

  • Ça chauffe.
  • Qu’est-ce qu’on fait on intervient ? Demanda une voix dans une oreillette.
  • Négatif, répondit l’autorité.

Mais heureusement les choses se calmèrent quand Mattéo se présenta de lui-même.

  • C’est pas grave les gars, ça ira, demain je suis dehors, dit-il en se laissant mettre les menottes.
  • Demain t’es à Tanger connard, gronda le capitaine.
  • Ouais, ouais, c’est ce qu’on verra…

Et en effet, le lendemain, sur l’ordre d’un autre juge d’instruction, il sorti libre le temps d’une nouvelle inculpation. La justice française se mordait la queue avec diplomatie avec la justice marocaine, on s’engueula entre consulat, et pendant ce temps oncle Mattéo disparaissait en cavale. Mais à ce stade de l’affaire, et comme l’avait voulu Tony, Emile Makowsky prenait quelques vacances officielles du barreau, direction les Bahamas. Dans l’avion il réfléchissait à ce que lui avait raconté Bobo à propos de son bras et de ce type, cet ancien tueur à gage à l’origine des malheurs du clan. Il était à la tête d’une des plus grandes fortunes du monde, où pouvait-il bien être maintenant ? Et combien d’ennemis comptait-il réellement ? Les coréens et peut-être ceux avec qui travaillait l’ancienne associée d’Angelo, la mystérieuse Sacha. Combien de personnes étaient au courant de son petit secret ? Bon Dieu, la fortune de Kadhafi, sa petite retraite… ça devait avoir excité quelques appétits non ? Un vieil homme et une gamine de huit ans, un vieil homme dangereux et malin, quel autres dégâts ce type ferait s’il jamais ils le retrouvaient avant les coréens et avaient-ils eux-mêmes les ressources pour l’affronter ? Pas de son point de vue. C’était même tout à fait impossible parce qu’à l’heure qu’il est Charlie Ira ou Dieu sait quel nom il portait aujourd’hui, avait dû blinder sa sécurité, loin de tout, dans on ne sait quelle énorme propriété, entouré d’une petite armée. En faisant des recherches sur la toile, Emile avait découvert que les estimations connues au sujet de cette fortune étaient de l’ordre de cent cinquante à deux cent milliards de dollars. Plus riche que Bernard Arnault. Plus riche que Bezos, Poutine… Mais un peu moins que Musk qui envoyait des gens dans l’espace… Et Charlie Ira, il faisait quoi aujourd’hui de son argent ? Oui, à côté de lui, ils n’étaient plus qu’un détail dans le paysage. Bobo lui avait réservé une chambre au Baha Mar à Nassau, palace casino quatre étoiles face à la mer. Le paradis des américains fortunés, sud, nord et centre. Et ça parlait là aussi bien espagnol qu’anglais dans une ambiance plus touristique que celles feutrées des palaces européens. Bobo était peut-être manchot mais il savait encore se rendre utile. En quelques coups de fils il avait dédouané les gars de Hambourg du meurtre de Tony. Et considérant les dernières paroles de Tony, avait pris des renseignements sur les chinois et les casinos des Bahamas. A qui ils appartenaient, où, quel casino ? Le Royal at Atlantis était un espèce de délire pour adulte, un Disney Land du jeu, croisement improbable entre un palais monumentale coupé par une arche et un paradis artificiel couvert d’arbres au milieu des piscines et des minigolfs et des attractions, bar. Selon les recherches de Bobo il avait été racheté par un consortium chinois, à lui de découvrir lequel et pourquoi Tony s’intéressait à eux.

  • J’vais te dire, je suis sûr que c’est eux qui ont fait le coup, lui avait confié Bobo avant son départ. Il pouvait pas les piffer les chinetoques. A cause de l’Afrique y parait.
  • Il va falloir qu’on mette sérieusement le nez dans les affaires de la famille, avait répondu Emile. Ca ne peut plus durer cette scoumoune, Tony, Mattéo, et le prochain c’est qui ?

Bobo avait regardé le neveu avec un mélange de fierté et d’admiration. Et puis avait dit :

  • Mais pas question que tu racontes aux autres ce que je t’ai dit sur Ira hein ?
  • T’inquiètes pas, c’est entre nous…. Et pour ton bras, j’ai peut-être une solution.
  • C’est gentil mais je veux pas d’une prothèse en plastoc, j’aime pas.
  • Non, je ne pensais pas à ça, j’ai un ami prothésiste, je suis sûr qu’il peut te trouver mieux qu’un bout de plastoc justement. Je m’en occuperais quand je serais de retour.
  • Merci.

Il avait toujours apprécié l’homme de main d’Angelo, d’autant qu’en quelque sorte il avait grandi à son ombre. Et il savait que les autres ne lui laisseraient jamais voix au chapitre quant à la conduite des affaires de la famille. Et pourtant… Angelo ne l’avait-il pas élevé comme son fils ? Même peut-être mieux qu’Alexandre. ? Foutue loi du sang. Il passa quatre jours à aller et venir entre son hôtel et le Royal. Quatre jours dans le chahut des salles de jeu. A jouer petit et beaucoup observer. Emile était un bon joueur de poker mais il préférait pour le moment se garder loin des tables intéressantes. Le personnel était local, des asiatiques mais seulement des joueurs et aucun dans les responsables qu’il repéra. Des touristes européens aussi, et tout le monde semblait à peu près rouler sur l’or. Régulièrement des paquebots phénoménaux venaient dominer les toits de Nassau pour dégueuler des flots ininterrompus de touristes français, américains, hollandais, allemands, japonais… le monde entier. L’avocat se fondait aisément dans la masse, discutant parfois avec un serveur, un maitre d’hôtel, un croupier, l’air de rien, poser des questions en mode écoute active. Et il était très doué pour ça. Faire parler les autres, l’habitude du métier. Et surtout leur faire dire naturellement et sans se poser de question des choses qu’ils auraient normalement réservé à leurs connaissances. C’est ainsi qu’il apprit le nom de la compagnie qui tenait le Royal, et qu’il appela Bobo.

  • Ça te dis quelque chose Shanghai Harvest Company ?
  • Je vais faire des recherches.

De nos jours tout ou presque pouvait se trouver sur la toile si on y mettait un peu du sien. Bobo n’était pas spécialement plus doué qu’un autre avec un ordinateur mais il y avait des hommes dans la famille pour ça. André par exemple, le chef de la sécurité pour la propriété de Santa Maria. Le lendemain, Bobo rappelait Emile.

  • Shanghai Harvest Company, filiale de la Golden China Incorporate, basée à Hong Kong. D’après ce qu’on trouvé ils pèsent lourd. Des casinos à Macao, Hong Kong, Shanghai, et en Afrique du Sud. Ils ont aussi plusieurs hôtels en France et deux trois chaines de restaurants dans le monde.
  • Okay, t’as une idée à qui ça appartient ?
  • Pas la moindre, tu connais pas un collègue dans les affaires ?
  • Un fiscaliste ?
  • Ouais je sais pas, un mec qui pourrait chercher pour nous.
  • Je vais me renseigner, je te tiens au courant.

La communication se termina là-dessus. Tout avait été enregistré depuis un abri creusé dans la garrigue, parfaitement invisible. Un trou de quatre mètres carrés sur deux mètres vingt de profondeur où se relayait une équipe de quatre hommes par roulement d’une semaine. La surveillance avait commencé trois jours avant la mort de Tony Santonie. Quelque part à Bastia, le capitaine Levy dirigeait les opérations, et n’attendait qu’un ordre pour coincer Louis et Jean. Mais ces conversations entre Bobo et Makowsky l’intriguait et il avait décidé qu’on maintiendrait la surveillance après l’arrestation des deux autres. On avait en effet découvert une emprunte partielle dans l’hélicoptère qui avait servit à l’exfiltration des évadés. Et ils attendaient confirmation que l’un des cousins du clan était impliqué.

La victime était suspendue par les pieds et les mains comme un animal, un saut en plastique sous elle. Un homme athlétique d’une trentaine d’année, blanc, un tatouage sur l’épaule, l’écusson du US Marines Corps. Il avait peur, il avait mal, il ne comprenait pas ce qu’il faisait là, dans cette situation. Tout ce dont il se souvenait c’était ce bar à Los Angeles où il avait fait connaissance avec une jolie eurasienne. Ils avaient bu un verre, et après, le trou noir. Il avait froid aussi, d’après ce qu’il pouvait voir, il était dans une sorte de hangar vide sous la lumière crue d’un néon. Il appela.

  • Il y a quelqu’un !?…. Je vous préviens je suis policier s’il m’arrive quoi que ce soit vous allez le regretter !

Silence. Il regarda les chaines auxquelles il était suspendu et commença à se balancer pour voir s’il ne pouvait pas tenter quelque chose pour se libérer. Quand il entendit quelqu’un tousser dans le fond.

  • Il y a quelqu’un !? Je suis de la police ! Libérez-moi immédiatement !

Puis des pas qui se rapprochaient. Deux hommes entrèrent bientôt dans la lumière. Deux asiatiques. L’un portait un costume de ville, les mains dans les poches, des savates aux pieds comme s’il allaient à la plage, l’autre un ciré, un chapeau de pêche sur la tête qui masquait ses yeux et une petite sacoche à la main.

  • V… vous êtes qui, qu’est-ce que vous me voulez ? Demanda le policier dont la peur était soudain en train de monter en flèche.

Le gars en costume sorti son smartphone et fit apparaitre une photo.

  • Tu connais ce gars-là ?
  • Au… AU SECOURS !
  • Tsss…. Fit l’autre en ouvrant sa sacoche et en la posant à terre.

Il en sortit un petit couteau à poisson, un poinçon et une scie à métaux. Il se releva et le regarda sans un mot. L’autre soupira et retourna l’appareil en répétant sa question.

  • Oui, oui je le connais ! Je le connais ! C’était avant que je rentre dans la police ! A Miami je l’ai rencontré.
  • Son nom ?
  • Euh… je crois que c’est Black, Charles Black…. Oui, oui c’est ça chuis sûr.
  • Qu’est-ce qu’il te voulait ?
  • Il cherchait des gens pour sa sécurité, c’est quand je travaillais pour Omni…
  • Je sais. Bien maintenant est-ce que tu sais où il vit ?
  • Euh je crois qu’il m’a dit quelque part dans les Caïmans !
  • Bien, merci. Est-ce qu’il a recruté des gens de ta compagnie.
  • Oui, je crois oui.
  • Tu as des noms ?

Le policier louchait sur les outils du gars au ciré, et avait parfaitement compris le message.

  • Oui, oui, un gars, Barney Norman et une fille aussi je crois mais je ne connais pas son nom.
  • Et ce Barney Norman, où il vit ou vivait ?
  • A Orlando je crois, on était pas très pote lui et moi vous savez…
  • Tu sais où on peut trouver son dossier ?
  • Ecoutez libérez moi et je vous trouverais ça vite fait je vous promets.
  • Comment tu vas faire ?
  • Je connais un gars de chez Omni, un des anciens patrons.
  • Ok, tu peux l’appeler ?
  • Oui, oui.
  • Donne-moi son numéro.
  • Mais…
  • Donne-moi son numéro.
  • V… vous.. n’allez pas me faire du mal hein, vous n’allez pas me tuer hein ?
  • Pas si tu fais ce qu’on te demande.

Il donna le numéro, que pouvait-il faire d’autre, et on appela. Coup de chance son interlocuteur était disponible. Le policier lui mentit à propos de Norman, on lui promit de lui envoyer son dossier dans les quarante-huit heures.

  • Bien, je te remercie, tu vois ce n’était pas si difficile.

Il chuchota quelque chose à l’oreille de l’homme au chapeau.

  • Alors voilà, on va te laisser partir, mais si tu parles, si tu cherches à savoir qui on est ou pourquoi on s’intéresse à ton copain, on te ramènera ici et il s’occupera de toi. Tu m’as compris ?
  • O…o… oui…me…mer…ci.

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