Johanne Betzler est un Hitler Jungen de dix ans durant les derniers mois de la Seconde Guerre Mondiale. Incapable de tuer un lapin au cours d’un camp de jeunesse hitlérienne, il est maltraité par ses camarades qui le surnomment Jojo Rabbit. Heureusement il a un ami imaginaire à qui se confier Adolf Hitler en personne qui mange des licornes, et sa mère, une femme pétillante et pleine d’imagination qui cache dans les secrets de sa maison une jeune juive prénommée Elsa. La découverte de la jeune fille va bouleverser les certitudes de Jojo.
Il y a des films comme ça qui sont aimablement détesté par la critique du bon goût (les Cahiers du Cinéma et Première) pour des raisons qui échappent généralement au grand public. Ecrit sur ton frais et léger, et mis en scène avec le regard d’un enfant Jojo Rabbit fait le pari un peu fou de traiter du drame que fut cette guerre par la légèreté sans pour autant faire totalement abstraction de l’horreur. On se souvient bien entendu du film de Roberto Benigni, la Vie est Belle, qui en 97 sous les hourras de la critique énamourée reçu le grand prix du jury à Cannes, traitait lui-même de l’horreur des camps en usant des mêmes biais. Pourtant si le film de Bénigni confinait parfois à la farce bien appuyée par la faute de son très démonstratif réalisateur et comédien, Jojo Rabbit lui dresse le portrait d’un enfant par petites touches face aux certitudes inculqués par le fanatisme des nazis, ici tous plus ridicules les uns que les autres quoi que dangereux et assassins. Taika Waititi, le réalisateur et interprète d’Hitler nous surprend au détour d’un plan à nous rappeler la réalité du régime nazi pour rapidement revenir à la poésie que constitue l’univers de son film. L’horreur est là qui se partage avec le ridicule d’un régime et d’une idéologie dont on se moque volontiers mais tout ça est toujours traité du point de vue de cet enfant à l’imagination débordante qui va bientôt vouloir tout connaitre des juifs, se décidant à écrire lui-même un livre, relever leurs pouvoirs maléfiques et leurs plans diaboliques dont l’abreuve généreusement la jeune Elsa. D’abord aveuglé comme on peut l’être quand on est endoctriné par une propagande antisémite retenant du ridicule et de l’abjection, Jojo va bientôt éprouver des sentiments pour la jeune clandestine, sorte d’Anne Frank amoureuse de Rilke, vive et intelligente à qui la mère du jeune garçon apprend ce que c’est qu’une femme, comme regarder un tigre dans les yeux ou aller au Maroc.
Drôle, léger, gracieux comme peut l’être l’univers plein de poésie et d’imagination d’un enfant. Filmé avec intelligence et écrit pareillement Jojo Rabbit nous entraine donc dans le monde des monstres, à la fois sans jamais quitter l’idée qu’on est bien à une époque dramatique et mortelle, tout en jouant dessus pour mieux mettre en valeur ce qui compte le plus finalement, la vérité et la liberté des sentiments qui jamais ne devrait se laisser enfermer par une certitude ou une idéologie surtout aussi morbide et fanatique que fut le régime nazi. Pour autant la critique, comme je le disais plus haut, et plus particulièrement celle du bon goût, celle-là même qui s’extasiait devant la farce de Bénigni, parce qu’il est de bon ton pour celle-ci d’applaudir obligatoirement un prix du jury à Cannes, a fait la fine bouche. On ne se demande guère pourquoi puisque la critique du bon goût est avant tout motivé par son snobisme et la certitude auto complaisante que son avis compte. Un regrettable mais bien commun point de vue d’une critique française qui depuis la Nouvelle Vague est persuadée d’avoir réinventé le cinéma et passe notablement à côté de petits bijoux comme ce film, et hélas bien d’autres.
En attendant Taika Waititi, réalisateur, scénariste et comédien néo-zélandais, dont la fantaisie et l’humour s’était déjà fait remarqué avec Thor Ragnarok – sans aucun doute le plus what the fuck de la série Marvel – réussi ici à faire un film à la fois léger comme une comédie musicale avec parfois ses côtés sombres et dramatiques qui au lieu de plomber son film réussi au contraire à lui donner une profondeur inattendue sans jamais faire l’erreur de nous arracher des larmes. On notera également au casting l’excellente prestation du jeune Roman Griffin Davis, impeccable dans son interprétation du héros et celle de Thomasin McKenzie dans celui d’Elsa. Le tout encadré par un collège d’acteurs comme Sam Rockwell, toujours aussi impeccable en officier allemand un peu barré, et Scarlett Johansson en maman insoumise. Un rôle qui la sort notablement et à son avantage de la série Marvel dans laquelle elle s’était jusqu’ici laissée enfermer – on se souviendra de sa lamentable prestation dans la version live de Ghost in the Shell, sorte de déclinaison de son personnage de la Veuve Noire. – Et puis quel plaisir de voir ici traiter Hitler à la fois comme un personnage totalement farfelu et tout en même temps inquiétant. Petit potentat hystérique sorti de l’imaginaire d’un enfant, totalement effrayé par l’intrusion de cette jeune juive et qui donc mange des licornes pour des raisons qui n’appartiennent qu’à la fantaisie des enfants. Un film qui passe sans qu’on s’en rende compte comme une comptine, joliment éclairé et filmé qui plaira sans doute autant aux adultes qu’aux plus jeunes. Peut-être une bonne façon de parler du nazisme et de l’antisémitisme avec un regard neuf, ironique sans jamais sombrer dans le pathos ou la farce.
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