Hyena

Au temps des films de super héros à la chaîne et où les séries télés montrent plus d’originalité et d’audace que la production cinématographique mainstream, des films comme Hyena relèvent immédiatement de la divine surprise.  Polard urbain sec et violent comme un coup de couteau, Hyena nous plonge dans le quotidien de Michael Logan, à la fois bon flic mais parfaitement corrompu, évoluant au milieu d’une police pas moins corrompue, et homme au comportement autodestructeur.  Drogué, alcoolique, avançant un pied dans chaque camp, il se heurte bientôt à une criminalité qui le dépasse, cruelle et ultra-violente, celle des gangs albanais.

Depuis quelques années déjà le polard anglais ne cesse de se faire remarquer par son originalité et sa vision sans concession de la société moderne. Qu’il s’agisse de parler du difficile retour à la vie civile dans The Veteran de Matthew Hope, du polard revanchard et crépusculaire Harry Brown de Daniel Barber avec Michael Caine dans le rôle-titre, the Kill list de Ben Wheatley, film étrange démarrant sur une trame classique du genre pour virer au quasi fantastique et à l’horreur, ou de l’excellent Layer Cake du désormais célèbre Matthew Vaughn  avec un Daniel Craig pas encore James Bond et au mieux de sa forme. Jamais le polard n’avait été si mieux porté à la fois dans sa dimension sociale que dans celle du thriller urbain, où des êtres le plus souvent cassés par la vie tentent de survivre dans une société de plus en plus froide et violente. Hyena nous démontre une fois de plus de la pertinence qu’emprunte le cinéma anglais dans ce domaine pourtant mille et une fois visité.

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Comme ses pairs, l’oeuvre de Gerard Johnson s’inscrit tout naturellement dans ce cinéma néo réaliste cher à Ken Loach et à quelques autres. Une œuvre cependant influencée ici par celui plus statique et parfois aux limites de l’abstraction de Nicolas Winding Refn. On pensera ici notamment à la scène d’ouverture, dont un plan renvoie également directement à Orange Mécanique comme pour signifier que les ados ultra-violents d’hier sont devenus les flics d’aujourd’hui. Ou à d’autres moments du film où musique et couleurs acidulées forment une abstraction syncopée en écho à la lente dérive du personnage principale. Mais si Refn, en cherchant absolument à se démarquer du canevas classique du récit, confine de plus en plus à un style poseur, s’éloignant comme par vice du cœur de son sujet, au point d’embarquer ses spectateurs dans un récit abscons, long et mutique (je pense ici notamment à Drive et au Guerrier Silencieux) Gerard Johnson lui ne perd jamais de vue lui qu’il dresse ici le portrait d’un homme complexe confronté à la fois à une violence qui le dépasse et à un système policier totalement dévoyé où tous les coups sont permis, et les plus tordus si possible. Car ici la frontière qui sépare criminels et représentants de l’ordre n’est plus seulement floue, elle est définie par la limite que s’autorisent les flics en matière de violence et d’exactions. Racket, corruption, arrestation truquée, violences diverses, trafic de drogue, la brigade que dirige le héros semble ne rien faire d’autre sinon la fête à grands coups de rail de coke et d’alcool. Des flics immatures et brutaux dirigés par cet homme perdu qui, en dépit même de lui-même, tente de faire un minimum son boulot. Michael Logan a depuis longtemps dépassé la ligne jaune. Il est en main avec un trafiquant de drogue turc, il a l’inspection des services sur le dos et le voilà soudain frontalement confronté à la sauvagerie, alors qu’on le mute dans une autre brigade sous les ordres de ce que l’on pourrait appeler son pire ami.

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Encore une fois on notera la référence à Refn, (cette fois à son meilleur avec la série des Pusher)   dans la description du milieu albanais et turc et plus pratiquement de la rue, sa froide brutalité, sa violence. Mais une violence ici savamment instillée, cruelle, qui pèse immédiatement comme la pire des menaces. Soutenue par un casting plus vrai que nature de trogne de prison au jeu impeccable de retenue et de naturel. Cette nouvelle criminalité que rencontre le héros prend les femmes pour de la viande et massacre tous ceux qui s’opposent à eux. Un monde où les femmes justement ne sont plus que des outils qu’on vend ou qu’on achète, victimes à peu près impuissantes des hommes, qu’ils soient flics à la dérive ou gangs d’esclavagistes.

Mais revenons sur le sujet de la violence. Car c’est déjà malheureusement peut-être la publicité de trop que l’on fait à ce film. Si le cinéma américain a depuis longtemps à peu près évacué l’aspect dérangeant et subversif de la violence à l’écran, le cinéma asiatique n’a jamais eu ces pudeurs. Au point de dépasser largement les limites du tolérable avec une gourmandise comptable. Pour autant la violence dans ce cinéma-là, qu’il s’agisse des productions hong kongaise des années 80 comme OCTB ou plus récemment Filature, ou les films coréens tel que Old Boy, the Chaser ou the New World, l’on ne perd jamais de vue sa dimension sociale, politique. Ce n’est certainement pas une violence gratuite et fun, qui évacue la chair de ses protagonistes sous prétexte qu’ils ne sont que les pantomimes d’un théâtre dramatique. Et si elle peut être graphique c’est plus dans l’idée de souligner sa crudité que son côté spectaculaire. Il n’y a rien d’esthétique ici parce que cette férocité s’attache aux hommes et aux femmes qui l’infligent et/ou la subissent. Cinéma du social c’est dans cette même veine que s’inscrit donc le réalisme de Hyena. La brutalité et la cruauté, la dimension même du viol, sont traités sans pudeur, frontalement mais avec une réflexion tant dans sa progression que dans le sens qu’on peut lui donner. Face à elle, nous sommes comme les héros, impuissants, pétés de trouille, dépassés, mais surtout elle nous propose un voyage sans retour et surtout sans issue où survivre confine en soit à une forme de suicide. La fin à ce sujet appuie parfaitement tout le propos de l’auteur, tant sur l’avis final que le spectateur peut se faire de Michael Logan, que dans ce que la barbarie oppose comme défi à un homme normal et non pas justement un héros. Plutôt qu’une improbable et inutile apothéose, Gerard Johnson préfère s’en remettre à notre jugement.

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Un film qui laisse réfléchir ses spectateurs c’est de plus en plus rare de nos jours, il faut chercher. Car on l’aura compris Hyena ne raconte pas seulement l’histoire d’un flic tordu face à un gang de tueurs, c’est également le récit d’une amitié déchirée, le portrait réaliste d’une police moderne n’hésitant sur aucune illégalité pour obtenir des résultats, d’hommes et de femmes perdus, de victimes et de bourreaux. Ça poisse le vice, la peur, la lâcheté, la cruauté. Ça raconte les nuits de défonce, la réalité des réseaux de prostitution et de la violence des bandes mafieuses actuelles. Un film toujours ambigu entre le gris et le sale, tendu comme le fil du funambule sur lequel oscille tant bien que mal le personnage principal. Caméra à l’épaule Gerard Johnson prend à la fois le meilleur de Refn, sans perdre le fil de son récit, comme du cinéma anglais, tout en veillant à dynamiser son montage par des plans courts, au plus près de ses comédiens. Pour ce qui s’agit de ces derniers, difficile de dire qui rivalise le plus de naturel et de talent. Car Hyena est avant tout un film d’acteurs. Un casting impeccable, tant sur le choix des physiques, que celui des comédiens eux-mêmes. Avec une mention spéciale, en ce qui me concerne, pour Neil Maskel que j’ai découvert dans the Kill list, et qui, en dépit d’un petit rôle, occupe de toute sa présence son personnage de flic teigneux et ordinaire. Mais on mentionnera naturellement Peter Ferdinando dans le rôle de Logan, avec qui Johnson avait déjà collaboré sur Tony dans le rôle-titre (il y jouait cette fois un tueur en série) et qui nous offre un portrait humain et sensible de son personnage, servi par des dialogues parfaitement écrits et un scénario exigeant. Et enfin, côté gueules d’assassins plus vraies que nature, on n’oubliera pas  Orli Shuka et Gjevat Kelmendi, acteur Kosovar qu’on devrait voir bientôt dans le prochain Bond, et qui nous composent l’un et l’autre un duo de mafieux sans pitié, capables d’un seul regard de nous mettre mal à l’aise, comme si le vice le plus abject venait vous lécher le visage. Dans leurs yeux et ceux de leurs victimes c’est le bas-fond que l’on voit.

Ne cherchons plus pourquoi, ce film qu’a naturellement applaudi Refn en personne, n’a pas les honneurs d’une sortie en salle dans notre beau pays. Et peu importe si depuis Drive, les critiques et le public encensent le même Refn, les distributeurs français ne fonctionnent pas à l’audace mais au kilo de popcorn vendu. On se rabattra donc en vitesse sur la sortie DVD, en bac depuis le 6 septembre, ou pour les plus pressés comme moi sur un site de streaming. Qu’on soit cinéphile ou pas il y a des perles rares, des incontournables qu’il serait regrettable de rater, Hyena fait partie de ceux-là.